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New York (et Brooklyn) au cinéma

Amos Kollek - Sue perdue dans Manhattan
New York (et Brooklyn) en 12 films ? Il faudrait une année de projections d'une cinémathèque pour commencer à couvrir le sujet. Ci-dessous, une liste avec des "trous" à la taille des gratte-ciels de la ville: ni Shirley Clarke, ni Chantal Akerman, ni John Cassavettes, ni John Carpenter, etc. mais une douzaine de premières propositions subjectives et variées. Des coups de cœur (et un coup de gueule). À vous de poursuivre l'exploration...

Sommaire

Gangs of New York (Martin Scorsese, 2002)

Adaptation du livre éponyme d’Herbert Asbury, Gangs of New York est une fresque aussi impressionnante que peu reluisante de la Grande Pomme au milieu du 19ième siècle. Loin du glamour et de l’effervescence culture auxquels sont associés New York City, Scorsese dépeint les débuts du développement économique, démographique de la mégalopole où violence et arrangements politiques divers étaient de mise. Le cinéaste rend un hommage aux oubliés de sa ville et signe un film de gangsters (un de plus) d’un autre temps où la crasse se substitue aux costumes trois pièces, où le tragique et la misère sont les seules échappatoires possibles.  [MA]


Lost Lost Lost (Jonas Mekas, 1949-1963 / 1976)

Débarqués le 29 octobre 1949 sur les berges de l’Hudson, en provenance des camps de « personnes déplacées » de l’immédiat après-guerre en Allemagne, il n’aura fallu que quelques semaines pour que les frères Adolfas et Jonas Mekas achètent une caméra Bolex 16 mm et se mettent – quand leurs éreintants petits boulots manuels à visée de subsistance leur en laissent la force et le temps – à filmer la communauté lituanienne de New York et les balbutiements de leur nouvelle vie (des vues de la ville, la  Film-Makers Cooperative, Robert frank, Leroi Jones, Tiny Tim, etc.). Il faudra cependant plus de vingt années (certes plutôt bien remplies : création d’une revue de cinéma, d’une coopérative de distribution de films et d’une cinémathèque) à l’aîné, Jonas, pour qu’un double mouvement, lent et long, d’oubli puis de redécouverte, lui permette (en 1976) de monter et de montrer ces images (tournées de 1949 à 1963).  [PhD]

La période que je décris à travers ces six bobines de film fut une période de désespoir, de tentatives pour planter désespérément des racines dans cette terre nouvelle, pour créer des souvenirs. À travers ces six douloureuses bobines, j'ai essayé de décrire les sentiments d'un exilé, mes sentiments pendant ces années-là.  (…)  La sixième bobine est une transition, elle montre comment nous commençons à respirer, à trouver quelques moments de bonheur. Une nouvelle vie commence. — Jonas Mekas
Article plus long sur Jonas Mekas (et son film Walden) :


On the Bowery (Lionel Rogosin, 1957)

Ouvrant et fermant son film par l’ombre portée du viaduc du métro aérien l’ex-ingénieur chimiste Lionel Rogosin suit, pendant quelques jours et quelques nuits, l’errance urbaine – entre trottoir, « rades » miteux, back alleys et dortoirs de l’Armée du Salut – d’un ex-ouvrier du chemin de fer cherchant, tant bien que mal, à rebondir dans la vie plutôt que de sombrer corps et âme. Pour Rogosin, fils d’un industriel juif du textile, il n’est plus possible après la Shoah de juste feindre d’être heureux en fermant les yeux sur les horreurs du monde. Influencé par les méthodes de Robert Flaherty, le cinéaste en devenir commence par passer six mois sans la moindre caméra, dans sa propre ville, auprès de ceux qu’il va filmer et qui vont jouer leurs propres rôles, redonner vie à quelques bribes de leur existence à peine rescénarisées (juste quelques lignes de conduite pour guider l’improvisation).  [PhD]

C’est ça le cinéma : une mise en scène qui est visualisée, incarne le lieu et les gens et n’est, par essence, pas écrite. Vous allez voir de vos propres yeux votre scénario dans la rue, dans les bâtiments, et vous sélectionnez les images que vous décrivez sur le papier. Vous écoutez les sons, les conversations, tout en les sélectionnant et les résumant sur le papier. Puis vous laissez ces mêmes personnes rendre tout ça au film par leurs propres moyens d’expression. — Lionel Rogosin, interviewé par Jonas Mekas pour 'Film Culture'

