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« Urgence climatique, il est encore temps ! » : une bande dessinée d'Étienne Lécroart et Ivar Ekeland

Urgence climatique 1
Nouveau roman graphique signé par le dessinateur Étienne Lécroart et le mathématicien Ivar Ekeland, « Urgence climatique, il est encore temps ! » apparaît comme un sérieux coup de semonce contre le solutionnisme par le marché prôné par les tenants de la croissance verte. Paru chez Casterman.

Sommaire

Complémentarité du tandem

Étienne Lécroart et Ivar Ekeland n’en sont pas à leur première collaboration. En 2016, les acolytes accouchent d’une première bande dessinée commune sur la thématique du hasard. De ce travail ressort une préoccupation essentielle à propos de laquelle l’être humain, longtemps en pure perte, semble s’être fait un sang d’encre : que réserve l’avenir ?

La tentation qui consiste à vouloir prédire le futur, que celui-ci soit réputé écrit à l’avance ou l’objet de calculs savants, se heurte à ce que le jargon mathématique qualifie de « théorie du chaos ». Vulgarisée, celle-ci s’illustre efficacement par le titre d’une conférence scientifique de 1972, dispensée par le météorologue Edward Lorenz : « Le battement d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».

Ancré dans la culture populaire, le fameux « effet papillon » apparaît comme un concept à double tranchant puisqu’il apporte presque autant de grain à moudre aux lanceurs d’alerte du climat qu’à leurs détracteurs. Aux yeux du géophysicien Wallace S. Broecker, « on joue à la roulette russe avec le climat et personne ne sait ce qu’il y a dans le barillet » (propos parus dans la revue Nature en 1987). Cette punchline, point de départ de ce nouveau roman graphique signé de la main des deux comparses, met en perspective ce qui cloche avec le fondement du climatoscepticisme, lequel postule que, puisque l’on ne peut pas savoir exactement, alors pourquoi s’alarmer ?

Urgence climatique 2

Extrait de Urgence climatique, il est encore temps !

En attendant que les économistes orthodoxes prennent conscience que l’humain n’évolue pas en vase clos, comme ontologiquement coupé d’un écosystème dans lequel il lui suffirait de se servir, les faits scientifiques s’accumulent et l’horizon, doucement mais sûrement, semble s’assombrir.

À son échelle de mathématicien, Ivar Ekeland a pris la pleine mesure du problème lorsqu’il enseignait sur la côte ouest du Canada, en Colombie-Britannique. Dans cette région du monde, la déforestation et les plantations en monoculture favorisent la prolifération du pine beetle, un insecte qui dévaste chaque année des millions d’hectares de forêt. Quant à Étienne Lécroart, connu pour ses liens étroits avec les dits « sociologues des riches », le couple Monique et Michel Pinçon-Charlot, il apparaissait comme le candidat idéal à la mise en perspective socio-historique d’une question climatique trop souvent traitée sous l’angle désincarné du fait scientifique.

Des fossiles au service du marché

À l’abri dans son techno-cocon – pour reprendre l’expression d’Alain Damasio –, l’Occidental du XXIème siècle est visiblement bien en peine de comprendre ce qu’il doit réellement à un biotope avec lequel il a fait sécession. Se servir d’une prise de courant est l’un des gestes du quotidien qui, de façon paradoxale, relèvent tout autant de la magie que de la plus stricte banalité.


Dans la veine d’un Jean-Marc Jancovici – ingénieur polytechnicien militant en faveur d’une société décarbonée – Ivar Ekeland et Étienne Lécroart consacrent un pan entier de leur ouvrage à retracer l’histoire de l’extractivisme énergétique à la racine de notre système de production et de distribution et, par conséquent, de nos modes d’existence toxicomaniaques, biberonnés que nous sommes au gaz et au pétrole. Quand on prend conscience que notre confort moyen dépend de machines qui fournissent au quotidien une force de travail équivalente à celle de quatre-cents serviteurs, on saisit à quel point actionner un interrupteur est tout sauf un geste anodin

Urgence climatique 3

Extrait de Urgence climatique, il est encore temps !

Ces automates abreuvés d'énergies carbonées sont devenus les chevilles ouvrières du totem moderne de la croissance, l’incontournable produit intérieur brut (PIB), sourd et aveugle aux effets délétères du dérèglement global à l’œuvre. Un indicateur initialement forgé en vue de mesurer la capacité des États-nations à se faire la guerre, comme le martèle à l’envi l’économiste hétérodoxe Gaël Giraud, l’un des protagonistes de la bande dessinée d’Ekeland et Lécroart.

Avec l’humour nécessaire à une prise de distance qui autorise un traitement à la fois informatif et accessible, les auteurs rappellent comment les industries nées des deux conflits mondiaux sont parvenues, une fois la paix décrétée, à trouver de nouveaux débouchés dans l’agriculture du futur : gaz de combat réemployés en pesticides, explosifs recyclés en engrais azotés, biplans reconvertis en avions d'épandage… De géopolitique, la guerre se mue en véritable écocide. Cette mal nommée « révolution verte » apparaît tant à l’origine de l’explosion de la consommation d’énergie fossile que des rendements agricoles décuplés en conséquence… Et pour l'écoulement desquels il a fallu créer un marché d’absorption planétaire. C’est le début de la mondialisation, mise en branle par les accords de Bretton Woods en juillet 1944. Ainsi que celui d’un solutionnisme par le marché, méthodiquement battu en brèche par l’ouvrage d'Ivar Ekeland et Étienne Lécroart.


Simon Delwart

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