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Le cri Vandycke

Vandycke La Boverie .jpg
Grâce au Trinkhall, Yvon Vandycke est de retour parmi nous, à La Boverie. Un coup de fouet pour regarder le vivant autrement et chérir les esthétiques qui aident à échapper au capitalisme.

Sommaire

L’aura rebelle

Je suis arrivé à Mons au tout début des années 80. Je travaillais à la Médiathèque où défilaient les étudiants de l’Académie, du Conservatoire, de nombreux représentant-e-s du milieu artistique et culturel. Il était difficile de ne pas entendre parler d’Yvon Vandycke. Sans avoir jamais vu une seule de ses œuvres, je compris vite qu’il ne laissait personne indifférent, on aimait ou on détestait. Sa sensibilité d’écorché vif, ses outrances, ses combats, ses revendications, ses provocations, les mouvements qu’il avait contribué à lancer alimentaient les conversations. Impossible de ne pas prendre position pour ou contre l’Art Cru. En ce sens, cet activisme mettait en mouvement réflexions, investigations, passions, productions d’imaginaires bien au-delà des premiers cercles. L’art dans la cité était remis sur le métier, maintenu en débat, en suspens. Ce qui correspondait à l’époque aux grandes traditions de l’histoire de l’art, à savoir contester les courants dominants pour se faire entendre et marquer un territoire de reconnaissance, apparaît, en 2021 sous un autre jour. En effet, dans l’impasse écologique où se trouve la société humaine, du fait de la cupidité capitaliste exténuant les ressources naturelles, on ne cesse d’en appeler à l’émergence de récits et d’imaginaires de bifurcation, qui aideraient l’humain à repenser sa place par rapport au non-humain. Or, les collectifs d’artistes initiés par Yvon Vandycke, dès les années 70, ne criaient rien d’autre que ce besoin de cultiver une sensibilité capable de réviser les biais de l’anthropocentrisme.

L’homme se dévore

Le cri d’alarme d’Yvon Vandycke, splendide, est l’affiche de l’exposition qui lui est consacrée à la Boverie (Liège), à l’initiative du Trinkhall. Au-dessus d’une terre rase, sur fond de ciel jaune Van Gogh, prémisse du couchant, une planète dévoreuse désormais seule dans l’espace. L’homme a avalé son lieu de vie, la Terre n’est plus qu’une gueule double, tête haute et tête en miroir, l’humain dans le cercle vicieux de son besoin de puissance, seule, hurlant de rage et d’effroi, mais trop tard. Une veine que renforce la peinture « Il n’y a rien d’autre », un mec sculptural et zombie, qui court entre les murs de la prédestination, mû par le seul instinct de reproduction et possession, la vie réduite à une piste de compétition, la vie réduite à sa pulsion de mort.

« Dans chaque visage est cicatrisée l’histoire d’une transversale aveugle. Dans chaque visage, la plaie débridée où est écrite toujours la même interrogation. » — Yvon Vandycke

L’émerveillement

Vandycke, Moi la nuit.jpg

Est-ce que l’on regarde différemment, aujourd’hui, ce qui choquait dans les années 70 et 80 ? Ce qui choquait était précisément la mise à nu de la beauté et du systématisme des canons esthétiques agissant comme de œillères, la chair et les instincts dans toute leur cruauté, leur ambivalence. Chercher les défaillances plutôt que les certitudes. Est-ce que le contexte actuel écologique conduit à éprouver autrement ces images et ce qu’elles tendent de saisir de nos relations avec ce qui nous tient, l’air, l’herbe, le sable, les objets, les animaux, les fantômes ? Il y a cette gravure du peintre dans la nuit. On ne sait si le visage est posé ou dressé, encore fixé au tronc ou dérivant dans les limbes. Et la nuit autour est un réseau de fibres et d’ondes, de stries et constellations, un vortex pariétal, inséparable de ce qui agite l’intérieur du crâne, osmose du moi et du mystère nocturne (origine, mort, métamorphose). En prolongement, le portrait d’un adolescent et d’un hibou complice, contemplant les lueurs mauves venant du fond des ténèbres. L’oiseau et l’humain ensemble, mais les serres du rapace, sur la peau fragile, indiquent bien que les frontières sont difficiles, temporaires. Le climat d’ensemble exprime le dépassement, atteste que ce qu’il y a à voir nous déborde de partout, est bien trop vaste, trop magique. Émerveillement, sidération.

