Tokyo - URBNclassique #5
A la différence de Claude Debussy ou Olivier Messiaen qui ont su amalgamer l’Orient et l’Occident, Takemitsu évite le syncrétisme et renvoie les cultures à leurs spécificités. Comme John Cage gagnait sa liberté en n’acceptant comme cadre que la seule durée, Takemitsu fait de l’espace ou plus précisément du vide spatiotemporel la matrice naturelle de toutes les expressions musicales. Pour parler du silence entre deux notes, deux phrases, Takemitsu se réfère au terme japonais « ma » signifiant « intervalle » et dont le kanji (caractère chinois) est représenté par un soleil ou une lune entre deux battants de porte. Omniprésent dans la culture artistique et philosophique japonaise, le « ma » est au cœur du haïku, des espaces architecturaux et même des arts martiaux. Espace, silence ou distance, il concentre une charge indicible qui constitue, pour Takemitsu, l’essentiel de l’expérience artistique.
Le Webern des Bagatelles, le Cage de Music of Changes ou le Debussy des préludes n’auraient pas renié cette résurgence du monde dans l’embrasure des notes. L’on peut dès lors comprendre que, chez Takemitsu, les traditions occidentales et japonaises ne soient jamais entrées en hiatus. N’est-ce pas John Cage, après tout, qui devait réconcilier Takemitsu avec une culture japonaise encore marquée par le nationalisme et la guerre ?
Jacques Ledune