Naissance du dodécaphonisme – La Seconde école de Vienne
Sommaire
A contemporary cartoon of the "Skandalkonzert" (SWR)
Le système tonal qui a dominé la musique savante occidentale depuis la Renaissance jusqu’au XIXème est un mode d’écriture construit sur des rapports très hiérarchisés entre les différentes notes de la gamme. Avec Beethoven et les compositeurs qui le suivent, le langage musical évolue vers une plus grande complexité. Avec des accords de plus en plus dissonants et élaborés, l’usage du chromatisme, les gammes de tons entiers, les superpositions de tonalités différentes, tout concourt à l’émancipation de l’harmonie traditionnelle basée sur la gamme tonale. Mais lorsque Arnold Schönberg élabore ses premières œuvres atonales, il franchit un pas de plus. De la suspension de la tonalité à son éviction, c’est une véritable révolution. Il sera suivi dans cette aventure par deux de ses élèves, Alban Berg et Anton Webern, qui seront définitivement associés à son nom lorsqu’on parlera de la Seconde école de Vienne. Par sa liberté intrinsèque, l’atonalité pose cependant le problème d’un manque de structure et de possibilité de développement thématique. Cette période est d’ailleurs marquée par des œuvres de forme courte. En adoptant la technique dodécaphonique (les douze tons de la gamme présentés sans la moindre hiérarchie), elle-même organisée en séries, avec des règles strictes conditionnant l’apparition de chaque note, Schönberg résout ces difficultés et ouvre la voie au sérialisme intégral de Messiaen, Boulez, Stockhausen et bien d’autres.
Schönberg - Erwartung
Le monodrame Erwartung est une pièce en un acte écrit sur un livret commandé par Schönberg à la plus célèbre patiente de Sigmund Freud, Marie Pappenheim, mieux connue sous le nom d’Anna O. Quasi sans action, l’œuvre est un long monologue tenu par une femme devenue folle d’angoisse suite à la disparition de son amant. Elle le cherche au cœur d’une sombre forêt, et nous suivons sa déroute exprimée par des bribes de phrases bousculées, de brusques éclats orchestraux, une rythmique et une ligne vocale exprimant l’affolement. A rapprocher des grandes scènes de la folie de l’histoire de l’opéra.
Schönberg - Pierrot lunaire
Le cycle de mélodies Pierrot lunaire consiste en trois groupes de sept poèmes écrits par le belge Albert Giraud et traduit par Otto Erich Hartleben. Ce mélodrame est remarquable pour son écriture qui, sans être encore dodécaphoniste, en énonce déjà les principes. L’usage du Sprechgesang, une expression à mi-chemin entre le chant et la déclamation trouve ici son apogée. L’accompagnement instrumental succinct est assez novateur également. Le rôle du récitant est ici tenu par la violoniste Patricia Kopatchinskaja, dans une version très expressive qui s’inscrit bien dans l’esprit du cabaret berlinois.
Schönberg - Concerto pour piano op.42
En 1942, Schönberg conçoit le Concerto pour piano op.42, dans lequel il applique avec beaucoup de fluidité les principes du dodécaphonisme, flirtant parfois avec la tonalité et un certain retour à la tradition. Ses quatre mouvements enchaînés portent des titres conventionnels. Chacun d’eux a cependant été annoté par une phrase lapidaire laissant penser à un objectif programmatique autobiographique ou en relation avec la guerre en Europe : 1. La vie était si facile – 2. Soudain la haine a éclaté – 3. Une situation grave était créée – 4. Mais la vie continue. Le mystère reste entier !
Schönberg - Quatuors à cordes n°2 et 4
28 ans séparent les deux quatuors à cordes de ce programme. Le Quatuor n°2, dans lequel s’invite la voix, est créé en 1908. Il représente une étape charnière dans le parcours musical de Schönberg, mettant fin au style de sa première période de production (tonale) pour suspendre la tonalité dans le quatrième mouvement. Quant au Quatuor n°4, écrit en 1936, il témoigne d’une maîtrise parfaite de la technique dodécaphonique, alliée à une souplesse et une clarté d’écriture qui en rend l’écoute particulièrement accessible.
Schönberg - Variations pour orchestre op.31
C’est dans ses Variations pour orchestre op.31, écrites entre 1926 et 1928, que Schönberg applique pour la première fois sa technique dodécaphonique à l’orchestre. Après une introduction où domine l’intervalle de triton, les variations, d’une grande concision, se distinguent par des colorations instrumentales, des rythmes et une grande variété de climats. L’œuvre est aussi émaillée par les quatre notes-signatures de Johann Sebastian Bach (si b-la-do-si), preuve s’il en fallait encore de l’attachement paradoxal de Schönberg à la tradition.
