La Collection | Musiques classiques et contemporaines, 5 coups de cœur
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Rhené-Baton : Chamber Music for Piano and String – Wolferl Trio
Quelle bonne idée de faire paraître en CD la musique de chambre de René (Emmanuel) Baton dit Rhené-Baton (1879-1940). Directeur de l'Orchestre de la Résidence de La Haye, de l’Orchestre Pasdeloup puis de l'Orchestre radio-symphonique de France, il assura la création de nombreuses compositions de ses contemporains : Debussy, Ravel, Mossolov, Roussel, Magnard, ou encore Ropartz. Ses activités de chef d’orchestre ont malheureusement totalement occulté celles du compositeur qu’il était aussi. Auteur de multiples mélodies, de pièces orchestrales et concertantes et de musique de chambre, il s’est toujours tenu à l’écart des révolutions stylistiques radicales du XXème siècle. Sa musique était pourtant bien à l'écoute de son temps, influencée par celles d'un Debussy, d'un Jean Cras ou d'un Maurice Ravel, et qu'il voulait accessible au plus grand nombre, dans sa volonté de démocratisation de la musique. Fondateur de l’Association des compositeurs bretons, son œuvre, souvent à dominante modale, célèbre aussi la musique populaire de la Bretagne.
Pour cet enregistrement, le Wolferl Trio a jeté son dévolu sur quelques pièces jamais enregistrées, comme le superbe Trio à clavier. Un bel hommage pour ce compositeur injustement oublié.
Olivier Messiaen – L'Ascension, Le Tombeau resplendissant, Offrandes oubliées, Un sourire – Paavo Järvi
Nouvellement nommé directeur du Tonhalle-Orchester Zürich, Paavo Järvi réalise un enregistrement consacré aux œuvres de jeunesse de Messiaen (1908-1992), auxquelles s’ajoute Un sourire, composé en 1991 pour le bicentenaire de la mort de Mozart, un hommage à l’esprit du Viennois plus qu'à son style. On remarque que, dès ses premières œuvres, Messiaen crée un langage harmonique original et très personnel, qui ne cessera de s’affûter tout au long de son parcours, marqué à la fois par son métier d’organiste, sa passion de l’ornithologie et sa foi profonde. Rythmicien, coloriste, harmoniste, pédagogue, Messiaen aura formé et influencé une génération entière de compositeurs. Les trois œuvres symphoniques figurant sur ce disque sont inspirées par cette religiosité dont il ne se détournera jamais. Le poème symphonique Offrandes oubliées date de 1930. Conçu en trois strophes figurant la croix, le péché et l’Eucharistie, il est une longue méditation autour de l’énoncé : « Vous nous aimez, doux Jésus, nous l’avions oublié ». L’année suivante, Messiaen compose Tombeau resplendissant, regard désillusionné sur sa jeunesse, d’où surgit pourtant l’espoir d’une rédemption. L’Ascension, œuvre plus ambitieuse, voit le jour en 1932-1933, suivie l'année suivante par sa transcription pour orgue. Inspirées par les Écritures, les quatre méditations qui composent la pièce sont confiées à des pupitres de l'orchestre distincts. La Prière du Christ montant vers son Père, final de la composition, est jouée par les cordes, avec de nombreux passages en accords parallèles évoquant de manière impressionniste l’ascension du Christ.
