La Roumanie en musique et au cinéma
Sommaire
Echilibru, dans la peau de l’ours (Ève Cerubini, Jérôme Fatalot et Victor Jullien, France 2018)
Chaque fin d'année, les ours dansent dans les villages des Carpates roumaines. Lors d'une fête ancestrale, les hommes revêtent des peaux d'ours et défilent dans les rues. Ils portent le courage de ce grand prédateur et se donnent la force d'affronter l'année à venir. Dans ce pays où vit la plus grande population d'ours d'Europe, les hommes et les ours se côtoient depuis toujours. Les frontières entre leurs territoires se font aujourd'hui de plus en plus minces. Jusqu'à parfois se confondre... [MR]
Toto et ses sœurs (Alexander Nanau, Roumanie, 2014)
Au cœur d'une famille rom en pleine désintégration, émerge la figure de Totonel, 10 ans, dit Toto. Avec passion, il apprend à lire, écrire et danser. Surtout danser, et gagner le grand concours de hip hop. Au milieu du chaos ambiant, ses deux grandes sœurs (15 et 17 ans) essaient de maintenir le mince équilibre de la famille.
Durant 14 mois, Alexander Nanau a suivi le quotidien et la survie de ces quasi-orphelins, dans un ghetto de Bucarest. La mère des enfants étant en prison, Toto et ses sœurs sont livrés à eux-mêmes, dans un appartement miteux, régulièrement visité par des « amis » venus là se droguer… En évitant toute complaisance (même si quelques scènes peuvent heurter la sensibilité de certains) et tout jugement, le cinéaste réalise un film du point de vue des enfants, à leur hauteur, avec leurs joies et leurs désespérances, qu’ils soient Roms, Roumains ou d’ailleurs. Ce portrait vaut pour ce qu’il dit de l’enfance, un mouvement continu vers l’avant, fragile mais optimiste, malgré tout. [MR]
Gigi, Monica... et Bianca (Benoit Dervaux et Yasmina Abdellaoui, Belgique, 1996)
Monica… elle est comme une pierre. Si elle se casse, le cœur se brise en deux. Comme un cadeau auquel tu tiens. — Gigi, 17 ans
Gigi ? C’est mon amour… Il est tombé du ciel dans le creux de mes mains… — Monica, 15 ans
En deux temps – 1995 : Gigi et Monica, 52 minutes / 1996 : Gigi, Monica… et Bianca, 84 minutes – deux jeunes cinéastes liégeois, Yasmina Abdellaoui et Benoit Dervaux (cadreur derrière la caméra à l’épaule des Dardenne, de La Promesse au Jeune Ahmed), filment l’amour de deux enfants des rues de la bande de la gare du Nord de Bucarest. Trouvant la bonne distance par rapport à leurs personnages, à la fois respectueux et présents, les cinéastes filment un duo devenant un trio par la grossesse de Monica, l’attente de la naissance de Bianca et capte ce que cette transformation met en mouvement en eux. [PD]
L'Europe des écrivains / La Roumanie de... (Alexandru Solomon, France-Roumanie, 2015)
La Roumanie de Norman Manea, Gabriela Adamesteanu, Mircea Cartarescu, Florin Lazarescu
Au-delà de la littérature, la très belle série L’Europe des écrivains invite à s’interroger sur des notions d’identité, de territoires, de culture, etc. Chacun des films trace le portrait d’un pays à travers le témoignage et les écrits de grands auteurs contemporains qui en sont originaires.
Dans le reportage présenté ici, quatre écrivains roumains aux parcours et aux styles variés partagent leurs points de vue sur une jeune nation qui se cherche encore, inquiète, déçue par son image à l’étranger, irritée par sa position périphérique en Europe. [MR]
Gherasim Luca
Né Salman Locker dans une famille juive askhénaze de Roumanie en 1913, le futur écrivain entre en contact avec les langues française et allemande à Bucarest au cours des années 1930, décennie au cours de laquelle il se met à écrire, prend le pseudonyme de Gherasim Luca et participe à la création du groupe surréaliste roumain. Dans les années 1950, il s’installe à Paris où il vivra – apatride – jusqu’à sa mort en 2014.
