Les bibliothèques font leur cinéma
Sommaire
Kirill Serebrennikov : La fièvre de Petrov (2021)
À l’image de la Russie débridée que renvoie la maladie de Petrov, on ne peut être tout à fait certain de la réalité de la bibliothèque où travaille son ex-femme. Qu’il s’agisse des lecteurs dont les requêtes trahissent toutes sortes de perversions, ou du club littéraire qui voit se réunir chaque soir un public guère moins douteux, l’agacement de la bibliothécaire est tel que, les yeux remplis d’encre noire, elle se métamorphose en un démon vengeur. Peu importe que la scène relève d’un délire, il n’en est pas moins vrai que la fréquentation des livres ne présente aucun répit à la fièvre qui possède tout entier le pays de Pouchkine. (CDP)
Joss Whedon : Buffy contre les vampires (1997- 2003)
« Dans chaque génération, il y a une élue. Elle seule se dressera contre les vampires, les démons et les forces des ténèbres. Elle est la Tueuse. » Buffy est une ado californienne typique, jusqu’à son appel en tant que tueuse. Depuis, elle passe ses journées dans la bibliothèque du lycée de Sunnydale avec son observateur Giles, qui est aussi le bibliothécaire. Dans cette série fantastique, la bibliothèque est primordiale pour sauver le monde. C’est dans les livres que Giles, Buffy et leurs acolytes, le scooby gang, trouvent les informations leur permettant d’éviter l’ (les) apocalypse(s). (CE)
George Pal : La machine à remonter le temps (1960)
À l’aube du XXe siècle, George, avide de connaître l'avenir, invente une machine à remonter le temps. Malgré la mise en garde de ses amis, il se lance dans cette aventure insensée. Lorsqu’il arrive en l’an 802701, il s’expose à de multiples dangers pour quitter cette civilisation dégénérée, sans lois et sous l’emprise des Morlocks, cannibales monstrueux et sanguinaires. Le rare décor ressemblant au passé est une bibliothèque, l’unique outil de connaissance et d’esprit critique. Mais les livres se transforment hélas en poussière à la moindre manipulation. Adaptation libre du roman de H. G. Wells. (StS)
Dominique Monféry : Kérity, la maison des contes (2009)
Lorsqu’il hérite de l’immense bibliothèque de sa grand-mère, Nathanaël ignore que par sa faute le Petit Chaperon Rouge, Alice et la fée Carabosse risquent de disparaître à tout jamais. Et pour cause, l’enfant ne sait pas lire! De sa rencontre impromptue avec ces personnages imaginaires, il apprendra que les bibliothèques peuvent aussi mourir. Et puisque l’animation a le pouvoir de mettre à égalité différents régimes de réalité, le fil conducteur de ce conte initiatique tient en une seule formule: « Ce n'est pas parce que c'est inventé que ça n'existe pas ». (CDP)
Gus Van Sant : Elephant (2003)
Pour Elephant, la caméra semble opérer un mouvement circulaire constant à travers un lycée non identifié, bien qu’inspiré de celui de Columbine. Se basant sur un mode de narration non linéaire, Gus Van Sant rejoue ses scènes à de multiples reprises, comme autant de boucles temporelles, et adopte pour chaque itération un point de vue nouveau. Tourné pour l’essentiel en plan-séquence, son film passe ainsi en revue tous les symboles de l’école états-unienne, du gymnase à la cafétéria, pour finalement imploser dans la bibliothèque, lieu de culture par excellence et rempart supposé contre la raison du plus fort. (SD)
François Truffaut : Fahrenheit 451 (1966)
L’ouvrage de Ray Bradbury est édité 20 ans après l’autodafé nazi de 1933 et propose un futur proche qui permet la récidive au moment où les mémoires sont encore vives. Marqué dans son enfance par le nazisme et les autodafés, François Truffaut réalise en 1966 une adaptation qui conçoit cette récidive possible. Finalement, les deux œuvres n’ont pas pris une ride. Depuis, les autodafés se multiplient. Pourtant, le poète juif allemand Heinrich Heine écrivit 100 ans avant l’holocauste : « Là où l’on brule les livres, on finit par bruler des hommes ». (HG)
Pen-ek Ratanaruang : Last Life in the Universe (2003)
