Visite de l'expo Games and Politics (Iselp)
Sommaire
Présentation de l’exposition
" — L’exposition rassemble dix-huit jeux vidéo créés ces quinze dernières années. Tous revendiquent un contenu explicitement politique. Ces "Serious games" – logiciels ludiques à visée pédagogique ou réflexive – se répartissent autour de six thèmes sociétaux : la migration, les opinions publiques, le genre, le domaine militaire, les médias et la politique. — "
Chaque titre est directement jouable, accompagné également d’une vidéo bande-annonce, et bénéficie d’une explication écrite murale. Des bornes à l’habillage aluminium abritent les PC et autres Raspberry, et sont surmontées d’un moniteur arborant un design que ne renierait pas la NASA. Certains jeux sont manipulables au départ d’une tablette, l’un d’entre eux faisant même appel au système de reconnaissance de Microsoft, le Kinect. Serious games obligent, les titres émanent de petits studios indépendants. Point ici de jeux à volonté commerciale en provenance des grands labels de l’industrie du divertissement. Pour autant, la réputation de plusieurs de ces dix-huit œuvres n’est plus à faire. Elles ont bénéficié d’excellentes critiques, tant des médias spécialisés que de la part des joueurs, à l’instar du désormais célèbre This War of Mine des studios polonais 11 bit. Ne boudons pas notre plaisir en constatant qu’un développeur belge faisait partie des entreprises sélectionnées : le studio gantois Tale of Tales.
Fidèle à ses missions de développement d’un sens critique et d’une sensibilisation du public aux divers modes d’expression artistique, l’Iselp a pris l’initiative d’apporter une plus-value à cette exposition itinérante : celle de la faire accompagner par un consistant programme de conférences. Celles-ci ont été confiées à Julien Annart, conseiller pédagogique de l’asbl FOr’J. Douze conférences ont ainsi pris place dans l’auditoire de l’Iselp, dont la moitié ont directement été animées par Julien Annart, tandis que plusieurs experts principalement issus du monde universitaire ont eu l’occasion de présenter leurs travaux de recherches.
"L’exposition fut un véritable succès pour l’Iselp. 1 500 visiteurs se sont succédé pendant les six semaines, soit environ quatre fois plus que pour une exposition habituelle. Mais, au-delà du nombre, la véritable réussite est d’avoir attiré dans une galerie d’art contemporain un public qui ne s’y rend normalement pas — ."
Quant aux conférences autour de l’exposition, elles ont permis à ceux qui l’ignoraient encore de prendre conscience que derrière un écran il existe tout un processus créatif dépendant de nombreux métiers, et que le jeu vidéo possède déjà sa propre histoire, qui s’étale sur plusieurs décennies. Enfin, les six thèmes sociétaux se sont avérés être autant de portes d’entrée vers une réflexion et un dialogue, le tout au travers du jeu.
Que ceux qui regrettent de n’avoir pu y assister se consolent : l’exposition du Goethe Institut continue de tourner... Mais ce sera dans d’autres villes du monde, et ce, jusqu’en 2020.
(OL)
Les dix-huit jeux de Games and Politics
Catégorie Migration Stories
Papers, Please (Lucas Pope. États-Unis, 2013)
Titre incontournable sur le thème de la migration qui valut près de 50 récompenses à son auteur. Le joueur incarne un douanier et doit effectuer des choix de plus en plus cornéliens.
1 378 (km) (Jens M. Stober. Allemagne, 2010)
Cette longueur est celle de la frontière entre la RDA et la RFA. Le jeu propose deux rôles : réfugié ou garde-frontière. Mais la limite entre les deux s’avère ténue.
Escape from Woomera (The Escape From Woomera Collective. Australie/Nouvelle-Zélande, 2004)
Un des tout premiers jeux explicitement politiques, créé par un collectif d’artistes, journalistes et designers qui entendait critiquer la politique sévère d’accueil de réfugiés en Australie.
Catégorie Public Opinions
Madrid (Gonzalo Frasca. Uruguay, 2004)
Son créateur est membre du groupe d’artistes indépendants Newsgaming.com. Le but du collectif est de créer des jeux très simples en réaction à l’actualité, de façon ludique ou parfois très provocante. Un titre publié deux jours après l’attaque terroriste d’un train en Espagne le 11 mars 2004.
Yellow Umbrella (Awesapp. Hong-Kong, 2014)
Un jeu de type « Tower defense » dans lequel des manifestants pacifiques se défendent contre la police, des criminels, et des politiciens. Le titre fait référence aux manifestations survenues à Hong Kong en 2014, en opposition à l’élection non représentative du chef de l’exécutif, soutenu par le gouvernement chinois.
