Fondation Verbeke : la nature des choses
Si la plupart du temps les lieux de monstration de l’art nous semblent aseptisés, comme autant de white cubes distincts du monde réel, hors temps et hors lieux propices à « l’expérience de l’art », certains se révèlent remarquables dans leur manière d’exister, à mille lieues d’une préservation stérile des objets d’art, issus puis séparés du monde. C’est le cas de la Fondation Verbeke, inaugurée en 2007 à l’initiative des collectionneurs Geert et Carla Verbeke Lens. Cette fondation se situe sur le territoire de la commune de Kemzeke (Stekene), presque au bord de l’autoroute ; elle abrite une collection d’œuvres exposées dans des hangars, extensions et serres de plus de 20.000 m², qu’environne un terrain de 12 hectares, paysage végétal et de plans d’eaux ponctué de pièces installées in situ.
Le credo des fondateurs de cet ensemble hors du commun est certainement l’impermanence, ou la vie comme mouvement. « Notre présentation est inachevée, reconnaissent-ils, dynamique, brute, contradictoire, désordonnée, complexe, dysharmonique, vivante et non monumentale, comme le monde en dehors des murs du musée ». Les œuvres, en effet, reflètent toutes l’expression même de la vie comme processus — mouvante, changeante : cubes hermétiques renfermant des matières organiques (végétales, animales), art cinétique, bio-art, serres aux allures tropicales, levures prisonnières de leurs bouteilles de bière... L’imprévisible désordre de la vie est donné à voir, en spectacle.
Mais cet ensemble verrait son intérêt limité s’il n’était qu’un spectacle, exposition d’un « art pour l’art » retranché dans l’espace hors du monde que constitue le musée. Ici, rien n’est aseptisé, neutralisé. Poussières et toiles d’araignées couvrent une bonne partie des œuvres, signe d’un « laisser être » volontaire qu’exprime ce lieu singulier, « sponsored by nature ». Certaines pièces animées par des moteurs restent silencieuses, et statiques. Ici et là, l’humidité fait son œuvre. Ailleurs, la végétation prolifère, invasive. Seule la cafétéria semble normée, dans le respect d’une hygiène qui se doit d’être contrôlée, et garantie. À l’extérieur, les espaces de stockage cohabitent presque avec les œuvres in situ, dans une esthétique du chantier qui sème le doute, le trouble. Le promeneur est confronté à des situations disruptives, et interrogatives : est-il confronté à de l’art, ou à la vie ? Si l’art, souvent placé au sommet des productions humaines, apparaît comme la cristallisation aboutie de la culture, quelle est sa place dans une nature tantôt hostile, tantôt bienfaitrice, envahissante, tout simplement vivante ? Y a-t-il seulement une différence, entre l’un et l’autre ? Quand y a-t-il art ? Si le débat ne peut être conclu, une amorce de réponse à ces questions est peut-être à trouver dans cet adage de Robert Filiou, pour qui « l’art est simplement ce qui rend la vie... plus intéressante que l’art ».
Sébastien Biset
Verbeke Foundation
Westakker
9190 Kemzeke
site de la Fondation Verbeke