Le Field recording, médiagraphie
Sommaire
Maintenant, je ne vais plus qu’écouter… J’entends les sons qui se côtoient, se combinent, se mêlent, ou se suivent. Les sons de la ville et ceux de la campagne, les sons du jour et de la nuit — Walt Whitman, Song of myself
Annea Lockwood : A sound Map of the Danube
L'album "A Sound Map Of The Danube" d'Annea Lockwood est une exploration sonore de la rivière du Danube, l'un des plus grands cours d'eau d'Europe. Durant trois ans, l’artiste a parcouru ce paysage avec son micro afin de laisser un témoignage audio unique sur la région. L'album comprend des enregistrements de sons récoltés le long du fleuve, allant de la Forêt-Noire allemande à l'embouchure de la Mer Noire. Collectant des enregistrements sonores de la nature, des communautés locales, on parcourt à travers les sons un voyage autour d’une mémoire géographique et une immersion auditive du Danube. Les enregistrements incluent une poésie sonore autour des chants d'oiseaux, des bruits d'eau et de vent, des cloches d'église, des sons de bateaux et de pêcheurs, ainsi que des conversations avec les habitants locaux. (JDL)
Loren Chasse : The Footpath
A travers « The Footpath », Loren Chasse se déplace sur une distance de 2 miles et demi et y explore les sons des paysages naturels et des textures sonores des régions californiennes, aux États-Unis. L'album est principalement constitué d'enregistrements de terrain, comprenant des sons d'animaux, des bruits d'insectes, du vent, ainsi que des bruits de feuillages. La musique est minimaliste et évoque une atmosphère calme et contemplative, invitant l'auditeur à se perdre dans les paysages de la région. Les enregistrements sont présentés dans un ordre non linéaire, créant ainsi un voyage sonore fluide à travers des paysages variés et des écosystèmes naturels. Dans l'ensemble, "The Footpath" est une expérience sonore immersive et apaisante, qui invite à une connexion profonde avec la nature et la beauté du monde naturel. (JDL)
Peter Cusack : Sounds from Dangerous Places
Une oeuvre clé pour ce spécialiste du field recording et de l'écologie acoustique (l'étude des relations que l'homme entretient avec les sons qui l'entourent). Sounds From Dangerous Places est un enregistrement de sons captés dans divers endroits à Tchernobyl et aux alentours. Un livre de photographies et de textes accompagne le cd. Images et sons entrent en résonance et désarçonnent. Une campagne a priori bucolique, ses fleurs et ses chants d'oiseaux contrastent avec l'invisible radioactivité qui marque de son empreinte l'environnement. Toujours présente, elle se révèle sous différents aspects. Ailleurs, des paysages désolés témoignent du drame et du traumatisme éprouvés par la région. Tout à la fois œuvre et document, ce travail entretient la mémoire d'un fait historique marquant, ainsi que d'une situation vécue loin des regards... et des oreilles. "D'un point de vue sonore et visuel, note Peter Cusack, les endroits dangereux de ce type peuvent être séduisants. Mais il réside une dichotomie extrême entre la beauté perçue et ce que l'on ressent du "danger", que ce soit celui de la pollution, de l'injustice sociale, de la pression militaire ou de la configuration géopolitique". (SB)
Pour les habitants des bois, chaque espèce d’arbre, ou presque, a sa voix, comme elle a des traits qui lui sont propres. Au passage de la bise, les sapins sanglotent et mugissent autant qu’ils se balancent ; le houx siffle, qui se bat contre lui-même ; le frêne chuinte et tremble ; le hêtre susurre, quand ses rameaux plats s’agitent, montent et descendent. L’hiver qui modifie la voix de ces arbres, comme il les dépouille de leurs feuilles, n’en détruit pas l’individualité. — Thomas Hardy, Under the Greenwood tree
Luc Ferrari : Presque Rien
Luc Ferrari (1929-2005) pose deux micros aux extrémités d’une fenêtre de son habitation, au bord d’une île en Croatie, toujours Yougoslavie au moment de cette évocation sonore. Cela part d’un effacement, un ‘presque rien’. Cela se transforme au fur et à mesure des assemblages en une restitution auditive d’une émanation de vacances. Des voix, des cigales, un port qui se réveille … Un aquarelliste en pleine intervention du moment présent. La création d’une toile résonnante. Un assemblage de pièces, une imprégnation remplie de mouvement et d’allégresse. L’auditeur écoute et observe. Il s’imprègne de ces tranches de vie, se les approprie, en crée des moments intimes et confidentiels. Une véritable poésie. Daniel Caux, musicologue français et rédacteur du livret de Presque rien n°1, le lever du jour au bord de la mer, en fait un chef-d’œuvre de la musique électroacoustique du 20ème siècle. (SS)
