« Fuck tha Police » - violences policières - du rap au hardcore
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Les forces de l’ordre ont normalement pour mission de faire respecter la loi, mais, dans les faits, ce n’est pas toujours le cas. On parle de « violence policière » ou de « brutalité policière » quand les policiers, dans l’exercice de leurs fonctions, commettent des abus envers des personnes, que ce soit des arrestations frauduleuses, des intimidations, des fusillades intempestives, des tirs sur des individus identifiés comme suspects à tort, de la répression politique ou encore du harcèlement sexuel.
De nombreux artistes se sont insurgés contre ces brutalités, à différentes époques et dans différents pays. Ils ont écrit des textes dénonçant leur dégoût, voire même leur haine, envers les policiers. Ils les assimilent à des porcs – « pig » désignant, en argot anglo-américain, les forces de l’ordre –, mais ils évoquent également leur inclination vers le fascisme et l’extrême droite. En faisant entendre leur voix, ces artistes veulent mettre le doigt sur un problème récurrent mais aussi sur les sanctions souvent trop légères qui sont appliquées dans ces cas de violence.
Les chansons citées ci-dessous peuvent se diviser en plusieurs catégories, dénonçant les injustices, le racisme et la non-acceptation des différences. Aux États-Unis et ailleurs, les brutalités policières sont souvent liées à une discrimination de certaines communautés, celles des « non-Blancs ». En 1991, l’affaire Rodney King a fait scandale après la diffusion mondiale de la vidéo montrant son tabassage par des policiers. La liste de bavures est interminable, d’Amadou Diallo à George Floyd aux États-Unis, de la petite Mawda à Jozef Chovanec en Belgique. Le racisme des forces de l’ordre est très régulièrement montré du doigt et certains artistes n’hésitent pas à les comparer au Ku Klux Klan ou aux nazis.
Tout au long du 20e siècle, des artistes afro-américains ont dénoncé les violences policières, et le mouvement a pris de l’ampleur dans les années 1980 et 90 quand les rappeurs américains et français se sont emparés de la cause, créant des morceaux qui sont devenus incontournables, comme « Fuck tha Police » de NWA, ou encore « Cop Killer » de Body Count. Pour Hamé, rappeur dans le groupe français La Rumeur, l’histoire va plus loin : il a en effet été accusé de « diffamation publique envers la Police nationale » suite à un article dans le fanzine du groupe, La Rumeur Magazine n°1, publié en 2002. Après un marathon judiciaire qui a duré huit ans, il est finalement relaxé en 2010.
Bruce Springsteen et Le Tigre ont également abordé des crimes qui ont secoué l’opinion publique, et cette playlist présente deux morceaux qui font référence au meurtre d’Amadou Diallo à New York en 1999, tué par la police lors d’un contrôle. Diallo sortait son portefeuille de sa veste pour montrer ses papiers d’identité, les flics ont tiré pensant voir une arme.
Au-delà du racisme, les forces de l’ordre ont toujours eu un souci avec la différence et ont harcelé des groupes qui ne se conformaient pas aux codes de la société traditionnelle. Deux styles de musiques – blanches cette fois-ci – ont été particulièrement visées à partir de la fin des années 1970 : le punk et le hardcore. Le groupe belge The Kids a écrit la chanson « Fascist Cops » suite à la stigmatisation de certains membres du groupe par la police à cause de leur look punk. De même, « Police Story » de Black Flag a été inspiré par des descentes de flics lors de leurs concerts.
En cas de manifestations, la police réprime très régulièrement les foules à l’aide de canons à eau ou de gaz lacrymogènes, des mesures qui sont bien excessives par rapport au calme de la plupart des événements. Les contestataires se défendent du mieux qu’ils peuvent, avec des parapluies, comme à Hong Kong, ou des canards en plastique comme à Bangkok, mais aussi en entonnant des chansons et hymnes pour radoucir les mœurs. Certains chanteurs et groupes (Test Department) ont dénoncé les pratiques des forces de l’ordre lors de ces manifestations ou lors de grèves, comme celle des mineurs à l’époque thatchérienne au Royaume-Uni dans les années 1980.
Cette playlist se limite à un répertoire essentiellement anglo-saxon, composé lors des 50 dernières années, mais il est évident qu’il existe de nombreux autres morceaux dans le monde entier, et ce à chaque fois que les forces de l’ordre dépassent le cadre de la loi. Ces chansons expriment des émotions profondes, elles-mêmes souvent violentes et brutales, mais nécessaires dans la contestation. Le sujet reste sensible auprès des États qui tentent souvent de cacher les brutalités de leurs forces de l’ordre. Récemment, en France, la loi de sécurité globale interdisant notamment de filmer la police a provoqué de nombreux débats et questions, et remet en cause les libertés publiques. Le sujet n’est pas clos, les chanteurs écriront encore longtemps des textes de protestation contre les violences policières.
NWA, « Fuck tha Police » - (1988)
Composé en 1988, le morceau hip-hop du groupe de Los Angeles reste aujourd’hui encore d’actualité. Il parle des relations difficiles entre la police et les communautés noires des banlieues de la cité. Son succès a été immense auprès des jeunes Noirs et a fortement déplu au FBI qui a envoyé un courrier au label du groupe pour exprimer son mécontentement par rapport au texte qui donnerait une mauvaise image de la police.
