Histoires et luttes de sorcières, en fictions et en chansons
L’imaginaire de sorcière le plus familier est celui du cinéma, jusqu’à presque avoir occulté la réalité historique. La sorcière y est en général une vieille femme, laide et sale, qui provoque peur et dégoût. Cette figure est le résultat d’une longue histoire dont l’étape la plus importante commence à la fin du Moyen Age. A cette époque, la figure de la sorcière, dont des prémisses existent depuis l’Antiquité, est associée au diable. La sorcellerie devient officiellement maléfique, féminine et considérée comme étant la plus grave des hérésies. Au moment des chasses aux sorcières, notamment entre les XVe et XVIIe siècles, le rapport au monde change profondément et un nouveau système économique, le capitalisme, commence à s’imposer. Celui-ci provoque de nombreux changements de société dont l’instauration de la propriété privée qui retire à la population l’accès aux communs qui permettait jusque-là de se réunir, de se nourrir, de se soigner et de se chauffer. Les anciennes célébrations païennes, l’oralité, les pratiques de soin, les usages du territoire doivent disparaître pour faire place à la Modernité. Le Moyen Age et les siècles suivants sont des siècles de luttes. Le Moine et la Sorcière montre bien le contexte de lutte du monde paysan contre le pouvoir des Seigneurs dans lequel un inquisiteur de passage suspecte de sorcellerie la dame de la forêt, guérisseuse du village.
La Sorcière et L'inquisiteur - Les Rita Mitsouko
On pouvait la trouver dans la forêt
Les nuits de lune pleine
Où elle donnait
Des incroyables fêtes
Et toute nue elle chante
La sorcière savait
Comment s'élever
Comment prier,
Comment soigner,
Empoisonner
Comment chanter
Et comment danser
Ils sont venus la prendre la nuit
Ils l'ont trainée par la chevelure
Jusqu'à la chambre de torture
..
Face à toutes ces mutations, il devient difficile pour les femmes, en particulier les femmes âgées, de subvenir à leurs besoins. Les guérisseuses, les mendiantes, les « révoltées », les « différentes » sont pointées du doigt. Elles sont désignées « sorcières » et souvent condamnées pour ne pas être rentrées dans le nouveau « cadre » qui fonde la société moderne dans ses institutions et ses représentations. Au fil des procès, un stéréotype de la sorcière apparaît, influencé par la diffusion massive d’ouvrages d’inquisition dont le Marteau des sorcières. Les mécaniques en œuvre au cours des procès (incitation à la dénonciation, réinterprétations des réponses, etc.) sont illustrées dans de nombreux films (Les Sorcières d’Akelarre, Häxan, Le Grand Inquisiteur, Jour de colère, Les Amants du nouveau monde).
Sorcières - Pomme & Klô Pelgag
Si tu aimes les chats dans la vie,
Si tu cries au creux de ton lit,
Si tu n'aimes pas trop qu'on te dise de sourire,
Si tu trouves ça beau, la lune et le saphir,
Tu es sûrement une sorcière, tu es sûrement une sorcière,
Tu es sûrement une sorcière, tu es sûrement une sorcière,
Sûrement une sorcière, tu es sûrement une sorcière,
Tu es sûrement une sorcière, tu es sûrement une sorcière,
Si tu sais être seule dans la vie,
Si tu suis ton instinct dans la nuit,
Si tu n'as besoin de personne pour te sauver,
Si trouves que rien ne remplace ta liberté,
Tu es sûrement une sorcière, tu es sûrement une sorcière,
Tu es sûrement une sorcière, tu es sûrement une sorcière,
...
Les chasses aux sorcières auront pour conséquence d’imprégner durablement la société pour définir nombre de nos héritages, dont celui qui définit ce qu’est une femme convenable ou une mauvaise femme. La société occidentale moderne continue ainsi d’associer la vieillesse à la laideur et à l’inutilité du corps. Les films Into the Woods, Hocus Pocus, Blanche-Neige, Horror story : coven et Blanche-Neige et le chasseur montrent par exemple comment la veille sorcière représente une menace pour les jeunes qu’elle risque de dévorer mais aussi comment les vieilles femmes sont menacées par les jeunes filles qui viennent les remplacer.
Si cette sorcière maléfique et laide s’est imposée dans nos imaginaires, un contrepoint, plus discret mais bien présent, a aussi été imaginé dès 1939 au cinéma avec Le Magicien d’Oz. Aux côtés de la méchante sorcière, dont l’apparence et la personnalité fondent l’image type de la sorcière (teint vert, nez crochu, robe noire, chapeau pointu et balais volant), se tient la gentille sorcière (blonde, jolie et en robe blanche). Aujourd’hui, cette seconde sorcière n’est pas seulement jolie, elle est généralement séduisante voire érotisée (The Love Witch). Elle n’en reste pas moins dangereuse. N’ayant recours qu’aux extrêmes, le cinéma ne permet pas à la sorcière, ni à la femme en général, de s’émanciper de son rapport au corps et à la beauté. Une sorcière est avant tout un corps de femme, et celui-ci ne peut être que désirable et fécond ou inutile et donc repoussant. La jeunesse et la beauté sont pour les sorcières (les femmes en général) une injonction morale. Ces deux figures présentées comme opposées sont en réalité souvent liées au point de ne faire qu’une au cinéma. Ainsi, la vieille sorcière dissimule sa laideur sous les traits de la jeune et belle femme dans Blanche- Neige, Sacrées Sorcières ou Les Frères Grimm.