Dans les années 1960, il commence à donner des « récitals » (selon ses propres termes) où il « s’oralise » et lit lui-même ses poèmes dans une sorte de rituel de transe. Une série d’enregistrements de ces lectures (ou de rares expérimentations voix/électronique), s’échelonnant de 1960 à 1989 sort sortis en CD ou en LP chez José Corti ou Alga Marghen dans les années 2000. Gilles Deleuze et Félix Guattari lui avaient rendu hommage dès 1973, et Athur H. met en musique son poème « Prendre corps » en 2012. [PD]
La Reconstitution (Lucian Pintilie, 1969)
Considéré comme beaucoup comme le meilleur film roumain de l’histoire, La Reconstitution fut pourtant interdit de projection à sa sortie. Avec cette satire sociale à la fois lyrique et violente, Lucian Pintilie s’est imposé comme l’inspirateur d’une nouvelle vague qui, régime communiste oblige, n’éclora que bien des années plus tard. [MA]
12h08 à l’est de Bucarest, Corneliu Porumboiu (2006)
Avec ce premier film, Corneliu Porumboiu aborde un épisode historique – la chute de Ceausescu – sur le mode original de la comédie grinçante. Le réalisateur structure son film en deux parties distinctes : la première expose le sujet et présente les personnages pour le moins truculents ; la seconde, un long plan-séquence, nous livre un débat télévisé non dénué d'humour. Une belle occasion d’apprécier le sens roumain de la dérision ! (MA)
4 mois, 3 semaines et 2 jours, Cristian Mungiu (2007)
Palme d’or à Cannes en 2007, le film de Mungiu oscille entre le grave, le sérieux et le ridicule. Le cinéaste nous offre une étude de mœurs subtile et plus universelle qu’il n’y parait. (MA)
Grigore Lese et les traditions de Transylvanie
Grigore Lese est un musicien originaire de Transylvanie, une région roumaine qui possède un héritage culturel particulier. Les musiques traditionnelles sont extrêmement variées et possèdent une importante fonction sociale. Elles sont en effet interprétées lors des nombreuses cérémonies qui rythment la vie quotidienne. Lese maîtrise le chant de gorge ainsi que divers instruments traditionnels comme les flûtes fluier, caval ou tilinca, les percussions toaca, les grelots zurgalai... et connaît un répertoire étendu de chants de mariages, complaintes, berceuses et airs de bergers. (ASDS)
Taraf de Haïdouks, orchestre tzigane
Le Taraf de Haïdouks est probablement l’orchestre tzigane roumain le plus connu et le plus populaire sur les scènes internationales. Originaire de la région de Clejani, au sud de Bucarest, l’ensemble rassemble plusieurs lautaris – les musiciens populaires qui jouent traditionnellement dans toutes les fêtes du pays – comme Ion Manole, Neculae Neacsu, Ilie Iorga et bien d’autres. Le groupe a été rassemblé et promu par les musiciens et managers belges Stéphane Karo et Michel Winter. Après la révolution de 1989, l’intérêt des mélomanes s’est porté sur les gardiens de la tradition musicale villageoise, parfois appelée musique archaïque, qui officiaient loin des tentations de la capitale. On peut ainsi parler d’une « école de Clejani », qui a produit des dizaines de musiciens reconnus, ayant en commun un style dramatique, au pathos très expressif, fidèle à une esthétique de village. (BD)
Clejani, histoires (Marta Bergman et Frédéric Fichefet, Belgique, 2004)
La cinéaste Marta Bergman est née à Bucarest en 1962. Elle passe son enfance en Roumanie, avant que ses parents ne quittent le pays pour la Belgique où elle étudiera le cinéma à l’Insas et le journalisme à l’ULB. En 2004, plus de dix ans après La Ballade du serpent, une histoire tzigane (1991 – un film que Jacqueline Aubenas décrit comme « Le Temps des Gitans calme, débarrassé de l’hystérie tourbillonnante ») elle retourne, en compagnie de Frédéric Fichefet, prendre le pouls d'un village de Tziganes sédentarisés près de Bucarest. Sous forme d'un impressionnant puzzle familial, diffusant lentement les informations au spectateur, d'un regard ni voyeur ni apitoyé, ils dressent l'état d'une société de plus en plus sous-prolétarisée, d'un mode de survie toujours au bord du gouffre économique. Il y a l'alcool, la drogue, l'adultère, la prison et la mort. Il y a l'omniprésence (une omniprésence en creux, par la négative, ce qu'on pourrait nommer "omniabsence", si le terme existait) de l'argent : l'enlisement dans les dettes d'un musicien jadis riche (du fameux Taraf de Haïdouks) et de sa famille nombreuse, l'enrichissement de la femme usurière, l'achat d'un âne, sa revente, l'achat – impossible – d'un rein pour sauver une femme... Puis, il y a aussi, malgré tout, la vie et la musique. Une musique inséparable de son terreau humain et qui ponctue toute la vie et tout le film. [PD]
