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New York en musiques

A Great Day in Harlem + A Great Day in Hip Hop

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publié le par Philippe Delvosalle

Dresser le portrait en musiques de New York en dix ou vingt disques est au moins aussi difficile qu'en dix ou vingt films. Laissant de côté quelques évidences (qu'on croise cependant "par la bande" : le Velvet Underground, Patti Smith, etc.) et consacrant une playlist à part rien qu'au hip hop, voici une playlist hétéroclite et forcément subjective d'une douzaine de coups de cœur, des années 1920 et 1950... à 2017.

Sommaire

Duke Ellington

Universellement reconnu comme une des plus grandes figures du jazz, Ellington se définissait lui comme un compositeur de « musique américaine ». Pianiste, chef d’orchestre et auteur de près d’un millier de morceaux, il a transcendé les styles pour propulser le swing et le big band dans une direction ambitieuse et audacieuse. Ses spectacles, généralement conçus autour d’une suite thématique, alternant chansons, chorégraphies, pièces orchestrales et moments solistes, ont révolutionné la musique de son temps et fait reconnaitre le jazz comme un art d’avant-garde. Né à Washington et installé à New York au début des années 1920, il a représenté pendant près de cinquante ans l’élégance et l’esprit de la ville. Il franchira les modes avec brio et passera du raffinement canaille du Cotton Club au jeune public du be-bop. Il sera aussi à l’aise en meneur de revue que face au public du festival de jazz de Newport en 1956, et aussi révolutionnaire dans ses musiques de film qu’en petites formations, comme sur l’album Money Jungle dans un improbable trio avec Max Roach et Charlie Mingus. [BD]



A Great Day in Harlem

Le 12 août 1958 vers 10h du matin – devant un « brownstone » de Harlem, au 17 East 126 Street, entre Fifth Avenue et Madison Avenue – Art Kane, un jeune directeur artistique de 33 ans ayant servi dans la Ghost Army pendant la Seconde Guerre mondiale et qui n’est pas encore photographe, prend sa première photo professionnelle. Une image qui deviendra iconique (déclinée en posters, cartes postales, etc.) et fera bifurquer le parcours professionnel du futur père du co-fondateur des Swans et collaborateur de Rhys Chattam, Jonathan Kane. Mais revenons en 1958... À la demande du magazine Esquire qui compte consacrer un numéro spécial (celui de janvier 1959) au jazz, 57 musiciens et musiciennes de jazz (e.a. Thelonious Monk, Charles Mingus, Dizzie Gillespie, Count Basie, Lester Young, Mary Lou Williams, etc.) – et une douzaine d’enfants – posent pour un portrait de groupe qui va devenir l’incroyable instantané d’une scène jazz à un moment-clé de son histoire (constituée de musiciens d’âges, d’approches et de styles différents) et saisie à l’épicentre de la « capitale culturelle de l’Amérique noire » : Harlem. En 1994, la productrice radio et aficionada de jazz Jean Bach tourne le documentaire A Great Day in Harlem (qui inclut un film amateur tourné par le contrebassiste – et photographe – Milt Hilton le 12 août 1958) ; et en 1998, le photographe Gordon Parks rassemble 177 musiciens hip-hop à la même adresse pour une commande du magazine XXL[PhD]


Morton Feldman

Loin de tout psychodrame - Dès les années quarante, en réaction contre un art trop savant ou trop lyrique, certains artistes vont se tourner vers la simplicité et plaider pour un art de la sérénité. Même des peintres associés à l’École de New York, comme Barnett Newman et Marc Rothko veulent rompre avec l’expressionnisme abstrait. Ils éludent les torrents émotionnels, et, par de grands aplats de couleurs, maintiennent l’émotion davantage chevillée à la perception. Cette technique baptisée « color painting » bannit la dimension psychodramatique en faveur d’une atmosphère de paix où  le spectateur, le tableau et aussi la salle d’exposition sont impliqués. Le principe du roll over hérité de l’expressionnisme abstrait garde ici toute sa pertinence. Des compositeurs comme John Cage ou Morton Feldman pourraient avoir influencé les peintres. Depuis un certain temps, leur musique se montre en phase avec une approche plus dépouillée, marquée par les philosophies orientales. Barnett Newman combine l’intensité chromatique avec des variations subtiles de la perception. D’une manière analogue, Morton Feldman, dans « Intermission 5 », laisse s’épanouir tout le potentiel sonore de chaque note.  [JL]