Une sorcière comme les autres – Anne Sylvestre
Vous m'avez aimée servante
M'avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m'avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m'avez faite statue
Et toujours je me suis tue
Quand j'étais vieille et trop laide, vous me jetiez au rebut
Vous me refusiez votre aide quand je ne vous servais plus
Quand j'étais belle et soumise vous m'adoriez à genoux
Me voilà comme une église toute la honte dessous
...
Comme il est considéré qu’une femme est incapable de vivre seule, la sorcière célibataire est souvent accompagnée d’un animal de compagnie, notamment le chat qui partage avec elle le mystère inquiétant de la nuit, la puissance du regard, un autre rapport au monde comme dans L’Adorable Voisine. Signe de sa proximité avec la nature et de sa capacité à tisser des liens avec le non humain, la sorcière peut aussi communiquer avec les animaux, faire corps avec les plantes, se métamorphoser en être vivant ou en tempête, en tout ce qui pique, rampe, s’infiltre, échappe au contrôle et qui est dans la culture occidentale associé au sauvage, non domestiqué, au sombre, transgressant ainsi toute une série de catégories et de lois dont la société moderne a hérité dans sa tentative de mise en ordre du monde. Ainsi dans Maléfique, la sorcière peut commander la croissance des ronces et, dans Blanche-Neige elle peut apparaître sous forme de tempête. Cette association entre végétaux mal-aimés et aléa climatique fait aussi grimper des plantes rampantes le long des murs de la maison de la sorcière amoureuse mais seule dans Big Fish.
Aujourd’hui, dans les luttes écoféministes, c’est dans cet ensemble de disqualifications que la sorcière va puiser sa puissance en s’emparant du féminin, du corps, des fluides, de la nuit et du « sauvage » pour revendiquer à cette partie du vivant le droit d’exister, pour interroger les catégories et les assignations, dans l’espoir de défaire la société de ces dominations. C’est tout le combat de la jeune héroïne dans Les Nouvelles Aventures de Sabrina ou encore de la célèbre Maléfique. Dans ce film, la sorcière est une victime d’un futur roi, rongé par la peur et l’ambition du pouvoir. Mutilée (l’homme a coupé ses ailes puissantes), elle se recroqueville dans son monde jusqu’au moment où une guerre éclate. Son univers peuplé de créatures étranges et riche d’une végétation luxuriante s’oppose à celui des humain·es, patriarcal, urbanisé et corrompu. Victorieuse, elle pourrait accéder au trône mais elle n’en fait rien. Elle le cède à sa protégée. Elle ne souhaite pas le pouvoir, seulement le droit d’exister, elle et son monde.
Historiquement, les femmes qualifiées de « sorcières » s’inscrivaient dans une culture païenne et orale. Quand nous étions sorcières dépeint avec poésie ce monde fait de sorts, de poésie, d’histoires de liens avec les morts transmises de mère en fille, dans l’intimité du secret.
Outre les personnages un peu caricaturaux, foncièrement « bons » comme la femme de Ma sorcière bien aimée ou foncièrement « mauvais » comme celle de Blanche-Neige, les sorcières les plus intéressantes sont des personnages plus ambigus et nuancés comme dans Maléfique ou comme Yababa dans Kiki la petite sorcière qu’il s’agit de découvrir et de comprendre en allant à sa rencontre. Ou encore comme celle de Season of the Witch : une femme qui passe ses journées seule à la maison dans une zone résidentielle de banlieue aux Etats-Unis dans les années 1950 pendant que son mari travaille, et qui se réapproprie son identité grâce à la figure de la sorcière. Un seul point commun généralement entre toutes les sorcières du cinéma, qu’elles soient en colère ou amoureuses, seules ou mariées, vengeresses ou guérisseuses, puissantes ou maladroites : elles apparaissent toujours à l’écran comme étant « différentes » ou hors-normes et portent en elles quelque chose d’un « autre monde ».
Crop Top – Aloïse Sauvage
Insoumises, pour quoi faire?
Pour être libres, pour faire taire
La violence du système, je l'espère
Que s'ouvrira la nouvelle ère
Sorcières, sorcières, sorcières, oh yeah
Sorcières, sorcières, sorcières, yeah-yeah-yeah
On s'transformera, boy, tu verras ce sera fascinant (oh, fascinant)
Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de cris ni moindre bain de sang (oh, bain de sang)
Comment est-on encore bloqués dans le monde d'avant? (Le monde d'avant)
L'égalité avec toi, mon ami, mon amant
...
Image de bannière : Les Sorcières d'Akelarre de Pablo Agüero
Pour poursuivre la réflexion sur les différentes représentations de la sorcière :
Master Class consacrée aux sorcières enregistrée dans le cadre du BIFFF 2022 avec Camille Ducellier (artiste multimédia), François Dubuisson (ULB) et Frédérique Müller (PointCulture) :
Et le podcast du Miam des Médias, l’émission du PointCulture sur les ondes de Radio Campus Bruxelles :
Retrouvez davantage de films et de contenu dans la publication : Quand sorcières et désobeissant·e·s s'emparent des enjeux environnementaux
Prochains évènements :
- le 8 septembre à 15 h au foyer culturel de Doische dans le cadre des journées du matrimoine
- le 20 septembre à 18 h à la bibliothèque-médiathèque le Phare à Uccle