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Holocaust International Remembrance Day - Médiagraphie

Jeunes survivants du camp d'Auschwitz à sa libération - janvier 1945 - photo domaine public
À l'occasion de la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz par l'Armée rouge (27 janvier 1945), puis d'autres camps de concentration et d'extermination nazis par les Alliés au printemps 1945, une médiagraphie pour réfléchir sur la manière dont les cinéastes et musiciens ont pu – ou n'ont pas pu – rendre compte de l'indicible.

Sommaire

A > DOCUMENTAIRES

- De Hollywood à Nuremberg (Christian Delage, 2012)

Grâce à des documents inédits et à des images rares restaurées, le film retrace le parcours de trois Américains engagés dans la Seconde Guerre mondiale, leur implication dans les combats, leur confrontation aux violences de guerre et aux atrocités, et leur participation au jugement des criminels nazis : deux cinéastes confirmés, John Ford et George Stevens, et un journaliste, cinéaste en devenir, Samuel Fuller [cf. ci-dessous]. Le film montre les problèmes que ces cinéastes ont rencontrés, non seulement sur le plan technique, mais aussi du point de vue éthique.


En octobre 1943, le général Eisenhower charge George Stevens de créer à Londres une unité spéciale – composée de cameramen, de preneurs de son, d’assistants réalisateurs mais aussi d’écrivains – alors que l’opération Overlord se prépare. Dans une phase précédant le débarquement (du 6 juin 1944 et la bataille de Normandie qui s’ensuit), Stevens, embarqué avec son matériel sur un navire de guerre, se trouve sous l’autorité de John Ford, qui supervise l’ensemble des équipes de tournage présentes.

Avant de quitter les États-Unis, Ford et Stevens ont reçu des consignes très précises sur leur mission : dès octobre 1943, les Alliés ont dénoncé officiellement les crimes commis par les nazis. L’État-major les a avertis qu’ils risquent de découvrir des atrocités et des crimes de guerre. Si une telle situation se présente, leur réaction suivra le cours ordinaire de leur mission. C’est de façon permanente que leurs images, parfois accompagnées de témoignages, doivent être prises de manière à ce qu’elles soient recevables à titre de preuves par des tribunaux civils ou militaires. Une première dans l’histoire – la « grande » – mais aussi dans celle du cinéma.

Débarqués quelques jours après le Jour J, Stevens et ses hommes parcourent des décors de ruines et de cadavres sur quasiment toute la route vers Paris. Puis ils prennent la direction de l’Allemagne. La première confrontation du cinéaste avec un camp de concentration se passe à Nordhausen, le 15 avril 1945. Il commente ainsi ce que ses hommes filment dans le camp : « C’est un exemple frappant, jamais rencontré jusqu’à présent, où l’indifférence à la vie humaine atteint un pic très élevé de brutalité, en même temps qu’elle s’accompagne d’une perfection technique dans la science de destruction massive. » De son côté, il filme les quelques déportés qui ont réussi à survivre aux conditions terribles de travail dans l’usine souterraine de fabrication de missiles V2… À partir de ce moment, Stevens ne lâchera plus sa caméra personnelle.

Le 27 avril 1945, alors qu’il s’approche de Berlin, Stevens reçoit l’ordre de se rendre dans le camp de Dachau pour rendre compte de la libération de ses détenus, mais il ne s’agit pas du seul camp filmé par lui et ses hommes. Il s’agissait d’insister sur le statut de preuves des images recueillies et de recourir à des entretiens avec des témoins. Nazi Concentration Camp comprend des séquences des camps de Leipzig, Penig, Ohrdruf, Hadamar, Breendonk, Nordhausen, Hanovre, Arnstadt, Mauthausen, Buchenwald, Dachau et Bergen-Belsen. Les plans montrant des corps et des survivants révèlent l'ampleur des crimes nazis. Il est projeté durant le procès de Nuremberg à la demande du juge Robert H. Jackson, et devient le principal document corroborant le quatrième chef d’accusation, à savoir les crimes contre l’humanité. [MR]

- Les Camps de concentration nazis (George Stevens, 1945)

Ce film, projeté dans l’enceinte du tribunal de Nuremberg, le 29 novembre 1945, ne fut pas vraiment montré au grand public. Les images étaient considérées comme trop dures et, rapidement, avec le plan Marshall et le début de la guerre froide, les priorités changèrent. Ces images pourtant sont les principales archives qui existent du cauchemar concentrationnaire. [MR]

- Ce qu’ils savaient – Les Alliés face à la Shoah (Virginie Linhart, 2012)

Au printemps 1945, le monde découvre les abominables images des camps nazis. Les jours suivants, le système concentrationnaire mis en place par les nazis est montré dans toute son horreur. Tout se passe comme si les Alliés apprenaient, quelques semaines avant la fin de la guerre, l’existence du génocide juif. Tout se passe comme si personne n’avait rien su… Mais comment exterminer plus de six millions de personnes dans le plus grand des secrets ?

