Filmfriend : sélection décembre 2023
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Félix Koch : Superchamp Returns - De Superjhemp Retörns (2018)
Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Ou bien Superjhemp, le plus célèbre superhéros du « Petit-Duché de Luxusbuerg» ? Alors qu’il avait disparu depuis plusieurs années, les évènements tragiques que connait le pays le forcent à reprendre du service. La couronne a disparu et la succession de la dynastie des vun Heielei vu Kuckelei est en péril. Mais le sauveur attendu a vieilli, il s’est rangé et est devenu un homme plus que normal. Fonctionnaire d’Etat et père de famille un peu terne, il cherche à oublier ses heures de gloire, et surtout ses échecs.
Adapté de la bande dessinée du même nom, archi-célèbre au Luxembourg, le film est plus qu’une simple transposition des aventures de Superjhemp créées entre 1988 et 2014 par Roger Leiner et Lucien Czuga. Reprenant les personnages d’origine, le réalisateur Félix Koch les déplace dans le temps, et nous offre un surhomme fatigué, en pleine crise de la cinquantaine. Depuis plusieurs années, il se tient à distance de son arme secrète, sa potion magique, le Kachkeis, la spécialité fromagère du pays. Anti-héros total, il est brimé par ses supérieurs comme par sa famille. On en vient à douter de ses pouvoirs, et de sa santé mentale.
Quelque part entre le Superdupont de Gotlib et le Zebraman de Takashi Miike, cette histoire de superhéros décalé, parodie outrée des classiques du genre, nous offre avant tout une vision tendrement satirique du Luxembourg. Le Grand-Duché est ici transformé en Petit-Duché, mais on y reconnait sans peine le pays, ses traditions, ses paysages, sa langue et son humour étrange. (BD)
Quentin Dupieux : Réalité (2014)
Comédie flirtant avec les codes du thriller – notamment par une bande originale électro-lancinante composée par Quentin Dupieux lui-même – Réalité relate les difficultés d’un aspirant cinéaste à contenter les caprices d’un producteur aussi cupide que sadique. En cela, l’œuvre pose un regard critique sur l’industrie du cinéma et, avec la légèreté caractéristique de son réalisateur, tourne en ridicule l’entre-soi du milieu et sa promptitude à s’auto-congratuler. Le postulat de départ ne manque pas de retenir l’attention : le film dans le film sera financé pour autant qu’un être humain souffre et que son calvaire soit convaincant. Partant de là, le récit patauge plus qu’il ne progresse, tant il semble écrit à mesure qu’il est porté à l’écran. Employé pour élargir le champ des possibles, l’onirisme est le lieu où se croisent toutes les strates du scénario et où, dans le même temps, il sème le spectateur en brouillant les pistes. Pour le moins conventionnelle, la double mise en abyme proposée en guise de dénouement achève de faire de Réalité un autre brouillon au potentiel inexploité. (SD)
Stefan Ruzowitzky : Les Faussaires (Die Fälscher) (2007)
Juif allemand d’origine slovaque, Salomon Sorowitsch est un faussaire de talent qui mène grand train avant son arrestation par la Gestapo à la fin des années 1930. Interné au camp de concentration de Sachsenhausen, il est enfermé dans une enceinte spéciale coupée du reste du camp avec d’anciens illustrateurs, imprimeurs, typographes et responsables de banques. Tous sont regroupés dans le cadre de l’ultrasecrète Opération Bernhard visant à déréguler le système monétaire anglais puis américain par l’injection massive de fausse monnaie élaborée et produite par ces faussaires sous l’égide de la SS. Plus que la dimension technique proprement dite, Stefan Ruzowitzky ausculte dans son film les deux attitudes de ces détenus exceptionnellement choyés par leurs bourreaux en termes de nourriture et de conditions de détention. Celle qui, au nom de leur survie (ou plutôt du temps de vie gagné), les conduit à satisfaire aux exigences de leurs maîtres. Et celle qui consiste à retarder voire à délibérément saboter un ou plusieurs maillons de la chaine de faux-monnayage. Tenté, en début de détention, par une collaboration active, Sorowitsch y fera l’expérience de la solidarité humaine. (YH)
Joachim Lafosse : L’Economie du couple (2016)
Le désaccord financier annoncé en titre donne le ton à ce film construit comme un envers de la comédie romantique. Sur ce plaisant renversement, Marie et Boris forment un couple en instance de divorce amené à rejouer en négatif toutes les étapes de la séduction. Pourquoi ces deux-là ne s’aiment-ils plus ? On l’ignore. Aucun flash-back ne vient tempérer le lourd présent de la dispute. L’action se déroule à huis-clos, dans l’appartement commun dont Marie est propriétaire, mais auquel Boris a rendu sa splendeur. Prison dorée, le somptueux trois-pièce figure l’accomplissement et la faillite du ménage qui, faute de s’accorder sur son rachat, y vit encore ensemble. Malgré l’établissement d’un planning où chacun a ses jours, ses corvées, sa chambre, sa vie « au-dehors », la tension monte. La querelle tombe dans le détail sordide (qui paie quoi, qui travaille le plus, etc). Dans la mise en scène du règlement de compte, le dispositif théâtral articule efficacement la chronique de l’éclatement de la cellule familiale à la question de la lutte des classes au sein du couple. Dans un contexte de crise du logement, cette manière d’envisager la rupture amoureuse comme rupture d’un accord financier ouvre une perspective intéressante. Que l’avantage financier soit du côté féminin en fait aussi une proposition provocatrice, détachée des réalités du monde contemporain où, économiquement, les femmes restent en position de faiblesse. (CDP)
Emmanuel Marre : D'un château l'autre (2018)
Tourné à Paris lors de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2017 (le premier duel Emmanuel Macron – Marine Le Pen), ce moyen métrage d’Emmanuel Marre est aussi bouleversant par les émotions qu’il suscite qu’il est intelligent dans ses choix de cinéma. Brouillant allègrement les repères entre fiction et documentaire, il entrelace – dans une structure et des matières – des images tournées en 16mm, en super 8, ou à l’aide d’un téléphone portable. Il assume ainsi leur éclatement et leur diversité et juxtapose, sans en atténuer les « collures », des moments importants pour l’histoire collective du pays et deux destins individuels particuliers : Pierre, 25 ans, étudiant boursier à Sciences Po. qui s’occupe de Francine, 75 ans, handicapée des suites d’un AVC. Deux oubliés de la politique.
