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Une histoire afghane | Playlist musicale

A group of musicians and a lady dancer
Une playlist musicale sous forme de voyage dans l’histoire afghane, des premiers enregistrements au début du 20e siècle à des chansons très récentes.

Le début du 20e siècle : les enregistrements de la Gramophone Company

Au début du 20e siècle, quand les grandes compagnies de disques de l’époque voyageaient dans le monde entier pour enregistrer les musiques traditionnelles et les publier en 78 tours, l’Afghanistan a été un peu oublié. Il existe cependant quelques traces : en 1909, la Gramophone Company avait envoyé le jeune Allemand Franz Hampe en mission en Asie Centrale. Il allait parcourir durant plusieurs mois le Caucase, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Turkestan, le Xinjiang et l’Ouzbékistan. Même s’il ne s’est pas arrêté en Afghanistan, il a enregistré des artistes de ce pays à Merv au Turkestan. Le morceau ci-dessous est probablement une des premières archives musicales de cette région.

Par la suite, il faudra attendre 1925 pour que cette même Gramophone Company publie des 78 tours afghans, enregistrés à Lahore au Pakistan, auprès de musiciens qui venaient de Peshawar et Kaboul. Dans les années 1950, l’Union Soviétique a sorti quelques dizaines de disques, en collaboration avec Radio Kaboul. Une de ces faces, datant de 1959, est disponible sur la compilation Excavated Shellac. An alternate history of the world’s music.


Les années 1950 : Deben Bhattacharya, de Paris à Calcutta

En 1954, Nicolas Bouvier et Thierry Vernet traversent l’Afghanistan, en route vers l’Inde. Peut-être Bouvier a-t-il enregistré l’une ou l’autre musique, mais aucune n’apparaît sur le disque Poussières et musique du monde. Il raconte par la suite ses expériences dans L’usage du monde.

« Kandahar cette nuit-là, ses rues de terre muettes et fraîches, ses éventaires à l’abandon, ses platanes, ses mûriers tordus dont le feuillage faisait dans l’ombre une ombre plus chaude, nous les avons plutôt rêvés que vus. La ville ne poussait pas un soupir. » — Nicolas Bouvier, L’usage du monde

Deben Batthacharya les suit en 1955. Passionné par la musique, et à la recherche des origines orientales des musiques tsiganes, il est armé de son enregistreur. A cette époque déjà, il constate que les radios diffusent surtout des chansons de Bollywood. A Kaboul, il rencontre Abdul Kadar qui interprète une chanson parlant d’amour et de solitude, en dialecte d’Herat.


Les années 1970 : enregistrer sur la hippie trail

La route vers l’Inde inspire de plus en plus de jeunes, et à partir de la seconde moitié des années 1960, et dans les années 1970, beaucoup partent à l’aventure, en voiture, en bus… L’Afghanistan est sur leur route, le pays est alors facilement accessible et est attirant parce qu’il y est très facile de se procurer des drogues. Cette route qui part d’Istanbul et qui se termine en Inde est renommée « hippie trail ».

Parmi eux se trouvent également des personnes intéressées par la musique, et certains s’y établissent un moment pour enregistrer les traditions. Parmi eux, on peut citer Peter ten Hoopen, Mark Slobin, et surtout John Baily et Veronica Doubleday qui s’intéressent aux traditions d’Hérat. A la même époque, les radios locales possèdent des orchestres et diffusent régulièrement leurs morceaux dans diverses émissions. C’est une période prolifique pour la musique afghane, et ces enregistrements constituent une grande part de la musique qui est toujours écoutée aujourd’hui.

Avec le disque Afghanistan. Musiciennes d’Hérat, Baily et Doubleday offrent un aperçu de la musique telle qu’elle est pratiquée dans les maisons ou lors de fêtes privées, par les femmes et les jeunes filles. Elles ne se produisaient que rarement avec les hommes à cause de la ségrégation des sexes et chantaient en général en groupe. Leur répertoire est basé sur la poésie, sur les quatrains nommés chahârbeiti et ils sont rythmés par les tambours sur cadre dâireh, mais aussi par l’harmonium, ou de simples battements des mains.

Tout aussi intéressante est la musique classique jouée par les hommes, en directe lignée avec les ragas indiens, et tout particulièrement les airs au rubâb afghan (un genre de luth) de Mohammad Rahim Khushnawaz. Ils se retrouvent sur un disque compilé en 1974 par John Baily et édité sur le label suisse VDE-Gallo. Lors de l’enregistrement des plages 9 à 12, Rahim avait amené son frère pour l’accompagner au tablas mais également une cage avec deux canaris qu’on entend sur les morceaux, donnant à ceux-ci un cachet bien particulier. Pour les Hératis, quand les voix des oiseaux se mêlent à la musique, cela représente l’apogée du plaisir esthétique.

