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Velo / Love

Richard Lerman - Travelon Gamelon _1600.jpg
Vélos des villes et vélos des champs... Jac Berrocal, Jack Pinoteau et Jaques Tati... Biclou du facteur, tandem des amoureux ou vélo-gamelan du musicien : une playlist musicale et cinématographique pour les fous de la petite reine.

Sommaire

Jacques Tati : L’École des facteurs et Jour de fête (1947-1949)

À la fin des années 1940, la France découvrait un des comiques qui allait marquer durablement le cinéma français. Jacques Tati signe en 1947 Jour de fête, son premier long métrage dont le personnage principal, François le facteur, était déjà apparu dans son court métrage L’École des facteurs. Tout en simplicité et en inventivité, le film de Tati rend un bel hommage à cette France rurale avec ce facteur candide qui, chevauchant son vélo, ambitionne de rivaliser avec l’efficacité et la rapidité des services postaux américains. [MA]


Jack Pinoteau :
Le Triporteur (1957)

Gros succès commercial lors de sa sortie, Le Triporteur salue la débrouillardise et l’entêtement d’un mordu de football qui va sillonner la France avec son triporteur afin de suivre son équipe préférée. Petit détail cocasse : le personnage campé par Darry Cowl, qui ne jure que par le football, passera finalement plus de temps sur son vélo, pédalant sans relâche, que dans les stades de football. Une suite verra le jour (Robinson et triporteur, 1960) où le vélo se mue alors en… pédalo. [MA]

Daisy, Daisy / Give me your answer do / I'm half crazy / All for the love of you / It won't be a stylish marriage / I can't afford a carriage / But you'll look sweet upon the seat / Of a bicycle made for two — Harry Dacre, 1892

Harry Dacre - Nat King Cole - John Fahey - IBM 7094 : « A Bicycle Built for Two » (1892-1961)

Aussi connue sous le titre de « Daisy Bell », l’ode à l’amour simple et au tandem « Bicycle Built for Two » est une chanson britannique de music-hall écrite par Harry Dacre à la toute fin du XIXe siècle. La morale de l’historiette : s’aimer, c’est pédaler ensemble dans la même direction. Très populaire, elle accède au rang de classique par les innombrables interprétations qui en sont faites. Parmi des dizaines d’autres, Nat King Cole la reprendra en 1963, John Fahey en jouera la mélodie (sans paroles) en version fingerpicking en 1965 et en 2014, le peintre Mark Ryden en imaginera une collection d’une vingtaine de relectures (à but philantropique) signées Nick Cave, Danny Elfman, Mark Mothersbaugh (de Devo) ou encore Tyler, The Creator, etc.

Mais avant cela, en 1961, dans les laboratoires Bell de Murray Hill dans le New Jersey, la chanson est entonnée par la voix synthétique de l’ordinateur IBM 7094 (programmé par John Kelly, Carol Lockbaum et Max Mathews) ce qui en fait la première chanson de l’histoire reproduite en synthèse vocale. Très fière de cette avancée technologique, la firme reprendra le morceau en 1963 sur un 45t promotionnel intitulé Computer Speech. [PD]


Yol Aularong : « Jeas Cyclo » (1974)

Pour certains, le vélo n’est ni un sport ni un loisir, mais bien un moyen de subsistance. Le chanteur cambodgien Yol Aularong a écrit avec Jeas Cyclo en 1974 un des plus grands tubes de la pop psychédélique du pays. C’est un hymne aux conducteurs de vélo-pousse de Phnom Penh, une profession dure et mal payée, aujourd’hui en voie de disparition. [BD]

Jac’s bicycle is music to my ears . — Vince Taylor

Jacques Berrocal (et Vince Taylor) : « Rock’n Roll Station » (1976)

