Un pied devant l’autre | Médiagraphie marche
Sommaire
La marche est un art de la lenteur. Quand on est lent, l’expérience fait dépôt plus en profondeur et finalement, on perd moins rapidement son temps. — Patrick Leboutte, "pèlerin-militant" du cinéma documentaire (L’Image, le monde n°1, 19)
MARCHER DANS LE PAYSAGE
Old Joy - KELLY REICHARDT (États-Unis, 2006)
« I can use some time in the woods ». À Portland, deux amis s’étant perdus de vue, se recontactent pour une marche en forêt avec les Bagpy Hot Springs au Sud de la ville en guise de destination et récompense. États-Unis obligent, le film démarre par une longue virée automobile, le temps de quitter la ville, ses banlieues industrielles et de serpenter dans la montagne vers le point de départ de la randonnée. Mais c’est bien la marche de Mark, Kurt (le chanteur Will Oldham) et Lucy (la chienne de la cinéaste, « actrice » de plusieurs de ses films) qui est le nœud du film. C’est en arpentant la forêt et en se baignant dans l’eau chaude de la source que se révèle le mieux ce qui les lie encore et ce qui les sépare désormais. [PD]
Gerry - GUS VAN SANT (États-Unis, 2002)
Deux amis, tous les deux prénommés Gerry (interprétés par Casey Affleck et Matt Damon) décident de s’enfoncer loin des sentiers balisés dans les paysages rocailleux d’un désert du Sud des États-Unis. Ils y perdent leurs repères, et la fatigue et la déshydratation mettent à mal leur capacité de discernement et leur amitié… Influencé par le cinéaste hongrois Béla Tarr (par ex. par les longues marches dans les paysages ruraux détrempés de Satantango, 1994), Gus van Sant remplace la narration classique par l’agencement de longs blocs de temps et d’espace. [PD]
Sans toit ni loi - AGNÈS VARDA (France, 1985)
Sous l’œil documentaire d’Agnès Varda, la très jeune Sandrine Bonnaire devient Mona, force négatrice, personnification errante d'une liberté impossible à vivre. Fondée sur une enquête de terrain, l’histoire de cette jeune femme sans abri est une fiction découpée en 12 travellings conduits par des témoignages. Factuel, le film ne cherche pas à compenser par le lyrisme ce que son personnage rejette de toutes ses forces. Mona circule au hasard, sans autre but que d’arpenter un refus auquel elle prête le nom de liberté. [CDP]
Rond est le monde - OLIVIER DEKEGEL (Belgique, 2013)
Au-delà de la modestie du cinéaste bruxellois, sorte de franciscain païen du cinéma, et de la simplicité de son dispositif – « en compagnie d’un âne et d’une caméra super 8, un cinéaste traverse le monde et s’enivre de la beauté de toutes choses », – ce film est un monde. Mais un monde à l’échelle d’un homme, de ses mains, de ses pas et de ses sens. Rond est le monde est un film de marche, il ne pourrait exister sans elle, il en porte à la fois le rythme, la lenteur et la richesse, la place laissée au vagabondage de la pensée mais aussi l’ancrage bien physique et concret à la terre et au paysage. [PD]
Gasherbrum, la montagne lumineuse - WERNER HERZOG (Allemagne, 1984)
Deux alpinistes aguerris, Reinhold Messner et Hans Kammerlander, tentent une première mondiale : l'ascension de deux « 8.000 » de la chaîne himalayenne d'un seul coup, sans camp fixe, sans arrêt, sans radio et sans oxygène ; une semaine dans la « zone de la mort » où la raréfaction de l'oxygène et la puissance des éléments naturels et climatiques multiplient les dangers.
À travers ce film aux superbes images, sur une musique du groupe allemand Popol Vuh, Werner Herzog tente surtout de comprendre ce qui anime ces alpinistes de l'extrême et ce qui les pousse à se dépasser inlassablement. [MR]
Le Ciel et la boue - PIERRE-DOMINIQUE GAISSEAU (France, 1961 – 84 min)
En 1959, une équipe franco-hollandaise composée de cinéastes et d'ethnologues, menée par Pierre-Dominique Gaisseau, a fait le pari de traverser la Nouvelle-Guinée, du sud vers le nord. Cette grande île, en partie inexplorée à l'époque de l'expédition, est un monde à l'état brut, où vivent encore des chasseurs de têtes et des cannibales.
