La Commune de Paris - 150 ans - Une playlist
Sommaire
Musiques et littérature
La Commune en chantant - Mouloudji, Francesca Solleville, Armand Mestral
Beaucoup de révolutions ont créé leur chansonnier, puisé dans la colère, la douleur, l’espoir aussi. La Commune de Paris, si courte fût-elle, n’a pas fait exception. Cet album collectif, sorti pour le centenaire de la Commune en 33 tours, est le couronnement d'un spectacle inspiré par le livre éponyme de Georges Coulonges. Il rassemble une série de chansons ayant été composées pendant la Commune ou dans une période proche. Certaines furent parfois écrites lors d'un retour d'exil, d'autres – comme le Temps des cerises – datent d'une époque antérieure. La plupart rendent compte des conditions de vie des communards et des évènements qui aboutirent à la Semaine sanglante. Comme pour la Révolution française de 1789, les chansons circulaient par feuilles manuscrites ou imprimées à la diable. Les textes étaient souvent précédés de la mention de l'air sur lequel il fallait le chanter. Eugène Pottier, Jean-Baptiste Clément, Jules Jouy, Paul Burani et beaucoup d'anonymes ont contribué à fournir ces chants de raillerie et de révolte. C'est une page d'histoire qui se retrouve tout entière dans ce disque. (NR)
La Commune - Georges Brassens
Hommage aux communards - Après avoir écrit des chroniques régulières pour Le Libertaire, c’est par les textes de ses chansons que Georges Brassens a pu continuer à exprimer ses idées et ses aspirations. La Commune, ce grand idéal de libération humaine, ne pouvait qu’attirer ce pacifiste pour qui l’anarchisme n’était pas seulement de la révolte mais plutôt "un amour des hommes". En 1969, Ferré, Brel et lui avaient imaginé donner un concert où ils reprendraient, à la fin, « Le Temps des cerises » en se donnant la main. C’est en solo qu’il rend ici hommage aux communards, une chanson de Louis Marchand et Aristide Bruant, écrite en 1910. (DMo)
Le Temps des cerises - Juliette Gréco et Marc Ogeret
Bien que la chanson n’ait pas été composée à l’occasion de la Commune, mais cinq ans plus tôt lors d’un voyage en Belgique de son auteur, Jean-Baptiste Clément, elle est fortement associée aux événements. Une première raison en est que Clément lui-même a participé aux combats aux côtés des communards. Une autre est qu’il y ajouta par la suite une dédicace « À la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. » Plusieurs sources racontent l’histoire de cette jeune fille du peuple, d’une vingtaine d’années, venue se proposer comme infirmière volontaire. Malgré les protestations des défenseurs de la barricade, qui l’exhortaient à rentrer chez elle se mettre à l’abri, elle resta à son poste durant les affrontements les plus meurtriers. Nul ne sait ce qu’il advint d’elle par la suite. Personne n’a jamais su son nom. On a souvent pensé qu’il s’agissait de Louise Michel, qui a elle-même rejeté cette interprétation. Comme cela arrive avec certains textes, la chanson avait alors résonné avec l’actualité, et plusieurs passages – parlant de « plaies ouvertes », de « cerises (…) tombant en gouttes de sang » – ont été interprétés comme des métaphores des combats et des victimes. La musique d’Antoine Renard, à la fois entrainante et mélancolique, encourage encore cette ambigüité. (BD) Photo: Jean-Baptiste Clément par Nadar (1900)
Sant Trofima - Lo Còr de la Plana
La Commune de Paris ne se limite pas à Paris ! En effet, après le 18 mars 1871, diverses villes du pays ont installé leur Commune, comme par exemple à Marseille, qui a proclamé la sienne le 23 mars. Elle a été très courte et s'est terminée par trois jours de lutte, entre le 4 et le 6 avril. Neuf ans plus tard, en 1880, un certain Michel Capoduro publie un recueil de chansons provençales et françaises qui comprend le morceau "Sant Trofima". Ironique et anticlérical, ce texte fait référence aux barricades du 4 avril 1871. En 2012, le groupe marseillais Lo Còr de la Plana sort le texte des archives où il était enfoui et compose un morceau portant le même titre. (ASDS)
La Nouvelle Babylone - Dimitri Chostakovitch (1929)
