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Îles (1) : Au large

bandeau iles 01 - Au large
Tout au long de l'été, chaque Vendredi – jour de la semaine pas du tout choisi au hasard ; hommage à Daniel Defoe et tous les Robinson – PointCulture vous emmène en expédition littéraire, musicale et cinématographique sur les îles. Un premier épisode marqué par l'approche, encore depuis la pleine mer, avant de mettre pied à terre dès la semaine prochaine.

Sommaire

Une île, c’est d’abord une ombre sur l’horizon de la mer. Une ombre qui grossit, s’étale, prend du relief et des couleurs au rythme de l’approche, puis, à un moment, la silhouette se dresse et se fige ; alors elle ne fera que grossir au fil de l’heure. — Olivier de Kersauson, préface à « L’Atlas des îles abandonnées »

Judith Schalansky : Atlas des îles abandonnées (2009)

Judith Schalansky - Atlas des iles abandonnees - double page - Arthaud

Judith Schalansky - Atlas des iles abandonnees - couverture - Arthaud

Vivant actuellement à Berlin, mais née en 1980 près de la Baltique en Allemagne de l’Est de l’époque, Judith Schalansky est une écrivaine, éditrice et conceptrice de livres (book designer). Ayant « grandi avec les atlas », elle accorde « une attention toute particulière à la conception matérielle et graphique de ses livres – y compris de ses romans – en en concevant la couverture, la mise en page et la typographie » (d’après www.actes-sud.fr). Pour son ouvrage le plus connu, son Atlas der abgelegenen Inseln (2009) publié depuis en anglais, en polonais, en français (y perdant au passage son sous-titre « Cinquante îles où je n’ai jamais mis – et ne mettrai jamais – les pieds »), elle conjugue les atouts du livre qu’on feuillette et regarde et du livre qu’on lit. Pour chacune des îles, une double page reprend sa fiche signalétique, son histoire, sur la page de gauche et une très belle carte à la façon des anciennes cartes de navigation sur la page de droite.

En écho avec son avant-propos intitulé « Le paradis est une île. L’enfer aussi. », Schalansky raconte le destin de cinquante « miettes de terre quelque part dans l’immensité océane », peuplée de scientifiques, d’esclaves naufragés (île Tromelin), de prisonniers (île Norfolk), d’un dentiste-ermite (Floreana, Galápagos), d’un gardien de phare se proclamant empereur (île Clipperton), d’une aventurière autrichienne s’y muant en impératrice (Floreana encore)… Des petits bouts de territoires éloignés des centres de pouvoir où peuvent naître une tentative de microcommunisme harmonieux (Tristan da Cunha) mais où peuvent aussi régner, à l’écart des lois du continent, le viol, le meurtre, le cannibalisme, les essais nucléaires ou le saccage écologique. [PD]


Andrew Pekler : Sounds from Phantom Islands (Faitiche)

Andrew Pekler - phantom islands - screenshot

Les îles fantômes sont des territoires recensés dans des récits de voyages anciens, parfois répertoriés sur des cartes géographiques à un moment de l’histoire, mais dont l’existence n’a jamais été confirmée dans les faits. Au cours de plusieurs siècles de navigation et d’exploration, un certain nombre de ces îles sont apparues, parfois sorties de l’imagination des marins, parfois issues d’une erreur de calcul ou d’une illusion d’optique. Quelques-unes auraient même été visitées et leur faune, leur flore et les habitants décrits dans les moindre détails. Situées quelque part entre le mythe, la fiction et l’anomalie, elles constituent un mystère qui ne peut qu’attirer les anthropologues comme les artistes.

andrew pekler phantom island - pochette du disque - faitiche

Le musicien Andrew Pekler s’est basé sur les travaux de Stefanie Kiwi Menrath à ce sujet et a développé un site interactif présentant sous forme sonore et visuelle une cartographie de ces îles, imaginant leur paysage sonore sur base des légendes et des descriptions souvent fantaisistes laissées par les voyageurs. Associant musique électronique, évocations exotiques et field recordings, chaque île fantôme est figurée par un univers sonore particulier permettant à l’auditeur de naviguer à travers un archipel fictif d'enregistrements de terrain et d'interconnexions musicales et ethnologiques. Une version non-interactive a également été publiée sur disque par le label Faitiche. [BD]