Maria Tănase, chansons urbaines
Maria Tănase est reconnue en Roumanie comme une véritable gloire nationale. On compare son impact sur la chanson du pays à celui d’Édith Piaf en France, d’Oum Kalthoum en Égypte ou d’Amália Rodrigues au Portugal. Ses chansons réalistes et dramatiques ont connu un grand succès depuis les années 1930 jusqu’à sa mort en 1963. Contrairement à celui des musiciens de son époque, son répertoire était un mélange de musique traditionnelle roumaine, de chanson « à la française », d’opérette et de tango. Quoique parfaite représentante de la culture urbaine, sophistiquée et cosmopolite de Bucarest dans les années d’entre-deux-guerres, son charisme et l’originalité de sa voix ont fait d’elle un personnage hors norme, aujourd’hui encore révéré par le public roumain. (BD)
Zmei3, indie pop roumaine
Composé de musiciens roumains installés en Angleterre, Zmei3 a publié un premier album atmosphérique, subtil et étonnant mêlant répertoire roumain, sonorités indie pop et jazz. Rough Romanian soul a été entièrement enregistré en Transylvanie et bénéficie de la production de Ian Brennan, qui a collaboré notamment avec Tinariwen et les Malawi Mouse Boys. [IK]
Georges Enesco
Né en 1881 à Liveni, en Moldavie roumaine, et décédé en 1955 à Paris, Georges Enesco est un compositeur mais également violoniste, chef d’orchestre et pianiste. Il a partagé sa vie entre Paris et son pays natal qui lui a inspiré de nombreuses œuvres. La musique traditionnelle roumaine est en effet à la base de plusieurs de ses compositions, comme la « Sonate pour violon et piano n°3 » qui réinvente le folklore. Il utilise notamment une gamme chromatique, de l’hétérophonie et certains intervalles caractéristiques des airs traditionnels, évoquant les improvisations des ensembles tziganes. (ASDS)
Octavian Nemescu
Né en 1940 à Pascani, Octavian Nemescu est un des pionniers de la musique spectrale, et un des principaux compositeurs contemporains de Roumanie. Parmi ses pièces les plus avant-gardistes, on trouve notamment un répertoire de musique électronique réalisée en grande partie chez lui avec quelques instruments et des magnétophones à bande, mais également à l’étranger, comme cette pièce enregistrée à Gand, au studio de musique électroacoustique Ipem. Partisan d’une musique environnementale quoique éminemment narrative, il défend une forme de musique initiatique, rejetant la théâtralité pour mieux retrouver le souffle des spiritualités et des archétypes universaux. [BD]
Rodion G.A., prog-rock électronique
Après une période de relative ouverture dans les années 1960, la Roumanie plonge pendant deux décennies dans les heures sombres de la dictature de Ceausescu. Les artistes et les musiciens jusque là tolérés sont soumis à la censure interdisant non seulement les textes contestataires mais aussi la musique s'écartant du canevas strict de pop-folk nationaliste en vigueur alors, seule autorisée à être joué en public, diffusée sur les antennes nationales, ou publiée par l'unique maison de disque d'État Electrecord. C'est ainsi que Rodion Ladislau Rosca et son groupe, Rodion G.A., ont été cantonnés dans l'obscurité pendant des années, créant dans leur propre mini-studio – bricolé avec un vieil enregistreur à bande Tesla, une boîte à rythmes Vermona et un orgue électrique russe Faemi – une musique psychédélique, mélangeant prog-rock et électronique, dont la majeure partie est ainsi restée inédite pendant plus de trente ans. Très en avance sur son temps, étonnamment en phase avec le krautrock qui révolutionnait la musique allemande à la même époque, le groupe produira quelques singles, malgré le contexte opprimant du pays, mais ne sera reconnu à sa juste valeur que bien plus tard. [BD]
Une playlist collective de PointCulture coordonnée par Anne-Sophie De Sutter
avec les contributions de Michael Avenia, Philippe Delvosalle, Anne-Sophie De Sutter, Benoit Deuxant, Igor Karagozian et Marc Roesems.
Image de bannière : capture d'écran du film 12h08 à l'est de Bucarest de Corneliu Porumboiu