En 1976, pour un des cinq morceaux de son premier album solo Parallèles, le trompettiste Jacques (pas encore Jac) Berrocal fait appel au rockeur Vince Taylor pour une étrange déclamation accompagnée du son d’une roue de vélo. Une sorte de cousin sonore à la « Roue de bicyclette » de Marcel Duchamp. En 2005, Berrocal se souvient : « Vince était comme un ovni allant et venant avec une souplesse de félin : un voyant et un séducteur au regard faisant mouche. C’était pile l’année, où, à Londres, à la station Tottenham Court Road précisément, il avait désigné à Bowie, sur une carte d’état-major, l’emplacement secret des caches d’armes que les extra-terrestres avaient fixé pour envahir l’Europe… Vince Taylor a incarné le rock à un point inimaginable de folies sensuelles et scéniques. Si certains, depuis, ont élevé le rock comme un art, lui seul en a fait une messe imprévisible et troublante. Alors, lorsque l’idée de « Rock’n’Roll Station » m’est venue, son image s’est imposée immédiatement, et l’enregistrement fut bouclé en une heure. « Rock’n’Roll Station », c’est une chose qui m’a complètement échappé ; un geste rapide que j’ai mis vingt ans à chanter sur scène. » (interview par Philippe Robert, pour Le Son du grisli). Nurse With Wound reprendra le morceau à partir de 1994 et Ron Anderson des Mollecules enregistrera le morceau « Jac’s Bicycle Is Music to My Ears » en 2000 avec l’artiste visuel Jason Berry jouant lui aussi de la roue de vélo… [PD]

Le son de bicyclettes amplifiées n’est pas très éloigné de celui d’un gamelan. — Richard Lerman

Richard Lerman : Travelon Gamelon – Music for Bicycles (1983)

L’instrument principal de l’artiste sonore Richard Lerman (né à San Francisco en 1944 et collaborateur occasionnel d’Alvin Lucier, David Tudor ou Gordon Mumma) est le micro-contact (qu’il fabrique lui-même, pour moins d’un dollar par pièce). Il attache des micros-contacts à des brins d’herbe et enregistre le son qu’y produisent les gouttes de pluie, ou en pose d’autres sur le trajet de fourmis pour enregistrer le son de leur passage… Et Travelon Gamelon ? Lerman s’explique : « Pourquoi de la Musique pour vélos ? Le titre de l’œuvre est venu en premier. En Asie du Sud-Est, un gamelan est un grand ensemble d’instruments percussifs, souvent métalliques. Et le son de bicyclettes amplifiées n’est pas très éloigné de celui d’un gamelan. La rime dans le titre et l’idée d’un gamelan mobile qu’elle suggère était trop belle pour ne pas être saisie. J’étais intrigué par le fait d’utiliser le vélo à la fois comme source sonore et pour les images qu’il évoque. Les souvenirs de l’enfance, lorsque nous attachions une carte à jouer à notre cadre de vélo, de manière à ce qu’elle produise du son dans les rayons de notre roue, ont représenté une impulsion de plus pour composer cette pièce » (Richard Lerman). La pièce peut être jouée soit en version concert, sur scène dans une salle, soit en version « promenade », en roulant dans les rues d’une ville. Sur le LP sorti initialement sur le légendaire label Folkways (en 1983) figurent deux versions mouvantes (à Boston et Amsterdam) et trois versions fixes (à Pittsburgh, Amsterdam encore et à Wellington en Nouvelle-Zélande). L’œuvre a depuis lors été régulièrement rejouée, comme en témoignent les vidéos ci-dessous. [PD]


The Nits : « Bike in Head » (1986)

Célébrés pour leur écriture pop sophistiquée et leurs expérimentations sonores, les Nits ont développé durant leur carrière une approche extrêmement inventive de la musique et de la scène. Ils rendent ici hommage au véhicule traditionnel de leur Hollande natale avec un morceau qui mélange à leurs mélodies et percussions des sons de dérailleur et un allègre tintement de sonnettes. [BD]