Le compositeur russe est âgé de 22 ans mais a déjà connu le succès deux ans auparavant avec sa Première symphonie (qui l’a libéré de son travail alimentaire… d’accompagnateur de films muets) lorsqu’on lui demande d’écrire la musique du film La Nouvelle Babylone de Kozintsev et Trauberg. Il n’a que quelques semaines pour composer une heure et demie de musique pour une quinzaine d’instruments. Il prend le parti de jouer régulièrement la carte du contrepoint – voire du contrepied – plutôt que de l’illustration et met sur papier « une musique virtuose, sarcastique, canaille, avec ses emprunts à Offenbach (French cancan oblige !) et à la Marseillaise » (Jean-Christophe Le Toquin, resmusica.com). Mais l’univers sonore du film comporte aussi de beaux moments calmes qui viennent ponctuellement – et à des moments assez imprévus – rompre avec le tumulte et le lyrisme, comme cette très belle scène de prise de conscience de la défaite qui s’annonce et de piano solo sur la barricade. Deux semaines avant la première du film, Trauberg et Kozintsev chamboulèrent leur montage et poussèrent le compositeur à réagencer la musique en moins de dix jours ! [PD]
L'Insurgé - Jules Vallès (Livre lu)
Jules Vallès (1822-1885), journaliste et écrivain français, fait partie des communards qui se sont emparés de la mairie du XIXème arrondissement en octobre 1871. L'Insurgé est le dernier tome d'une trilogie autobiographique où l'auteur, sous les traits de Jacques Vingtras, relate avec verve le combat qu'il a mené pour imposer ses idées politiques proches de l'anarchisme et clairement anti-impériales. Dans un style virulent et imagé, il livre un témoignage précieux de ces semaines meurtrières et exprime ce qu'il nommait ses "colères politiques", qui lui valurent de nombreuses incarcérations. La lecture de Jean-Luc Debattice, comédien et musicien liégeois à la voix grave et rocailleuse, traduit bien la vivacité du texte et les accents désabusés de son auteur. (NR)
Cinéma et documentaire
Louise Michel la rebelle - Solveigh Anspach (France, 2010)
Deux ans après les terribles affrontements dont la ville de Paris fut le siège, la « Vierge rouge » débarque sur les rivages de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce destin peu enviable, on peut cependant dire qu’elle a eu de la chance. On ne l’a pas fusillée, comme tant d’autres au pied des barricades. Et voilà qu’elle tient bon durant l’effroyable traversée qui, avec des milliers d’autres, l’emporte au loin pour avoir combattu contre les troupes de Bismarck puis celles de Versailles. À peine débarquée sur l’ile qui la retiendra captive pendant 7 ans, jusqu’en 1880, date de l’amnistie, on la voit se dresser dans toute sa fierté pour refuser le traitement de faveur réservé aux femmes. Égalitariste, Louise Michel l’est dans tous les domaines. Et c’est bien l’intérêt de ce biopic tourné pour la télévision qui, circonscrit aux années de déportation, s’en remet à cette parenthèse insulaire (spatiale, temporelle et historique) pour installer le personnage dans une plus grande variété de luttes. Fille naturelle d’une servante et de son employeur, institutrice de métier, Louise Michel est l’incarnation du combat contre l’injustice sous toutes ses formes. À l’avant-garde de son époque en matière d’écologie, d’anticolonialisme et, bien entendu, de féminisme, ses positions sont aussi intuitives que solidement argumentées. Beaucoup de choses ont été racontées sur cette femme devenue un mythe, au point que la part effective de son action dans les événements de la Commune fait aujourd’hui débat, mais là où la légende ne trompe pas, c’est dans l’intégrité dont elle fit montre tout au long de sa vie, en alignant dispositions littéraires et pédagogiques avec la radicalité de l’engagement politique. (CDP)
La Nouvelle Babylone - Leonid Trauberg et Grigori Kozintsev : (URSS, 1929)
S’il est exact, comme l’a dit Hugo, que l’œuvre épique est de l’histoire écoutée aux portes de la légende, alors ‘La Nouvelle Babylone‘ est le seul film épique authentique du cinéma. — Henri Langlois, conservateur historique de la Cinémathèque française
