Hélène Amouzou au Jacques Franck
Hélène
Amouzou
Sous les toits,
un grenier à soi
En 1968 à
Besançon, mécontents du film qu’un réalisateur pourtant bienveillant (Chris
Marker) avait consacré à leur grève, des ouvriers – poussés et aidés par
l’homme d’images, pas rancunier – deviennent ce qu’ils n’avaient sans doute
jamais imaginé être : des cinéastes. Ils s’approprient de nouveaux outils
(la caméra, l’enregistreur) et les retournent vers eux-mêmes pour des
autoportraits de groupe qui ne seront plus des films sur eux, pour eux, en
leur nom, mais des films à eux. Leurs films, leur image, leur vision.
À la
croisée imaginaire de ces deux histoires disjointes peut se raconter celle d’Hélène Amouzou. Née au Togo en 1969, elle fuit le pays en 1992. Ne se soupçonnant pas
encore du tout photographe, elle finit par se retrouver avec sa fille à
Bruxelles – elles sont passées notamment par l’Allemagne et le Limbourg. C’est
ici qu’elle pose un geste qui l’amènera à la fois à dépasser ses limites et à
trouver une part enfouie d’elle-même : elle pousse la porte de l’Académie
de dessin et des arts visuels de Molenbeek, dirigée alors par le cinéaste
Thierry Zéno et y suit les cours de photo de Nicolas Clément. Partant de là,
c’est surtout seule (et d’abord pour elle-même), dans le grenier de sa maison,
qu’elle réalise la bouleversante série d’autoportraits en noir et blanc qui
l’ont fait connaître – et, symboliquement, exister – aux yeux du monde
extérieur. Dans sa « chambre à
soi », dans cet espace qui fait écho à son exil (« [laissé] comme si
les gens venaient de le quitter »), Hélène Amouzou utilise les
possibilités de son appareil argentique pour prolonger le temps de pose, superposer
les images, enregistrer les traces de mouvements. Entre le papier peint et le mur (c’est le titre de sa monographie
parue en 2009), elle pose parfois nue,
souvent en robe à fleurs, presque toujours floue, de passage, fantomatique. La
robe, une autre robe plus sombre et deux valises font de temps en temps office
d’alter ego. Traces (muettes) de moments intenses, presque cathartiques
(« [Dans ces photos] je crie, je lutte, je pleure, je fais autant de bruit
que je peux mais personne ne me voit » – entretien avec Estelle Spoto, Agenda 2014), ses photos portent en
elles la dialectique entre le côté flou, évanescent, insaisissable, mystérieux
de la plupart d’entre elles, regardées individuellement, et la force et la
cohérence de la série. Des photos dans le cadre desquelles Hélène Amouzou ne fait
parfois que passer, que laisser une trace à la limite du visible mais qui –
autre beau paradoxe – l’ont aidée dans son exil, au moins un temps, à se poser.
Philippe Delvosalle
article écrit à l'origine pour le magazine Détours
"Colonies: héritages et tabous" (automne 2015)
exposition
Hélène Amouzou - Entre le papier peint et le mur
jusqu'au dimanche 26 février 2017
Centre culturel Jacques Franck
94 chaussée de Waterloo
1060 Bruxelles