On sait aujourd’hui que les Alliés ont eu accès à certaines informations très tôt, que les preuves se sont faites chaque année plus précises, plus nombreuses et plus effrayantes. Sur la base de révélations issues de documents déclassifiés, le film de Virginie Linhart démontre clairement que, malgré les éléments précis dont ils disposaient, Roosevelt, Churchill, Staline et de Gaulle ont choisi la discrétion. Tant qu'ils le pouvaient, et chacun pour différentes raisons.


Cette question de la responsabilité – des Alliés, des pays neutres et des autorités religieuses – est également posée dans le film de Didier Martiny, Auschwitz, le monde savait-il ?. Des spécialistes, parmi lesquels Annette Wieviorka, Elie Barnavi ou encore Jean-Charles Szurek, répondent à la question. [MR]

- Images du monde et inscription de la guerre (Harun Farocki, 1988)

Le cinéaste berlinois a réalisé plus de 80 films, assez variés mais qui, presque tous, prennent le pouls des images – de la fabrication d’une photo de femme nue pour Playboy dans Une image (1983) à celles de la guerre du Golfe dans Œil/Machine (2000). Au centre d'Images du monde et inscription de la guerre (1988) qui explore les allers-retours entre dispositifs optiques, outils de mesure (photographie, cartographie, etc.) et leurs utilisations guerrières, il y a les photos d’Auschwitz prises par un avion de reconnaissance américain en avril 1944, et sur lesquelles les militaires ne virent à l’époque que ce qu’ils cherchaient (les usines attenantes au camp et non les chambres à gaz et fours crématoires pourtant clairement visibles). Avec En sursis (2007), dans lequel le cinéaste interroge un film muet inachevé tourné, la même année, par des prisonniers à l’initiative d’un officier SS d’un camp de transit aux Pays-Bas, les deux films-essais rassemblés sur ce DVD sondent ces relations souvent troubles entre voir et regarder, voir et savoir, cacher et dévoiler, autour de la question de la Shoah. [PD]

- Nuit et Brouillard (Alain Resnais, 1955)

(…) Nuit et brouillard : un film juste. De fait, la représentation de la Shoah pose des questions nouvelles aux cinéastes, nées de la spécificité même du génocide : extermination systématique des juifs d’Europe, pensée puis planifiée de façon scientifique, à l’échelle industrielle ; recyclage automatique des déchets, refus de sépultures, disparition de toute preuve et de toute trace de leur existence.

Que peut l’histoire, que peut l’image cinématographique, que peuvent-elles ensemble face à la volonté que n’ait pas été ce qui a été ? L’extrême de cette volonté, on le sait, se nomme en allemand ‘Vernichtung’ : réduction à rien, c’est-à-dire aussi anéantissement de cet anéantissement — Jacques Rancière, « L’Inoubliable » dans 'Arrêt sur histoire', 1997

Quelle attitude adopter devant l’absence d’images, puisque les seules dont nous disposons sont celles de la libération des camps, images d’après le pire, de charniers, de fantômes, de survivants, enregistrant les traces de l’événement mais échouant à rendre compte de la réalité de l’événement ? En acceptant de réaliser Nuit et Brouillard à la demande du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dans un film qu’il destine au public le plus large, Alain Resnais, aidé de son collaborateur Jean Cayrol, poète, essayiste et ancien déporté au camp d’Oranienburg, choisit d’affronter la question centrale du cinéma : celle des limites et de ses pouvoirs, de l’irreprésentable et de l’infilmable. Il y répond de la seule manière possible, en soumettant ses choix formels au préalable d’une réflexion sur l’éthique et sur la place qu’il entend réserver, en tant que cinéaste, à ses futurs spectateurs. (…)
[Patrick Leboutte, Ces films qui nous regardent, Éd. La Médiathèque, 2002]

à voir aussi, sur le même DVD : le documentaire Face aux fantômes que Jean-Louis Comolli et Sylvie Lindeperg ont consacré en 2009 à Nuit et Brouillard.