Pierre est incarné par un acteur professionnel, Pierre Nisse. On reconnaît sa tête caractéristique, sa « tronche ». On l’a vu chez les frères Dardenne, Fabrice du Welz, dans Dikkenek ou les séries Les Revenants ou Baraki. Francine n’est pas jouée par une actrice mais par Francine Atoch, la mère du cinéaste. Le réalisateur français formé à l’IAD (Louvain-la-Neuve) raconte qu’il s’est immédiatement passé quelque chose quand ces deux-là ont été mis en contact. Sa mère s’est mise à jouer, à produire de la fiction ; Pierre Nisse s’est mis à dépouiller son jeu, à le tirer vers le réel. Et leurs discussions (sur les robots qui pourraient un jour remplacer les aides-soignantes pour s’occuper des personnes âgées, sur les enfants qui s’éloignent et la solitude de la vieillesse, sur le malaise à s’intégrer en tant qu’étudiant modeste dans une école de jeunes loups – et louves – aux dents longues, etc.) sont poignantes ! (PD)
Bérangère McNeese : Matriochkas (2019)
Anna (jouée par l’actrice Héloïse Volle) a une quinzaine d’années, des tresses, des « créoles » aux oreilles, de grands yeux ouverts sur le monde. Dans les environs de Marseille où elle grandit, son parcours se décline en une série de lieux importants où elle découvre la vie : sa maison, sa chambre, l’école, les parkings abandonnés, les abribus, une piscine de démonstration dans un zoning industriel… Anna vit avec sa mère Rebecca (Victoire Du Bois), jeune trentenaire fêtarde, rock’n roll et croqueuse d’hommes… Quand Anna découvre qu’elle est enceinte, se pose pour elle le choix de savoir si elle va reproduire quasiment à l’identique le destin de sa mère qui lui a donné naissance et l’a élevée seule à l’adolescence.
Avec son troisième film – récompensé par le Magritte du meilleur court métrage en 2020 – l’actrice et réalisatrice Bérangère McNeese répond à merveille à son souhait de porter à l’écran de beaux rôles féminins qui ne soient pas juste la « femme de », la « copine de », des faire-valoir des personnages masculins. Elle capte particulièrement bien les questionnements et les moments de frottements entre sentiments contradictoires qui sont inhérents à l’adolescence : Anna est en attente et en colère, pleine de doutes et affirmative, perdue et curieuse… Ce beau récit fragmenté traversé d’ellipses offre aussi un beau second rôle masculin à Guillaume Duhesme, motard et amant de Rebecca – donc forcément de passage, mais étonnamment présent aux côtés de la jeune fille à ce moment charnière de son existence. (PD)
Konstantin Bronzit : Au bout du monde (1999)
Ce court métrage d'animation réalisé par Konstantin Bronzit a été produit lors de sa résidence au studio Folimage. L'intrigue se déroule dans une modeste demeure perchée, de manière précaire, au sommet d'une falaise vertigineuse. Ce cadre insolite et instable est le théâtre d'une comédie à la fois absurde et captivante, marquée par une série d'événements imprévus qui menacent constamment de précipiter la maisonnette dans l'abîme. Le film joue habilement avec les lois de la physique, injectant un humour pétillant dans une expérience visuelle à la fois simple et profonde. Ce mélange de dérision, d'exagération et d'absurdité rappelle l'approche comique caractéristique de Tex Avery.
Acclamé dans de nombreux festivals internationaux, Au bout du monde se distingue comme un exemple brillant de la capacité de l'animation à franchir les barrières linguistiques, séduisant partout où il est projeté le public par son langage universel fait d'humour et d'émotion. (TM)
Une sélection de Catherine De Poortere, Benoit Deuxant, Simon Delwart, Philippe Delvosalle, Yannick Hustache et Thierry Moutoy (PointCulture)