Webern - Cinq pièces pour orchestre op.10
Toute la production de Webern tient dans ce coffret de six CD, pas parce qu’elle est – relativement – mince, mais parce que ses œuvres sont généralement très courtes. Cet élève de Schönberg s’est spécialisé dans l’art de la miniature. Qu’on pense aux Cinq Pièces pour orchestre op.10 dont la durée totale fait moins de cinq minutes, chaque mouvement exprimant une idée musicale extrêmement concentrée, à l’image des haïkus japonais. Un cycle qui illustre à merveille le travail de Webern sur la forme courte et sur la mélodie de timbres (Klangfarbenmelodie), forme de pointillisme appliqué à la phrase musicale.
Berg - Lulu
Commencée en 1928, la composition de Lulu restera inachevée à la mort de Berg (1935). C’est le compositeur autrichien Friedrich Cehra qui terminera le troisième acte en 1979. Berg utilise avec une remarquable souplesse le système dodécaphonique, n'hésitant pas à s'en écarter pour s'adapter à l'action. L'argument est tiré de deux pièces de Frank Wedekind (1964-1918). Il narre la lente descente aux enfers de Lulu, femme fatale qui collectionne les amants et qui terminera sa vie comme prostituée dans un taudis, avant de se faire égorger par Jack l'éventreur. Une production de La Monnaie.
Webern - Cinq mouvements op.5 - Bagatelles op.9
Un disque où se côtoient des représentants des deux Ecoles de Vienne : Mozart et Beethoven pour la première, Webern pour la seconde. Le quatuor Hagen a choisi d’interpréter deux œuvres majeures du XXème siècle appartenant au répertoire du quatuor à cordes : les Cinq Mouvements op. 5 et les Bagatelles op.9. Ecrites avant 1921, elles sont toutes deux composées en atonalité libre, même si les Bagatelles donnent déjà des signes avant-coureurs du langage dodécaphonique. Ces deux partitions appartiennent aux œuvres brèves de Webern.
Berg - Concerto pour violon "A la mémoire d'un ange"
Le Concerto "à la mémoire d'un ange" d'Alban Berg a été écrit en hommage à la fille d'Alma Mahler, née de son mariage avec Walter Gropius et décédée des suites d'une poliomyélite. Berg, ami intime d'Alma, en fut profondément bouleversé. Cette expérience douloureuse le poussa à écrire cette œuvre en quelques mois à peine. Il s'agit du premier concerto de l'histoire à avoir été composé selon la technique dodécaphonique. Berg prouve à cette occasion que le dodécaphonisme n'est en rien une expression aride et inexpressive. C’est aussi sa toute dernière composition.
Berg - Suite lyrique
Dès sa création en 1927, la Suite lyrique a immédiatement recueilli le succès. Initialement écrite pour quatuor à cordes, Berg en orchestra trois des six mouvements à la demande de son éditeur. Les trois autres furent transcrits par Theo Verbey en 2006. Cet enregistrement nous présente ici l’intégralité de la suite dans sa version pour orchestre à cordes. L’œuvre, dodécaphonique, traduit les affres d’un amour déçu entre Berg et Hanna Fuchs. Elle contient aussi des citations de la Symphonie lyrique de Zemlinsky, à laquelle le titre fait référence.
Berg - Sonate pour piano op.1 / Webern - Variations pour piano op.27
On ne pouvait imaginer plus d’éloignement entre la Sonate pour piano op.1 du jeune Berg et les Variations pour piano op.27 d’Anton Webern. La première, en un seul mouvement, se développe dans un langage postromantique chromatique, qui s’éloigne de la tonalité mais ne s’en coupe pas encore totalement. L’écriture des Variations de Webern coïncide avec le décès de Berg, et atteste de la maîtrise que le compositeur a acquise dans la technique dodécaphonique, jouant des timbres, du rythme et des modes de jeux pianistiques pour nourrir ces très courtes variations.
Schönberg, Berg et Webern - Œuvres diverses
Dans ce second volume consacré à la musique du XXème siècle, le chef d’orchestre français Ernest Bour place côte à côte des œuvres de Schönberg, Berg et Webern, mettant en lumière dans les commentaires du livret différents aspects de composition : l’orchestration, la désintégration harmonique, les nuances, les effectifs, etc. On peut dès lors mieux cerner les particularités de chacun en regard de la période prise en compte. Eclairant !
Nathalie Ronvaux