- Shoah (Claude Lanzmann, 1985)

Ce film exceptionnel et monumental (d’une durée d’un peu plus de neuf heures) marque, à sa sortie en 1985, une étape majeure dans la reconnaissance publique de la singularité du génocide des Juifs et imprime un nouveau tournant dans l’histoire des représentations cinématographiques de la période. Claude Lanzmann, dans une mise en scène extrêmement sobre, fait œuvre à la fois d’historien et de journaliste – n’hésitant pas à se placer devant la caméra pour interroger les derniers témoins de la tragédie…

Il traque la vérité partout où elle se cache et livre des témoignages bouleversants. Un film qui impose un effort de synthèse et de réflexion à la hauteur du drame qu'il fait revivre. [MR]


- Jusqu’au dernier – La Destruction des Juifs d’Europe (William Karel et Blanche Finger, 2014)

Cette série documentaire en huit parties analyse chacune des trois entités du génocide juif en s’intéressant non pas au « pourquoi » mais au « comment » un tel crime a-t-il pu être mis en place et exécuté : les bourreaux et leurs complices, les victimes, et le reste du monde.

Documents, photos et films d'archives venus de tous les continents, témoignages, images des lieux de mémoire tournées aujourd'hui, viennent nourrir le récit d’une soixantaine de spécialistes et historiens de ce siècle d'Histoire. [MR]

- Sauver Auschwitz ? Histoire d’Auschwitz après Auschwitz, le destin du site après 1945 (Jonathan Hayoun, 2006)

Que faire du site d'Auschwitz ? Un musée, un sanctuaire ou un cimetière ? Quel sens donner à ce lieu, théâtre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de détournements, d'affrontements et de pillages ?

« À travers les points de vue, analyses et témoignages, et surtout les questions sur l'urbanisation, la fréquentation de masse, la conservation du camp, le film de Jonathan Hayoun contribue à poser avec rigueur et clarté les termes d'un débat complexe, loin d'être clos. »
(Christine Rousseau - journal Le Monde)


B > MUSIQUE ET FIELD RECORDING

- Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz, pour bande magnétique (Luigi Nono, 1966)

Avec ses effets de réverbérations, ses voix lancinantes, ses stridences, les sons métalliques rappelant les chaînes, les bruits de chute amplifiés, cette fresque sonore évoque avec beaucoup de réalisme la violence des camps. Pour Luigi Nono, dont les convictions politiques ont marqué grand nombre de ses compositions, seule la musique électronique pouvait exprimer la barbarie commise à Auschwitz. Il enregistre sur bande magnétique des sons et phonèmes issus de voix, d’instruments et d’objets sonores générés électroniquement. L’œuvre contient trois parties : « Il canto del lager » (description technique du camp) ; « Il canto della fine di Lili Tofler » (l’assassinat d’une résistante internée) ; « Il canto della sopravvivenza » (comment certains tentent de survivre en collaborant avec leurs tortionnaires). Seconde version de Die Ermittlung, musique écrite d’après la pièce de théâtre homonyme du réalisateur Peter Weiss sur le Procès de Francfort, Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz est une condamnation sans concession des crimes nazis et du pouvoir qui, selon Nono, les a permis. [NR]



- Dies irae, pour 3 solistes, chœur mixte et orchestre ( Krzysztof Penderecki, 1967)

À partir de la composition de sa Passion selon Saint Luc (1966), le sentiment religieux imprègne souvent les œuvres de Penderecki. Dies irae s’inscrit tout naturellement dans ce courant. En témoignent son titre, une partie de ses textes mais aussi son organisation : les trois parties qui le constituent rappellent les trois temps du mythe biblique : la chute (« Lamentatio »), la mort (« Apocalypsis ») et la rédemption (« Apotheosis »). Cet Oratorio d’Auschwitz fut créé pour l’inauguration du Monument International de Birkenau, sur les lieux du tristement célèbre camp d’extermination. Penderecki a sélectionné une série de poèmes d’auteurs contemporains de la Shoah, des extraits bibliques et des passages tirés des Euménides d’Eschyle. La musique met en œuvre de grands moyens pour évoquer souffrance et désespoir des prisonniers du camp : éclats des cuivres, phonèmes expressifs du chœur, sirènes, bruits de chaînes, grands crescendos dramatiques, etc. Une minuscule note d’espoir clôture le cycle par l’anachronique citation de Paul Valéry « Le vent se lève… Il faut tenter de vivre ». [NR]