http://andrewpekler.com/phantom-islands/

https://we-make-money-not-art.com/phantom-islands-a-sonic-atlas/

https://andrewpeklerfaitiche.bandcamp.com/album/sounds-from-phantom-islands


Chants de marins – rythmer la navigation

À l’époque des bateaux à voile, les chants de marins étaient très importants : ils rythmaient et synchronisaient le travail en équipe – charger les bateaux, hisser les voiles, ramer, remonter ou descendre l’ancre, pêcher... Leur structure est simple (des couplets entrecoupés d’un refrain ou d’une phrase qui se répète), et la mélodie facile à mémoriser. Ils sont en général a cappella, sauf quand il s’agit de divertissement et de détente ; ils peuvent alors être accompagnés d’instruments comme le violon ou l’accordéon, ou plus spécifiques selon les traditions. Ces chants sont extrêmement variés et entonnés par des marins du monde entier : chants des pêcheurs d’éponge des Bahamas, des pêcheurs de perles de Bahreïn ou encore des pêcheurs de Corée. Mais ce sont les traditions françaises et anglo-saxonnes qui sont les plus connues ; il existe même un label entièrement dédié à ce sujet : Le Chasse-Marée. Divers groupes, tout particulièrement bretons, se sont spécialisés dans ce répertoire (Cabestan, Tonnerre de Brest…), ainsi que de nombreux chanteurs de la période folk dans les années 1970 (June Tabor, les Clancy Brothers…). Le succès du film Pirates des Caraïbes a ravivé l’intérêt dans ces morceaux, et deux disques de reprises par des chanteurs du milieu rock sont sortis sur le label Anti- en 2006 et 2013, donnant une nouvelle fraîcheur à ce répertoire traditionnel. [ASDS]


Patrice Franceschi : La Boudeuse – Les Aventuriers des îles oubliées (2001)

patrice-franceschi-è-la-barre-de-la-boudeuse

Cette série documentaire en 7 parties retrace, à la manière d’un journal de bord, la campagne d’exploration « L’Esprit de Bougainville » (1999/2001) à bord de La Boudeuse, une réplique fidèle d’une jonque chinoise de haute mer du 19e siècle. Le capitaine Patrice Franceschi – écrivain, baroudeur et explorateur – et son équipage ont modernisé et transformé cette jonque en navire d’expédition, et l’ont baptisée du nom de la frégate de Louis-Antoine de Bougainville, le premier Français qui ait accompli un tour du monde au 18e siècle (une circumnavigation autour du monde d’autant plus remarquable qu’elle fut menée à des fins scientifiques et non militaires ou commerciales).

Durant deux années, prêts à braver l'inconnu et animés de l'esprit des Lumières, ces aventuriers de la connaissance partent à la découverte de sites encore partiellement inexplorés au tournant du millénaire : les îles méconnues de l'Insulinde (dans les mers d’Asie du Sud-Est). Dans ces îles aux noms on ne peut plus exotiques (ou au large de celles-ci) – Bornéo, Sumatra, Palawan, Komodo, etc. –, les missions se révèlent très diverses, selon les étapes. Des scientifiques (spéléologues, volcanologues, naturalistes ou encore zoologistes) rejoignent l’équipage pour une durée déterminée : étude ethnographique sur des populations traditionnelles, recherche de nouvelles espèces (faune et flore), plongée sous-marine, exploration du parcours souterrain d’une rivière, approche de volcans pour y placer des capteurs, etc. [MR]


Ariane Michel : Les Hommes (2006)

Les premières images sont celles d’un monde encore inconnu plongé dans une lumière spectrale. Les contours nous échappent, la mer et le ciel semblent se confondre, la ligne d’horizon est à peine perceptible. L’approche est silencieuse, voire inquiétante. Des formes laiteuses surgissent. L’image est flottante ; les bris de glace nous indiquent que nous sommes sur un bateau. Parmi les floes, apparaissent bientôt des signes de vie : ici un phoque, là un ours polaire. Nous sommes dans le Grand Nord.

Puis, le point de vue s’inverse. C’est l’île qui semble (se) regarder : ses rochers, ses terres, sa côte (et un minuscule bateau au loin). Apparaissent alors d’autres formes de vie, plus familières celles-là, bien que lointaines dans un premier temps… : des hommes. La caméra, proche ou distante, scrute leurs mouvements, toujours posée au niveau du sol (quelquefois derrière des rochers comme pour les épier) ou en flottement, et fixe en silence ce qui se joue entre eux. Observés individuellement ou en groupe, leurs déambulations nous semblent aussi mystérieuses que les mouvements qui animent les morses, les bisons, les guillemots ou les sternes, tous filmés – y compris le paysage – avec autant d’attention que les humains.