Sorti en URSS en 1929, La Nouvelle Babylone est un film de propagande exaltant dans une perspective marxiste le mythe de La Commune et l’abordant de manière épisodique et parcellaire, du début de la guerre franco-prussienne de 1870 à son écrasement et à l’exécution des communards par la justice expéditive de la « Semaine sanglante » de fin mai 1871. Mais le film – qui tire son titre du nom d’un grand magasin fictif où se déroule en partie l’action et où travaille la vendeuse Louise, interprétée par Elena Kouzmina, la future actrice d’Okraïna et Au bord de la mer bleue de Boris Barnet – est beaucoup plus qu’un vulgaire film de propagande. Par la qualité de son image, son jeu sur le net et le flou, ses clairs-obscurs, l’inventivité des cadrages, la virtuosité du montage, le film nous rappelle à quel degré de sophistication virtuose était arrivé le cinéma à la toute fin de l’ère du muet, une inventivité que le septième art ne retrouva peut-être jamais depuis. La Nouvelle Babylone est aussi marqué par le jeu de ses actrices et acteurs – liés à la FEKS, la Fabrique de l’acteur excentrique, fondée, entre autres, par Trauberg et Kozintsev à Petrograd en 1921 et qui entendait détruire l’art bourgeois par le biais d’arts folkloriques et populaires comme le cirque, le cabaret et le carnaval – et par un jeu outrancier empruntant à la pantomime, à la caricature et au clownesque. Mais la caricature et le jeu d’acteur grimaçant ne peuvent bien sûr pas être déroulés sur l’heure et demie que dure le film, sinon elle annihilerait ses propres effets. Au contraire, dans une optique très dialectique soutenue par la musique d’un jeune Dimitri Chostakovitch, La Nouvelle Babylone est un film de contrastes et de guerre des classes, très moqueur de la frivolité et de la violence par procuration de la bourgeoisie, mais montrant aussi particulièrement bien – dans la retenue, dans de simples regards ou attitudes du corps – la fatigue ou la désillusion des classes laborieuses. [PD]
La Forteresse assiégée - Gérard Mordillat (France, 2006)
Docu-fiction, autant que réflexion sur la nature profonde de la guerre (moderne) et comment penser celle-ci, La Forteresse assiégée part sur les traces d’un soldat, Charles-Henri Mondel (Patrick Mille) isolé de son régiment dans le chaos d’une armée française en pleine déroute, et qui se retrouve à Bitche, l’un des rares bastions à tenir tête aux Prussiens et à leurs alliés.
Conçu comme une saga télévisuelle tournée sur les lieux mêmes de l’action, le film interroge en direct les acteurs, tant diplomatiques, civils que militaires, aussi bien Français qu’Allemands, du drame en train de se jouer. Une guerre (méconnue) à propos de laquelle le même Patrick Mille s’enquiert, quelque cent cinquante années plus tard, auprès d’historiens, des enjeux d’époque et des conséquences à moyen et long terme de cette cinglante défaite (pour la France). Une défaite qui surpris tous les observateurs d’époque.
Car en 1870, la France est à nouveau un empire (le second, et ce depuis 1851) avec toujours un Napoléon (III) à sa tête (un neveu de Bonaparte). Elle est à nouveau une puissance économique, diplomatique et militaire en Europe continentale. Une hégémonie que lui conteste une Prusse en pleine ascension économique et militaire, sous l’égide de son chancelier Otto von Bismarck.
Celui-ci va piéger la France (la fameuse dépêche d’Ems) et la pousser à une guerre à laquelle elle n’est pas prête, malgré les fanfaronnades de ses généraux. Nantis de l’expérience glanée lors de deux conflits récents (contre le Danemark en 1864 et l’Autriche en 1866), les Prussiens battent une première fois les Français en Alsace-Lorraine puis encerclent l’armée de l’empereur (qui abdique) à Sedan. Et Paris est bientôt encerclée…
Mais le grand état-major allemand, qui comptait sur ces batailles d’anéantissement rapides pour « liquider la guerre », doit rapidement déchanter. Le 4 septembre, la république est proclamée et décide de poursuivre la lutte, qui ne s’achèvera que le 28 janvier 1871. Date à laquelle les troupes de la forteresse de Bitche résistent encore vaillamment dans leur réduit.
À Versailles, l’Empire allemand est proclamé le 18 janvier et les territoires de l’Alsace-Lorraine seront intégrés au IIème Reich, jusqu’en 1919.
Un conflit effacé des mémoires mais qui, à la fin du XIXème siècle, début XXème, nourrira un vibrant esprit de revanche qui jouera beaucoup dans la course vers la guerre de l’été 1914. (YH)
La Commune (Paris 1871) de Peter Watkins (France - 1999 - 5h45)
Pour évoquer cette période insurrectionnelle qui dura 72 jours, des premières émeutes de mars 1871 jusqu'à la Semaine sanglante de fin mai, Peter Watkins, fidèle à sa manière si particulière d’envisager un film, réalise une fiction historique avec acteurs (non professionnels) et figurants en costume, décors reproduisant l’atmosphère du XIe arrondissement), racontée comme un documentaire contemporain (caméra à l’épaule, dans l’action, au sein des participants au film). Entre les scènes, des intertitres apportent les éclairages nécessaires à la compréhension de l'action.