- Different Trains (Steve Reich, 1988)

(...) Quand Steve Reich entreprend la création de Different Trains, c’est bien entendu avec une volonté d’expérimentation musicale. Mais derrière cette façade purement créatrice, se tapit le spectre tumultueux du souvenir, personnel et collectif. Le compositeur se nourrit ici de sa propre histoire (ses voyages en train au début des années 1940 pour rejoindre ses parents divorcés) et la confronte aux faits tragiques commis durant la Seconde Guerre mondiale (la déportation des Juifs et autres « indésirables » du régime nazi) pour illustrer une peinture très personnelle de ces atrocités. Steve Reich met en exergue une évidence paradoxalement peu patente qui veut que tout évènement historique (dont nous sommes contemporains) soit automatiquement lié à un épisode plus individuel de notre passé. (...) En s’appuyant sur divers enregistrements magnétiques (interviews de déportés, bruits de trains, etc.), il crée un langage musical nouveau qui, telle la mémoire active, s’illustre sous la forme de circonvolutions répétitives. Ces répétitions nous font entrevoir à chaque passage des horizons neufs qui engloutissent les précédents. (...) [MA]

- Gurs / Drancy / Bobigny’s Train Station / Auschwitz / Birkenau / Chelmno-Kulmhof / Sobibor / Treblinka (Stéphane Garin et Sylvestre Gobart, 2006-2007)

Contrairement à l’œuvre de Reich qui prend le parti de jouer sur des répétitions continues, Gobart et Garin laissent quant à eux les pleins pouvoirs aux capacités d’abstraction et d’interprétation de tout un chacun. A priori anodins, leurs enregistrements et photographies, une fois mis en contexte, s’avèrent d’une richesse inouïe. Ce n’est pas tellement ce qui est montré (ou entendu) qui importe, mais plutôt les spectres anonymes qui s’évadent de chaque silence. Il appartient en effet à chacun de dépasser l’imagerie communément admise de ces tristes évènements, cette symbolique que l’on ingère passivement sans véritablement l’assimiler. Tout au long de leur parcours à travers « l'Europe des camps », ils font parler le reliquat actuel de cette barbarie passée. Étonnamant, ces images et sons indirectement liés aux évènements se révèlent des foyers de souvenirs inépuisables et, bien loin de dédramatiser l'Histoire à laquelle ils sont intimement ancrés, apprivoisent le sensationnalisme généralement suscité par ces faits pour le muer en sentiments plus humains et personnels. [MA]

-- autre article, entre autres sur ce disque : 75 ans après, on n’a pas fini de sonder les camps à lire ici --


C > DU DOCUMENTAIRE À LA FICTION


- Samuel Fuller, soldat, cameraman, raconteur d'histoires

Ce n'est pas de l'horreur. C'est quelque chose qui n'est pas là ! Vous ne voyez pas ça. Mais en même temps vous le voyez et c'est tellement impossible, incroyable. C'est plus que de l'horreur. C'est l'impossible. Nous n'avions jamais eu ce sentiment d'impossible lorsque nous nous battions. — Samuel Fuller

S’exprimant ainsi dans la série d’interviews fleuves avec Jean Narboni et Noël Simsolo qui, en 1986, donneront l’excellent livre de souvenirs Il était une fois… Samuel Fuller, le cinéaste-conteur revient sur ce passage-clé de sa vie où, engagé dans la Première division d’infanterie américaine, la « Big Red One », il débarquera trois fois (en Afrique du Nord, en Sicile et à « Omaha Beach » en Normandie) et finira, au bout de l’horreur, par libérer et filmer le camp de Falkenau. En 1980, Fuller avait fini par réussir à filmer, avec Lee Marvin et Mark Hamill, la version fictionnelle, crue et lyrique à la fois – sorte de danse macabre – de son autobiographie.

