Collection | Coups de cœur cinéma, jeux et musique, 9 décembre 2020
Sommaire
Cinéma
Matthias et Maxime, meilleur film de Dolan ?
Matthias et Maxime sont amis de longue date et se disent hétérosexuels. Pourtant entre eux se joue une tension amoureuse. Quelques baisers échangés (pour un pari ou un film étudiant) et le départ de l’un en Australie, sont autant d’éléments qui intensifient ce trouble. Xavier Dolan, qui depuis 10 ans et 8 longs métrages nous a habitués à une certaine excentricité et des torrents d’émotions, propose un film plus reposé, c’est-à-dire moins tapageur.
Comme s’il prenait consciemment le risque d’être maladroit pour absolument poser, à 30 ans, ce regard sincère sur la jeunesse et ses premiers amours. Gauche pourtant il ne l’est pas. Au contraire, c’est un film beau car il l’est sans le savoir. Comme cette magnifique scène magnifique, lorsque Maxime fuit ses amis pour une nage en solitaire. Une course spontanée contre ses questionnements, libératrice et difficile dans l’eau douce d’un lac. Matthias et Maxime est sans doute le meilleur film du jeune cinéaste prolifique. [AJ]
Pour vivre heureux, vivons…
Ils sont jeunes, Bruxellois, s’appellent Amel et Mashir et s’aiment en secret. Seulement, la famille de Mashir a des projets de mariage pour lui et le petit paradis des tourtereaux s’écroule. En racontant cette histoire, les cinéastes belges Dimitri Linder et Salima Sarah Glamine voulaient comprendre ce que vivent les adolescents européens d’aujourd’hui, balancés entre différentes cultures et traditions. Un joli film plein d’espoir qui ne ferme pas les yeux sur les douleurs et autres turpitudes de la société. [AJ]
> Brussels Footage
Stan & Ollie, dernier tandem à tout prix
Leur notoriété est planétaire : ils sont Dick Und Doof en Allemagne, Flip I Flap en Pologne et O Gordo e o Magro au Brésil. Et si le film s'intitule Stan & Ollie et non Laurel & Hardy, c'est parce qu'il dévoile ce qui se cache derrière ce duo légendaire et, plus précisément, cette période à la fin de leur carrière où ils se sont le plus rapprochés, dans la vie comme à l’écran.
Ce n’est pas tant le mythe que met en avant Stan & Ollie mais bien le lien entre ces deux hommes qui n’hésitent pas à se dire « je t’aime » et s’accrochent l’un à l’autre pour ne pas tomber. Ils formaient une seule et même légende, si grande qu’elle les dépassait. Le film raconte ça : deux hommes abimés – on le voit dans le film, à tout moment le corps de Ollie Hardy peut lâcher – et las des années de disputes et d’insuccès.
Mais surtout, le film est savoureux car il offre une reconstitution millimétrée de certains sketchs. Il redonne vie au spectacle et s'amuse à le faire exister dans des scènes du quotidien. John C. Reilly (Hardy) et Steve Coogan (Laurel) jouent avec une touchante précision, à la hauteur de la légende. D’ailleurs, en choisissant John C. Reilly, acteur américain comique par excellence, le film se fait aussi l’hommage d’une génération de comédiens comiques à une autre. Dommage toutefois que le réalisateur Jon S. Baird serve sa mise en scène avec une discrétion telle qu’elle frôle le banal. Le film décomplique alors la lente dégringolade que fut l’achèvement de la carrière du tandem. Mais c’était sans doute pour terminer sur une note positive pour que le spectacle l’emporte sur la triste vérité. [AJ]
Jeu vidéo
Deliver Us the Moon : Un pas de géant dans l’aventure numérique spatiale
2054, les ressources de la Terre diminuent, les scientifiques parviennent à exploiter une nouvelle ressource située sur notre bonne vieille Lune, l’hélium 3, qui est acheminée vers la Terre via un gigantesque satellite par des astronautes en résidence permanente sur la Lune. Jusqu'au jour où la Terre a perdu tout contact avec les colons lunaires, ce qui implique la fin de la transmission de cette ressource. Votre mission est simple : partir sur la Lune pour découvrir le fin mot de l'histoire. Ce jeu indépendant du studio néerlandais KeokeN Interactive séduit pas son gameplay varié (action, aventure, énigme), son ambiance immersive (aussi bien visuelle que sonore). Deliver Us the Moon se révèle être un excellent simulateur spatial, qui n’a rien à envier au film Gravity d’Alfonso Cuarón. [TM]
Musiques
Julien Gasc : L’Appel de la forêt