Wim Wenders : Lisbonne Story
Un ami cinéaste disparu, un ingénieur du son qui part à sa recherche. Entre les deux, un film muet, inachevé. Autour d’eux, une ville, Lisbonne. Les éléments, la composante de Wim Wenders pour son film mi-documentaire, mi-fiction Lisbonne Story réalisé en 1994. Également décidé à achever le film, le personnage déambule dans les rues avec son enregistreur. Il capte et assemble les bruits de la ville avec l’aide d’une petite colonie d’enfants curieux. Il écoute et s’égare avec les mélopées harmoniques de Madredeus, groupe de fado portugais. Le tout résonne. On ferme les yeux et on intercepte les sons, ce langage universel. Lisbonne Story est un objet, une matière qui s’écoute. C’est une carte postale sonore et une déclaration d’amour pour la ville au sept collines. C’est aussi une réflexion sur le temps qui passe, sur la mémoire avec et dans le cinéma (qui célébrait son centenaire à l’époque) (SS)
Chris Watson : In St Cuthbert’s time
Chris Watson, membre fondateur du groupe de musique expérimentale Cabaret Voltaire, est devenu une référence du Field Recording. En 2013, il enregistre « In St Cuthbert’s time ». Élaboration d’un environnement sonore tel qui aurait pu exister au huitième siècle, période durant laquelle un ordre de moine, dont St Cuthbert, vinrent s’installer sur l’île de Lindisfarne, surnommée aussi « Holy Island ». Il tente d’obtenir une trace, de transmettre un rôle de témoin d’une époque expirée, une remontée dans le temps à travers sa réalisation. C’est plus qu’une création, c’est une étude, divisée en quatre œuvres représentant chacune une saison, que Chris Watson entreprend. Une analyse des sons de la faune de ce havre au large des côtes anglaises. Une mise en parallèle avec la vie et le travail de toute cette congrégation durant cette période. Une « réflexion aux aspects quotidiens et saisonniers de la variété évolutive des sons ambiants durant cette période de pensée et de créativité exceptionnelle ». (SS)
Hildegard Westerkamp : Into India
Cette compositrice de musique électroacoustique est aussi une adepte du Ear-cleaning qui consiste en une forme de conscience de l’environnement sonore et de la hausse du volume lié à l’activité humaine. Fidèle à cette approche, elle sait mettre son talent à contribution pour proposer dans ses albums, installations et performances, différents niveaux de lecture entre musicalité, documentaire et engagement. Pour « Into India », elle réunit des prises de sons réalisées lors de ses voyages en Inde entre 1997 et 2002 et confectionne un tableau sonore kaléidoscopique. Ce dernier révèle la diversité auditive qui représente l’Inde avec sa religiosité, ses traditions, son urbanisme, ses musiques et sa pollution sonore. Un album essentiellement composé de sons naturels enregistrés. Certains sont modifiés, donnant ainsi un résultat organique qui vous invite à un voyage introspectif au cœur d’une culture partagée entre la tradition et la réalité écologique. (HG)
Dans les premiers temps de son mariage, ces bruits violents de gare, ces coups de sifflet, chocs de plaques tournantes, roulements de foudre, ces trépidations brusques, pareilles à des tremblements de terre, qui la secouaient avec les meubles, l'avaient affolée. Puis peu à peu, 'habitude était venue, la gare sonore et frissonnante entrait dans sa vie ; et maintenant, elle s'y plaisait, son calme était fait de cette agitation et de ce vacarme. — Émile Zola, La Bète humaine
Eric La Casa & Slavek Kwi : Fonderie Paccard
Depuis une trentaine d’années, Eric La Casa pratique l’enregistrement de terrain et retraite les sons capturés afin de sonder la réalité pour aller au-delà de ses traits quotidiens. Suite à une commande du studio électroacoustique d’Annecy, il choisit la fonderie de cloches Paccard et y collecte dix heures d’enregistrement. Pour le montage, il propose trois écoutes différentes du lieu. Il s’agit de trois compositions distinctes, élaborées en fonction des positionnements des micros et de la place choisie par le preneur de son, plus une dernière qui est un live d’Éric La Casa et de Slavek Kwi avec les sons enregistrés à la fonderie et joués dans le lieu en activité. Ces différentes écoutes élaborent une carte postale où la texture sonore devient l’identifiant de l’agencement et des activités du lieu.