Après trois mois de pirogue, l'équipe doit se résoudre à poursuivre à pied dans l'épaisseur de la jungle ou dans les marais... Dans cette aventure humaine (7 mois pour 700 km parcourus) et cinématographique (superbe 35mm couleurs), les corps ne sont pas épargnés par les maladies, la chaleur, le froid, la famine, les mouches, les sangsues... et l’inquiétude des « premiers contacts ». [MR]
Oscar 1961 du Meilleur film documentaire
Walkabout - NICHOLAS ROEG (Australie – Royaume-Uni, 1971)
Une jeune adolescente australienne et son petit frère se retrouvent seuls dans le désert, après le suicide de leur père. Ils tentent de retrouver leur chemin vers Sydney, à des kilomètres de là. Ils rencontrent sur leur route un jeune aborigène qui va les aider à survivre au périple, en dépit de leurs difficultés à communiquer, et surtout à se comprendre. Film initiatique sur l’entrée dans l’âge adulte et la perte de l’innocence, il trace également un portrait complexe de deux civilisations qui ne se côtoient qu’à grand peine et semblent ne jamais pouvoir se mélanger. [BD]
Lillian - ANDRÉAS HORVATH (Autriche, 2019)
Lillian, c’est la chronique d’un être naufragé, dépourvu, désargenté, entamant une très longue marche d’un bout à l’autre des États-Unis. Plusieurs milliers de kilomètres, à pied, errant à travers des paysages aphasiques. Les méandres d’une Amérique profonde, à la fois sublime et hideuse. Le cinéaste autrichien Andreas Horvath s’est inspiré d’une histoire vraie des années 1920, celle de Lillian Alling partie à pied de New York pour rejoindre sa Russie natale via le Détroit de Béring. Ce périple la fera entrer dans la légende. Un opéra lui sera consacré, ainsi qu’une BD « Lillian The Legend » [StS]
Wild - JEAN-MARC VALLÉE (États-Unis, 2014)
Adapté du récit autobiographique de Cheryl Strayed, Wild retrace la longue marche de la future romancière, héroïne qui s’injecte cette épreuve avec souffrance physique et mentale. Mais aussi et surtout avec courage et détermination pour, à travers ces paysages perdus, retrouver ses repères et la femme forte, la fille aimante et aimée qu’elle était avant le décès de sa mère, événement fatal qui la fera bifurquer vers cette trajectoire de 1700 km en plein cœur de l’Ouest américain, le chemin de sa renaissance. [StS]
ERRANCES URBAINES
Ghost Tropic - BAS DEVOS (Belgique, 2020)
Dans la lignée des séquences pédestres de Toute une nuit (Chantal Akerman, 1981) et de Verboden te zuchten / Le Pressentiment (Alex Stockman, 2001), le jeune réalisateur bruxellois Bas Devos tourne un film d’errance dans Bruxelles. En 16 mm, il filme le retour à la maison, d’un bout de la ville à l’autre de Khadija, femme de ménage quinquagénaire s’étant endormie dans le dernier métro après une éreintante journée de travail. « Le film se déroule dans la ville à plusieurs vitesses. (…) La caméra bouge quand Khadija bouge, accélère quand elle accélère et s’arrête quand elle s’arrête. La caméra est son compagnon de route. » (Bas Devos) [PD]
MARCHER DANS « LA ZONE »
Stalker - ANDREI TARKOVSKI (URSS, 1979)
La « Zone » est un endroit mystérieux, une région interdite qui ne peux être visitée qu’accompagné d’un guide, le stalker. Un écrivain et un professeur partent avec l’aide de celui-ci à la découverte de « la chambre », le lieu où tous les souhaits se réalisent. Leur expédition traverse un paysage en ruine, parsemé de dangers divers. Pour tracer leur route, le stalker a recours à des rituels abscons, jetant au loin des écrous auxquels sont attachés des bouts de tissus. Au fil du voyage, les motivations de chacun se révèlent être moins claires qu’au départ, et moins louables. [BD]
JEU | Death Stranding - SONY INTERACTIVE et KOJIMA PRODUCTIONS (Japon, 2019)
Death Stranding est un jeu vidéo d'action et d’aventure créé par Hideo Kojima (Metal Gear Solid). L’action se déroule dans un monde post-apocalyptique où la plus grande partie de l'humanité a été décimée par une série de catastrophes surnaturelles appelées « l'Effondrement ». Les survivants sont isolés dans des villes fortifiées et le monde extérieur est dominé par des entités surnaturelles. Le joueur incarne Sam Porter Bridges, un livreur solitaire qui est chargé de relier les cités isolées à pied et, par la même occasion, livrer des marchandises de ville en ville. [TM]
MARCHER ENSEMBLE
Selma - AVA DUVERNAY (États-Unis, 2014)