Les scientifiques vont et viennent, observent, enregistrent, mesurent, prennent des notes. Mais, chose cocasse qui se dégage de leur étrange ballet (les seules paroles que nous entendrons arrivent à la toute fin du film), le point de vue adopté nous les fait apparaître comme les « sujets » d’observation de l’île et comme des visiteurs étranges par les bêtes qui y vivent… Une expérience visuelle singulière qui nous invite à regarder nos semblables comme s’il s’agissait d’une espèce inconnue.

Note : le film a été réalisé à bord du voilier Tara lors de l’expédition Ecopolaris 2004 du Groupe de recherche en écologie arctique (GREA) au Groenland. [MR]


Roger Donaldson [/ Vangelis] : The Bounty (1984)

The Bounty, un goût de paradis – Un simple voyage. Se rendre à Tahiti et ramener les fruits de l’arbre à pain pour l’acclimater dans les Antilles afin d’y nourrir les esclaves : tel est le projet que le lieutenant de vaisseau William Bligh doit mener à bien à bord du HMS Bounty.

Plusieurs conflits éclatent entre l’équipage et Bligh, qui opère régulièrement des rationnements mal acceptés. Au Cap Horn, une violente tempête de trente jours contraint le Bounty à passer par le cap de Bonne-Espérance. Quand ils débarquent à Tahiti, la mauvaise saison les force à rester plus longtemps que prévu. Les marins, dont le second, Fletcher Christian, nouent des liens avec les Tahitiennes.

Lors du retour, Bligh ne supporte plus le relâchement de la discipline et inflige des humiliations et des sanctions de plus en plus dures, à tel point que la moitié des marins se mutine. Fletcher Christian débarque Bligh et, avec les autres mutins, gagne l’île Pitcairn.

Après Chariots of Fire, Blade Runner, Missing et Antarctica, Vangelis signe la bande originale du film de 1984, The Bounty. Le titre d’ouverture impose une ambiance lourde qui augure, prima facie, l’issue dramatique du scénario. La musique commence avec un do, répété avec obstination (celle de Bligh sans doute). Trois notes de synthés s’ajoutent entre des chocs métalliques réverbérés au maximum, tandis que Vangelis produit des effets de ruissèlement avec le séquenceur.

Cape Horn commence par de longues nappes de sons angoissants, ponctués par deux notes, puis part en vrille dans une improvisation cacophonique, dissonante et tumultueuse, marquée par des coups de timbale et de gong. La tempête après la mer d’huile.

Le thème du Bounty est décliné tout au long du voyage, oppressant, nostalgique ou apaisé, avec un tempo plus libérateur en clôture du film.

L’album contient également des rythmes traditionnels du Pacifique et des musiques des îles d’outre-Manche, dont le célèbre « The Water Is Wide », interprété par Barry Dransfield, au chant et au violon. [DMo]


Jonathan E. Steinberg et Robert Levine : Black Sails (2014-2017)

À l'abordage ! - Dès les débuts de l’histoire du cinéma, les films de pirates ont envahi les écrans ; les années 1950 et 1960 ont été particulièrement prolifiques. Ils ont pris le relais de livres et romans écrits aux 18e et 19e siècles, créant dès les débuts les clichés qui se retrouveront dans tous les films. Les divers épisodes de Pirates des Caraïbes ont rafraîchi le genre, mais la série Black Sails est bien plus intéressante. Elle relate la vie du Capitaine Flint et de son équipage pendant l’âge d’or de la piraterie (début du 18e siècle). Durant quatre saisons, elle a permis d’aborder divers sujets qui touchent à la vie des pirates, réels ou imaginaires. Tout commence évidemment sur l’eau, sur le bateau, qui parcourt les océans – enfin les eaux turquoises de la mer des Caraïbes – à la recherche d’un galion espagnol, l’Urca de Lima, transportant un inestimable trésor. Les scènes de navigation par tous les temps mais aussi de batailles se succèdent. La série ne se limite pas à la mer, elle montre aussi la vie à New Providence (Nassau) aux Bahamas où se rassemblent les marins et corsaires pour faire du commerce, ainsi que les communautés des marrons, les esclaves qui ont fui les plantations. Le personnage du Capitaine Flint est inventé, mais il rencontre des pirates qui ont réellement existé : Anne Bonny, Jack Rackham ou encore Barbe-Bleue. Aventure, combats d’épée, exotisme et une touche de romance sont les éléments principaux de cette série très addictive ! [ASDS]