Bernd Schurer : Construction sonor
Construction sonor est un projet musical dédié aux titanesques chantiers de construction de nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes [NLFA] reliant l’Italie, la France et l’Allemagne. Ce double album comprend un disque de pur field recording et une compilation d’artistes issus de la musique électronique qui ont utilisé les sons du premier disque, lesquels interpellent par leur discrétion. En effet, un chantier d’une telle ampleur est censé donner un album bruyant où retentissent de grosses machines et des explosions. Pourtant seuls quelques cliquetis, grincements et bruits d’eau ruisselante composent le disque. Le projet NLFA projetait de désengorger les voies routières dans les Alpes afin de préserver la faune et la flore. Le choix de mettre en valeur les sons enregistrés les plus discrets fait écho à la dimension écologique du projet.
Rogier Kappers : Lomax : songs hunter
Alan Lomax était ethnomusicologue, folkloriste et musicologue. Reprenant la mission que son père s’était donnée, il a récolté à travers le monde un maximum de chansons traditionnelles qui n’étaient pas destinées à se retrouver sur des disques écoutés par un large public. Ces musiques qui se transmettent de bouche à oreille et traduisent le quotidien d’une communauté ont été enregistrées à même la rue, la demeure ou le lieu de travail des interprètes avec la particularité de se situer au sein même de l’environnement sonore. Certains enregistrements contiennent les aléas du quotidien (la rumeur d’une foule ou un chien qui aboie…). Passionné par le travail d’Alan, Rogier Kappers suit son parcours en Écosse, aux États-Unis, en Espagne et en Sicile pour retrouver les proches des personnes enregistrées par le collecteur de musique et réalise un film hommage au travail d’une vie et à celleux qui ont chanté le monde.
Car, bien que le calme profond de la solitude régnât dans cette vaste forêt presque sans limite, la nature y parlait de cent manières l’éloquent langage de la nuit sauvage… On entendait, de temps à autre, le craquement d’une branche, ou d’un tronc, se frottant contre un objet de même nature… Lorsqu’il demanda à ses compagnons de cesser de parler, comme nous l’avons vu, son oreille sur le qui-vive avait perçu le bruit d’une branche sèche cassée, qui, si ses sens ne le trompaient pas, venait de la rive ouest. Tous ceux qui connaissent ce bruit particulier sauront avec quelle rapidité l’oreille le saisit, et combien il est aisé de distinguer le pas qui brise la branche des autres bruits de la forêt. — Fenimore Cooper, Les Contes de Bas-du-cuir
Quiet American : Plumbing And Irrigation Of South Asia
On peut se demander si le choix de la thématique de cet album n’est pas un moyen, justement, d’éviter le choix, et de réaliser à travers un fil conducteur arbitraire, un disque dont le son est au final le vrai objet. Bien sûr, une thématique n’est jamais innocente, et celle-ci est à la fois un sujet élémentaire (au sens premier : l’eau) et liée à d’autres problématiques comme l’écologie, l’alimentation, le climat. Elle examine l’acheminement de l’eau sous toutes ses formes, de l’irrigation des rizières du Vietnam au pompage de l’eau au Bangladesh. On pouvait difficilement trouver un terrain qui fût autant matière à questionnements, et c’est ce qu’aborde Aaron Ximm (le vrai nom de Quiet American) dans le texte qui accompagne le disque, traitant de l’usage de l’eau en Asie, de l’avenir de ses réserves et des différences dans les approches asiatique et occidentale du problème de l’approvisionnement. Bien sûr, ces enregistrements sont également liés à des souvenirs personnels, des atmosphères, des réminiscences. (BD)
(à écouter sur le site de Quiet American)
Steven Feld : Suikinkutsu. A Japanese Underground Water Zither