Il voulait "insuffler à l’histoire figée des historiens, l’énergie épique de l’immédiateté". Mais sa chronique des événements ne s’arrête pas là. Pour raconter la Commune, il fait intervenir des éléments anachroniques et montre une télévision aux ordres (Télévision Nationale Versailles) qui débite des informations lénifiantes, tandis qu’une télévision libre (la Télévision Communale) jaillie du Paris insurgé s’efforce de capter la fureur populaire.
En montrant les événements filmés comme à la télévision, le film ne traite pas seulement de ce formidable sujet de manière vivante. C’est aussi l’occasion pour le cinéaste de s’interroger sur le pouvoir des mass médias et leur rôle dans la diffusion de messages formatés au service d’une mondialisation inégalitaire, ne laissant que peu de place pour la pensée ou la remise en question de la société de consommation.
Les Damnés de la Commune - Raphaël Meyssan - BD (2017-2019) et documentaire (France 2021)
Raconter l’Histoire « par le bas », à travers les yeux de ceux qui l’ont vécue. Bien plus que d’un léger souci d’ajustement, ce parti-pris témoigne d’une nécessité de réparation, en particulier pour ce qui concerne l’insurrection populaire de la Commune, dont l’histoire officielle n’a voulu retenir que la version des vainqueurs. C’est que le mythe national ne tient pas à savoir que les bases de la République française reposent sur un bain de sang. Et comment concilier l’image de la ville lumière avec celle d’un charnier à ciel ouvert ? Sous quel angle aborder la guerre franco-prussienne qui l’a précédée ? Et qu’a-t-on fait de la mémoire de ceux qui, il y a 150 ans et pendant 72 jours, se sont battus pour un régime plus égalitaire, soutenant l’idée d’une république démocratique et sociale contre celle de l’ordre défendu par le gouvernement de Versailles ? Créer cet espace de mémoire, c’est la tâche qui occupe depuis de nombreuses années Raphaël Meyssan, graphiste passé par science po. À partir de centaines de gravures contemporaines aux événements, l’auteur a entrepris de raconter cette histoire, d’abord en bande-dessinée, aujourd’hui sous la forme d’un long métrage d’animation. Des images qui, mises en relation avec des écrits eux aussi d’époque, offrent un accès privilégié à ce qu’ont vécu les communards, eux qui, au jour le jour, étaient sans connaître l’issue tragique vers laquelle ils se dirigeaient. Le résultat de ce travail est une présentation inédite des événements, complémentaire des mises à jour des historiens actuels sur une matière, aujourd’hui encore, lourde et opaque. Numérisées, découpées et remontées avec un sens du mouvement d’emblée cinématographique, les gravures constituent le socle visuel d’un récit placé à hauteur du peuple. Dans cet effort de réparation qui préside à la mise en avant des subjectivités, une femme conduit le récit, une femme qui n’est pas Louise Michel, seul nom féminin que le narratif officiel ait daigné retenir. Mais Victorine Brocher a bel et bien existé et sa participation est loin d’être un cas unique dans une révolte qui a su par ailleurs rassembler des franges de citoyens jusque-là exclus de la scène politique. Brancardière du bataillon des Enfants perdus, Victorine a connu l’espoir, la guerre, les affrontements, la mort. Miraculeusement réchappée de la tourmente, c’est en Suisse qu’elle a rédigé ses Mémoires. Sa voix, à laquelle Yolande Moreau prête la sienne avec ce phrasé spécial qui n’appartient qu’à elle, ouvre une partition habitée qui, en amenant de la nuance dans le récit des faits, tend un fil de délicatesse entre l’individu et le collectif. (CDP)
La BD est publiée aux Éditions Delcourt.
La Commune de 1871 - Réalisation d'Olivier Ricard – Scénario et texte de Cécile Clairval-Milhaud (France, 1971)
Ce film a été tourné pour la télévision en 1971 pour célébrer le centenaire des événements. Bien qu’austère dans son apparence – rappelant pour certains d’entre nous ce que fut la télévision scolaire – le documentaire permet de mieux appréhender ce que fut la Commune et d’où elle vient, retraçant les événements depuis la déclaration de guerre de la France (sous le Second Empire) à l’Allemagne le 19 juillet 1870 jusqu’aux derniers jours sanglants de cette insurrection populaire, en mai et juin 1871. À l’aide d’archives (dessins, caricatures, journaux) et de témoignages dits par des comédiens, le film tente de restituer l’incertitude de cette page de l’histoire (lorsqu’elle ne dépend que de quelques hommes) et le tragique des événements. (MR)
Ont collaboré à cette médiagraphie : Catherine De Poortere, Anne-Sophie De Sutter, Philippe Delvosalle, Benoir Deuxant, Yannick Hustache, Daniel Mousquet, Marc Roesems et Nathalie Ronvaux