La mémoire et la maladie d’Alzheimer
Sommaire
Marie Béchaux : La Fleur à moustaches (2015)
La Fleur à moustaches n’est pas un documentaire « sur » la maladie d'Alzheimer, mais se veut plutôt une porte d’entrée « vers » le ressenti d’une personne qui en est atteinte, en l’occurrence ici la grand-mère de la réalisatrice. Cette dernière se livre sans détours sur son intimité, non sans malice et humour, parfois avec une pointe d’angoisse ou d’énervement. Oscillant entre des images évoquant l’enfermement (porte, cadre, barrière,) ou les méandres du cerveau humain (arbres tortueux), entre des paysages de brouillard (sentiment d’opacité), ou des évocations de directions (chemins, vols d’oiseaux migrateurs), le film nous offre, entre deux conversations intimes, des instants de pause, symboles de ce déséquilibre permanent, au cœur même du vécu quotidien du patient. Poignant, original et poétique… (EB)
La musique, signée Gustave Mahler, est un véritable hommage à l’amour et à l’humanité :
Bertrand Hagenmüller : Prendre soin (2019)
Regards bienveillants. Mains qui se touchent pour réconforter. Confidences intimes qui apaisent. Le réalisateur-sociologue fait de son film une ode aux liens tissés jour après jour, entre des résidents d’une maison de retraite atteints de la maladie d’Alzheimer et des soignants. Ces derniers ne se limitent pas à des gestes techniques mais exercent souvent leur métier par passion. Ils déploient des trésors de patience, d’écoute et de créativité pour répondre aux questions, mais aussi et surtout pour être là. Au final, un condensé d’instants intenses riches d’amour, de bienveillance, d’entraide (même entre les résidents !), qui n’élude cependant pas les moments de fragilité et de souffrance. La vie, telle qu’elle est. Douloureuse ou lumineuse. Jusqu’au bout. (EB)
Bill Morrison : Decasia : The State of Decay (2003)
Decasia est un film expérimental considéré comme une méditation sur la décomposition, la détérioration et la désintégration, tant sur le plan visuel que sur le plan symbolique. La particularité de Decasia réside dans l'utilisation de séquences d'archives de films anciens qui ont été trouvées dans des conditions de détérioration avancée. Ces images proviennent de bobines de films abîmées par le temps, la moisissure ou d'autres formes de dégradation physique. Au lieu de restaurer ces images, Bill Morrison a choisi de les incorporer telles quelles dans son film, préservant ainsi l'esthétique de leur déclin. Expérience visuelle et sonore captivante qui explore la beauté et la fragilité de la mémoire visuelle. Le spectateur est entraîné dans un voyage hypnotique à travers des images qui se fanent, se déforment et se transforment sous ses yeux. La détérioration des images peut être perçue comme une métaphore de l'impermanence de la vie, de la mémoire et de l'histoire. (JDL)
Michael Haneke : Amour (2012)
Michael Haneke fait partie de ces réalisateurs qui nous ont habitués à un cinéma brutal et inconfortable, qui malmène son spectateur en le plaçant irrémédiablement face à lui-même, où les tabous et les malaises sont mis en exergue à l’aide d’une caméra qui frôle parfois le voyeurisme. Avec Amour, tout en gardant cette caméra qui nous force à regarder là où on aimerait ne pas poser les yeux, il laisse plus de place à une émotion nourrissante. Car le film porte bien son nom. Quelle plus belle preuve d’amour que l’accompagnement de l’être aimé en fin de vie tout en affrontant la maladie et la démence ? (HG)
Florian Zeller : The Father (2020)
Épouser le chaos intérieur d’un vieil homme souffrant d’un Alzheimer, telle est l’intention louable qui s’exprime tout au long de ce récit en forme de huis clos. Interprétée par deux actrices, la fille du malade est le personnage le plus déboussolé de l’histoire. Son regard tantôt éploré, tantôt agacé, tantôt raisonnable et puis paniqué reflète assez fidèlement les sentiments mêlés qui naissent à la fréquentation d’une personne sénile. Dans la mise en scène de ce face-à-face filial, un doute surgit : qui regarde qui ? Qui imagine quoi? (CDP)
Richard Eyre : Iris (2001)
John Bayley vit depuis plus de quarante ans avec Iris Murdoch, célèbre romancière qui a marqué la scène littéraire britannique. Il se souvient de leur passé commun, des pages qu’ils ont écrites ensemble. Il fut acteur et spectateur du monde mystérieux et anticonformiste dans lequel elle vivait à l’époque. Mais aujourd’hui elle s’éloigne, elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le livre se referme avec ces phrases, ces mots, qui ont été pour elle les symboles de liberté. « Que reste-t-il de nos amours, que reste-t-il de ces beaux jours ? », comme cette chanson de Charles Trenet qu’ils écoutent un soir sur la plage. (StS)
Alexander Payne : Nebraska (2013)
Woody Grant, vieil homme taciturne et acariâtre, part avec l’un de ses fils récupérer une grosse somme d’argent, convaincu d’être le lauréat d’une loterie dans le Nebraska. Démence sénile ou Alzheimer ? Le trajet se transforme en pèlerinage ondulant entre le décor avachi de la ville de son enfance et un arrière-goût d’une vie vide de sens, s’estompant dans des illusions perdues. Mais au gré de rencontres, de dialogues avec de vieilles connaissances, les souvenirs ressurgissent, son regard terne s’éclaircit, la relation père fils prend un autre sens. Une comédie touchante en plein cœur de l’Amérique rurale. (StS)