Article plus long sur le film et Le petit fugitif (Ashley, Orkin & Morris Engel, 1953) :


Manhattan (Woody Allen, 1979)

Une succession de différents plans de New York City, « Rhapsody in Blue » de George Gershwin en musique de fond et une voix off qui, sous le couvert d’un livre en cours d’écriture, déclame son amour pour la ville. Le tout sublimé par un noir et blanc des plus classieux. Quelques minutes suffisent pour comprendre où veut en venir Woody Allen avec son Manhattan si bien nommé. Avec ses dialogues mordants (comme souvent), son humour cynique de petit bourgeois « cultureux » et ses relations amoureuses alambiquées Manhattan est peut-être le film qui représente le mieux l’œuvre de Woody Allen et l’importance que le réalisateur porte à « La ville qui ne dort jamais ».  [MA]


Metropolitan (Whit Stillman, 1989)

Dans ce film d’intérieur, les vêtements portés par les personnages en disent tout autant sur eux que les lieux qu’ils fréquentent. Aussi fade que des pulls en cashmere aux couleurs pastel, chemisiers blancs, smokings et robes en satin crème, le tissu urbain se résume à quelques clichés décevants, pans de rue la nuit, porches d’immeubles, frontons de théâtres, façades éclairées par une lumière rasante. Le manque de moyens n’explique qu’en partie la pauvreté des décors. Plutôt, cette relégation du réel de la ville renvoie à la façon dont des jeunes gens bien nés autour desquels s’articule le film disposent physiquement et mentalement des lieux dont ils héritent. Leur rapport au monde ne s’appuie pas sur la connaissance ou le travail mais sur le discours et le jeu de rôle. Il y a un peu de Woody Allen et un peu de Rohmer chez Whit Stillman qui, très à l’aise avec les conventions du théâtre ou de la sitcom, n’oublie jamais que la conversation est une histoire de corps, de regards et de gestes qui, saisis dans leur éloquence propre, mènent leurs aventures en coulisses. Dans cette optique, les grandes villes peuvent se réduire à de petits groupes de personnes délirant dans la chaleur de salons cossus. Du moment que quelques individus ont la prétention de se considérer comme les représentants de quelque chose - classe, idée, caractère -, les relations performatives qu’ils entretiennent les uns avec les autres peuvent leur donner raison. Ainsi, le New York de Whit Stillman est une construction entièrement discursive, un théâtre. C’est une architecture en trompe l’œil et en faux semblants qui a le confort de sa légèreté et de son inconséquence, avec au final, pas moins de vérité qu’une étude sociologique.  [CDP]


New York, N.Y. (Raymond Depardon, 1985)

 « J’étais venu à New York pour tourner un film. Loin, cela me paraissait évident. Tous les jours, à la même heure, je sortais avec ma caméra. C’était l’hiver, les jours tombaient de bonne heure. La lumière m’échappait chaque soir. […] Je n’arrivais pas à filmer cette ville. Elle était trop forte, ma pensée était ailleurs. »

C’est par ces mots en voix off que commence ce court métrage étrange constitué de trois plans : un travelling avant traversant un pont sur l’Hudson River à la tombée de la nuit et nous faisant entrer dans Manhattan, un plan fixe montrant des gens semblant rentrer de leur travail, un travelling « retour » nous faisant quitter Manhattan dans la nuit. Par son efficacité et son dépouillement, aux niveaux du commentaire, de la photographie et du son (assourdi, ne laissant entendre que le bruissement de New York ou celui des pas au sol), ce film-essai montre l’impossibilité de filmer le réel d’une ville.  [MR]

Raymond Depardon - New York, NY

Do the Right Thing (Spike Lee, 1989)

