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Utopies réelles - Révoltes graphiques / une interview

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L'exposition présentée à PointCulture ULB Ixelles, du 3 mars au 27 avril, est le résultat d'une collaboration entre des étudiantes de l'ULB – Master en Gestion culturelle –, des étudiant·e·s de la section graphisme de l'ESA Saint-Luc Bruxelles, coordonné·e·s. par les professeur·e·s Violette Bernard et Germain Papillon, et PointCulture ULB Ixelles. L'interview se déroule en deux temps ; les quatre premières questions sont posées aux étudiantes de l'ULB – Emma Touchot, Aimée Pertel, Sophie Willot, Lisa Ranieri et Alexandra Alexiou –, la dernière est posée à deux étudiant·e·s graphistes, Camille Barthet et Pierre Émile Gérard.

Sommaire

- 1. PointCulture : Quelle a été votre motivation (ou lesquelles s’il y en a plusieurs) pour choisir PointCulture comme objet d’étude et comme laboratoire pour concrétiser votre projet ?

PointCulture est une organisation culturelle très intéressante pour des étudiantes en gestion culturelle comme nous. Son ancrage territorial ainsi que sa mission de promotion de la culture sont des éléments qui nous ont beaucoup stimulées au début de notre projet. De plus, c’est une institution en mutation qui fait face à la question centrale de la place des médiathèques dans notre société toujours plus digitalisée. Nous souhaitions revendiquer l’importance de ces centres documentaires.

Dans les médiathèques, les collaborateur·rice·s offrent des conseils et des recommandations inestimables, une expertise et un contact humain qui manque beaucoup aux plateformes en ligne. C’est cette richesse de contenus et l’accompagnement unique que nous voulons mettre en avant de façon pertinente lors de notre projet. Ça a été très inspirant de collaborer avec PointCulture.

- 2. PointCulture : Pouvez-vous rappeler, en quelques lignes, la genèse de votre projet ?

Notre point de départ a été notre volonté commune de mettre en avant la création contemporaine et surtout les nouvelles pratiques et créations des étudiant·e·s en écoles d’art à Bruxelles. Étant nous-même étudiantes, il nous tenait à cœur de faire profiter de cet exercice du projet culturel dans le cadre de notre master à des jeunes artistes. Ainsi, en leur permettant d’exposer dans un cadre professionnel et institutionnel, tout le monde se voit offrir l’occasion d’apprendre quelque chose et il nous semble que cela donne une dimension d’autant plus concrète à notre projet. La seconde idée essentielle était de travailler avec la très large collection de PointCulture. Une fois qu’il a été confirmé que nous allions bien collaborer avec ce partenaire, cette première étincelle est devenue notre fil rouge lors de l’élaboration de l’exposition.

- 3. PointCulture : Un aspect central de votre projet est la mise en valeur d’œuvres présentes dans la collection de PointCulture (en lien avec la thématique annuelle « Révolte »), et les 29 qui ont été retenues sont des créations documentaires : films militants, essais, portraits, enquêtes, et même un film d’animation, dans des domaines aussi divers que la politique, les arts, le numérique, le genre, le colonialisme ou encore l’environnement.

La présélection a été réalisée par les cinq membres de votre groupe. Pouvez-vous nous dire ce qui a déterminé ce choix au sein de la collection documentaire (uniquement) ?

Notre démarche pour élaborer cette sélection s’est appuyée sur trois grands axes.

Tout d’abord, nous avons convenu que les documentaires sélectionnés dans la collection de PointCulture porteraient sur des révoltes contemporaines ou qui résonnent avec des révoltes de notre temps. Il nous a ensuite semblé pertinent de choisir des documentaires montrant des actes de révoltes plutôt que dévoilant des sujets révoltants.

— La nuance est fine mais pourtant essentielle puisque nous cherchons à ouvrir un dialogue autour des révoltes actuelles et de ce à quoi aspire la génération actuelle. — E.T. / A.P. / S.W. / L.R. / A.A.

Enfin, nous avons articulé la sélection autour de grandes thématiques, comme vous le rappelez, pour permettre d’offrir aux élèves un large choix d’inspiration pour leur travail. Certains documentaires abordent plus d’une thématique, ce qui permet de soulever l'intersectionnalité des révoltes. La sélection a été réalisée en collaboration avec les employé·e·s de PointCulture ULB Ixelles, en accord avec notre démarche de promotion des services proposés par ce lieu culturel unique.

- 4. PointCulture : La mise en avant de la création contemporaine, de nouvelles pratiques et la promotion d’une jeune génération d’artistes bruxellois est l’autre aspect essentiel de votre projet. A-t-il été facile de convaincre les deux enseignants responsables de la section graphisme de l’ESA Saint-Luc Bruxelles ainsi que les étudiants ? Et combien sont-ils à s’être pliés à l’exercice ?