En 1988, pour le documentaire Falkenau, vision de l’impossible, Emil Weiss remontre in extenso son premier film à Samuel Fuller et enregistre ses commentaires. Régulièrement, chose exceptionnelle pour celui que Jean Narboni avait surnommé « Un homme à fables » (un homme affable), Fuller se tait. Une retenue qui fait écho à la scène centrale de la libération du camp dans The Big Red One : un simple, mais bouleversant jeu de regards, en champ-contrechamp, entre trois soldats ouvrant trois portes et ne comprenant pas ce qu’ils sont en train de découvrir et le regard perdu et encaissé, au fond d’orbites décharnées, des survivants qu’ils libèrent. Quand Fuller retrouve la parole dans le documentaire de Weiss, c’est cependant pour défendre un credo dans la puissance éducative, quasi curative, des images.

Faisant explicitement référence aux négationnistes et aux chambres à gaz comme « point de détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale selon Jean-Marie Le Pen, le cinéaste considère que les images d’archives peuvent « montrer le mal et lutter contre le mensonge », en particulier si ces images sont incorporées dans une fiction et que le spectateur voit un personnage les regarder et changer. Exactement ce que Fuller a mis en scène avec brio trente ans plus tôt dans Verboten ! (1959) lorsque, dans l’Allemagne dévastée de l’hiver 1945, une sœur emmène son jeune frère adolescent, toujours réceptif à l’idéologie nazie (qui continue à être véhiculée sous le manteau par un groupuscule de nostalgiques jusqu’au-boutistes), au Procès de Nuremberg et que la vision des images documentaires des camps le fait pleurer et se remettre en question. [PD]

-- extrait d'un texte plus long : La guerre de Samuel Fuller à lire ici en entier --


D > FILMS DE FICTION


- « De l’abjection » [Le travelling de Kapò] (article de Jacques Rivette, 1961)

(...) Voyez cependant, dans "Kapò" [de Gillo Pontecorvo, 1960], le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. (...) — Jacques Rivette, Cahiers du cinéma n°120, juin 1961

A


- pour en savoir plus (intégralité du texte de Rivette, texte de Serge Daney sur l'article de Rivette, etc. ) -

- La Liste de Schindler (Steven Spielberg, 1993)

Le film s’inspire du roman homonyme de l’auteur australien Thomas Keneally autour de la figure d’Oskar Schindler, un industriel allemand fortuné et trouble qui « sauva » autour de 1200 Juifs promis à une mort certaine durant le second conflit mondial. Tourné pour l’essentiel en noir et blanc, à l’exception de quelques insertions volontaires de couleur rouge (le destin funeste de la petite fille au manteau écarlate), le film suit le périple d’un homme d’affaires ambitieux qui acheta les faveurs des SS et de l’armée allemande pour se construire un mini-empire industriel. Le film ne lève jamais complètement les ambiguïtés de cet opportuniste qui, à la faveur de ses relations avec un comptable juif, va en venir à éviter la déportation à son personnel israélite. Avec, en point d’orgue du biopic, les séquences toujours discutables mais impressionnantes, aux limites du regardable, de la liquidation des Juifs du ghetto de Varsovie. [YH]


En 1994, peu après la sortie du film, le réalisateur américain mit sur pied la Survivors of the Shoah Visual History Foundation [Fondation de l'histoire visuelle des survivants de la Shoah], afin de recueillir et d’enregistrer les témoignages des rescapés de la Shoah (puis des autres génocides du vingtième siècle, au Rwanda, au Cambodge, en Arménie, etc.). La fondation archive aujourd'hui plus de 50.000 témoignages vidéos de survivants (d'une durée moyenne de deux heures).


- Le Pianiste (Roman Polanski, 2002)

Tiré du roman autobiographique de Władysław Szpilman longtemps interdit par le pouvoir communiste polonais, Le Pianiste retrace le parcours d’un musicien polonais virtuose qui survécut, avec un brin de chance, à l’enfer du ghetto de Varsovie, à sa destruction par les Allemands en 1943, et à l’insurrection de la capitale polonaise l’année suivante, puis à l’arrivée de l’Armée rouge. Pratiquement seul survivant de sa famille, Szpilman passe de caches en planques provisoires (dont un hôpital abandonné) avant d’être finalement arrêté. Il devra néanmoins son salut à un officier de la Wehrmacht, mélomane désillusionné. Un « sauveur » que l’artiste tentera de vainement retrouver après la guerre. Dur et beau comme un air de Beethoven résonnant sur un champ de ruines désolé. [YH]



- Le Fils de Saul (László Nemes, 2015)

