Filmfriend : sélection mai 2024
Sommaire
Thomas Cailley : Les Combattants (2014)
« Concrètement, on fait comment pour ne pas subir ? » Face à une catastrophe dont on ignore la forme qu’elle prendra, et qui pourrait bien être le monde tel qu’il est, que faire ? Cette question, Thomas Cailley la pose à travers le personnage de Madeleine (Adèle Haenel), incarnation d’un entêtement plein d’ignorance qui ne se laisse pas désarçonner par la solitude dans laquelle l’enferme sa vision terrifiée de l’avenir, répétant à l’envi qu’à la fin, ce sera « chacun pour soi ». On aura beau saluer le rôle dominant dévolu à un personnage féminin aussi peu empathique, rappelons que sa prestance est avant tout une affaire de supériorité sociale, celle-ci étant signifiée par une maison avec piscine, des études payées et des parents toujours prêts à mettre la main au portefeuille. Quoique sans substance, pur symptôme d’un excès matériel, la posture de refus qui est celle de Madeleine lui vaut de briller aux yeux d’Arnaud (Kevin Azaïs). Moins nanti, il appartient à la classe des petits artisans. On a là les termes d’une relation fondée sur les contraires qui s’attirent : l’une veut échapper au confort, l’autre à la précarité. Pour tous deux, l’inconnu c’est moins l’avenir que le monde réel.
Sur le ton d’une comédie romantique qui tenterait de se frayer une place entre la chronique provinciale et le film d’aventure, Madeleine et Arnaud parcourent un territoire peuplé de représentations cinématographiques. N’est-ce pas là celui d’une jeunesse en manque de repères ? Le film se met ainsi à la hauteur d’une génération dépolitisée, prompte à se lever contre les conséquences de politiques dont elle ignore les causes et n’ayant pour décrypter le réel que des images de fiction. Confrontée à l’expérience directe des choses, elle en ressort rapidement malade. (CDP)
Anaïs Barbeau-Lavalette : La Déesse des mouches à feu (2020)
Québec, années 1990. Catherine fête ses seize ans sur fond de violentes disputes entre ses parents, qui se séparent peu après. Si elle reçoit des présents matériels, un discman jaune et le livre Moi, Christiane F., droguée, prostituée…, son cadeau le plus apprécié est la liberté de sortir avec ses copines. À l’école, elle est attirée par le petit ami de sa rivale, qui lui aussi s’éprend d’elle. Elle se lie par la même occasion d’amitié avec Marie, une jeune fille un peu décalée, grunge et surtout très cool, qui l’inclut dans son groupe d’amis et l’initie à la drogue. C’est le début d’une succession de fêtes et de trips de plus en plus hallucinés, d’une dérive accentuée par les altercations incessantes entre ses parents.
Anaïs Barbeau-Lavalette s’est basée sur un roman de Geneviève Pettersen pour raconter le coming of age compliqué d’une adolescente, l’ancrant dans le Québec du début des années 1990. On sent l’inspiration de certains films américains de l’époque, mais aussi la profonde influence du livre Moi, Christiane F. Certains moments sont superbement tristes mais le film comporte malgré tout une série de clichés, des images déjà vues ailleurs. La bande-son rappelle cette période, avec une très belle scène au son de « Do You Love Me Now » des Breeders. (ASDS)
Emmanuel Marre : Chaumière (2012)
Beaucoup connaissent aujourd’hui Emmanuel Marre pour Rien à foutre (2021), son premier long métrage de fiction coréalisé avec Julie Lecoustre dans lequel Adèle Exarchopoulos incarne une hôtesse de l’air d’une compagnie aérienne à prix cassés. Mais une petite dizaine d’années plus tôt, le temps d’un moyen métrage documentaire, le cinéaste formé à l’IAD (Louvain-la-Neuve) avait déjà tourné un film touchant aux univers du voyage, de l’industrie du tourisme et surtout du low cost. Pour Chaumière, il s’intéresse aux hôtels Formule 1, cette répétition quasi à l’identique dans le no man’s land périphérique de 300 villes de France de ces mêmes bâtiments préfabriqués construits à la chaine dès le milieu des années 1980. Par des plans cadrés au cordeau (de l’architecture intérieure et extérieure, de la signalétique, des plateaux-repas abandonnés après le petit déjeuner appréhendés de haut comme des paysages filmés d’avion, etc.), Emmanuel Marre et ses directeurs de la photographie commencent par aborder ces hôtels comme les « machines à dormir » qu’ils sont censés être (la signalétique ou le remplacement des clés de chambre par des codes sont deux stratégies pour pousser la clientèle à se débrouiller seule le plus possible et à limiter les coûts de personnel). Mais ensuite, il part de plus en plus à la rencontre de celles et de ceux qui passent par ces chambres exiguës, pour une nuit ou pour un an : touristes à petits budgets, fêtards du réveillon, représentants de commerce, ouvriers de gros chantiers mais aussi tout un spectre de destins en décrochage ou à la dérive : une femme ayant quitté son homme, un homme vivant dans sa voiture avec un budget de 60 euros par semaine et se payant une chambre deux ou trois fois par mois, famille dont le père doit partir à pied dans la nuit pour rejoindre son travail à temps le lendemain à l’aube… (PD)