KRS-One, « Sound of da Police » - (1993)
Dans « Sound of da Police », le rappeur américain du Bronx KRS-One parle du harcèlement de la police et du profilage racial. Les sirènes évoquées tout au long du morceau – « woop, woop » – ont marqué les esprits et ont été très souvent samplées par la suite. Mathieu Kassovitz utilise la chanson dans La Haine. La manière dont DJ Cut Killer mixe le morceau dans le film provoque une sorte d’hallucination auditive et on croit entendre « Assassins de la police » au lieu de « That’s the sound of the police ».
Cypress Hill, « Pigs » (1991)
Groupe de west coast hip hop californien, Cypress Hill propose avec « Pigs » un pamphlet contre la police, qui est comparée à des porcs. Ce texte virulent met le doigt sur leur racisme, leur violence et leur corruption, le tout sur une musique funky, aux beats un peu paresseux et aux samples bien choisis.
La Rumeur, « La Meilleure des polices » (2007)
Groupe de hip-hop français, La Rumeur se démarque d’autres formations de l’Hexagone par des textes subversifs qui ne sont pas atténués pour les radios. « La Meilleure des polices » apparaît sur leur troisième album, Du cœur à l’outrage. Le texte, redoutablement bien écrit par Hamé, décrit avec ironie les mécanismes insidieux des forces policières.
Junior Murvin, « Police & Thieves » (1976)
Sans doute plus connu dans sa version reprise par les Clash, « Police & Thieves » a été composé à l’origine par le chanteur de reggae Junior Murvin et par la légende du dub Lee « Scratch » Perry. Les paroles comparent les gangs jamaïcains à la police avec qui ils sont en guerre, mais aucun des deux groupes ne respecte la loi, préférant faire couler le sang. La voix soul au timbre de falsetto de Murvin contraste fortement avec la violence évoquée dans le texte.
The Clash, « Police on My Back » (1980)
En 1980, le groupe anglais punk rock The Clash reprenait une chanson composée et interprétée à l’origine par The Equals, un groupe britannique de reggae et R&B mené par Eddy Grant. Leur version de « Police on My Back » insiste sur le harcèlement journalier de la police, avec comme fond sonore le son strident des guitares de Joe Strummer et Mick Jones. L’album entier est truffé de protest songs les plus diverses.
The Kids, « Fascist Cops » (1978)
Groupe punk rock belge fondé en 1976, The Kids sortent leur premier album en 1978. Il comporte le morceau « Fascist Cops », une satire des policiers qui n’hésitent pas à brutaliser les gens sans raison. Le texte les compare à des porcs fascistes. Il a été inspiré par l’expérience personnelle des musiciens : leur look punk les stigmatisait aux yeux des forces de l’ordre. Ce morceau a marqué les esprits et est considéré comme essentiel dans leur carrière, et il a été repris dans le film Dief ! de Marc Punt.
Test Department, « Statement » (1986)
Groupe de musique industrielle originaire de Londres, Test Department (ou Test Dept.) a toujours été très politisé et a créé des œuvres qui soutiennent des causes diverses, notamment la lutte des mineurs anglais de l’ère thatchérienne. « Statement » date de cette époque et contient des extraits d’un discours d’Alan Sutcliffe, un des mineurs en grève, dénonçant les violences policières, sur un fond de musique basée sur des percussions métalliques.
Bruce Springsteen, « American Skin (41 Shots) (Live) » (2000)
Le chanteur américain Bruce Springsteen a composé de nombreuses chansons de protestation au cours de sa carrière. Avec « American Skin (41 Shots) », il dénonce la brutalité de la police new-yorkaise qui, en 1999, a tiré 41 balles sur le ressortissant guinéen Amadou Diallo, qui tentait de sortir son portefeuille de sa veste, ce qui a été vu comme une arme. Dix-neuf balles l’ont atteint directement. La version en concert est particulièrement intense, et a été interprétée après l’acquittement des quatre policiers impliqués dans la fusillade. Certains syndicats de la police locale ont boycotté les concerts du Boss lors de sa tournée de 2000.
Le Tigre, « Bang Bang » (2000)
Reprenant le même thème que Bruce Springsteen dans la chanson citée plus haut, le groupe américain Le Tigre, mené par Kathleen Hanna, proteste contre le meurtre injustifié d’Amadou Diallo en 1999, mais aussi contre celui de Patrick Dorismond en 2000. Malgré le clin d’œil à la chanson « Bang Bang » en style boogaloo de Joe Cuba, ce morceau-ci est bien plus brutal et enragé.
Black Flag, « Police Story » (1981)
Dès leur premier album Damaged, sorti en 1981, le groupe hardcore américain Black Flag propose des morceaux aux textes engagés à une époque où règne le reaganisme. Leurs performances en concert ont souvent provoqué des réactions violentes de la part de membres du public et la police est plusieurs fois intervenue avec vigueur. Le flyer faisant la promotion de « Police Story », créé par Raymond Pettibon et illustrant un flic tenu en joue, avec le révolver dans sa bouche, a provoqué la controverse, tout comme la chanson, extrêmement courte et tendue, interprétée par le chanteur Henry Rollins.
MDC, « Dead Cops / America’s So Straight » (1982)
Juste le nom déjà de MDC (Millions of Dead Cops) est évocateur ! Ce groupe, fondé en 1979 à Austin, Texas, a tout au long de sa carrière exprimé une vision de gauche radicale au travers des paroles de leurs chansons. Leur premier single exprime leur dégoût de la société américaine conventionnelle et des forces policières qu’ils assimilent au Ku Klux Klan et à la Mafia.
Texte et playlist : Anne-Sophie De Sutter