Black Sails, une série américaine en quatre saisons, produite entre 2014 et 2017

saison 2 - saison 3 - saison 4


Joachim Rønning et Espen Sandberg : Kon-Tiki (2012)

Surtout connus pour la réalisation du dernier volet de la franchise Pirates des Caraïbes, les Norvégiens Joachim Rønning et Espen Sandberg nous gratifiaient, en 2012, d’un biopic sur le navigateur Thor Heyerdahl : Kon-Tiki.

Le film retrace la trajectoire de cet individu aux multiples casquettes, aussi anthropologue et archéologue, depuis son premier voyage zoologique aux îles Marquises à l’expédition qui le fera connaître sur le plan international. Déterminé à étayer sa thèse selon laquelle les territoires de Polynésie française auraient été peuplés par une vague migratoire venue d’Amérique latine, Thor Heyerdahl parvient à convaincre un modeste équipage de s’embarquer avec lui à bord d’un radeau pour une épopée de près de 8000 kilomètres au fil de l’eau.

Partis du Pérou le 28 avril 1947, après l’édification d’une embarcation en troncs de balsa selon les méthodes traditionnelles précolombiennes, ces aventuriers de l’impossible parviennent enfin aux abords du récif de Raroia, dans l’archipel de Tuamotu, après cent et un jours de navigation plus ou moins hasardeuse. Ne disposant que d’une perche de manguier pour tout gouvernail, c’est davantage sous l’allure de naufragés dérivant au gré des caprices de l’océan Pacifique que sont dépeints les protagonistes de la fiction de Joachim Rønning et Espen Sandberg. À ceci près que tout se déroule exactement comme le prévoit leur capitaine, personnage mû par des motivations diverses allant de sa foi indéfectible en Tiki, le dieu inca du soleil, à sa quête personnelle de gloire… [SD]


Gianfranco Rosi : Fuocoammare, Par-delà Lampedusa (2016)

Lampedusa est ce petit bout d’Italie aux confins sud de l’Europe, un ridicule caillou de 20 km² peuplé d’à peine 6000 habitants, à mi-chemin entre Malte et la Tunisie. Une frontière, invisible mais opaque et infranchissable, entre eux, les migrants, et nous, Européens…

Fuocoammare… le documentaire est davantage une tranche de vie hivernale de quelques insulaires dans un petit port italien « presque » comme les autres, si ce n’est qu’il est situé sur la ligne de fracture entre deux mondes qui « tendent » à s’éloigner l’un de l’autre. « Welcome (?) to Lampedusa » !

D’un côté, les locaux : un grand bambin, espiègle et attachant, Samuele, passe son temps à fabriquer un lance-pierres pour tuer des oiseaux, et à faire le tour de l’ile en barque pour dompter sa méfiance de l’eau ; une vénérable dame vaque à ses tâches ménagères en écoutant des airs populaires italiens choisis par le DJ de sa radio locale favorite ; des pêcheurs qui sortent par tous les temps. Qui plus est, ce gros rocher de Lampedusa, saisi dans ses parures d’hiver, ciel plombé et humidité venteuse, prend par moments l’aspect d’une île de la Manche !

De l’autre, une tragédie qui se joue tout à côté, dans les eaux dites territoriales. Des opérations de sauvetage et de regroupement de réfugiés, que Rosi filme en longs plans fixes très cadrés comme pour en neutraliser la potentielle charge émotionnelle et voyeuriste. La Méditerranée est un cimetière en devenir.

Mais, même là, au plus fort des incertitudes et par-delà les réflexes de regroupement ethniques spontanés provisoires, un simple ballon de foot a encore le pouvoir de redonner l’illusion d’un possible vivre ensemble… [YH]


Umberto Eco : L’Île du jour d’avant (1994)

umberto eco - l'île du jour d'avant

Dans ce roman à tiroirs, complexe et foisonnant, Umberto Eco abandonne son héros, Roberto de la Grive, un espion à la solde du cardinal Mazarin, sur un bateau ancré au large d’une île. Piégé parce qu’il ne sait pas nager, son personnage est condamné à observer de loin les événements se déroulant à terre. Or, l’endroit où il se trouve naufragé a une caractéristique un peu particulière : il est situé sur le 180ème méridien, celui du changement de date. Selon qu’on se trouve à l’est ou à l’ouest de cette ligne imaginaire, on se trouve soit la veille, d'un côté, soit le lendemain de l’autre côté. De simple formalité conventionnelle dans la réalité, ce principe devient très réel pour Roberto qui se voit contraint d’élaborer des calculs savants pour savoir que ce qu’il voit sur l’île est en fait ce qui s’est passé le jour d’avant.

