Jazz et musique de films | une playlist
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Miles Davis : Ascenseur pour l'échafaud (1957)
À la fin des années 1950, le producteur Marcel Romano fit venir Miles Davis en Europe pour une tournée de trois semaines. L'idée était de réaliser, dans la foulée, un court-métrage sur le génial trompettiste, mais le projet tomba à l'eau. Néanmoins, Jean-Paul Rappeneau, chef de l'équipe technique, travaillait alors sur le film policier, Ascenseur pour l'échafaud, du jeune réalisateur Louis Malle et proposa à Miles Davis d'en créer la musique.
Rendez-vous fut pris le 5 décembre 1957 dans l'ambiance décontractée d'un studio parisien, où Miles Davis et ses musiciens (qui revenaient alors de tournée) improvisèrent de dix heures du soir à deux heures du matin sous les yeux ébahis de l'équipe du film.
Un classique du genre était né, mais Miles Davis ne renouvellera pas l'expérience. (CT)
Duke Ellington : Anatomy of a Murder (1959)
Quand en 1959 Otto Preminger demanda à Duke Ellington de composer une musique pour son film Anatomy of a Murder, celui-ci était déjà célèbre et avait une carrière prolifique. Il avait contribué à quelques films mais c'était la première fois qu'il participait à une aussi grosse production, qui est aussi une des premières à utiliser le jazz comme accompagnement musical. Pour ce drame judiciaire, il créa un score virtuose interprété par son orchestre, soutenant les ambiances oscillant entre noirceur et légèreté, accentuant tensions et commentant parfois l'action de manière ironique. Les thèmes sont déclinés sous différentes formes tout le long du score. Il s'agit d'un jazz classique, de la grande époque des big bands. Pour la petite histoire, Duke Ellington lui-même apparaît dans le film sous le nom de Pie-Eye. (ASDS)
Henri Mancini : The Pink Panther (1963)
Compositeur prolifique au talent indéniable, Henri Mancini aura obtenu au cours de ses 40 ans de carrière 70 nominations aux Grammy Awards (20 Grammy reçus), 18 nominations aux Oscars (4 statuettes emportées), ainsi qu'un Golden Globe, trois titres de docteur honoris causa et l'un ou l'autre prix plus ou moins prestigieux pour sa centaine de musiques pour le cinéma et la télévision.
En 1964, après Breakfast at Tiffany's, Days of Wine and Roses ou encore Charade, il signe l'air qui le fera définitivement entrer dans l'inconscient collectif : le thème de La Panthère Rose de Blake Edwards, avec lequel il collabore depuis 1957. Henri Mancini sera nommé aux Oscars, mais ne l'emportera pas cette fois-là, ce qui ne fut pas un drame : au dire de ses proches, le compositeur était l'une des personnes les plus agréables de Hollywood. D'ailleurs, lorsqu'il se sut atteint du cancer, il rassura son entourage avec beaucoup de calme et de sérénité. « I've had a very good life », rappela-t-il à ses proches, avant de s'éteindre le 14 juin 1994 à l'âge de 71 ans. (CT)
Lalo Schifrin : Les Félins (1964)
S’il y a bien un compositeur de musique qui a des affinités avec le jazz, c’est Lalo Schifrin. Il fut repéré par un certain Dizzy Gillespie, qui l’engagea comme pianiste. On ne peut pas rêver mieux comme parrain ! Mais Schifrin a plus d’une corde à son arc : il a reçu en Argentine un enseignement classique par Juan Carlo Paz, Enrique Barenboim, et son père Enrique Schifrin. En 1963, il décroche un contrat sur le label Verve, ce qui lui permet de travailler avec des grosses pointures du jazz telles que Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Stan Getz et Count Basie.
Il se sentait malgré tout attiré par un autre univers, celui de la musique de film. Son agent a joué les entremetteurs avec la M.G.M, qui avait un projet en cours, le film Les Félins de René Clément. Schifrin, grand amateur de films noirs, sauta sur l’occasion.
