Le cinéma au féminin 1/2 (Cinéma de fiction)
Sommaire
Une médiagraphie de PointCulture rédigée à l’initiative du B3 à Liège dans le cadre des conférences-ateliers Le clap du mardi.
CINÉMA DE FICTION
Alice Guy : Anthologie de courts-métrages vol. 1 (France, 1897-1906)
Pionnière du cinéma longtemps oubliée, Alice Guy a pourtant grandement contribué à l’éclosion du genre. Secrétaire de Léon Gaumont, dont la société, au tournant du XXe siècle, est une des premières maisons de production, elle le convainc d’introduire au catalogue une nouveauté : la fiction. La Gaumont se limitait jusque-là à des films documentaires assez prosaïques, et Alice Guy trouvait, selon ses propres termes qu’« on pouvait faire mieux ». Les courts-métrages qu’on lui a permis de réaliser en marge de son travail, à la condition expresse que son courrier n’en souffre pas, ont ainsi établi les bases du Septième Art. (BD)
Ida Lupino : The Hitch-Hiker (Etats-Unis, 1953)
Le monde du cinéma d’Hollywood n’a que rarement laissé la place à des réalisatrices avant le dernier quart du XXe siècle. On peut cependant citer Dorothy Arzner ou Ida Lupino, plus connue comme actrice bien qu’elle ait réalisé des films comme The Hitch-Hiker en 1953. Thriller tourné en noir et blanc, il suit la prise d’otage de deux hommes par un auto-stoppeur tueur en série. Le film est sans concessions et d’une noirceur extrême : Ida Lupino met en avant une violence latente qui menace d’exploser dans chaque scène, violence encore augmentée par les huis-clos filmés à l’intérieur de la voiture. (ASDS)
Susan Seidelman : Desperatly Seeking Susan (Etats-Unis, 1985)
Si Madonna est la star de Recherche Susan Désespérément, le film tourné en 1985 par Susan Seidelman, c’est le personnage de Rosanna Arquette qui est le plus intéressant. Suite à une commotion cérébrale, elle perd la mémoire et oublie tout de sa vie d’épouse au service de son mari, s’ennuyant dans sa maison cossue de banlieue. Au fil des indices qu’elle rassemble, elle se découvre une autre personnalité, bien plus libre et plus excentrique. Le film est aussi un fabuleux témoignage du New York de l’époque, une ville sale, peu sûre, très brute mais déjà totalement multiculturelle et bouillonnante de créativité. (ASDS)
Agnès Varda : Sans toit ni loi (France, 1985)
Sous l’œil documentaire d’Agnès Varda, la très jeune Sandrine Bonnaire devient Mona, personnification errante d'une liberté impossible à vivre. Fondée sur une enquête de terrain, l’histoire de cette jeune femme sans abri est une fiction découpée en 12 travellings conduits par des témoignages. En charge de la voix off, la réalisatrice ne cache pas ce qu’elle doit à la femme de lettres Nathalie Sarraute. Suivant les prescriptions du Nouveau Roman, son film ne cherche pas à compenser par le lyrisme ce que son personnage rejette de toutes ses forces. (CDP)
Kathryn Bigelow : Point Break (Etats-Unis, 1991)
Il aura fallu attendre 2010 pour qu’une femme reçoive l’Oscar de la meilleure réalisatrice. Pourtant la carrière de Kathryn Bigelow avait déjà commencé dans les années 1980. Point Break, réalisé en 1991, est un film d’action plein de testostérone et de surf, mettant en scène Patrick Swayze comme braqueur de banque et Keanu Reeves comme jeune recrue du FBI prêt à tout pour arrêter les gangsters. Les choix de la réalisatrice rendent ce film d’action un peu différent : Reeves est plus sensible que la moyenne des héros américains, Swayze est le méchant qu’on veut aimer, et il y a une claire alchimie entre les deux. (ASDS)
Angela Schanelec : Après-midi [Nachmittag] (2007)
Angela Schanelec a travaillé pendant dix ans comme actrice de théâtre avant d’entamer des études de cinéma. Elle est aujourd’hui considérée, aux côtés de Christian Petzold ou de Thomas Arslan, comme l’une des figures de proue de « L’École de Berlin » qui a redynamisé le cinéma allemand à la fin des années 1990. En trois après-midi, dans une maison au bord d’un lac en périphérie de Berlin, une famille (un jeune écrivain, sa mère – jouée par Schanelec elle-même –, un oncle, un amour de jeunesse) se retrouve… sans jamais vraiment se retrouver, sans que les liens ne prennent le dessus sur leur solitude. Une adaptation libre et sensible de La Mouette de Tchékhov. (PD)