Grand prix du festival de Cannes 2015, Le Fils de Saul colle littéralement à la silhouette empressée de Saul Ausländer, un Juif hongrois qui fait partie des Sonderkommandos, ces prisonniers devenus auxiliaires des nazis et commis aux basses besognes au sein des camps de concentration et d'extermination. La fiction se déroule à Auschwitz en octobre 1944, deux jours durant. Filmé le plus souvent en plans-séquences et à hauteur de son personnage principal, le film « traduit » la condition concentrationnaire au quotidien en une expérience « immersive », où le hors-champ et l’environnement sonore direct priment sur le détail d’une (rigoureuse) reconstitution d’ensemble. On y suit à la trace, alors qu’une révolte couve, le périple mutique et obstiné de Saul qui croit avoir reconnu son propre fils dans un cadavre d’enfant, pour trouver un rabbin qui puisse le mettre en terre selon les rites funéraires juifs. [YH]

- Le Procès du siècle (Mick Jackson, 2016)

Vers 2000, une historienne américaine de la Shoah, Deborah Lipstadt est confrontée aux dénégations de l’écrivain britannique David Irving, qui conteste la réalité du génocide juif et dont elle a réfuté et combattu les funestes allégations dans de multiples publications. Irving l’assigne en justice auprès des tribunaux de son pays et Lipstadt doit – selon le droit anglais – apporter la preuve du bien-fondé de ses critiques. Le Procès du siècle est un film de prétoire parfois étrange qui montre comme la lecture du droit peut être radicalement différente dans la sphère même du monde anglo-saxon. Il souligne toutes les difficultés de confrontation entre la fragilité des arguments de type témoignage et l’utilisation régulièrement pernicieuse des démonstrations techniques liées à la seule matérialité des faits. Il expose aussi tout le paradoxe de ces procès qui, bien qu’allant dans le sens de la vérité historique, offrent une tribune publicitaire et même une auréole « de héros antisystème » aux négationnistes de tous poils. [YH]



E > SÉRIE TÉLÉVISÉE


- Band of Brothers - épisode 9 : « Pourquoi nous combattons ? » (Tom Hanks et Steven Spielberg, 2001)

Dans cette série qui suit une compagnie de parachutistes américains, du débarquement en Normandie en 1944 à la capitulation allemande l’année suivante, et alors que les combats ont fortement baissé en intensité en ce mois d’avril 1945, une patrouille de reconnaissance tombe, au détour d’un sentier forestier au cœur du Reich, sur ce qui ressemble à un camp de concentration abandonné. Les prisonniers y errent dans un état d’attrition avancé au milieu des cadavres. Selon un fil très proche de ce que Samuel Fuller raconte et filme de la libération de Falkenau [cf. ci-dessus], l’épisode met en lumière la difficulté chez les soldats américains de ne pas succomber au désir immédiat de vengeance et sur l’attitude plus qu’ambiguë des populations voisines, aussitôt réquisitionnées pour enterrer les centaines de cadavres qui jonchent le camp, et qui clament n’avoir rien vu et rien su de ce qui s'y passait et en reportent automatiquement la responsabilité sur les autorités nazies. [YH]



F - CRÉATION RADIOPHONIQUE


- La Cinéaste (Thierry Génicot, 2004)

Un fascinant documentaire radiophonique belge entrelaçant, comme une tresse, trois histoires imbriquées. Celle de l'Atelier, 51 rue du Commerce, dans le quartier Léopold où, dès 1935, le peintre Marcel Hastir organise des concerts, avant que le lieu ne devienne un lieu-clef des réseaux de résistance et de cache des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale... Celle de Caroline Hack, La Cinéaste, en train de tenter de monter le financement de son projet de documentaire sur le sujet... Et celle de l'attaque, le 19 avril 1943, du 20e convoi Malines-Auschwitz par Yura Livschitz, Robert Maistriau et Jean Franklemon, trois jeunes partisans qui – fait unique dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale – réussirent à arrêter le train, ouvrir un wagon et faire s'évader près de 200 déportés. [PD]

Une playlist de PointCulture
coordonnée par Philippe Delvosalle
et réalisée par Marc Roesems, Nathalie Ronvaux, Michaël Avenia, Philippe Delvosalle et Yannick Hustache
avec la plume invitée de Patrick Leboutte (extrait de Ces films qui nous regardent, La Médiathèque, 2002).

photo de bannière :
jeunes survivants du camp d’extermination d'Auschwitz en janvier 1945, extrait d'un film de l'Armée rouge (domaine public)