Le 25 mars 1965, près de 25 000 femmes et hommes de toutes origines ethniques et sociales, parviennent finalement au Capitole de Montgomery après une marche de près de quatre-vingt kilomètres depuis la ville de Selma, dans l’Alabama. Une contestation pacifique qui exhorte le président Lyndon Johnson à signer le Voting Rights Act, lequel rend prohibitives les discriminations raciales entravant l’exercice du droit de vote aux États-Unis. Cet épisode décisif de la lutte pour les droits civiques est relaté au cinéma par la très engagée Ava DuVernay et son film de fiction basé sur les événements historiques. [SD]
La Marche - NABIL BEN YADIR (France-Belgique, 2013)
En France, l’année 1983 est marquée à la fois par le premier succès électoral du Front national et par une série de meurtres racistes et d’affrontements entre jeunes « des quartiers » et policiers. À l’automne, en réaction à ces événements, est organisée une grande « Marche pour l’égalité et contre le racisme » inspirée par Gandhi et Martin Luther King. Pour le trentième anniversaire des faits (de moins en moins connus des jeunes générations), le réalisateur bruxellois Nabil Ben Yadir (Les Barons) tourne une fiction romanesque et librement inspirée du parcours des figures-clés de cette marche militante. [PD]
Tous au Larzac - CHRISTIAN ROUAUD (France, 2008)
À travers ce long métrage documentaire, signé Christian Rouaud, nous est contée la révolte des paysans du Larzac, massivement soutenus par une horde bigarrée de maoïstes, militants adeptes de la non-violence et autres hippies acteurs de Mai 68. En effet, le 2 décembre 1978, un cortège fort de près de 40 000 marcheurs défile aux portes de Paris. À travers ce film militant, le cinéaste rend visible ces individus mal représentés au sein du monde politique et des médias, invisibilisés par leur condition de travailleurs issus de secteurs en décrépitude et soumis à une froide logique de marché. [SD]
Le Grand’ Tour - JÉRÔME LE MAIRE (Belgique, 2009)
Une randonnée pédestre de dix acolytes déshydratés, tous membres d’une fanfare amateur, quitte Malmédy et se dirige vers le "Carnaval du Monde" de Stavelot. Une marche ribouldinguée qui ne s’arrête pas là. Elle se transforme proportionnellement aux diverses rencontres pittoresques et aux nombreuses gueules de bois. Elle évolue aux altercations et à l’émiettement du groupe. Elle se convertit enfin en quête d’indépendance, de liberté, en « départ d’une nouvelle vie ». « Une histoire humaine avec des humains, des vrais humains ». [StS]
MARCHER ET EN RIRE
Les Randonneurs - PHILIPPE HAREL (FRANCE, 1996)
Le parcours semé d’embûches d'un groupe de quatre trentenaires sur le GR20, entendez le prestigieux itinéraire de grande randonnée qui traverse la Corse du nord au sud, accompagnés par un guide de montagne excentrique aussi agaçant que faussement compétent. On aurait pu s’attendre à voir les bronzés font le GR20 mais au final Philippe Harel nous donne à voir un film plutôt touchant. On ne se tape pas la cuisse mais on passe un bon moment avec des personnages attachants que la difficulté des chemins escarpés révèlera à eux-mêmes. [IK]
Antoinette dans les Cévennes - CAROLINE VIGNAL (France, 2020)
Antoinette, une institutrice, attend avec impatience le dernier jour d’école pour partir en vacances avec son amant. Déception, celui-ci lui apprend que sa femme lui a fait la surprise d’une randonnée en famille dans les Cévennes. Sans trop réfléchir, Antoinette se lance à sa poursuite. Elle choisit donc de marcher sur les traces de l’auteur Robert-Louis Stevenson et de faire à pied le trajet de 272 km reliant Puy-en-Velay à Alès. Comme lui il s’agit de soigner son chagrin et comme lui, elle fera la route avec un âne. Celui de l’écrivain s’appelait Modestine, le sien, Patrick. [BD]
L’Ours noir - XAVIER SERON et MÉRYL FORTUNAT-ROSSI (Belgique, 2015)
Dans ce court métrage à l’humour noir et féroce, cinq amis entament une randonnée dans un parc national lorsqu’une voix, surgie de nulle part – celle d’un garde forestier québécois – leur donne quelques conseils de sécurité s’ils venaient à rencontrer un ours noir… Malgré diverses mises en garde données tout au long du film, nos cinq randonneurs, un peu tête-en-l’air (ou stupides), seront tour à tour démembrés, décapités ou bouffés par un curieux ours noir dont nous ne dévoilerons pas ici l’aspect… Du « gore » absurde et drôle, librement inspiré du guide du parc national Forillon (Québec) et ses histoires d’ours. [MR]
Magritte du Meilleur court métrage de fiction 2016.
Une médiagraphie réalisée par Philippe Delvosalle, Simon Delwart, Catherine De Poortere, Benoit Deuxant, Igor Karagozian, Thierry Moutoy, Marc Roesems et Stanis Starzinski dans le cadre de la malle thématique « La marche » créée par la Bibliothèque centrale du Brabant wallon (FWB).
Cet article fait partie du dossier Médiagraphies | 2022-24.
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