Nous avons contacté Violette Bernard et Germain Papillon au printemps 2020. Une des membres de notre groupe a fait ses études à l’ESA Saint-Luc et les connaissait déjà. Cela a beaucoup facilité la prise de contact. Après une courte présentation de nos intentions, le projet les a séduits et nous avons hâte de dévoiler les œuvres qui ont découlé de cette collaboration. Dix-sept étudiant·e·s y ont participé. Nous avons pu les rencontrer en septembre dernier, tou·te·s semblaient inspiré·e·s par le sujet et ça se voit dans leurs productions. Nous tenons d'ailleurs à les remercier encore une fois pour le magnifique travail qu’ils et elles ont fourni.

- 5.1 Question posée à Camille Barthet : En termes d'illustration, contrairement à la musique par exemple (en particulier la musique instrumentale, sans texte, sans paroles), le cinéma offre déjà beaucoup d'images à l'artiste qui doit en imaginer l'affiche, les visuels, etc. D'après votre propre expérience (ou des discussions autour de vous dans le cadre de ce projet), pensez-vous que ce rapport entre le contenu du film et la part d'imagination de l'artiste graphique est encore différent dans le cadre du cinéma documentaire ?

Quels rapports se tissent-ils entre le réel, l'imagination, l'invention de formes, l'espace possible de création graphique ?

- Camille Barthet : Les supports de communication confiés au graphiste dans le cadre de la promotion d’un film, l’affiche principale notamment, sont incontournables et doivent être réussis. Ils doivent donner envie de voir le film. Il me semble que cet enjeu se joue différemment selon que le film à illustrer soit une fiction ou un documentaire.

Dans le cadre d’une fiction, le graphiste est en présence d’une œuvre artistique, c’est-à-dire d’une conception très personnelle et il paraît difficile d’y apporter son propre imaginaire sans parasiter, voire détruire, les effets voulus par le metteur en scène. Il me semble au contraire que l’objectif du graphiste est d’imager parfaitement dans ce cadre le contenu du film, en respectant parfaitement l’œuvre.

Si le metteur en scène a mis par exemple une minutie particulière à régler certains points techniques (cadrages, grain du film, couleurs, etc.), alors l’affiche se doit d’être fidèle à cette ambiance. Un film, c’est aussi un genre (comédie, drame, action, etc.), avec des codes artistiques et commerciaux auxquels le graphiste ne peut déroger. Jusqu’à la taille contractuelle de chaque nom figurant sur l’affiche. Et le spectateur ne saurait être trompé sur la marchandise en achetant son ticket. Alors la vraie difficulté pour le graphiste illustrant une fiction, un imaginaire, est peut-être paradoxalement d’être au plus proche du réel, c’est-à-dire au plus proche de l’imaginaire du film. Ou bien il lui faudra le talent d’apporter sa propre contribution sans interférer avec l’artiste ou les artistes d’une œuvre qui lui a été transmise déjà aboutie.

Utopies réelles - Révoltes graphiques  une interview Camille Barthet

© Camille Barthet

Dans le cadre du film documentaire, il est question d’une thématique, d’une réalité et il me semble qu’il y a dans ce contexte une ouverture bien plus grande pour la symbolisation, pour l’imaginaire. Là aussi, il s’agit pour le graphiste d’imager pour le futur spectateur le contenu du documentaire mais il n’est pas tenu par une conception externe personnelle puisque le film est basé sur des faits réels et non sur la perception d’un tiers, d’un artiste qui plus est. La symbolisation du thème est intéressante, elle peut faire appel à l’inconscient collectif, à l’actualité, etc. Le talent du graphiste est là d’être imaginatif tout en respectant le réel du documentaire, alors qu’il devait au contraire rester dans la réalité de l’imaginaire du film du fiction.

On pourrait aussi imaginer que le graphiste soit parfaitement fidèle aux images du film documentaire et n’apporte rien de personnel à l’affiche et aux visuels du film, mais on sent bien que l’absence de symbolisme appauvrirait sensiblement l’enjeu et l’intérêt du film. Le symbole et le créatif imaginés par le graphiste donnent ainsi une âme, une substance au sujet du film, qui s’élève alors au-dessus de la narration et des apparences.

Au cours de ce projet, à partir du documentaire L’Étincelle, une histoire des luttes LGBT+, j’ai rédigé et mis en page un livret contenant des faits d’actualité, historiques ainsi que des témoignages de la communauté LGBTQI+, afin d’illustrer que les droits acquis restent fragiles et qu’il reste beaucoup à faire. La forme de mon travail appuie donc le documentaire. Le contenu se basant sur le réel, ma part d’imagination se trouve dans l’invention des formes et les choix typographiques. J’ai choisi des mises en page mouvantes pour matérialiser le changement constant des droits et pris le parti des couleurs lumineuses pour mieux soutenir la cause du documentaire et y amener, je l’espère, une pointe d’espoir.

- 5.2 La même question posée à Pierre Émile Gérard : En termes d'illustration, contrairement à la musique par exemple (en particulier la musique instrumentale, sans texte, sans paroles), le cinéma offre déjà beaucoup d'images à l'artiste qui doit en imaginer l'affiche, les visuels, etc. D'après votre propre expérience (ou des discussions autour de vous dans le cadre de ce projet), pensez-vous que ce rapport entre le contenu du film et la part d'imagination de l'artiste graphique est encore différent dans le cadre du cinéma documentaire ?

