Zerfall, un projet de théâtre sous les voies de chemin de fer
Zerfall commence par le "Z" qui termine "Verzuz", un
atelier que tenaient Laurent Cartuyveels et Bram Borloo juste avant nous dans
un autre local de Recyclart. En fait, c'est grâce à eux que j'ai eu l'idée de
l'atelier.
Il y a une culture free flamande qui n'existait
(n'existe) pas, ou à peine, dans le monde francophone. La démarche de Laurent
m'a fait un effet très important. Je me souviens de concerts absolument
incroyables à Verzuz où il n'y avait personne pour écouter le concert, Tout le
monde était dehors buvait des chopes qui sortaient d'un casier et fumait des
clopes ou des joints. Laurent se plaignait à chaque concert que le son allait
trop fort. C'était de le pure énergie. Rien, absolument rien, de construit. Le
pur plaisir de faire du son. De la noise sombre et foutraque mais si émouvante,
de la pure poésie de gamins mal élevés. Le son mêlé à une recherche plastique :
les flyers cabossés et les montages fragiles de Bram étaient en accord complet
avec le bordel agissant de l'atelier.
Je dois dire que c'est grâce à Xavier Garcia Bardón, à Christophe Piette et à Benjamin Francart que j'ai découvert ce monde-là. Ces trois amis m'ont accompagné de près. Ça m'a donné l'idée de mêler le théâtre à tout ça, de le sortir de la joliesse et de sa gentillesse. J'avais vu une mise en scène anarchique d'une pièce d'Elfriede Jelinek au Palais des Beaux Arts, et la liberté de la mise en scène tranchait avec ce que j'avais l'habitude de voir au Rideau de Bruxelles.
« Zerfall » est un mot allemand qui veut dire « chose
qui tombe » ou « chose tombante », quelque chose comme ça. Il y a l'idée de chute, de ratage, d'anarchie, c'est le sous-titre d'un
livre de Thomas Bernhard, Extinction; un effondrement. Thomas
Bernhard aussi m'a servi de guide pour cette aventure. Zerfall a duré six mois,
de janvier à juin-juillet 2003. J'y ai mis en scène trois pièces : une pièce en
trois parties de Beckett (avec Jean-Luc Thayse, Melina Perelman et Giuseppe
Zammataro); Trois histoires d'amour (que j'avais écrite) (avec
Mathilde Schennen, Alice De Visscher, Alice Romainville, Giuseppe Zammataro,
Juliàn Perelman et Philippe Rouard; musique de Champignon, alias Emmanuel
Gonay); 4.48 Psychose de Sarah Kane (avec Noémie Thiberghien et
Jacques Gigi; scénographie de Jean-François Castel et Nicolas Vandenschrick;
musique en live de Benjamin Franklin (émouvante et violente guitare
électrique).
Pour la pièce suivante, Giuseppe aurait voulu un flyer qui propose simplement un lieu et une heure, mais où il n'y aurait absolument rien de prévu. Je lui ai dit, pourquoi faire un flyer alors? Il m'a répondu, tu as raison, le flyer est déjà de trop. Ce fut notre dernière collaboration. — Clément Laloy
Pour 4.48, Jean-François avait fait un film super 8, fait de
taches et de chiffres. Mais le film s'est détruit à mesure qu'on l'essayait en
répétition. Je crois qu'à la fin des représentations, il n'en restait rien,
c'est dommage.... Il n'avait rien à envier aux plus grands cinéastes
expérimentaux. Il y avait des chiffres et des taches qui défilaient de façon
hachée, rythmée. Il y a aussi eu des concerts : Martiensgohome (rebaptisé, si
ma mémoire est bonne, "Martensbuiten"), Plochingen, Albano, The
Photograph, R.U.F.F.L.E. (R.O.T. + Buffle), un jeune artiste norvégien a aussi
utilisé l'atelier pour une performance. Il y a aussi eu Placard, organisé avec
Philippe Delvosalle et Stefaan Quix. Il y a eu des expositions de Thierry
Mortiaux et de Nam Simonis (un superbe parchemin retraçant son parcours
d'enfant adopté).
Quand je pense à Zerfall, je n'ai que de bons souvenirs. C'était un tournant dans ma vie. Je renonçais à une culture proprette pour laquelle j'étais payé comme animateur socio-culturel sur le site de Louvain-en-Woluwe. Je sortais aussi d'une maladie qui m'a fait comprendre que je ne pouvais pas continuer dans l'asphyxiante culture dont parle Antonin Artaud, culture bourgeoise, conservatrice, emmerdante, que je devais affirmer quelque chose, que l'art passe aussi par une forme de destruction. Peter Handke dit très clairement qu'il y a une certaine culture qu'il faut détruire. "Zerfall" est aussi lié à mon histoire d'amour avec Alice. Je découvrais avec elle l'art et la sexualité.