Ce film est un véritable laboratoire pour le compositeur, il fait cohabiter la musique symphonique, le jazz et le traitement électronique du son. Cette partition est le point de départ d'une carrière fructueuse, sa véritable marque de fabrique qu’il reproduira sur d’autres films (Bullit, Dirty Harry,…).
Quelques mois plus tard, Lalo Schifrin a réutilisé le matériel du film pour produire l’album The Cat de Jimmy Smith. (TM)
Sun Ra : Batman and Robin (The Sensational Guitars of Dan & Dale) (1966)
Ce disque n'est pas à proprement parler une musique d'un film, ni même d'un dessin animé, mais il mérite sa place dans cette collection. En 1966, une compagnie de jouets de Newark aux États-Unis publie un disque, Batman & Robin, pour profiter du succès de la série animée d'Adam West, qui passait à la télévision à l'époque. Les interprètes crédités sur la pochette étaient les « Sensational Guitars of Dan & Dale » mais, et il fallut plusieurs années pour le découvrir, il s'agissait en fait de Sun Ra (le roi du « cosmic jazz », au style souvent dissonant et atonal, bizarre et compliqué) et son groupe Arkestra, et du groupe rock psychédélique Blues Project d'Al Kooper. Ce disque a été l'occasion pour ces artistes d'improviser ensemble de manière anonyme. Pour réduire au maximum les frais, les thèmes étaient basés sur des pièces classiques de Chopin ou Tchaïkovski, qui étaient dans le domaine public. Mais cela ne veut pas dire que la partition est symphonique, loin de là ! L'ensemble se rapproche plus d'un disque de surf de Dick Dale, avec son déferlement de guitares, tout en intégrant également des riffs ou des bouts de phrases de chansons des Beatles, du jazz, du rhythm'n'blues, enfin bref tous les genres présents à l'époque ! Tout le disque est instrumental sauf les chansons « Batman's Theme » et « Robin's Theme », peut-être interprétées par June Tyson, une des chanteuses du groupe de Sun Ra. (ASDS)
Herbie Hancock : Blow-Up (1967)
Le pianiste et compositeur Herbie Hancock était âgé d'une vingtaine d'années et accompagnait Miles Davis depuis trois ans lorsqu'il fut approché par Michelangelo Antonioni, dont le film Blow-Up était sur le point d'être achevé. Pour ce qui allait devenir son chef-d'œuvre, le réalisateur souhaitait une bande originale discrète et naturelle, presque inexistante, mais, en grand amateur de jazz, il voulait cette musique-là pour accompagner ses images.
Herbie Hancock passa plusieurs semaines à Londres, mais n'y trouvant pas de musiciens adéquats, il retourna à New York pour s'entourer de la crème de la crème du jazz américain. C'est donc avec Jimmy Smith, Joe Henderson, Jack DeJohnette ou encore Jim Hall qu'il termina les enregistrements.
Arrivé à la première du futur film-culte, quelle ne fut pas la déception du jeune compositeur de ne pas y entendre la moitié de ses titres. Une injustice réparée par le label Vintage, qui ressortit les grands absents du film, mais aussi par le groupe Deee-Lite, dont le tube « Groove is in the heart » reprend la ligne de basse de « Bring down the birds », l'un des nombreux titres écartés par Antonioni. (CT)
Lalo Schifrin : Bullitt (1968)
Non content d’avoir dépoussiéré le film de détectives grâce, entre autres, à l’excellent Steve McQueen, Bullitt, du Britannique Peter Yates, s’offre une bande originale de toute première catégorie par le non moins excellent Lalo Schifrin. Le compositeur argentin pose ici les bases de ce qui deviendra vite sa marque de fabrique, à savoir la mélodie qui fait mouche à grands renforts de thèmes jazzy et de cuivres percutants. Le résultat est une musique résolument sixties et néanmoins tout à fait intemporelle.