Avec L’Appel de la forêt, Julien Gasc clôt une trilogie entamée avec Cerf, biche et faon en 2014. Son univers poétique et complexe – parce que nourri notamment par le jazz – laisse la chanson aux commandes et propose une manière de faire rapidement entêtante. De sa voix faussement détachée il crée d’imparables images, mais il parle aussi des gilets jaunes ou de la misère sociale, ce qui n’a rien d’incompatible. De ses trois albums se dégage la certitude d’une cohérence en mouvement, on sent très vite qu’il cherche en musique et que ce qu’il propose correspond à une nécessité. À écouter aussi : les deux albums d’Aquaserge, dont Gasc fait partie, et sa collaboration avec Holden (Sidération). À signaler aussi sa participation au dernier formidable album d’Aksak Maboul (Figures – cf. ci-dessous). [DS]
Aksak Maboul : Figures
La discographie d’Aksak Maboul est à peine croyable, un album en 1977 (Onze danses pour combattre la migraine), un autre en 1980 (Un peu de l’âme des bandits), un intermède de plusieurs décennies pendant lesquelles Marc Hollander va en profiter pour développer son label Crammed Discs, produisant au moins 350 albums le plus souvent décadrés, nous offrant ainsi un catalogue d’une richesse qu’on ne finit toujours pas d’explorer. En 2014, divine surprise, sort Ex-futur album, titre qui convient pour un assemblage très achevé de maquettes et inédits qui attendaient leur tour depuis les décennies dont on a parlé plus haut. Enfin, maintenant sort un tout nouveau double disque proposant du tout nouveau matériel et, miracle, la magie est intacte et de plus enrichie de l’expérience et de l’inspiration d’une vie : musique symbiotique pourrait-on dire, pop, mélodie (le chant de Véronique Vincent est inimitable), jazz, musique contemporaine, programmation et improvisation, le tout de haut vol et très personnel. De vraies retrouvailles et une découverte en même temps. [DS]
François Puyalto : 44
Peu connu du grand public mais accompagnateur d’Emily Loizeau ou Bertrand Belin, François Puyalto va à l’essentiel dans un deuxième album dépouillé mais à la sonorité très ronde où il s’en tient aux chants et à la basse, Katel faisant les chœurs sur cinq plages (Katel dont le disque Élégie est un incontournable de la chanson française de ces dernières années). À ses propres compositions, il ajoute, sans hiatus quant à la qualité des chansons, de vibrants hommages à Léo Ferré, Jacques Brel, Barbara, Jacques Higelin et Romain Didier. Un disque noble et poétique où les mots sont conduits par une diction intensément musicale et où le parti-pris minimaliste isole chaque son dans sa splendeur mais où tout apparaît magnifiquement lié. [DS]
Jon Hassell : Seeing Through Sound / Pentimento Volume Two
Ce petit texte vaut autant pour le premier volet de ce diptyque, dont le titre est tout aussi troublant pour la perception : Listening to Pictures / Pentimento Volume One. Voir à travers le son et écouter les images, rien de tel que ces formulations pour nous obliger à envisager ou à tenter de jouer de nos perceptions de façon différente. Et c’est bien ce qui se passe à l’écoute de ces deux disques, on est obligé de trouver d’autres cadres perceptifs tant ce qui est proposé dérange toutes nos habitudes, que ce soit d’écoute, bien sûr, mais aussi visuelles puisque Hassell réussit à construire ‘quelque chose’ d’intensément imagé. On dira que tout ça c’est très subjectif, et c’est vrai, mais n’est-ce pas inévitable quand on a affaire à un musicien aussi « particulier », n’est-ce pas la moindre des choses de devoir frotter l’une contre l’autre nos réalités avec celles du monde en les altérant le moins possible et en leur préservant leur optique. J’ai lu quelque part qu’il « brouillait les pistes d’une écoute académique » et c’est bien ça. Je ne vais surtout pas essayer de décrire plus sa musique. [DS]
Cabadzi : un album et un single
Trois ans après Cabadzi x Blier, leur album hommage au cinéma de Bertrand Blier et au film Les Valseuses, Cabdazi nous revient avec un single, promesse d’un album sombre surfant entre le rap et l’électro, intitulé « Burrhus ». Ce nom fait référence au professeur Burrhus Frederic Skinner, célèbre pour ses recherches sur la théorie du « conditionnement opérant » : nos comportements sont influencés par les conséquences qu’ils provoquent sur notre environnement. Avec une boucle de piano entêtante, une basse assommante et des textes comme « Arrêtons de vivre comme dans une pub » ou « C’est parce que vous êtes chiant que je m’invente une vie », Olivier Garnier et Victorien Bitaudeau mettent le doigt sur notre monde où il nous est interdit de montrer autre chose que bonheur et succès. À méditer… [GS]
Une playlist collective d'Astrid Jansen, Daniel Schepmans, Thierry Moutoy et Guy Saive