Tokyo en musiques
Sommaire
Le gagaku
Musique de cour très ancienne (plus de 1200 ans), le gagaku est un style très élégant, raffiné et contemplatif, bien qu'il puisse sembler un peu austère et hermétique pour les oreilles occidentales. Il comprend plusieurs genres qui sont interprétés soit dans le cadre religieux (lié au culte des ancêtres shinto) soit comme divertissement (musique orchestrale ou chantée et danses). L'ensemble musical est composé de percussions, vents et cordes et parfois accompagné de voix, selon les styles. Au fil de l'histoire, les ensembles impériaux ont suivi la cour, déménageant de Nara à Kyoto, et enfin à Edo, l'ancien nom de Tokyo. [ASDS]
Le koto de Chieko Mori
Longue cithare à cordes pincées, le koto est un instrument japonais qui trouve ses origines en Chine. Uniquement joué à la cour dans le passé, notamment dans le cadre du kabuki et du bunraku, il s'est démocratisé au 20e siècle et de nombreuses pièces ont été écrites, tout particulièrement par Michio Miyagi (1894-1956) qui a sorti l'instrument de l'oubli. Chieko Mori a étudié avec un autre grand maître du koto, Tadao Sawai. Elle possède un sens certain de l'improvisation, autant dans des pièces traditionnelles que contemporaines et joue avec une grande spontanéité et inventivité. Le son qu'elle crée sur les cordes en soie ne peut être mis dans une case, oscillant quelque part entre les musiques orientales et occidentales, entre les traditions classiques et l'avant-garde. [ASDS]
Enka: Hibari Misora, « Ringo Oiwake »
Ballades larmoyantes, émotions exacerbées, sentiments doux-amers, autant de qualificatifs qui décrivent l'enka, ce style de chansons japonaises qui s'est développé après la Seconde Guerre mondiale. Hibari Misora est une des interprètes les plus flamboyantes, particulièrement à l'aise dans les morceaux tristes mais tout aussi efficace dans des chansons plus pop. Datant de 1952, « Ringo Oiwake » (« Le Pommier à la croisée des chemins ») est un de ses morceaux les plus célèbres, aux caractéristiques typiques de l'enka. Misora allonge certaines voyelles et utilise mélismes et falsetto, rappelant certains styles traditionnels japonais. Dans la partie parlée, elle décrit la beauté des fleurs printanières, celles des cerisiers et des pommiers, mais aussi la pluie qui fait tomber les pétales blancs, image qui lui évoque le décès de sa mère à Tokyo. [ASDS]
Shizuko Kasagi, « Tokyo Boogie Woogie »
Hit de 1947 interprété par la pétillante Shizuko Kasagi, « Tokyo Boogie Woogie » est un morceau qui contraste complètement avec les marches militaires et les chansons patriotiques de la période de guerre. Tokyo est alors une ville en ruines où règne la pauvreté et le marché noir; elle est envahie par les G.I qui apportent avec eux les rythmes qui préfigurent un monde différent, nouveau, où le consumérisme à l'américaine tranchera nettement avec les traditions anciennes et où les femmes seront un peu moins effacées. Shizuko Kasagi danse, se libérant du passé, et se laisse entraîner par les rythmes américains. Avec cette chanson, elle tente d'insuffler un nouvel optimisme aux Japonais meurtris par la guerre. [ASDS]
Toru Takemitsu: au-delà des hiatus
À la différence de Claude Debussy ou Olivier Messiaen qui ont su intégrer à leur écriture certains éléments extra-européens, Takemitsu évite le syncrétisme et renvoie les cultures à leurs spécificités. Comme John Cage gagnait sa liberté en n’acceptant comme cadre que la seule durée, Takemitsu fait de l’espace ou plus précisément du vide spatiotemporel la matrice naturelle de toutes les expressions musicales. Pour parler du silence entre deux notes, deux phrases, Takemitsu se réfère au terme japonais « ma » signifiant « intervalle » et dont le kanji (caractère chinois) est représenté par un soleil ou une lune entre deux battants de porte. Omniprésent dans la culture artistique et philosophique japonaise, le « ma » est au cœur du haïku, des espaces architecturaux et même des arts martiaux. Espace, silence ou distance, il concentre une charge indicible qui constitue, pour Takemitsu, l’essentiel de l’expérience esthétique.