Steven Feld est un musicien, anthropologue et ethnomusicologue américain qui a entre autres publié une très belle série de disques consacrés aux sons des cloches à travers le monde. En marge de cette collection, même s’il s’en rapproche, cet album est consacré à un seul « instrument » : le suikinkutsu. À la frontière entre le carillon, l’ornement de jardin, et l’installation sonore, il s’agit d’un dispositif autonome de production musicale consistant en un récipient, en céramique ou en métal, enfoui sous terre, à l’envers. Il est percé d’une ouverture au sommet, par laquelle percolent des gouttes d’eau, qui tintent à l’intérieur de la jarre. Cette polyrythmie accidentelle est amplifiée par la résonance du bol, choisi pour sa sonorité chantante. Le disque est un enregistrement d’une heure, durant laquelle le suikinkutsu accompagne les cigales. (BD)
Geir Jenssen : Cho Oyu 8201m. Field Recordings from Tibet
Cho Oyu est le premier disque que Geir Jenssen ait publié sous son nom, et non sous celui de Biosphere. Sans doute est-ce parce qu’il lui semblait en marge de sa production habituelle, mais peut-être également à cause de l’investissement personnel que cet album a exigé. Cho Oyu documente l’ascension par Jenssen – accompagné par cinq autres alpinistes et un sherpa nommé Krishna – de la montagne du même nom. Cho Oyu est le sixième plus haut sommet du monde et domine la frontière entre le Népal et le Tibet, à plus de 8 000 m d’altitude. L’expédition a duré un peu plus d’un mois, dans des conditions extrêmes de froid, de fatigue et de souffrances dues à l’altitude. Malgré ces difficultés, Jenssen a réalisé durant cette ascension une série d’enregistrements qu’il a utilisés ensuite pour produire ce document, réinventé dans l’ordre chronologique, depuis le départ à Katmandou jusqu’au sommet. On suit ainsi la transformation du paysage sonore, depuis le brouhaha urbain de la vallée jusqu’aux solitudes des montagnes. (BD)
Kiyoshi Mizutani : Scenery Of The Border: Environment And Folklore Of The Tanzawa Mountains
Dans une démarche à la fois écologique, acoustique et historique, mêlant des préoccupations pour l’environnement et sa préservation, ainsi que pour les événements historiques qui ont marqué une région, Kiyoshi Mizutani s’est ainsi intéressé pour cet excellent album au mont Tanzawa, dans la préfecture de Kanagawa, au Nord de Tôkyô. Kiyoshi Mizutani est un ex-membre de Merzbow, dans les années 80, lorsque Merzbow était un groupe et non le projet solo de Masami Akita. Cet album est à la fois un document sur cette région et une plongée assez méditative dans un paysage de forêts et de montagnes, à la fois extraordinairement calmes et pourtant remplies de légendes et d’histoires. La majeure partie du disque consiste en enregistrements subtils de ce paysage, présentés tels quels, sans additifs, presque sans montage ; une autre partie est, quant à elle, composée sous forme de tableaux, tout aussi subtils, mêlant au paysage des éléments de la vie ou du folklore de la région. (BD)
Isobel Clouter/Rob Mullender : Myths of origin
Le disque est le résultat de plusieurs voyages au Japon, en Chine et en Mongolie, à la recherche de « sables chantants », des phénomènes acoustiques, déclenchant des sifflements, des bruissements, voire des grondements, dans des dunes de sable, en certains endroits de la planète. Après avoir découvert leur existence à travers la littérature de voyage, Isobel Clouter a entamé avec Rob Mullender un projet qui n’a pas été sans poser un problème déontologique. À de rares exceptions, la plupart de ces dunes ne produisent du son qu’au prix d’une intervention de l’homme. Peut-on alors parler d’enregistrements de phénomènes naturels, ou s’agit-il plutôt d’une « action », plus proche d’une activité de musicien que de collecteur? En réponse à cette question, rien n’a été fait pour masquer la présence des deux explorateurs : on les entend gravir des dunes, peiner pour arriver au sommet, et progresser sur la crête afin de maintenir le plus longtemps possible le ruissellement de sable qui déclenche le son qu’ils recherchent. (BD)
CETTE MÉDIAGRAPHIE A ÉTÉ RÉALISÉE PAR POINTCULTURE POUR LA BIBLIOTHÈQUE-MÉDIATHÈQUE LE PHARE À L’OCCASION DE RACONTER LES ENVIRONNEMENTS SONORES (Projet initié par Hervé Brindel)
Réalisée par Jean De Lacoste, Henri Gonay, Stanislas Starzinski, Benoit Deuxant, David Mennessier et Hervé Brindel
Cet article fait partie du dossier Médiagraphies | 2022-24.
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