Chair et terre, bord à bord

Vandycke, Dans les sables du lit.jpg

La tendresse est omniprésente, tumultueuse, ambivalente. Dans la manière de montrer la souffrance d’exister, intériorisée, déformant les membres, les organes angoissés. Il faut regarder les mains nouées, les bras croisés avec paluches les étreignant ou retournée sur la cuisse, jointes dans le vide, au giron, près des plis de pantalon, elles-mêmes pleines de plis, de rides, de traces. Des mains éprouvées et qui tentent de maintenir l’être ensemble, d’une seule pièce. Qu’elles lâchent et tout peut rompre. La tendresse est lumineuse, exubérante ou recueillie, dans les dessins d’animaux. Là, il y a harmonie entre l’individu et le tout, mais sans ordre, en toute liberté. Dans les trois nus éprouvants – L’incendie, Dans les sables du lit, La soupe au sang - , les corps féminins, qui donnent la vie, sont exposés dans des décors ultimes, arides et hostiles. La chair hésite entre premier et dernier souffle. Mais aux confins des silhouettes tourmentées et des surfaces où elles succombent, des signes de bienveillance apparaissent, où le tourment peut trouver à s’apaiser. A l’écoute de ce qui monte des profondeurs telluriques. Le sol marqué par le feu se met au diapason de ce qui brûle le corps. Le sable, absorbe les vibrations sanglantes de l’être affalé et développe autour un réseau de légères ondes sismiques, apaisantes ; au centre de la mare de sang, une sorte de nid pour absorber la femme en douceur en son sein. Au sein de toute douleur, il y a une résonance avec la matrice terre, avec les éléments, une part de nous s’y fond et y trouve un minimum de réconfort, voire une révélation qui peut guérir. La cruauté de vivre, montrée en ses points de limites réversibles.

« Le cri de Maka apparaît comme l’écho d’une contraction inquiète de la modernité. Une anxiété convulsive, à contrechamp des adhésions euphoriques ou des voies anticipatrices. » — Laurent Courtens

Revisiter, hériter

Dans l’urgence de créer des imaginaires relevant le défi d’inventer un futur vivable, les choses ne peuvent partir de rien. Il est plus que nécessaire de s’intéresser à ceux et celles qui, depuis toujours, ont cherché à organiser autrement les sensibilités entre humains, entre humains et non-humains, via des esthétiques non-dominantes, fragiles, plurielles. Il est plus que temps de montrer et enseigner les généalogies des imaginaires dissidents. Et, à ce titre, Yvon Vandycke est un précurseur. Visiter son exposition fait du bien. Pour ceux et celles qui connaissent un peu l’histoire locale (montoise), elle ravive ses coups d’éclats incroyables contre l’autorité scolaire accusée de fabriquer des artistes bien gentils, conventionnels. Par ses manières de s’opposer à l’autorité mortifère, joignant message politique et geste artistique, soucis collectif et performance singulière, il précédait de loin les modes d’interventions recherchés et cultivés aujourd’hui par des organisations telles qu’Extinction Rebellion. Il laisse une peinture vivante, pour le vivant, une peinture qui change.

« L’École comme terreau, mais encore, « base d’attaque » : MAKA est en guerre. Contre qui ? Contre les tendances artistiques dominantes fustigées au titre « d’art officiel », jugées mièvres, fadasses, sans âme et sans ancrage. » — Laurent Courtens

Pierre Hemptinne

Informations pratiques :

Yvon Vandycke - V comme visages, V comme Vandycke10.09.21 > 21.11.21
Entrée gratuite

À La Boverie (Liège)

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