Le scénario est simple : Buggin Out (Giancarlo Esposito) habitué du quartier de Bedford-Stuyvesant, au cœur de Brooklyn, rentre dans la pizzeria tenue par l’italo-américain Sal (Danny Aiello) et ses deux fils. Sur le mur des célébrités du restaurant, aucun portrait de personnalités  noires. Buggin Out demande à Sal de rectifier cet oubli, ce dernier refuse.  Do the Right Thing est le film typique de quartier marqué par un ancrage urbain populaire fort et un regard sur les tensions ethniques et sociétales aux États-Unis. L’action se déroule sur une même journée, dans pratiquement une seule rue et par une chaleur caniculaire. L’ambiance reflète pourtant le quartier dans sa globalité et tout ce qui va avec l’époque ; style vestimentaire haut en couleur, culture massive du hip hop et problèmes sociétaux du moment (incroyablement et désespérément pareils à ceux d’aujourd’hui). La portée politique du film est inhérente et renforcée par des références explicites à Martin Luther King et Malcom X. C’est un Brooklyn « old school » que Spike Lee nous donne à voir sur un lit de cool attitude, agrémenté d’une pointe de sarcasme qui confirme le point de mire du réalisateur soit, les tensions intercommunautaires dans un quartier marqué par la diversité culturelle.  [AHD]


Bonus : Les photographies de Jamel Shabazz nous plongent dans l’atmosphère des eighties à Brooklyn.


High School II (Frederick Wiseman, 1994)

Vingt-cinq ans après avoir filmé à Philadelphie – pour son troisième long métrage, High School (1968) – un lycée au point de basculement entre la vieille Amérique de papa et les révolutions sociétales de la fin des années 1960, le grand documentariste Frederick Wiseman en tourne une sorte de suite ou de mise-à-jour dans un tout autre contexte géographique et pédagogique : à  la Central Park East Secondary School,  une école expérimentale de Spanish Harlem. Fidèle à sa méthode, Wiseman filme la circulation de la parole, sans ajout du discours surplombant d’une voix off. Et dans cette institution scolaire qui fait le pari de l’apprentissage de la discussion et du débat d’idées, le cinéaste ne manque pas de matière. Mais l’école n’est pas qu’une petite bulle d’utopie coupée du monde et – malgré le fait que le film soit essentiellement un huis clos dans les classes, couloirs, bureaux, laboratoires du lycée, la réalité du quartier (voire du pays – l’émoi suscité, au moment du tournage, par le passage à tabac par la police de Los Angeles de l’automobiliste noir Rodney King) percole jusque dans ses murs. À voir absolument !  [PhD]

Article plus long sur Frederick Wiseman :


Kids (Larry Clark, 1995)

À l’aube des années 1990 à New-York, l’été mouvementé d’un groupe d’ados dont la figure de proue, Telly, court exclusivement la jeune vierge afin de s’éviter les risques d’infection en ces temps de (psychose) Sida. Mais quand l’une de ses ex, est déclarée positive à un test HIV, celle-ci s’empresse de le retrouver pour et le prévenir. Premier film de fiction d’un photographe culte, Kids montre, sans fard, la trajectoire plutôt chaotique de jeunes paumés et laissés à eux-mêmes dans une mégalopole qui est le champ de toutes les expériences, et le théâtre d’un drame qui se noue, inexorablement sous nos yeux de spectateur voyeur malgré (?) nous. Un conte moral (mais non moralisateur) dramatiquement expiatoire et accompagné d’une bande-son irréprochable.  [YH] 

Sue perdue dans Manhattan (Amos Kollek, 1997)

Quarantenaire célibataire, Sue (Anna Thomson) perd son emploi de secrétaire et à deux doigts d’être expulsée de son appartement. Elle erre dans Manhattan à la recherche d’un nouveau job, mais surtout enquête de nouvelles rencontres. Sue… est le récit d’une femme, qui se perd, s’efface petit à petit dans le tissu urbain d’un New-York saisi par l’hiver. Séduisante, malgré un physique hors-norme, Sue est surtout une femme terriblement seule que Kollek suit pas à pas, caméra à l’épaule, dans les agences pour l’emploi, les parcs, les rues, hôtels, appartements. Et entre ses de confrontations douloureuses ou décevantes avec le monde « extérieur » et ses moments obligés de réclusion intime, Sue… trace en pointillé, le portrait d’un être « usé » par l’existence.  [YH]



Two Lovers (James Gray, 2008)