La morte della Ragione – Giovanni Antonini – Il Giardino Armonico
Giovanni Antonini et Il Giardino Armonico ont ici enregistré un large panorama de la musique instrumentale européenne des XVème et XVIIème siècles. Y sont convoqués des compositeurs qui ont marqué la Renaissance musicale tant en Italie et en Angleterre qu’en France et dans les Flandres. Une pavane anonyme aux rythmes enfiévrés donne son titre à l’album. La « mort de la raison » évoque la première définition que donnait Érasme de la folie : celle qui délivre l’âme des tourments et « la plonge dans une volupté multipliée ». Son pendant négatif, sous l’inspiration des Furies vengeresses, pousse les hommes à guerroyer. Le programme a été constitué à l’image de ces deux notions : pour évoquer le pouvoir de l’émotion sur la raison, des rythmes endiablés, des contrepoints complexes et des dissonances de plus en plus osées ; pour illustrer l’amour de la guerre, les battaglia aux airs de fanfares et aux accents guerriers. Au centre du programme figure « De tous biens playne », une chanson très en vogue à cette époque, d’abord dans la version originale de son créateur Hayne van Ghizeghem, puis dans cinq autres variantes composées par Josquin des Prés et Alexandre Agricola selon l’art de la diminution. Ce procédé consistait à conserver la ligne mélodique principale, appelée teneur et écrite en notes longues, puis de lui adjoindre une ou plusieurs lignes d’accompagnement en valeurs « diminuées », c’est-à-dire plus courtes. Tout un panel de moyens d’écriture est mis en œuvre, révélant l’inventivité de ses auteurs respectifs : hoquets, rythmes et types d’attaques divers, contrepoints novateurs…
Il faut aussi saluer l’interprétation pleine de couleurs de l’ensemble, qui a mis au service des œuvres un instrumentarium d’une grande richesse : cornets à bouquins, flûtes, harpes, vielle, trombone, orgue, clavecin et cordes frottées se succèdent ou se combinent, augmentant encore le plaisir de l'écoute. Un de nos coups de cœur de ce début d'année…
Jacques Offenbach – Duos pour violoncelle – Xavier Phillips, Anne Gastinel
Nés tous deux en 1971, les deux violoncellistes français ont uni leur talent pour mettre en lumière un pan peu connu de l’auteur de La Belle Hélène et des Contes d’Hoffmann. Jacques Offenbach fut en effet un violoncelliste de grand renom. Ne le surnommait-on pas « le Liszt du violoncelle » ? Il était aussi un pédagogue renommé. Parmi les six volumes du Cours méthodique de duos pour deux violoncelles paru entre 1839 et 1855, Xavier Phillips et Anne Gastinel ont sélectionné six duos, classés parmi les plus techniquement complexes. Sans révolutionner le langage de l’instrument, Offenbach a insufflé, à ces études à deux, humour et poésie. Elles sont construites de manière à solliciter tour à tour prouesse technique et art délicat de l’accompagnement. La complicité des deux musiciens se révèle sans conteste dans ces pages sans prétention mais de bonne facture.
David Achenberg – Bleu Ébène – Quatuor Tana
L’album Bleu Ébène est le fruit d’une belle collaboration entre le compositeur et les musiciens du Quatuor Tana. En 2011, David Achenberg croise la route, lors du Festival Ars Musica, du tout jeune ensemble et leur propose ses deux premiers quatuors à cordes. Séduit, le Tana commandite les deux suivants. Les quatuors n° 1 à 3 forment un premier triptyque, taillé dans un matériau commun mais subissant des métamorphoses. Tandis que le premier sonne de manière assez classique, le second voit apparaître des composants bruitistes comme des tapotements de doigts sur la touche, des grincements, des frottements qui évoquent l’envers du décor, les coutures de la création. Le troisième, plus radical encore, intègre la microtonalité.
Le quatuor n°4 inaugure un deuxième triptyque dans lequel l’électronique s’invite. Son titre Bleu Ébène évoque sa double nature : bleu suggère le courant électrique et ébène le bois. Sous la forme de fichiers pré-enregistrés, la bande magnétique est enclenchée selon les indications de la partition par une pédale confiée au premier violon. La musique est ici plus aléatoire : rythmes et accords et lignes mélodiques imprécises, juste suggérées par une notation libre…
Depuis le début de sa formation, le Quatuor Tana s'est orienté vers la musique contemporaine et les nouvelles technologies. Ils sont régulièrement les dédicataires de nouvelles œuvres comme celles de David Achenberg, de Jacques Lenot ou de Baudouin de Jaer. Une belle réussite.
Nathalie Ronvaux