Festival d'Art de Huy 2021
Sommaire
On avait effacé 2020, la culture et les rencontres. On avait scindé le monde, muré les chemins. On avait masqué notre air, celui qui sonne clair et qui chante le matin. Couvant notre impatience, on s’est privé de musique. Confisqués de danse, en plein bouillonnement, plus de scène, plus de public.
Coule la Meuse, sourd le bruit de la vie qui redémarre. Cet été 21, vingt-et-un ans (1) de festivals se fêteront au cœur de la jolie ville de Huy, à l’espace Saint Mengold, au couvent des Frères Mineurs, dans la collégiale et les rues de la cité.
Tombées de l’essentiel, les musiques et les sonorités s’attrapent dans les folklores du monde, croisent le vers et la poésie dans l’intimité vocale, se propagent partout en Amérique itou, enfièvrent les cuivres, recyclent leur variantes et se répandent dans les zones les plus diverses. Une dose de découverte, une deuxième de rencontre et les suivantes pour le plaisir…
(Fahy & Crommen - « Lord Gordon's Reel » - 2018)
Folklores du monde
Quand Fahy & Crommen Quartet peignent l’Irlande traditionnelle, coloriée de compositions originales, teintées de couleur jazzy, l’arc-en-ciel se dote des ocres du violon et de la guitare, de l’or du saxo et de l’argent de l’harmonica pour la rencontre des pères et fils. Glissés du rainbow, enfants et parents resteront babas à l’écoute de Ba Ya Trio, tour et maxi exploration du monde en chanson.
Et puis la féérie… Aurélie Dorzée, Tom Theuns et Michel Massot, aventuriers de l’élixir perdu, au retour d’une échappée médiévale, une ballade, une aubade, un envoûtement, et la magie des instruments. Viole, psaltérion, sitar, sitôt la ritournelle et le tuba s’emparent de la mandoloncelle.
Et puis les Féroé… Raske Drenge, violon et guitare au cœur des ruelles du vieux Huy, perçoit l’écho en retard d’un yodel ou d’un chant de Mongolie : Edra déploie les instruments, les cordes et les vents.
(Aurélie Dorzée, Tom Theuns et Michel Massot - Elixir - Le film - 2020)
(Ghalia Benali et Romina Lischka - Call to Prayer - 2020)
Intime poésie
Quand vient le soir, gambade la viole, baroque au milieu de la gothique collégiale. Ghalia Benali et Romina Lischka appellent à la prière ou à la méditation. Le modal s’unit au tonal. Râgas et maqâms, épousant la chorale, élèvent les âmes en une communion musicale. Quand vient la nuit, s’envole la voix et tout Huy luit.
Le flamenco est fougue. Le flamenco est sensible. Père et fille, Myrddin et Imre De Cauter associent la virtuosité à l’intime, et la guitare s’apparie au violoncelle, en une délicate connivence, légère et intacte.
Autres sons, autre partage, Llas Lloronas (2), Sura, Amber et Marieke, créent un univers imaginé, où l’intime et le tendre génèrent un melting-pot musical et poétique, un monde en mutation, parfumé de guitare, d’accordéon, de clarinette et de saxo, d’envol aux fenêtres et de quelques mots, slam, poésie, leur âme, leur patrie. Anglais, espagnol, français… ça s’envole et ça renaît.
Au carrefour du jazz, des musiques du monde, contemporaines, électroniques, de la polyphonie, de la tradition, se produit un grand choc, une énergie qui se libère et une voix veloutée, intime de ses racines et de l’amour, un don, un legs, un présent : Laila Amezian (avec Tuur Florizoone et Stephan Pougin).
(Llas Lloronas - « Lágrimas » - 2020)
(Bai Kamara Jr – « Don’t Worry About Me » – 2021)
Amériques
Issu de Sierra Leone (Salone) (3), vivant à Bruxelles, c’est le blues américain teinté de racines et influences africaines que Bai Kamara Jr livre dans son album le plus personnel. Entre JJ Cale et John Lee Hooker, un laid-back souple à la voix âpre ou un blues mélancolique chaud et humide, une ambiance créole ou un groove qui vient des tripes, il pleure ses mots, racle sa guitare et extirpe ses passions.
Sans omettre la chanson française, La Fanfare Formidable envoie son jazz Nouvelle-Orléans, cuivres débridés, ambiance festive. Un écho aux délirants de Fracaban dans leur bluegrass virevoltant. Amérique de la fête, chansonnettes d’antan, folk et trompettes, bouge la planète, dansent les vents.
La latine Amérique va aussi en villégiature à Huy : Osvaldo Hernandéz-Napoles et Patricia Van Cauwenberge font sonner les histoires chantées du Mexique, du tisseur de rêves au dernier coupeur de glace, un Duo Cemalca dédié au plaisir et au divertissement (4).
Plus au sud, Euforró nous convie à la fois à l’euphorie et au forró, la danse du Nordeste brésilien. Ces sons sensuels eussent-ils cessé – saxo, basse, section rythmique essentiels –, s’eût-on soucié de cette danse sans cesse y associée ?
(Fracaban - « Trouble » – 2019)
Recyclages, nouveautés, la diversité
On a pu reprocher au Festival d’Art de Huy de recycler les artistes qui y sont déjà passés : Manou Gallo, Tuur Florizoone, Aurélie Dorzée, Osvaldo Hernandéz-Napoles, Laila Amezian… Leur présence en 2021 prouve que ces interprètes sont capables de recréer un monde musical et artistique qui leur est propre, entre jazz, poésie et musiques du monde, parce que ces artistes sont porteurs et porteuses de projets originaux, pêchus, chaleureux ou inédits, parce que le public les reconnaît, découvre d’autres facettes de leur art et s‘accorde en symbiose sur le même tempo et le même amour musical.
Chaque année apporte son lot de nouveaux musiciens, de nouveaux horizons, de nouveau pays, toujours en lien avec la Belgique. Un festival qui n’est ni traditionnel, ni jazz, ni folk, ni chanson mais tout cela à la fois. Présenté régulièrement par la voix chaude de Didier Mélon, le Festival d’Art de Huy est un village au cœur de la ville, mais aussi un peu Bruxelles en province. Le monde n’est-il pas aussi une province ?
(Manou Gallo – « Lady » – 2021)
Programme du Festival d’Art de Huy (lien)
(1) Le festival d’Art de Huy consacré aux musiques et voix du monde a lieu chaque année depuis 1998 (sauf en 2020).
(2) Llas Lloronas pourrait évoquer las llorones (les pleurnichardes). Quand leurs chansons frôlent quelquefois la mélancolie, elles insufflent plus d’espoir que de tristesse.
(3) Salone, titre de son album, signifie Sierra Leone en krio (créole de ce pays).
(4) Celmaca, d’origine nahuatl, une des langues mexicaines, signifie « divertir, procurer du plaisir ».
En 2018, le Festival d'Art de Huy. Article de ce magazine web.