Ann Hui : The Way We Are (Hong-Kong, 2008)
Kwai vit dans un petit appartement avec son fils à Tin Shui Wai, un quartier des Nouveaux Territoires de Hong Kong. Ils ne se parlent quasi pas. Au supermarché où elle travaille, elle rencontre Grand-Mère Leung qui vit seule dans la même tour. Une relation d’amitié se crée entre les deux femmes. Ann Hui, réalisatrice de la nouvelle vague du cinéma hongkongais, filme la vie de tous les jours, sans trop d'histoire, dans un mode quasi-documentaire. Elle met en scène avec beaucoup de tendresse et de bienveillance des personnes plus âgées, des « madames tout-le-monde » qu'on ne remarque pas. (ASDS)
Kelly Reichardt : La Dernière piste [Meek’s Cutoff] (Etats-Unis, 2010)
L’Amérique au temps des pionniers est un territoire qui s’entrouvre, et un peuple qu’on élimine sans égard pour ses langues et ses valeurs. La Dernière Piste met en relief ce point de basculement où la nature et ses habitants se voient durablement relégués au statut de décor, de simple espace d’approvisionnement. Kelly Reichardt prend la liberté d’imaginer le renversement de ce modèle en filmant son récit du point de vue des femmes, elles qui, établies à l’arrière du convoi, se tiennent à l’écart des instances décisionnelles. Par l’entremise de l’une d’entre elles se pose alors l’éventualité d’une trajectoire alternative. La suite pourrait être le sujet d’une uchronie : que se serait-il passé si les colonisateurs avaient suivi la voie de l’Indien ? (CDP)
Lynne Ramsay : We Need to Talk About Kevin (Etats-Unis, 2011)
Les Etats-Unis, pays de l’individu-roi et des tueries de masse perpétrées par une jeunesse en déshérence, est le cadre au sein duquel Lynne Ramsay brode l’histoire taboue d’une mère et d’un fils dont les sentiments mutuels confinent à la haine. Mais We Need to Talk About Kevin opère en zone grise : l’évolution de la relation des protagonistes y est dépeinte par petites touches dont on finit par perdre de vue la cause première. Depuis le labeur en couches jusqu’au climax, le film oscille d’une temporalité à l’autre pour retranscrire l’opprobre jeté sur une femme confrontée à l’évidence sociale de la maternité bienheureuse. (SD)
Deniz Gamze Ergüven : Mustang (Turquie, 2015)
Immersion fictionnelle dans une famille turque traditionaliste, Mustang adopte le point de vue de Lale, la plus jeune des cinq protagonistes de l’œuvre. Deniz Gamze Ergüven met ainsi le spectateur au diapason de son personnage : momentanément hors de cause, celle-ci ne peut que regarder ses ainées quitter une à une la maison des suites d’unions imposées, jusqu’à la rébellion. Initiation à la condition féminine dans certaines zones reculées de Turquie, le film donne à voir le passage brutal, presque sans transition, de l’enfance à l’âge adulte pour celles qui endossent désormais un devoir allant de pair avec leur nouveau statut d’épouse. (SD)
Chloe Zhao : The Rider (Etats-Unis, 2017)
Brady Blackburn vit dans la réserve sioux de Pine Ridge au cœur des vastes plaines du Dakota. Il a récemment eu un accident de rodéo et il ne peut plus remonter à cheval car une nouvelle chute lui serait fatale. Bien que proche de l’esprit du documentaire, Chloé Zhao, seconde femme à gagner l’Oscar de la meilleure réalisatrice, en 2020, propose une fiction dans laquelle elle aborde le côté masculin du rodéo avec un regard féminin. Elle pose avec beaucoup de douceur et de mélancolie la question de la nouvelle identité de Brady qui ne peut plus être le cowboy dur et résistant qu’il était. (ASDS)
Céline Sciamma : Portrait de la jeune fille en feu (France, 2019)