Umberto Eco réalise comme à son habitude un roman multiforme où la recherche scientifique, l’évocation du passé (à la fois la vie du personnage mais aussi l’histoire de la navigation et de l’exploration) et la spéculation poétique s’entrechoquent. Le jour d’avant y devient la métaphore centrale par laquelle le héros comprend que son salut n’est pas de franchir l’espace mais de naviguer dans le temps. [BD]


Debussy, Satie, Poulenc : trois embarquements pour Cythère (1905, 1917, 1951)

L’île de Cythère est située en mer Égée, à quelques encablures du Péloponnèse. Selon la mythologie, c’est sur ses rives qu’est née la déesse de la beauté et de l’amour, fruit d’une fécondation qui n’a pourtant rien à voir avec le sentiment amoureux ! Lorsque le dieu Cronos trancha le sexe de son père Ouranos, de la semence s’en écoula et tomba dans la mer. Ainsi naquit Aphrodite/Vénus.

Cernée par une mer émeraude, bordée de falaises escarpées, de gorges sauvages et de plages dorées, Cythère a tout pour faire rêver. Elle a offert à de nombreux artistes matière à création. « S’embarquer pour Cythère » est devenu synonyme d’avoir un rendez-vous galant. En 1717, le peintre Antoine Watteau s’inspira de l’île pour en tirer deux tableaux : Pèlerinage à l’île de Cythère (1717) et Embarquement pour Cythère (1718). Il lançait ainsi le genre des fêtes galantes, évocation picturale de réunions ludiques entre aristocrates, mêlant les jeux de société à ceux de la séduction, plaisirs intimes représentés au grand air, dans des décors naturels foisonnants et dans des mises en scène tirées de la commedia dell’arte.

"L'Embarquement pour Cythère" - Antoine Watteau - wikimedia

Plusieurs œuvres musicales ont été inspirées par ces tableaux et par l’imaginaire bucolique qu’ils évoquaient :

Debussy – L’Isle joyeuse, pour piano (1905)

Si la référence officielle de cette pièce est bien Cythère, c’est l’île de Jersey qu’elle dépeint en réalité, là où Debussy et la cantatrice Emma Bardac vécurent des amours clandestines durant l’été 1904, prélude à une union maritale. Dans une partition colorée et virtuose, il illustre avec génie le miroitement de l’eau par de courts motifs serrés, des trilles, des ornements souples et rapides qui évoquent l’élément liquide semblant s’écouler des doigts du pianiste comme l’eau entre les rochers.

Satie – Embarquement pour Cythère, pour violon et piano (1917)

Tout autre est l’atmosphère de cette courte musique de chambre : d’un tempo lent, elle est écrite dans un rythme binaire très marqué, comme pour insister sur des pas de danse paysanne. Empreinte d’une certaine rigidité, la musique serait-elle à l’image de ce monde révolu peint par Watteau et pétrifié par le temps ?

Poulenc – L’Embarquement pour Cythère, pour deux pianos (1951)

Cette très courte pièce pour duo de piano (2’15 environ), destinée au film d’Henri Lavorel Le Voyage en Amérique, transpose les réjouissances du XVIIIème siècle réservées à l’aristocratie dans l’univers de la guinguette et du bal musette. Les guinguettes étaient des établissements destinés à un public populaire et familial, situés pour la plupart en banlieue parisienne – pour échapper aux taxes – où l’on pouvait se restaurer, danser et… courtiser. La miniature composée par Poulenc, dans son tempo virevoltant, nous emmène plutôt au Moulin de la Galette d’Auguste Renoir que sur l’île idéalisée de Cythère. [NR]



Une médiagraphie de l'équipe rédactionnelle de PointCulture : Anne-Sophie De Sutter, Nathalie Ronvaux, Philippe Delvosalle, Simon Delwart, Benoit Deuxant, Yannick Hustache, Daniel Mousquet et Marc Roesems.



Un feuilleton estival en 8 épisodes

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