Last Life in the Universe met en scène un bibliothécaire aux prises avec ses penchants suicidaires. Une pile de livres pour tout promontoire, Kenji a planifié sa fin par pendaison. Sa rencontre avec Noi va retarder l’échéance : une manière pour le cinéaste thaïlandais d’affiner la caractérisation de son personnage. Au fil de ses interactions avec la jeune femme, Kenji confirme les stéréotypes souvent associés à la fonction, lui qui s’avère méticuleux, méthodique, voire carrément maniaque. Là où il s’en écarte, c’est dans sa capacité à triompher presque malgré lui d’une conspiration de yakuzas… (SD)
Ivan Reitman : Ghostbusters (1984)
Sans s’y attarder plus que de raison, Ivan Reitman introduit son film par une séquence de bibliothèque, et pas des moindres puisqu’il s’agit de la New York Public Library. C’est là que surviennent pour la première fois les phénomènes surnaturels qui retiendront l’attention des chasseurs de fantômes, ces férus d’études paranormales aux méthodes jugées boiteuses par leurs pairs universitaires. Lieu de savoir par excellence, la bibliothèque est dès lors un point de départ idéal pour amorcer cette désacralisation de la connaissance à laquelle se prête Ghostbusters par sa représentation humoristique des sciences occultes. (SD)
Elliot Silverstein : L'homme obsolète [Twilight Zone saison 2] (1961)
Fan de science-fiction depuis son plus jeune âge, Rod Serling créa Twilight Zone, la série culte qui effraya les téléspectateurs entre 1959 et 1964. Si la série était destinée au divertissement, Rod y glissa de petits messages humanistes comme dans cet épisode de la 2e saison, présentant un bibliothécaire dans un monde débarrassé de toutes formes de culture. Ici, l’élaboration d’un scénario d’anticipation imaginant un monde sombrant dans le totalitarisme présente la bibliothèque comme garante de la démocratie. (HG).
Wolfgang Petersen : L'histoire sans fin (1984)
« Les jeux vidéo c’est en bas de la rue, ici on ne vend que des petites choses rectangulaires qu’on appelle livre » dit le libraire à Bastien. En 1984, la jeunesse apparaît déjà comme désintéressée par la lecture, préférant les écrans. Pourtant Bastien renfermé sur lui-même et souffre douleur de son école, trouve refuge dans les épopées héroïques des classiques de la littérature. Ici, le livre est une échappatoire pour le rêveur. Quant à la poussiéreuse librairie et son hôte bougon et asocial, ils sont la porte d’un monde où l’inadapté devient le héros. (HG)
David Fincher : Seven (1995)
Dans ce thriller « diluvien » où un sérial killer choisit et punit ses victimes selon la nature de leur péché capital, la bibliothèque apparaît à la fois comme un lieu de savoir et de ressources insoupçonné (sauf pour certains des employés qui y travaillent !) où l’inspecteur Somerset tente de cerner les motivations du tueur à l’aune des auteurs et récits « classiques » ayant sondé les noirs tréfonds de l’âme humaine. Une recherche comparée qui devient une piste possible menant à un personnage qui, dans son antre, noirci des centaines de cahiers de ses réflexions et desseins. Une sorte de bibliothèque solitaire monde ! (YH)
Wim Wenders : Les ailes du désir (1987)
Le film suit deux anges, Damiel et Cassiel, qui errent dans Berlin peu avant la chute du mur. Un de leurs arrêts se fera dans une bibliothèque. Via sa caméra, Wim Wenders crée une temporalité qui est propre à ce type de lieux. Les longs plans renforcent un espace contemplatif et de quiétude où les lecteurs sont à la recherche d’un savoir. Dans cette séquence, le son est important car il renforce les voix intérieures des lecteurs en train de parcourir leur livre pour créer un tourbillon de savoir et de connaissance. (JDL)
Avec la collaboration de: Catherine De Poortere, Cynthia Empain, Simon Delwart, Henri Gonay, Jean De Lacoste, Stanis Starzinski, Yannick Hustache.
Cet article fait partie du dossier Médiagraphies | 2022-24.
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