Située à la pointe sud de Brooklyn, sur la péninsule de Coney Island à une heure de métro de Manhattan, Brighton Beach abrite depuis le début du XXème siècle une importante communauté juive issue de l’émigration ashkénaze. Aujourd’hui encore, les descendants des Juifs ayant fui les pogroms russes et les persécutions nazies constituent la principale population de ce quartier également surnommé « Little Odessa ». C’est le titre du premier long métrage de James Gray, un hommage à la terre qui accueillit son père, juif et russe, lors de son arrivée à New York. Son regard sur cet endroit ne semble pas avoir changé lorsqu’il y revient quatorze ans plus tard pour Two Lovers, attiré par la froide lumière des bords de l’Océan. Pour cette lointaine adaptation des Nuits Blanches de Dostoïevski, les rives de la mer Noire pourraient s’avérer plus riantes que l’Amérique de Brighton Beach. La figure d’un homme filmé de dos marchant vers l’horizon brumeux, sa silhouette massive, sa démarche pesante modulent un paysage affectif que de brèves fulgurances ne suffisent pas à réchauffer. Gris, venteux, hostile, le dehors n’offre aucune échappatoire à un intérieur obscur, suffocant, celui d’un appartement aux murs entièrement recouverts de portraits de famille. Des deux dimensions qu’embrasse ce paysage originaire, la plus douce n’est pas la moins désespérante.  [CDP]



Chelsea Hotel [Chelsea on the Rocks] (AbelFerrara, 2011)

Tourné quelques mois avant sa fermeture pour cause de rénovation, le film d’Abel Ferrara rend hommage à l’Hôtel Chelsea de Manhattan (New York), un lieu légendaire qui abrita de nombreuses personnalités hors du commun – Patti Smit, Bob Dylan, Andy Warhol, Janis Joplin, Dennis Hopper, William S. Burroughs ou encore Stanley Kubrick – mais aussi des personnages du monde interlope new-yorkais (dealers de drogues, petits malfrats, prostituées…). Bâti en 1883, l’Hôtel Chelsea, à l’époque le bâtiment le plus haut de la ville, fut l'une des premières coopératives d'habitations privées de New York. L'expérience tourna court et, en 1905, le Chelsea devint à la fois un hôtel et une résidence. Longtemps considéré comme une forteresse imprenable abritant écrivains, artistes, musiciens et autres rebelles, le Chelsea – au moment du tournage – vient d'être reconverti en hôtel branché visant une clientèle raffinée, par des actionnaires qui affichent le plus grand mépris pour son histoire formidable. C’est cette histoire qu’Abel Ferrara tente de raviver, interrogeant à la fois des anonymes y séjournant toujours ou des pensionnaires célèbres qui y ont vécu… quelques jours ou parfois quelques années. À la recherche d’anecdotes et de moments drôles ou sinistres, le film n’échappe malheureusement pas à un certain côté « foutraque » … propre à son auteur et sans doute aussi propre à un lieu mythique qui ne le sera plus, une fois que ses derniers artistes locataires auront été expulsés.  [MR]





Et, pour qui en douterait, oui, il y a moyen d'aimer New York, d'imaginer lui rendre hommage et de rater son film :


New York, I Love You (film collectif, 2008)

réalisé par Fatih Akin, Yvan Attal, Allen Hughes, Shunji Iwai, Jiang Wen, Shekhar Kapur, Joshua Marston, Mira Nair, Natalie Portman, Brett Ratner, Randall Balsmeyer

C’est un film juxtaposant une dizaine de courts-métrages avec en toile de fond la ville de New-York. Le casting est impressionnant, le résultat final n’est pourtant pas aussi « prodigieux »… Le romantisme exacerbé et le manque d’unité entre les différentes histoires, la pluralité de sens dans certaines d’entre elles (qui, en fin de compte, a pour effet de les démunir de signification) donnent un air fluet à l’ensemble. Peu de diversité dans les formes d’amour également. Étonnant pour un film tourné au cœur d’une ville libérée et cosmopolite. Si l’on se concentre sur la ville de New-York et sa mise en scène, New York, I Love You a tout de même le mérite de nous proposer de belles balades à travers la grosse pomme tout comme une vision réaliste (même si restreinte) du mode de vie local, sans pour autant nous donner un aperçu de la diversité de la ville puisque presque toutes les scènes sont tournées à Manhattan. En définitive, on s’attend à quelque chose de palpitant (ce que l’on peut espérer de New York) mais on est déçu du manque d’originalité de ce travail collectif et de l’absence du cachet de la ville qui au final, n’est pas du tout exploité.  [AHD]



Une playlist de PointCulture
réalisée par Catherine De Poortere, Alicia Hernandez-Dispaux, Marc Roesems, Michaël Avenia, Yannick Hustache et Philippe Delvosalle.

photo de bannière:
Anna Thomson dans Sue perdue dans Manhattan d'Amos Kollek

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