ESP Disks

Fondé à New York, au deuxième tiers des années soixante, par l'avocat Bernard Stollman, le label ESP Disk fut assurément un espace de liberté et d'expérimentation (cf. les deux fameux slogans repris sur la plupart des pochettes : « The artists alone decide what you will hear on their ESP Disk » et « You never heard such sounds in your life »). Animé par un activisme musical frénétique, le label indépendant publia quarante-cinq albums durant ses dix-huit premiers mois d'existence. Et on y retrouve, côte-à-côte, deux  formes musicales liées à deux pans de la contestation sociale et politique d'un pouvoir américain encore raciste dans ses ghettos et encore impérialiste hors de ses frontières (en particulier, à l'époque, au Vietnam). C'est par l'irrésistible besoin commun de crier son indignation – à voix nue ou via un saxophone ou un ampli de guitare – et d'inventer un autre monde possible, que le free jazz d'Albert Ayler, Ornette Coleman, Sun Ra, Henry Grimes et consorts n'est pas si déconnecté, qu'une écoute bornée ou superficielle pourrait nous le faire croire, du freak folk des Fugs ou des Holy Modal Rounders ou du proto-punk des Godz. [PhD]



La Monte Young

La carrière de La Monte Young commence avec son association au mouvement Fluxus. Son œuvre musicale sera par la suite caractérisée par la recherche d’un plus grand minimalisme, et d’une économie de moyens. Il trouvera dans la musique de Guillaume de Machaut ou de Pérotin le Grand une réponse à ses questions. Il s’inspirera également des musiques japonaises et indiennes, dans lesquelles il retrouvera une même gestion de la durée, de la lenteur. Il développera alors une musique de la stase, constituée d’un nombre limité de sons, prolongés sur de longues périodes de temps, et ses pièces pourront atteindre six heures. Young mettra sur pied le Theatre Of Eternal Music, un groupe d’exécutants entièrement dédié à l’exacte réalisation de sa musique. John Cale, Tony Conrad, Angus McLise et la compagne de Young, Marian Zazeela, en seront des membres réguliers, occasionnellement rejoints par Terry Riley ou Jon Hassell.  [BD]


Poetry Project / Giorno Poetry Systems Records

À partir du milieu des années 1950, tant en Europe qu’aux États-Unis, il devient clair pour une nouvelle génération d’écrivains que leur rapport au public n’est plus condamné à ne passer que par la lecture solitaire d’un livre imprimé mais que d’autres canaux sont possibles : lectures sur scène, émissions radio, films… et disques ! Allen Ginsberg et Jack Kerouac sortent leur premier LP en 1959, William Burroughs en 1965 (Call Me Burroughs, sur le label The English Bookshop, vite réédité par ESP Disk,  cf. ailleurs sur cette page). À partir de 1966, le Poetry Project est organisé à la St. Mark's Church in-the-Bowery, la deuxième plus ancienne église de la ville, depuis longtemps ouverte à l’expression artistique d’avant-garde (Isadora Duncan y a dansé en 1922, Sam Shepard y a monté ses premières pièces en 1964… Patti Smith y lit ses textes, accompagnée par Lenny Kaye en 1971). En 1972, John Giorno, écrivain et complice de Warhol, fonde le label John Giorno Poetry Systems, dont les compilations aux intitulés éloquents (Biting off the Tongue of a Corpse ; Totally Corrupt ; Sugar, Alcohol and Meat ; Better an Old Demon than a New God, ; Smack My Crack, etc.) rassemblent différentes générations et communautés de poètes (Giorno lui-même, Ginsberg, Burroughs, John Cage, Amiri Baraka, Anne Waldman, Ed Sanders, Brion Gysin, Laurie Anderson, etc.) sans oublier, à l’articulation des années 1970 et 1980, de s’ouvrir à l’expression plus rock et électrique d’une écriture post-punk et no wave (Debbie Harry, Kathy Acker, Diamanda Galas, Coil, Sonic Youth), en faisant appel à des artistes tels que Keith Haring et Gary Panter pour les pochettes. [PhD]



La no wave

Comme beaucoup de genres musicaux, la no wave est avant tout une appellation artificielle, sorte de raccourci pratique pour évoquer d’un trait de plume la scène downtown new-yorkaise de la fin des années 1970. Le terme désigne un ensemble hétéroclite de groupes rock, funk, avant-gardiste, jazz. Tous avaient toutefois en commun une certaine attitude punk, un goût pour l’expérimentation et l’improvisation, et la fréquentation de certains lieux culturels de la ville, comme les galeries d’art et l’Artist Space de Tribeca. La scène a été documentée par la célèbre compilation No New York, réalisée par Brian Eno, et qui rassemblait des morceaux de DNA, Mars, James Chance and the Contortions et Teenage Jesus and the Jerks (avec Lydia Lunch). On peut citer quelques autres artistes ou groupes comme Glenn Branca, Robin Crutchfield, Rudolph Grey et Sonic Youth qui débutaient à l’époque. On peut voir un portrait de cette époque dans le film Downtown 81 de Glenn O’Brien, avec Jean-Michel Basquiat.  [BD]



