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Voici le "banjo!"

Banjo

publié le par -

Musicien belge, Gérard De Smaele nous présente le banjo, un instrument dont il connaît très bien l'histoire et le répertoire.
« When you want genuine music -- music that will come right home to you like a bad quarter, suffuse your system like strychnine whisky, go right through you like Brandreth's pills, ramify your whole constitution like the measles, and break out on your hide like the pin-feather pimples on a picked goose, -- when you want all this, just smash your piano, and invoke the glory-beaming banjo ! » — Mark Twain, « Enthusiastic Eloquence », San Francisco Dramatic Chronicle, 23 June 1865

Le procédé est ancestral et sa portée universelle. La caisse d'un banjo est constituée d'une structure circulaire sur laquelle une membrane se trouve tendue. Les propriétés acoustiques d'un tel assemblage produiront une sonorité vivifiante, qui soulèvera, et qui marquera, quel qu'il soit, l'esprit du public. Ainsi, le banjo est entré d'emblée dans l'imaginaire collectif, créant au passage ses propres mythes et clichés, défiant parfois la réalité historique, voire musicologique. Esclaves des plantations du Sud des États-Unis, American cowboys, Route 66, country music commerciale, jazz naissant… sans oublier les anciennes traditions musicales des Southern Appalachian Mountains, le bluegrass… composeront son terreau le plus fertile.

Pour les initiés, l'année 2019 sera cependant marquée par la célébration du centenaire de la naissance de Pete Seeger (1919-2014), que la Smithsonian Institution honorera d'ailleurs par l'édition d'un bel ouvrage, accompagné d'un ensemble de 6 CD (1). C'est finalement justice pour celui qui aura enrichi d'innombrables enregistrements le catalogue de la maison Folkways (2), fondée voici plus de 70 ans à New York par Moses Asch (1905-1986), père du label non commercial Smithsonian/Folkways : une éminente institution officielle dont les États-Unis peuvent s'enorgueillir. Pete Seeger fut un immense banjoïste, responsable avec Earl Scruggs (1924-2012) du nouvel essor et du renouveau du banjo à cinq cordes. Que les revues de presse actuelles et les présentations à l’emporte-pièce de notre instrument ne nous fassent pas oublier les positions héroïques de cet artiste, inquiété par le maccarthysme dans les années 1950, et qui accompagnera le pasteur Martin Luther King lors de la marche vers Washington de 1963. Dans la foulée du grand folk revival des années 1960, combien de jeunes Américains, suivant l'exemple de celui qui leur montrait le chemin, n'ont-ils pas, banjo en bandoulière, bravé la société de l'après-guerre.

Catalyseur de divers éléments organologiques issus des côtes occidentales de l'Afrique, inauguré dans le nouveau monde, le banjo commence malencontreusement son histoire avec la déportation de millions d'esclaves. Le minstrel show, les lois Jim Crow, la ségrégation, ainsi que la brûlante actualité sont là pour nous rappeler que les racines de ce riche instrument, qui se répandit dans toutes sortes de genres musicaux – que ce soit la musique populaire des États-Unis, le jazz, la variété –, sont enfouies dans un infâme substrat. Le retentissement international de la folk music ou de la black music ne saurait nous le faire oublier. Mais le banjo à cinq cordes est aussi le reflet implacable du cheminement de la société américaine, dévoilée en toute sincérité et sous ses multiples facettes.

Tout comme l'âme humaine, le sujet est inépuisable, voire épineux, pétri d'un mélange complexe de bien et de mal. Les stéréotypes du banjo sont des raccourcis, ses images des représentations lacunaires enfouies dans l'inconscient de l'expérience collective, mais gageons que cette brève présentation soulèvera un coin du voile, pour inciter le public à renouer avec l'histoire et le lancer sur la voie de la découverte de l'étonnant cordophone qu'est le banjo : un instrument aux expressions variées, des instrumentistes prestigieux, mais aussi des hommes d'une confondante authenticité.

Gérard De Smaele,

www.desmaele5str.be

Fauroeulx, le 04.06.2019


(1) Pete Seeger: The Smithsonian-Folkways Collection, Smithsonian-Folkways, 2019; Etienne Bours, Pete Seeger : un siècle en chansons. Au bord de l’eau, 2010, 212 p.

(2) On y trouvera des banjoïstes incontournables tels que Pete Steele, Frank Proffitt, Roscoe Holcomb, Dock Boggs, Clarence Ashley, et Wade Ward, qui nous ramènent à toutes sortes de réalités sociales.


Suggestions :

- Mike Seeger, Southern Banjo Sounds, Smithsonian/Folkways, CD-40107, 1998.

- Tony Trischka, World Turning, Rounder, CD-0294, 1993.

- Gérard De Smaele, Banjo, 1901-1956. Le banjo américain à cinq cordes, Frémeaux & Associés, CDFA5179, 2008; A Banjo Frolic, Frémeaux & Associés, DVD-FA5179, 2008.

- Gérard De Smaele, Banjo Attitudes, Paris: L'Harmattan, 2015, 238 p.; A Five-String Banjo Sourcebook, id., 2019, 206 p.


Image : la première version commercialisée du banjo à cinq cordes, par W.E. Boucher à partir des années 1840. Exposition "The Banjo in Baltimore and Beyond", BMI Museum, Baltimore, MA, 2014. Coll. P. Szego. (crédit photo : Gérard De Smaele)

Dans les années 1830, c'est dans le cadre du minstrel show que des musiciens blancs, grimés au noir de fumée, "européanisent" l'instrument primitif des Afro-Américains et s'approprient le banjo. Le cinq cordes devient alors la norme à partir de laquelle s'ensuivra toute une évolution. Sa forme la plus élaborée et la plus récente sera celle du banjo de bluegrass, dont la caisse est la même que celle des banjos ténors fabriqués dans l'entre-deux guerres pour les orchestres de jazz et la musique de danse. Entretemps, de la fin de la guerre de Sécession au premier conflit mondial, on en avait fait un instrument de concert et de salon, dérivé de la guitare classique; alors qu'au même moment il devenait un pilier de la "country music" du Sud des États-Unis, une tradition musicale aux profondes racines anglo-saxonnes, remise à l'honneur lors du grand folk revival des années 1960.