L’éloquence du corps (expo du Créahm)
Au rez-de-chaussée, c’est la blancheur convenue des salles d’exposition qui reçoit le visiteur tandis que rien ne prépare celui-ci au clair-obscur qui vient le saisir à l’étage. Là, dans la pénombre, les spots lumineux braqués sur les toiles rendent les couleurs qui les recouvrent presque aveuglantes. Aux murs, c’est une peinture large, sinueuse ou hagarde qui capte l’attention. Des visages qui, interrogés du regard, écarquillent les yeux. Pas un mot ne filtre des bouches grillagées sinon que, muettement, elles crient. Dans le même temps, sans émettre le moindre son, d’autres se couvrent de mots. Parfois il n’y a rien que cela, un filet d’écriture défiant toute tentative de communication, une écriture somme toute plus indomptable qu’un fond noir ou rayonnant. Les corps, méticuleux ou rudimentaires, ont une présence que seule la peinture sait leur faire rendre. Lourds, ils s’écrasent, la couleur prend le dessus, on dirait que cela leur convient, ces différents états de la matière. Ailleurs on trouve encore de la couleur, liquide, sèche, circulaire ou hérissée de pointes, animée, dirait-on, d’une rage que l’on pourrait fort bien prendre pour de la joie, recluse hirsute d’une toile-monde.
Répartie sur trois grandes salles, la sélection d’œuvres que propose le Creahm sous le titre « Tout et partie » doit entre autres la force de sa présence au laconisme de la scénographie. Des œuvres et des auteurs, on ne sait rien. Quelques feuillets posés sur une table relient des noms aux toiles numérotées. C’est tout. Pas d’histoire, de biographie, de lieux, de dates. Il faut remonter aux objectifs du Creahm, association bruxelloise engagée dans le développement artistique de personnes handicapées, pour, si on le désire, en savoir plus. Avec le recours d’artistes professionnels, le Creahm propose des ateliers dans diverses disciplines, théâtre, arts plastiques, danse et musique. Son action se définit ainsi : « réunir des personnes handicapées mentales et des artistes qui se transforment alors en animateurs. Si l'alchimie opère, cette rencontre engendre alors une collaboration, un échange, formidablement enrichissant d'un point de vue artistique mais aussi humain. » Il ne s’agit donc pas d’un enseignement au sens strict, au sens magistral du terme, mais d’un compagnonnage.
Une clé pour appréhender les œuvres ici présentées consiste donc à les ranger sous la bannière de l’art brut. En désignant , selon la définition qu’en a donné Dubuffet en 1949, « des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, a peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode », ces termes ainsi que leurs synonymes (art des marges, art outsider, etc) tendent à déporter le jugement du regardeur vers les limbes de la raison et du jugement esthétique.
L’accrochage « Tout et partie » est le fruit d’un atelier spécifique au cours duquel il a été demandé à l’ensemble des participants de travailler sur la représentation du corps. Par là il faut entendre le corps analysé, décomposé, reconstruit à partir de la sensation, du geste, du désir. Rien d’autre au fond que ce corps imaginaire que l’on porte tous en soi, celui qui nous exprime, nous ressemble, l’apparence convenable ou redoutée.
texte et photos:
Catherine
De Poortere
Jusqu’au 22 janvier 2017
Maison
des Cultures de Saint-Gilles
120, rue de Belgrade – 1160
Bruxelles
En semaine de 13h30 à 16h30
Les week-ends de 14h à 18h
Visite guidée sur demande au
Créahm-Bruxelles
02 537 78 02 ou
creahm.bxl@skynet.be
Le 21 janvier 2017 à 20h
Représentation de "Allez,
on remballe"
Par la Cie des comédiens du
Créahm-Bruxelles