On aime tous le vélo, regarder le tour de France, se déplacer dans Angers... Mais « Biking » ne vante pas vraiment notre amour du vélo. Rien à voir avec « À Paris, en vélo on dépasse les autos ». Les paroles s'attachent plutôt au côté souffrance de la vie avec ses hauts et ses bas, à l'image du cycliste solitaire dans la montagne. Le vélo n'est ici qu'une métaphore. — Christophe Sourice, Les Thugs in Premonition #15

Les Thugs : « Suspended Time » (1989) et « Biking » (1993)

En 1993, ce groupe d’Angers construit autour de la fratrie Sourice (trois frères dans le groupe, plus un guitariste-ami en pièce rapportée), Les Thugs (1983-1999), étaient probablement, au moment de la sortie de leur cinquième album, le meilleur groupe français du monde ! En tout cas, l’un des seuls à passer chez John Peel et le seul signé sur Sub Pop. Pratiquant un garage hardcore enlevé mais piqué à vif de fines mélodies doublées parfois de chœurs angéliques. Mais, outre leur gout pour les sprints et les guitares indociles, les Français cultivaient un amour sincère pour la petite reine. L’une de ses chevilles ouvrières – Christophe – pratiquait ce sport/détente à ses heures perdues (… ou gagnées, puisque, dans une interview, le groupe avoue avoir choisi la vie de musiciens pour « être payés pour quelque chose qui [les] passionne, tout en [leur] laissant le temps de traîner à la maison, de voir les potes et de faire du vélo »). Après une allusion à la pratique du vélo urbain à Amsterdam dans « Suspended Time » en 1989, le quatuor se fendit en 1993 d’un titre explicite, « Biking », monté comme un ressort qui relâche toute sa puissance le temps d’une échappée guitare solo toute en puissance féline. En fait, une chanson à propos des montagnes russes de l’existence, servie d’un clip cheap en noir et blanc où un cycliste, roulant seul dans la montagne, attaque la descente depuis le milieu de la route, à fond la caisse ! [YH + PD, en tandem]

La montée en vélo, ça fait débander (pas toujours mais presque toujours), surtout avec le vent et le froid. Dur de pisser, mais où est-il donc ? La première fois, ça fait un peu peur. Tout le sang est passé dans les jambes, si proches. — Luc Moullet, Mon premier Stelvio

Luc Moullet : Parpaillon (1993)

Luc Moullet est sans doute le plus fou de vélo des cinéastes. Ou le plus cinéphile des mordus de vélo. Dans un texte à la fois très beau et très drôle, dédié à « Vélocio » (1853-1930), le « pape du cyclotourisme » français, il évoque sa montée du col de Stelvio, le plus haut col routier des Alpes italiennes. Dans les années 1960 et 1970, autant que faire se pouvait, Luc Moullet profitait de sa présence dans les festivals de cinéma, où il partait montrer ses films ou participer à l’un ou l’autre jury, pour monter l’un ou l’autre col en douce. Quand il eut gravi tous les cols français et européens de plus de 2000m d’altitude, il partit à l’assaut de ceux d’Amérique du Sud !

En 1993, Moullet tourne Parpaillon : collection de 200 saynètes burlesques sur quelques dizaines de cyclo-touristes et cyclo-sportifs parcourant les 25 kilomètres – en grande partie caillouteux, non goudronnés – de l’ascension du plus sauvage col des Alpes. Le film est improvisé in situ, sans scénario préalable. Ce qui nous renvoie à une autre citation de Luc Moullet, pour qui rouler quelques heures en montagne en vélo était la meilleure manière d’imaginer une histoire, de l’écrire dans sa tête. Il avait ainsi un trajet fétiche de cinq cols dans les Alpes (col des Tourettes, col de La Saulce, col de Carabès, etc.) qui, selon lui, « pour travailler sur un scénario, [valent] mieux que cinq Jean-Claude Carrière » ! [PD]



Une playlist collective de PointCulture coordonnée par Philippe Delvosalle


avec les contributions de Michael Avenia, Benoit Deuxant, Philippe Delvosalle, Yannick Hustache.

Image de bannière : pochette du disque Travelon Gamelon - Music for Bicycles de Richard Lerman (Folkways records)