The Cat and The Coup (Peter Brinson & Kurosh ValaNejad. États-Unis, 2011)
Exemple type de jeu-documentaire. Il dresse en plusieurs tableaux antichronologiques le portrait de Mohammad Mossadegh, de sa mort en 1967 à sa carrière de Premier ministre d’Iran de 1951 à 1953.
Catégorie Gender Questions
Perfect Woman (Peter Lu & Lea Schönfelder. Allemagne, 2014)
Sept étapes de vie proposent d’entrer dans la peau du modèle parfait (maman idéale, ministre world-class, professeur, call girl, etc.). Une dénonciation des stéréotypes assignés aux femmes.
Dys4ia (Anna Anthropy. États-Unis, 2012)
Un titre autobiographique : Anna Anthropy y raconte les différents stades du traitement hormonal qu’elle a suivi en préparation à son changement de sexe.
Coming Out Simulator (Nicky Case. États-Unis, 2014)
Un jeu en forme de dialogues. Un des très rares exemples de personnage gay, encore tabou dans l’univers du jeu vidéo.
Catégorie Military Matters
Killbox
(Joseph DeLappe + M. Abbas, To. deMajo & A. Elwin / Biome Collective. États-Unis, Royaume-Uni, 2016)
Un titre conceptuel qui confronte deux joueurs sur fond de bombardements par drones.
Unmanned (Molleindustria and No Media Kings. États-Unis, 2012)
En banalisant le métier de pilote de drone militaire, avec un protagoniste traversé par les doutes comme tout autre employé, le jeu est une illustration de l’absurdité de la guerre contemporaine.
This War of Mine (11 bit studios. Pologne, 2014)
Le titre inverse le protocole des jeux de guerre et fait endosser à l’utilisateur le rôle de civils en zone de conflit. Élu comme étant LE jeu le plus triste de l’année par le Zeit Online, This War of Mine a remporté un succès mondial amplement mérité.
Dead-in-Iraq (Joseph DeLappe. États-Unis, 2006-2009)
L’auteur infiltra en 2006 le jeu de recrutement de l’armée américaine, America’s Army, et y intégra, via le système de messagerie, le nom, l’âge et la date de décès de tous les soldats morts en Irak. Plus qu’un jeu vidéo, l’œuvre qui en résulte est un monument virtuel aux victimes des conflits armés.
Catégorie Media Critique
Phone Story (Molleindustria États-Unis, 2011)
Quand capitalisme et inhumanité se mélangent avec une ironie assumée. Le joueur traverse les étapes de fabrication d’un smartphone, en commençant par motiver les enfants congolais à extraire le coltan de mines insalubres, puis de rattraper les employés d’usines d’électronique taïwanaises qui tentent de se suicider.
TouchTone (Mike Boxleiter & Greg Wohlwend. États-Unis, 2015)
Le joueur incarne un agent de la NSA (National Security Agency) dont le rôle consiste à trier et faire suivre des informations suspectes. Ce que les auteurs envisageaient comme une satire ludique s’est progressivement transformé en manifeste contre l’érosion de la vie privée.
Orwell (Osmotic Studios. Allemagne, 2016)
Le jeu traite de la collecte et l’analyse des données numériques, rassemblées en big datas. Une prise de conscience du fait que, désormais, les ordinateurs transmettent plus d’informations sur nous qu’ils ne nous en transmettent.
Catégorie Mapping Power
Democracy 3 (C. P. Harris. Royaume-Uni, 2013)
Le joueur est projeté à la tête de l’État. Il devra, afin d’être réélu, équilibrer dépenses et recettes et satisfaire la population. Le titre est notamment utilisé par des enseignants de différents pays pour aborder l’économie et la politique.
Sunset (Tale of Tales. Belgique, 2015)
Un titre qui se rapproche plutôt d’une expérience artistique en privilégiant la déambulation et l’atmosphère à l’enjeu réel. Les auteurs, Auriea Harvey et Michaël Samyn, forment un duo de créateurs belges qui explorent la frontière du jeu vidéo comme expérience esthétique.
The Westport Independent (Coffee Stain Studios. Suède, 2016)
En tant que rédacteur en chef d’un quotidien, le joueur doit mener des choix éditoriaux afin de modifier le contenu informationnel de façon évidente ou plus subtile. Le titre permet de conscientiser le lien complexe entre les médias et l’opinion publique, qu’il s’agisse d’un état totalitaire ou d’une démocratie.