Inventant un nouveau genre de film d’action, Bullitt reste l’une des pièces maîtresses du cinéma populaire des années 1960. Pour son rôle de flic désabusé, Steve McQueen troque l’imperméable pour un col roulé noir, les poursuites en voiture remplacent les coups de téléphone et les ambiances musicales austères d’antan cèdent la place aux mélodies entêtantes d’un Lalo Schifrin en très grande forme.
Après des études musicales à Buenos Aires, Lalo Schifrin découvre le jazz à Paris dans les années 1950 et se lie d’amitié avec des musiciens comme Michel Legrand et Stéphane Grappelli. De retour en Argentine, il rencontre Dizzy Gillespie, dont il devient l’arrangeur, et commence sa carrière de compositeur pour la télévision et le cinéma à Hollywood en 1965 avec The Cincinnati Kid de Norman Jewison (et déjà avec Steve McQueen). Avant de signer aussi les inoubliables bandes originales de Dirty Harry et de Mission impossible. (CT)
Art Ensemble of Chicago : Les Stances à Sophie (1970)
Il s'agit là d'un des films les plus obscurs et méconnus de la Nouvelle Vague, pour ne pas dire un bide. Sa bande originale regroupe les membres du Art Ensemble of Chicago, ainsi que le batteur Don Moye et la chanteuse-pianiste Fontella Bass (épouse du trompettiste Lester Bowie).
Contrairement à d'autres bandes originales, celle-ci semble se suffire à elle-même. Le fait est qu'elle fut écrite et enregistrée avant le tournage, au cours d'une période particulièrement créative du groupe, qui s'était jusque là illustré dans le free jazz. Ici, le chant de Fontella Bass et la constance de la section rythmique apportent par moments une dimension soul et rhythm'n'blues, marquant un tournant dans la carrière du Art Ensemble of Chicago.
Longtemps restée introuvable, Les Stances à Sophie, seule bande originale du groupe, fut rééditée en 1990, 30 ans après son enregistrement. (CT)
Bernard Herrmann : Taxi Driver (1976)
Après ses années auprès d'Alfred Hitchcock, puis de François Truffaut (Fahrenheit 451 et La Mariée était en noir), Bernard Herrmann rencontre le jeune Martin Scorsese en 1975. Le compositeur ne sait pas encore que sa musique pour Taxi Driver sera la dernière qu'il enregistrera, et sa bande-son étrangement sensuelle renforcera l'atmosphère troublante du film, qui obtiendra la Palme d’or à Cannes en 1976. Le saxophone suit les allées et venues de l’étrange et solitaire Travis Bickle dans les rues de New York, soulignant son caractère instable.
Taxi Driver est porté par une partition remarquable de jazz symphonique. Il semblerait que Bernard Herrmann ait lorgné sur les travaux d’Alex North, pour lequel il avait beaucoup d’admiration. Malgré de graves problèmes cardiaques, Bernard Herrmann achèvera les enregistrements pour Taxi Driver le 23 décembre 1975 avant de mourir la nuit-même, à l'âge de 64 ans. (CT)
Ornette Coleman & Howard Shore : Naked Lunch (1991)
Naked Lunch est la sixième collaboration entre le réalisateur David Cronenberg et le compositeur Howard Shore, pour la transposition du roman réputé inadaptable de Williams Burroughs Le Festin nu.
Pour illustrer ce film sans queue ni tête, le compositeur utilise comme source d’inspiration le free jazz, musique aux antipodes de la « normalité », faisant appel au saxophoniste Ornette Coleman (Howard Shore était saxophoniste au sein du groupe The Lighthouse à la fin des années 1960). Il a greffé sa musique orchestrale froide et atonale autour des improvisations de Coleman. The Naked Lunch est une bande « originale » à l'atmosphère pesante et poisseuse, totalement différente de la partition lissée du Seigneur des anneaux. (TM)
Une playlist réalisée à partir de textes écrits en 2008 à l'occasion des 100 ans des musiques de films par Catherine Thiéron, Thierry Moutoy et Anne-Sophie De Sutter.