Quels rapports se tissent-ils entre le réel, l'imagination, l'invention de formes, l'espace possible de création graphique ?

- Pierre Émile Gérard : La question est complexe et pour vous répondre correctement je me vois obligé de contextualiser les choses.

Je dirais tout d’abord que le graphiste professionnel crée généralement de manière assez contrainte, tandis que les artistes graphiques, comme vous dites, que nous avons été dans le cadre du projet avec le PointCulture de l’ULB, ont plus de liberté. Les contraintes graphiques peuvent être divisées en trois aspects : l’ambiance, le style et le sujet.

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© Pierre Émile Gérard

D’abord, que ce soit pour de la musique, instrumentale ou non, ou du film, documentaire ou non, il est essentiel que le graphiste tienne tout d’abord compte de l’ambiance, des émotions et de l’atmosphère qui se dégagent pour créer son visuel. De manière caricaturale, si le film ou la musique est triste, il serait préférable que le graphiste emploie des couleurs sombres. Ainsi, dans le cas de musique instrumentale, on remarque que si elle n’offre elle-même pas d’images, elle offre beaucoup d’émotions, émotions que le visuel du graphiste s’efforcera de transmettre, à moins de vouloir surprendre le public. Si, dans les documentaires, la neutralité veut que le film soit moins teinté émotionnellement, bien que ce ne soit pas nécessairement le cas pour tous, le rôle du graphiste peut alors être d’amplifier cette émotion pour rendre la création du réalisateur attractive au public.

Ensuite, le style à choisir, dépendant notamment de la technique employée, est une question de tendances et de marketing – désolé pour ceux qui n’aiment pas le mot. Son choix dépend du public qu’on souhaite toucher. Par exemple, je pense qu’il serait peu judicieux d’imprimer des affiches en sérigraphie pour une sortie de film à l’UGC. Le style, c’est une question de codes et d’appartenance. Bien qu’on soit encore étudiant·e·s, je crois qu’on a déjà tou·te·s un peu notre propre style et notre appartenance, qu’on nous pousse à développer et qui ne fera que s’affirmer davantage par la suite. C’est donc normalement au créateur de la musique ou du film de choisir le graphiste qui lui convient, à lui ainsi qu’à son public, plutôt qu’aux graphistes de jouer les caméléons et de créer des visuels qui ne leur correspondent pas.

Personnellement, je trouve que c’est bien plus facile de changer d’ambiance et de sujet en gardant son style propre que de changer de style et de garder la même ambiance. Il est vrai que certains films et documentaires ont déjà leur propre style visuel, et qu’il est alors difficile de ne pas respecter une forme de charte graphique déjà mise en place dans le film, ce qui n’est pas le cas dans la musique.

Enfin, en ce qui concerne le sujet, c’est-à-dire ce que le visuel peut représenter de figuratif et d’informatif, je pense qu’il est plus contraignant dans le cadre d’un documentaire que dans le cadre de musique, et même peut-être parfois écrasant dans le cadre d’un film narratif. Néanmoins, je ne pense pas que de la musique instrumentale soit nécessairement totalement dépourvue de sujet : tout d’abord, l’instrument constitue une image en soi qui peut se retrouver sur la pochette, ensuite, les titres des morceaux ou de l’album, ainsi que le nom de scène du musicien peuvent également orienter le visuel en définissant son sujet.

Voilà donc les limites avec lesquelles le graphiste doit normalement jouer. Dans le cadre du projet avec PointCulture, ces contraintes ont été quelque peu réduites, pour qu’on puisse s’exprimer plus librement. En termes de sujet, bien que nous dussions aborder de près ou de loin la problématique abordée dans le documentaire, nous avions le choix de ce dernier parmi un ensemble très large, ce qui nous permit en quelque sorte de choisir cette problématique en fonction de nos préoccupations. En termes de style, on a tous été encouragés à expérimenter au maximum et à développer chacun une patte personnelle sans copier l’identité du documentaire. En termes d’ambiance, l’interprétation personnelle et notre propre ressenti ont été mis en avant et je pense qu’on a tous pu exprimer un point de vue. Continuer à exprimer ce point de vue par la suite, en tant que professionnel, est un peu le défi auquel on sera tous confrontés, mais je pense que c’est essentiel pour créer des visuels nouveaux et pertinents, en tant qu’acteurs du monde dans lequel nous vivons.

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Ce projet est le fruit d’une collaboration étroite entre le PointCulture ULB Ixelles, le Master en Gestion Culturelle de l’ULB et l'atelier de l’ESA St-Luc Bruxelles/graphisme bac 3.

Dans le cadre des micro-projets du Master en Gestion Culturelle de l'ULB. Projet coordonné par les étudiantes : Alexandra Alexiou, Aimée Pertel, Lisa Ranieri, Emma Touchot et Sophie Willot


Illustration : Elisabeth Leroy • Logotype "Utopies réelles" : Aimée Pertel

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