Le Webern des Bagatelles, le Cage de Music of Changes ou le Debussy des Préludes n’auraient pas renié cette
résurgence du monde dans l’embrasure des notes. L’on peut dès lors comprendre
que, chez Takemitsu, les traditions occidentales et japonaises ne soient jamais
entrées en hiatus. N’est-ce pas John Cage, après tout, qui devait réconcilier
Takemitsu avec une culture japonaise encore marquée par le nationalisme et la
guerre ? [JL]
Toshiro Mayuzumi
Après des études à Tokyo puis au conservatoire de Paris, où il a découvert l’œuvre d’Olivier Messiaen et de Pierre Boulez, Mayuzumi rentre au Japon et entame une carrière aventureuse. Il est un des premiers compositeurs japonais à expérimenter la musique électronique, ainsi que la musique concrète. Dans les années 1950, Il s’éloignera progressivement des influences européennes et américaines pour chercher à produire une musique panasiatique, puisant l’inspiration dans le bouddhisme, dans la musique ancienne du Japon et dans la littérature, entre autres celle de son ami Mishima. Il est également un prolifique compositeur de musique de film, tant pour le cinéma japonais que pour le cinéma américain. Il a accumulé au fil des ans une œuvre particulièrement éclectique dans laquelle il a expérimenté les techniques les plus innovantes de l’avant-garde. [BD]
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Yellow Magic Orchestra
Pionniers de la pop synthétique, précurseurs
de la techno, les trois membres de ce boys band instrumental, Ryuichi Sakamoto,
Yukihiro Takahashi et Haruomi Hosono ont formé YMO alors que chacun avaient
déjà à son actif une carrière solo appréciable. Hosono a inventé le concept du
groupe comme une relecture électronique de l’exotica de Martin Denny ou de Les
Baxter, mais surtout comme une parodie de la vision occidentale de l’Orient.
Pastiche de musique chinoise, de dessins animés, de génériques de télé, le
groupe s’est illustré par un humour à froid dévastateur et subversif. Leur
succès de ce premier album, qui devait être l’unique sortie du projet, a été
tel qu’il a été suivi d’une vingtaine d’autres. [BD]
Sketch Show
Des années après la séparation de YMO, Yukihiro Takahashi et Haruomi Hosono se sont à nouveau réunis pour un projet électronique appelé Sketch Show. Les trois excellents albums qu’ils ont réalisés sous ce nom mélangent une approche novatrice de l’instrumentation synthétique et acoustique, associée à des textes énigmatiques en japonais, anglais et suédois. Ils collaborent pour l’occasion avec la nouvelle génération de l’époque : Towa Tei, Keigo Oyamada (aka Cornelius) et retrouvent pour quelques morceaux leur ancien associé Ryuichi Sakamoto, prélude à une reformation de YMO sous différents noms : Human Audio Sponge, HASYMO et finalement Yellow Magic Orchestra. [BD]
Jun Togawa
Dans un Japon très conservateur qui paradoxalement déborde de personnalités excentriques, les multiples frasques de Jun Togawa ont très souvent été mal reçues par le grand public. Sa pop survoltée et dadaïste, au chant tantôt doucereux et enfantin, tantôt démesurément opératique, a par contre paradoxalement été adoptée avec enthousiasme par la scène underground. Elle s’est assurée la collaboration de pointures notoires comme Haruomi Hosono, Hoppy Kamiyama, Otomo Yoshihide ou encore Jim O’Rourke. Outre sa carrière d’actrice, elle a une riche discographie tant en solo qu’au sein des groupes Halmens ou The Yapoos, ainsi que dans le surprenant projet Guernica avec Koji Ueno. [BD]
Pizzicato Five
Actifs entre 1985 et 2001, les Japonais de Pizzicato Five, groupe à géométrie variable gravitant autour du binôme Konishi Yasuharu /
Nomiya Maki, ont incarné une sorte d’idéal pop fantasmé, à la fois vintage
(look sixties), d’essence mélodique instantanée et toujours lesté
d’une touche groovy, parfois discoïde voire même « post-yéyé » !
Publiant ses disques aussi bien chez des indépendants (Matador) que chez les majors,
Pizzicato Five se voulait comme la B.O. en V.J. (comprenez, version japonaise) d’un film
de la nouvelle vague... écrite, composée, orchestrée et produite en tandem par
Burt Bacharach et Serge Gainsbourg ! [YH]
Merzbow
Masami Akita, plus connu sous le nom de Merzbow - un pseudonyme emprunté à Kurt Schwitters - est un des pionniers de la scène noise japonaise et un de ses représentants les plus célèbres. Depuis le début des années 1980, il amasse une discographie considérable par sa taille (plus de 400 disques) et par la radicalité de son approche. Ses performances consistent en un bombardement de sonorités abstraites aux tonalités abrasives, jouées à un volume sonore extrême. Son instrumentation a évolué au fil du temps, passant d’objets bricolés à l’électronique puis à l’informatique mais conservant la même fascination pour la distorsion et le feedback. [BD]
Yoshihide Otomo
La musique de Yoshihide Otomo recouvre un très large spectre d’expérimentations sonores. Guitariste de formation, il s’est ensuite lancé dans une exploration radicalement bruitiste des platines vinyles qu’il détourne, modifie, prépare, maltraite, pour en tirer des hurlements, des grondements, des grésillements. Mais son répertoire ne s’arrête pas là et il a également pratiqué en pionnier le sampling, fondé l’ensemble Ground Zero, réalisé des musiques de film, et collaboré avec un nombre considérable de musiciens à travers le monde. Son registre va du plus brutal en solo ou dans des formations de free-jazz, à ses collaborations avec Sachiko M qui au contraire pratique une musique minimaliste proche du silence. [BD]
une playlist collective de PointCulture signée :
Anne-Sophie De Sutter, Benoit Deuxant
avec l'aide de Jacques Ledune, Philippe Delvosalle et Yannick Hustache.
photo du bandeau:
installation sonore Without Records d'Otomo Yoshihide et Yasutomo Aoyama
(Yamaguchi Center for Arts and Media - YCAM, 2008)