Wash Westmoreland et Richard Glazer : Still Alice (2014)
Brillante linguiste, Alice, la cinquantaine venue, apprend qu’elle souffre d’un Alzheimer précoce. En se faisant le relai de ses paniques, de ses moments de flottement, la caméra s’attache avant tout à suivre un effort, une tentative désespérée pour garder le cap. Façon de ne pas transiger sur la dignité d’une personne qui, quoique très entourée et très aimée, se retrouve inexorablement seule dans le combat qu'elle entend mener contre la perte de ses facultés intellectuelles. (CDP)
Ann Sirot et Raphaël Balboni : Une vie démente (2020)
Peut-on prendre le contrepied des idées accablantes qui naissent dans l’entourage d’un Alzheimer ? C’est la question que se posent Ann Sirot et Raphaël Balboni à travers le personnage de Suzanne, la soixantaine, directrice d’un centre d’art à Bruxelles, atteinte d’une démence dite sémantique. De prime abord, il y a un contraste entre l’évidence du déclin et la légèreté de ton qui signe un film à l’esthétique très recherchée. Il faut voir que ce décalage est bien le fait de Suzanne qui, prompte à s’amuser de toute chose, garde intact son goût pour l’art et le beau. (CDP)
Mia Hansen-Løve : Un beau matin (2022)
En refusant d'adhérer au mouvement brutal d'une maladie qui exile et enferme, Mia Hansen-Løve rompt avec une tendance du cinéma à s'identifier au vertige de la démence. La cinéaste remet Alzheimer à sa place. Elle le cerne de vie, montrant qu'il n'est pas nécessaire ni même souhaitable pour le film de redoubler, avec tout ce que cette opération suppose de fantasme, les mécanismes supposément à l'œuvre dans le cerveau du malade. Laissé à ses contours flous et tremblants, celui-ci reste un personnage à part entière, c'est-à-dire une énigme de laquelle il faut répondre, à défaut de pouvoir lui répondre. (CDP)
William Basinski : The Disintegration Loops (2001)
Le concept de The Disintegration Loops est à la fois simple et profond. William Basinski a travaillé avec des boucles de bandes magnétiques anciennes qu'il avait enregistrées dans les années 1980. Cependant, ces bandes avaient commencé à se détériorer et à se décomposer physiquement en raison du passage du temps. Plutôt que de chercher à restaurer ces enregistrements fragiles, Basinski a décidé de les laisser se désintégrer et de les enregistrer à nouveau pendant leur processus de dégradation. Il a utilisé un magnétophone à bande pour lire ces boucles, et au fur et à mesure que la bande passait à travers les têtes de lecture, les particules magnétiques s'effaçaient progressivement, provoquant une altération sonore. Il en résulte une musique ambiante et atmosphérique très émouvante, avec des textures sonores en constante évolution, évoquant une sensation de nostalgie et de perte. (JDL)
The Caretaker : Everywhere at the end of time (2017 – 2019)
Enfant terrible de la scène électronique anglaise, James Leyland Kirby crée en 1999, The Caretaker : un projet qui aborde l’évolution de la démence et la perte progressive de la mémoire. Inspiré par une scène du film Shining, l’artiste glane des extraits de musique de bal des années 1920 et 1930. Son but est de créer des boucles noyées dans de la réverbération, afin de faire ressurgir les fantômes du passé. S’inspirant d’ouvrages sur les processus de la maladie, LJK travailla des compositions pour donner à l’auditeur une sensation de trouble et de perdition. Entre 2014 et 2017 il enregistre un chapitre final : Everywhere at the end of time soit six heures divisées en six étapes, dont les trois premières n’ont d’autre but que préparer l’auditeur aux trois dernières. Toujours en respectant le leitmotiv des musiques du début du vingtième siècle mises en boucle comme des souvenirs accumulés au long d’une vie, il crée le sentiment de perdition à la quatrième partie. Les ratés et les coupures s’accumulent progressivement pour laisser les bruits blancs prendre le dessus à la fin de cet ultime chapitre. Une expérience immersive qui donne une idée du désarroi que vivent les personnes atteintes de démence. (HG)
Références supplémentaires
- Gaspar Noé : Vortex (2021) – VV0617
- Kristof Bilsen : Mother (2019) – TN5290
- Laurence Kirsch : Présence silencieuse (2005) – TN6401
- Emmanuelle Bonmariage : Manu (2018) – TD6220
- Jacques Borzykowski : Garder le fil (2012) – TN3421
- Jean-Albert Lièvre : Flore (2014) – TN3330
- Anne Blamard Blagny / Julie Blagny : La mélodie d’Alzheimer (2014) – TN0393
Une médiagraphie réalisée par Emmanuelle Bollen, Jean De Lacoste, Catherine De Poortere, Henri Gonay et Stanis Starzinski à l'initiative de la Bibliothèque d'Evère.
Pour toute info sur cette médiagraphie : contenu@pointculture.be
Cet article fait partie du dossier Médiagraphies | 2022-24.
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