« Les soirs de novembre, le vent du nord descend sur Kaboul par bouffées, balaie les relents du Bazar et laisse dans les rues une fine odeur d’altitude. C’est l’Hindou Kouch qui fait signe. On ne le voit pas, mais on le sent derrière les premières chaînes, tendu dans la nuit comme un manteau. Tout le ciel en est occupé. » — Nicolas Bouvier, L’usage du monde


Stars de la pop des années 1970

A cette même époque, l’Afghanistan est envahi par les influences occidentales et de nombreux musiciens s’engagent dans une carrière pop, s’inspirant d’artistes qu’ils ont entendus à la radio, qu’ils soient anglo-saxons ou indiens. Il en résulte une musique très mélangée, à la fois rock et Bollywood, mais possédant également une spécificité afghane. Ahmad Zahir est une de ces stars, surnommée sur place « l’Elvis afghan ». Originaire d’une famille nantie, il fait carrière avec ses chansons mais en 1979, tandis que l’Afghanistan s’enfonce dans la guerre, il est retrouvé mort dans une voiture ayant eu un accident, camouflant peut-être un assassinat.


Après la chute des Talibans : les vedettes de l’émission Afghan Star

A partir de la fin des années 1970, l’Afghanistan connaît plusieurs décennies de guerre, avec une longue intervention des troupes soviétiques puis, après une guerre civile, l’arrivée au pouvoir des talibans au milieu des années 1990. Ceux-ci imposent la loi islamique, interdisant, parmi d’autres choses, la musique. Fin 2001, ce régime est défait par une coalition internationale menée par les Etats-Unis. Le pays retrouve une certaine liberté, qui sera à nouveau interrompue par le retour de l’émirat islamique en août 2021.

Pendant cette vingtaine d’années, la musique reprend ses droits, notamment par l’intermédiaire d’une émission tv s’inspirant d’un concept occidental. Afghan Star part en effet à la recherche des nouvelles idoles de la chanson afghane et passionne le pays entier. Bien que plus ouverte qu’auparavant, la société reste malgré tout très conservatrice et la chanteuse Setara Hussainzada y fait scandale : cette jeune femme de 21 ans, originaire d’Hérat, s’habille de manière moderne et se maquille comme une actrice de Bollywood ; et lorsqu’elle danse sur scène, son voile glisse, provoquant l’ire des générations plus âgées.


La diaspora, le futur de la musique afghane ?

Le régime des talibans et la situation instable du pays a fait fuir de nombreux artistes. Ils forment aujourd’hui une diaspora dans des pays aussi divers que les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la Norvège et entretiennent les traditions ancestrales en publiant leur musique sur divers labels occidentaux.

Mahwash est souvent considérée comme la « voix de l’Afghanistan ». Formée dans son pays par le maître Ustad Mohammad Hashim Chishti, elle s’est réfugié au Pakistan en 1991 puis a reçu l’asile politique aux Etats-Unis. En 2001, elle a formé l’ensemble Kaboul avec d’autres musiciens exilés et a enregistré plusieurs disques. Ghazals afghans, édité chez Accords Croisés, rassemble des poèmes d’amour séculiers et sacrés.

Homayun Sakhi est un autre artiste qui habite aujourd’hui aux Etats-Unis, en Californie. Né en 1976 à Kaboul, il a dû interrompre ses études musicales en 1992 quand sa famille s’est réfugiée à Peshawar au Pakistan. Contrairement à d’autres musiciens qui s’étaient rassemblés dans la ville, il a rejoint les Etats-Unis après la chute des talibans en 2001. Maître du rubâb, il interprète des morceaux du répertoire classique se rapprochant de l’esprit des ragas indiens.

Dans un style différent, plus moderne et plus hybride, il est intéressant de citer la chanteuse et musicienne Elaha Soroor. Elle s’est associée au collectif londonien Kefaya, formé autour du duo Al MacSween & Giuliano Modarelli. Dans l’album Songs of our mothers, elle revisite les chansons traditionnelles afghanes, généralement écrites dans une perspective féminine, et aborde la place des femmes afghanes dans une société patriarcale oppressive maintenue par le régime au pouvoir.

« Repris mon passeport paraphé, et quitté l’Afghanistan. Il m’en coûtait. Sur les deux versants du col la route est bonne. Les jours de vent d’est, bien avant le sommet, le voyageur reçoit par bouffées l’odeur mûre et brûlée du continent indien… » — Nicolas Bouvier, L’usage du monde


Une médiagraphie réalisée par Anne-Sophie de Sutter

Image : Groupe de musiciens et danseuses à Kaboul, Afghanistan (Wellcome Images, via wikicommons)

Les citations sont extraites de Nicolas Bouvier, Œuvres : L’usage du monde, Quarto Gallimard, 2004 (pages 341, 361 et 387)

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