Arthur Russell

Bien qu'il ait eu quelques grands succès dans la musique « dance » pop et disco, le violoncelliste américain Arthur Russell fut relativement peu connu de son vivant, du moins au vu de ses multiples talents. Sa carrière fut liée de près à la scène rock et avant-gardiste new-yorkaise où il fréquenta notamment assidument la salle de spectacle pluridisciplinaire The Kitchen. Le document vidéo repris ci-dessous a été filmé en 1985 par le compositeur et cinéaste Phil Niblock qui capte magnifiquement ce qui restera pour beaucoup comme le chef-d'œuvre d'Arthur Russell, le très aérien et insaisissable World of Echo. Un disque où se mêlent de façon unique sa voix et son jeu très personnel au violoncelle. A ce titre, il existe également un très beau documentaire, Wild Combination réalisé en 2008 par Matt Wolf où l'on peut voir de nombreuses images d’archives rares et témoignages de proches et collaborateurs dressant le portrait de cet artiste disparu prématurément à l’âge de 40 ans. [MR + DM]


William Basinski

Né à Houston au Texas en 1958, clarinettiste classique et saxophoniste jazz de formation, le jeune William Basinski (désormais New-yorkais et très marqué par les musiques de Brian Eno et Steve Reich) développe à partir de 1978 sa propre forme de tape music (construite chez lui autour de la superposition de boucles jouées en parallèle sur une série de magnétophones). En 2001 , alors qu’il transfère sur CD une œuvre enregistrée sur bande en 1982 – la mixant au passage avec des « contre-mélodies » de synthétiseur Voyetra –, il se rend compte que la bande se désagrège, que des particules d’oxyde de fer se transforment en poussière…   La longue plage pastorale, ultrarépétitive et hypnotique de plus d’une heure qui fait l’essentiel du premier volume des Disintegration Loops (trois autres CD sortiront en 2003) propose donc une musique qui naît sur les cendres d’une autre qui, au même moment, disparaît. Basinski a aussi sorti une version DVD des Disintegration Loops 1.1 où il reprend les images qu’il a filmées – depuis son toit de Brooklyn – de l’effondrement des tours du WTC le 11 septembre 2001, accentuant du coup encore les connotations crépusculaires de l’œuvre.   [PhD]


Antony & The Johnsons

À l’instar de la chanteuse du groupe Portishead, Beth Gibbons, l’apparition, dans le petit monde de la pop, d’une voix comme celle d’Antony n'a laissé personne indifférent. Les sentiments éprouvés peuvent aller de l’adoration exacerbée à l’indifférence ou au rejet pur et simple. Né en 1971, le parcours d’Antony passe d'abord par la petite ville anglaise de Chichester puis par ses passages éclairs à Amsterdam et Santa Cruz jusqu’à son arrivée aux États-Unis via la Californie, pour finalement atterrir dans la ville de tous les possibles, New York. C’est là qu’il a développé dans les années 1990 ses activités au sein de la troupe de théâtre expérimental des Blacklips, par l’entremise duquel il est devenu cet artiste transgenre que l’on connaît aujourd’hui. S’ensuivra la rencontre avec les musiciens qui formeront avec lui son projet de groupe Antony and The Johnsons. Parmi eux on retrouve entre autres le compositeur William Basinski ou la violoncelliste Julia Kent. Les premiers chants d’Antony racontaient la partition brutale du masculin et du féminin à la recherche d’une coexistence avec soi-même. La théâtralité a depuis laissé place au classicisme, à l’épure, à un lyrisme réduit au raffinement des sentiments. La nature, les éléments, sont devenus ses thèmes de prédilection. Nul ne sait aujourd’hui où se posera la voix d’Antony mais elle a déjà pris son envol (« I Am a Bird Now »). Depuis la sortie en l’an 2000 de son premier album éponyme, Antony a éveillé la curiosité et l’admiration d’artistes d’univers très différents comme Lou Reed, David Tibet, Yoko Ono, Marc Almond, Marianne Faithfull mais également Franco Battiato, Björk, Matmos et Jamie Saft.  [DM]


