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Cinéma coréen (II) : une addiction sainement maîtrisée

"The Strangers" - Na Hong-Jin (2016)
Il n'est pas de saison, même l'été, qui ne soit moins propice à la découverte ou à la redécouverte des joyaux du prolifique et éclectique cinéma sud-coréen ! Nouvelles preuves à l'appui !

Sommaire

1 : Memento Mori (Yeogo goedam II) de Kim Tae-yong & Min Kyu-dong , 1999

Après le suicide d’une jeune étudiante qui s’est jetée du toit de son école, Min-ah découvre un journal intime qui retrace les multiples soubresauts d’une relation amoureuse tumultueuse, interdite et surtout tragique entre deux adolescentes de son lycée. Après avoir parcouru à la sauvette ledit journal et constaté l’indifférence affichée de l’auteure conjointe du carnet secret, Min-ah est en proie à des hallucinations, alors que d’étranges phénomènes paranormaux se mettent à se produire dans et autour de l'école. Réussissant la gageure de traiter d’une question – les premiers émois adolescents amoureux – toujours taboue en Corée du Sud (et ailleurs), Memento Mori est tout autant une histoire de fantôme typiquement asiatique qu'une chronique d’un acte transgressif qui questionne les limites morales d’une société rigide, ainsi qu’une plongée aussi trouble qu’esthétisante (la magie des effets spéciaux, quand ils sont utilisés à bon escient) dans une sorte d’inconscient collectif générationnel sans fond. Magnifique et flippant !

2 : La Sixième victime (Tell Me Something) de Chang Yoon-hyun (1999)

Dans un climat anxiogène de déluge biblique, des cadavres découpés avec soin (et recomposés) sont retrouvés dans des sacs-poubelles abandonnés un peu partout dans la capitale sud-coréenne Séoul. Chargé de l’enquête, l’instable inspecteur Cho fait rapidement le constat que ces « dépôts », auxquels il manque à chaque fois un organe pour être complets, forment les agrégats d’un improbable puzzle, qui tourne autour de la figure d’une artiste peintre – Chae Su-yeon –, qui semble avoir connu de façon très charnelle toutes les victimes du serial dépeceur. Film millénariste quasi obsessionnel et référencé (on pense autant à Seven qu’à un Basic Instinct enfin sulfureux), La Sixième victime, avec ses nombreuses scènes gore de viande froide étalée, est un thriller psychanalysant à rebondissements multiples, beau et troublant comme une peinture de Francis Bacon, et dont le dénouement final (bien qu’attendu) vaut à lui seul le visionnage ! Un film à conseiller aux fans de Placebo (le groupe, pas l’effet médical !). On leur laisse la surprise !

3 : The Strangers (Na Hong-jin, 2016)

Un officier de police, Jong-goo, doit enquêter sur une série de meurtres inexplicables, d’une violence incroyable, qui frappent une petite ville de la campagne coréenne. Leurs auteurs présentent d’étranges symptômes avant-coureurs (leur peau se couvre de pustules) et passent ensuite de crises d’hystérie à des états proches de la catatonie. Alors qu’il n’avance guère dans son enquête et semble complètement dépassé, le policier en vient à suspecter un vieil ermite japonais qui vit reclus dans la forêt, tandis que, désespérés, les locaux font appel aux services d’un chaman. Cette première incursion du réalisateur de The Chaser dans le fantastique tendance horrifique est une réussite totale. Si les méandres sinueux de l’enquête inachevée et les éléments liés au pratiques spirituelles locales – éloignées de nos représentations occidentales du sacré – peuvent laisser un léger goût frustrant d’inexpliqué, le film de Na Hong-jin exhale une étrange beauté, entre ses corps infectés et ensanglantés à outrance et une nature à la fois luxuriante, humide et menaçante, ainsi que quand il reconstitue avec minutie des rituels ancestraux. C’est David Lynch qui rend visite à Kim Ki-duk, pas moins !

4 : Mademoiselle (Park Chan-wook, 2016)

Adapté d’un roman anglais (Fingersmith de Sarah Waters) paru 15 ans plus tôt, Mademoiselle se déroule dans la Corée sous domination japonaise des années 1930. Sook-hee est engagée comme femme de chambre auprès d’une riche héritière japonaise qui vit recluse dans un manoir, cependant qu’elle travaille en sous-main pour le (prétendu) comte Fujiwara, qui aimerait faire main basse sur sa fortune en la séduisant. Mais les plans de ce grand collectionneur érotomane et trafiquant de livres érotiques sont rapidement contrariés par l’attirance qui nait entre les deux femmes. S’ensuit un film à la mise en scène extrêmement soignée, aux rebondissements multiples, où les protagonistes agissent sous cape, les alliances se font et se défont, les personnages, tartuffes, manipulent et se font manipuler dans des décors somptueux, mais inquiétants jusqu’au factice ! Un conte érotico-féministe en trois actes, sophistiqué et néanmoins facétieux (on rit souvent durant ces 2h40), qui envoute et surprend à chaque visionnage !