Hugues Nancy, Hergé, à l'ombre de Tintin (2016)
On en sait finalement peu sur Georges Remi, connu sous le nom d’Hergé, créateur de Tintin. Accompagné de témoignages d’érudits de la BD et de proches, le documentaire trace en parallèle la création et l’évolution du personnage de Tintin et la vie sans beaucoup de tumultes de son démiurge belge, pionnier d’un neuvième art encore balbutiant et dont il posa l’un des jalons essentiels. Dessinateur compulsif dès son plus jeune âge, Hergé, de l’autodidacte « sous pieuse influence » (de son mentor, le très conservateur Abbé Wallez) au sein du Petit Vingtième (et du Soir volé), à sa « révélation » d’auteur majeur en relation étroite avec son époque dès Le Lotus Bleu (1936), l’instigateur du style graphique de la ligne claire, et le rédacteur en chef de l’hebdo qui portait le nom de son personnage fétiche, le Bruxellois est demeuré largement méconnu en regard de sa créature de globe-trotteur mondialement célébrée. Un film qui nous montre un Georges Remi au travail et en famille (au travers d’images d’archives rarement dévoilées), prenant de l’âge quand son héros se fige dans un éternel présent malgré le passage des décennies, mais toujours en correspondance avec sa créature de papier. Un lien si fort que l’on regrette un peu l’absence presque totale d’évocation de son travail « non-tintinesque » (Quick et Flupke, Les Aventures de Jo, Zette et Jocko, etc.). (YH)
Christian Schidlowski : Mr Wong’s World (2007)
Dès l’ouverture du documentaire, une musique de film d’aventure nous montre Shanghai, ses immeubles modernes, ses autoroutes urbaines, son développement incessant au fil des ans. Il y a un personnage, mystérieux au départ, présenté par quelques amis et collègues. Jeffrey Wong, homme d’affaires sino-canadien qui a engrangé une certaine richesse, s’est lancé dans un projet insolite, peut-être pas tout à fait légal, ou est-ce juste la bureaucratie chinoise qui aime mettre des bâtons dans les roues ? Bref, de nuit, il envoie des équipes d’ouvriers pour démonter les parties les plus intéressantes de maisons anciennes vouées à la destruction, des boiseries finement ciselées, des sculptures cachées qui ont échappé à la destruction de la Révolution culturelle, des fenêtres et des portes à croisillons.
Le réalisateur allemand Christan Schidlowski le suit ensuite sur le lieu où il entrepose tous ces éléments et où il reconstruit des maisons et temples à l’ancienne. C’est un projet un peu fou qui se passe dans un Shanghai en pleine mutation. Ce documentaire date déjà de 2007 et des recherches actuelles sur cette initiative n’ont malheureusement donné aucun résultat. Jeffrey Wong, homme incompris et aux nombreux ennemis, aurait-il été arrêté dans son élan ? Et est-ce que le gouvernement chinois aurait enfin compris qu’il est important de préserver (une partie) de son passé ? (ASDS)
Vincent Paronnaud (Winshluss) et Denis Walgenwitz : La Mort, Père & Fils (2017)
Il y a certains héritages qui présentent de véritables défis, en particulier pour le jeune et insouciant fils de la Mort. Rejetant le destin familial de faucheur d'âmes, il préfère se voir en sauveur, une sorte de super-héros aux allures d'ange gardien… Mais, chassez le naturel, il revient au triple galop ! Inspiré de la bande dessinée Welcome to the Death Club - Père et Fils de Winshluss, ce court-métrage d'animation est l'œuvre conjointe de Winshluss lui-même et de Denis Walgenwitz. Pour capturer fidèlement l'esthétique unique de l'œuvre originale, le film combine habilement diverses techniques d'animation, intégrant à la fois le stop-motion pour animer personnages et décors, et des éléments en 2D et 3D, dans un style visuel rappelant les années 1950, avec une touche très « Tim Burtonienne ». (TM)
Une sélection de PointCulture (Catherine De Poortere, Anne-Sophie De Sutter, Philippe Delvosalle, Yannick Hustache et Thierry Moutoy).