Jeffrey Lewis

Avec une guitare et un micro ou avec un crayon, quelques feutres et feuilles de papier, Jeffrey Lewis (New York, 1975) ne fait à peu près que raconter des histoires, se placer dans un fil narratif réel (une filiation, un héritage, une famille de choix) ou fictionnel. Chanteur et dessinateur, au point de rencontre rêvé du folk (la proximité, le respect de ses pères spirituels... ) et du punk (l’électricité, l’irrévérence...), son talent de songwriter est assez bluffant et singulier. Capable dans une chanson de projeter sa propre ligne de vie au-delà de l’âge de cent ans (ex. « Back when I was 63 the public rediscovered me / My comic books and records had all become rare cult-collector items ») ! – ou, au contraire, dans une autre, de remonter le temps jusqu’à la préhistoire – ou dans « Complete History of the Development of Punk on the Lower East Side, 1950-1975 » d’écrire une sorte de thèse de doctorat chantée, drôle et érudite, sur la préhistoire du punk et ses racines dans l’outsider folk, des anthologies de Harry Smith à Suicide, en passant par tous les farfelus du label new-yorkais ESP (cf. ci-dessus), David Peel & The Lower East Side ou les Silver Apples... Ce sont peut-être ces passages constants du documentaire à la fiction, de l’acoustique à l’électrique, du solo au trio (e.a. aux côtés de son frère Jack), du drôle au triste, qui donnent de l’épaisseur au bonhomme et le rendent si touchant. Pour reprendre le titre d’une autre de ses chansons : « You Don’t Have to Be a Scientist to Do Experiments on Your Own Heart ».  [PhD]


LCD Soundsystem

Sorti en 2002, le single « Losing My Edge » (pouvant se traduire par "Je ne suis plus dans le coup") résume à la fois la musique et l'esprit du projet LCD Soundsystem. Un groupe mené par le DJ, musicien, chanteur, producteur et fondateur du label Death From Above (DFA), le New-yorkais James Murphy. Cette chanson a été écrite en souvenir des soirées dans lesquelles il mixait. Le texte est une critique acérée de tous les fanatiques et nostalgiques du passé qui se vantent d'avoir vu et entendu tous les groupes majeurs avant tout le monde et se permettent de s'approprier ces musiques comme leur appartenant – attitude adoptée jadis par James Murphy lui-même (« Did I make those records ? Did I fuck ! So, I started becoming horrified by my own attitude. »). Pouvant évoquer l'attitude et le phrasé de Mark E. Smith (chanteur increvable et autoritaire du groupe anglais The Fall) auquel Murphy affirme vouer une admiration sans bornes, celui-ci déclame son texte de façon désincarnée, froide, voire déprimée. [BM]

Losing my edge / Yeah, I'm losing my edge / I'm losing my edge / The kids are coming up from behind / I'm losing my edge / I'm losing my edge to the kids from France and from London / But I was there / I was there in 1968 / I was there at the first Can show in Cologne / I'm losing my edge to the Internet seekers who can tell me every member of every good group from 1962 to 1978 / I was there in 1974 at the first Suicide practices in a loft in New York City / I was there when Captain Beefheart started up his first band / I was the first guy playing Daft Punk to the rock kids — James Murphy / LCD SOundsystem


The Magnetic Fields 

Dix-huit ans après la sortie de son disque le plus ambitieux, le toujours fascinant 69 Love Songs, Stephin Merritt remet cela avec cette fois un quintuple album autobiographique où chacune des 50 chansons se concentre sur une année de la vie du chanteur, parolier et musicien new-yorkais. Le tour de force est tout simplement étourdissant et permet une fois de plus à Merritt de prouver qu'il est bien le digne descendant de Irving Berlin, Cole Porter, Ira Gershwin et Charles Ives. Un savoir-faire pop où il excelle et où il peut faire étalage d'une palette musicale d'un éclectisme à couper le souffle. Des bidouillages électroniques façon Joe Meek ou Kraftwerk, du minimalisme épuré des Young Marble Giants à la pop totalitaire de Abba en passant par les méandres de la synth pop arpentés par les Pet Shop Boys ou The Human League, tout y passe ou presque. Et, cerise sur le gâteau, les mots ciselés de Merritt ont cette façon tout à fait unique de décrire le monde qui l'entoure. Une écriture comme calquée sur celle de Lou Reed qui, au sein du Velvet Underground ou durant sa carrière solo, décrivait le monde interlope et underground de la vie new-yorkaise de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Un disque hors-norme et sans temps mort dans lequel Stephin Merritt évoque avec une certaine nostalgie et non sans humour les lieux disparus ou sur le point de l'être de la grosse pomme. [DM]



Une playlist de PointCulture signée Philippe Delvosalle, Benoit Deuxant et David Mennessier
- avec l'aide de Brigitte Molenkamp, Jacques Ledune et Marc Roesems.

image: A Great Day in Harlem (Art Kane, 1958) + A Great Day in Hip Hop (Gordon Parks, 1998)

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