Sous les dehors d’une grande histoire d’amour lesbien, ce film d’époque, devenu culte chez les féministes, accueille un propos plus subversif que sentimental. L’histoire qui se déroule au XVIIIe siècle met en scène une artiste, une comtesse et une domestique réunies sur une ile bretonne. Cette situation, qui n’a de romantique que son cadre, montre plutôt qu’en l’absence des hommes, des femmes issues de mondes différents ont toutes les chances de s’engager dans des rapports plus égalitaires, d’amour et d’entraide. (CDP)
Greta Gerwig : Little Women (Les Filles du docteur March, Etats-Unis, 2019)
Quatre visages, quatre sensibilités, quatre corps, quatre conceptions de la vie : voici un portrait de femmes ouvert au jeu des différences. Pour son second long métrage après Lady Bird (2017) et avant l’immense triomphe de Barbie (2023), Greta Gerwig s’approprie ingénieusement un classique de la littérature américaine. En raccrochant à la trame originale des éléments prélevés de la vie de son autrice, la cinéaste insiste sur le fait que le contexte de fabrication d’une œuvre mérite parfois autant d’attention que son contenu, surtout pour les artistes femmes. (CDP)
Audrey Diwan : L’Evénement (France, 2021)
Dans son récit paru à l’orée des années 2000, Annie Ernaux raconte l’avortement clandestin qui a failli lui coûter la vie en 1964, trois ans avant la légalisation de la pilule contraceptive. Elle a 24 ans quand elle se découvre enceinte. Impossible de continuer ses études dans cet état. Pour ne pas devoir renoncer à tout ce que représente d’exceptionnel, pour une fille pauvre à cette époque, un avenir loin de la condition de mère au foyer, il lui faut non seulement braver la loi, mais aussi trouver le moyen de le faire ! Qui pourra l’aider ? Quel sera le prix à payer ? A mi-chemin entre l’autobiographie et la sociologie, le texte parvient à ressaisir ce qui, dans le souvenir intime, vient éclairer une expérience commune. Dans le même esprit de rigueur et de froide précision où il s’agit de lever un tabou, Audrey Diwan suit pas à pas la trajectoire de cette jeune femme lancée seule dans un inavouable compte à rebours, d’abord contre son propre corps, ensuite contre la société qui la désigne comme coupable. (CDP)
Justine Triet : Anatomie d’une chute (France, 2023)
Justine Triet appartient à cette nouvelle génération de réalisatrices qui, sur un ton plus ou moins léger, mènent une réflexion autour du féminin après MeToo. Pour son quatrième long métrage, elle met en scène Sandra (Sandra Hüller). Accusée du meurtre de son compagnon, son procès occupe une grande part de la narration. Aux tentatives de composer avec l'opacité de ce personnage, les discours recueillis au tribunal offrent un écho amplifié. Seule certitude : ce que l'on reproche à Sandra, c'est davantage ce qu’elle est – écrivaine, bisexuelle, expatriée – qu’un crime dont tout et rien ne dit qu’elle soit coupable. (CDP)
Kaouther Ben Hania : Les Filles d’Olfa (2023)
Formellement troublant, ce film-laboratoire qui se joue des frontières du réel et de la fiction met en scène Olfa, une mère brutale et pleine de contradictions, ses deux filles cadettes et trois comédiennes : deux pour interpréter les filles aînées absentes, parties combattre pour Daech, une pour incarner Olfa dans des « scènes » émotionnellement tendues. Toutes dialoguent régulièrement entre elles pour « rejouer » au mieux des moments clés de cette famille dysfonctionnelle, faisant remonter des souvenirs très douloureux. Dès lors, le tournage se mue en une sorte de thérapie qui, au-delà de cette histoire personnelle, interroge la place de la femme dans la société tunisienne. (MR)
Cette médiagraphie a été réalisée par PointCulture avec le concours de : Emmanuelle Bollen, Philippe Delvosalle, Simon Delwart, Catherine De Poortere, Marion De Ruyter, Anne-Sophie De Sutter, Benoit Deuxant, Marc Roesems.
Image en bannière : Alice Guy ©mk2
Cet article fait partie du dossier Médiagraphies | 2022-24.
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