5 : Locataires (Kim Ki-duk, 2004)

Un homme, dont on ne sait absolument rien, a pour habitude de s’introduire dans des habitations inoccupées ou dont les propriétaires/locataires sont absents. Loin d’y perpétrer un quelconque larcin ou de quelconques dégradations, celui dont on ne connaitra que le nom – Tae-suk –, au contraire, prend soin d’améliorer l’habitat qu’il occupe temporairement en y procédant à de discrètes réparations. Un jour, il s’attarde dans une maison où une jeune femme (Sun-hwa) vit sous la coupe d’un mari violent. Tel un spectre bienveillant, qui n’apparait qu’aux yeux de qui il choisit de l'être, Tae-suk noue une tendre et silencieuse complicité avec Sun-hwa, qu’il initie à son mode de vie, jusqu’à leur arrestation. A sa sortie de prison, Tae-suk se met à la recherche de la femme, retournée chez son mari, et se met à vivre chez eux sans que le mari ne s’en aperçoive. Une intrusion qui marque le début de relations plus apaisées au sein de cette très atypique communauté à trois. Étrange fable, presque silencieuse, autour de la survie et du vivre-ensemble, Locataires privilégie l’épure et l’économie de mots et explications au profit d’une fluidité très gestuelle et poétique, que gâche un peu sa fin « bavarde ».

6 : The Murderer (Na Hong-jin, 2010)

Dans une ville miséreuse du Nord de la Chine jouxtant les frontières de la Russie et de la Corée (du Nord) où vit une très nombreuse communauté coréenne, un chauffeur de taxi du nom de Gu-nam survit tant bien que mal. Il n’a plus de nouvelles de sa femme, retournée au pays pour y chercher du travail. Un mafieux se propose de l’aider, s’il tue un inconnu – un chef gangster rival – résidant à Séoul. Gu-nam s’y fait conduire clandestinement, mais, bien évidemment, rien ne se passe comme prévu et le chasseur devient à son tour la proie. La fuite se mue en une course-poursuite effrénée, où absolument tous les coups (à l’arme blanche surtout) sont permis, et la résilience – un principe de survie – des corps ensanglantés et martyrisés est poussée dans de telles extrémités qu’elle finit par susciter des bouffées d’humour (gêné) et aussi un bien étrange sentiment de mélancolie. Une œuvre d’une maitrise impressionnante mais sans esbroufe, un polar – forcément sur fond de réalités politiques locales et universelles – qui s’assume pleinement.

7 : Le Jour où le cochon est tombé dans le puits (Hong Sang-soo, 1996)

Un écrivain sans le sou demeure insensible à l’amour que lui porte une jeune femme, correctrice dans sa maison d’édition, qui lui procure ses maigres – mais réguliers – moyens d’existence. Il entretient une relation avec une femme mariée, dont il est épris jusqu'à la folie. Le mari de celle-ci qui, lui, déteste son travail pourtant rémunérateur, souffre en outre de troubles obsessionnels liés à l’hygiène. Dans ce premier film d’Hong Sang-soo, la frustration et l’insatisfaction gangrènent l’existence de trois pauvres hères (quatre si l’on ajoute le mari), prisonnier·ère·s d’une espèce d’étrange triangle amoureux et existentiel mortifère, au fin fond d’un puits qui pourrait bien se nommer Séoul. On ne verra d’ailleurs ces protagonistes « ensemble » que le temps d’une courte séquence onirique d’enterrement fictif. Un drame à l’issue tragique, qui ne se révèle (imparfaitement) qu’après la superposition des destins des personnages filmés séparément. Perturbant mais maîtrisé de bout en bout ! Superbe.

8 : Ivre de femmes et de peinture (Im Kwon-taek, 2002)

Dans une Corée de la fin du XIXe siècle en passe de devenir une colonie japonaise, Jang Seung-eop ou Owon (sa signature d’artiste), un artiste excentrique, porté autant sur les femmes que sur l’alcool, développe un art de la peinture « insoumise » à nul autre pareil ! D’extraction modeste, Owon doit autant batailler contre les normes sociales cloisonnées de son temps que contre les contraintes académiques dominantes. Si le film ne détache jamais la petite histoire d’un individualiste forcené de la grande, quand son pays – la Corée – va perdre sa souveraineté pour plus d’un demi-siècle, Im Kwon-taek évite heureusement l’écueil du biopic illustratif et/ou contemplatif, pour tenter de transcrire l’énergie viscérale en action d’un être habité par le désir et la quête absolue de liberté. Son art était charnel, exalté, chaotique et transgressif, et ce film, plutôt chiche en détails biographiques, avance à coups de multiples blocs narratifs et chronologiques (apparemment) disjoints, fébriles, mais époustouflants de beauté et de grâce. Une œuvre sensuelle et ardente.

Yannick Hustache

image de bannière : The Strangers (Na Hong-jin, 2016)

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