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Les Festivals de Wallonie - UTOPIES sur toute la gamme

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Les Festivals de Wallonie sont un moment de découverte, d’originalité et de belles surprises qui propose d’aborder la musique classique autrement. Cette année, c‘est d’utopie dont il est question. Des utopies à partager. Des utopies thématiques, formelles, textuelles et/ou contextuelles, du plus bas au plus haut de la gamme. Un programme alléchant, truffé d’inattendus et qui ne nous a pas échappé. Pour l’occasion, PointCulture vous a concocté une médiagraphie qui mélange les musiques, de Haydn à la vitesse du futurisme, en passant par Bach, mais aussi les documentaires avec de joyeux détours comme El Sistema ou l’Orchestre Symphonique kimbanguiste.

Sommaire

Et au début, le Paradis… La Création de Haydn

Créé en 1799, Die Schöpfung est un récit biblique tiré de la Genèse et inspiré par la spiritualité des loges maçonniques viennoises. Il porte ainsi un message moral se voulant plus universel que religieux. Sur le plan musical, l’oratorio est à la fois synthèse stylistique du classicisme et annonce du romantisme. Dès l’ouverture – la représentation du chaos - un puissant accord « forte » est suivi de trois mesures de silence, d’un second accord « forte », puis d’arpèges « piano subito ». Montées chromatiques et dissonances appuyées en continuent la description. L’introduction se termine par un accord éclatant des chœurs et de l’orchestre sur « Licht » ( « Lumière »). Ces effets sont destinés à figurer la violence du chaos, le vide qui le remplit et le flamboiement du premier geste de Dieu. Ensuite, chaque étape de la création est annoncée par l’un des trois archanges (Gabriel, Uriel et Raphaël) dans un récitatif, suivi par un aria ou un ensemble qui commente et amplifie le récit. Un grand chœur clôture chacune des trois parties de la composition. L’architecture du tout reprend une structure déjà ancienne et largement éprouvée dans l’histoire de l’oratorio.

Die Schöpfung nous dépeint avec une foule de détails l’érection d’un monde nouveau, sorti des ténèbres, dans toute sa perfection. Chassant le chaos et les esprits infernaux, les éléments émergent tour à tour : le ciel, la terre, la lumière, l’eau, le temps, les végétaux… Le décor est planté. L’engendrement du règne animal est ensuite détaillé pas à pas, dans toute son opulence et sa profusion. Au bout de la chaîne, la création de l’être humain, un homme et une femme, dont la troisième partie de l’oratorio fait le récit. Dans celle-ci, le sujet est leur félicité en tant que couple. C’est le bonheur conjugal qui couronne ce monde idéal. Ils ne savent pas ce qui les attend. Les auditeurs de l’oratorio n’en sauront rien non plus. La Chute n’est pas évoquée. On reste dans le rêve jusqu’au bout. Aujourd’hui encore, l’œuvre nous parle, car plus que jamais, nous sommes au bord de la chute, de la perte d’un monde dont nous avons dilapidé les richesses. Un paradis perdu, en somme…

Enseigner, une mission essentielle – Johann Sebastian Bach

L’enseignement est souvent considéré comme un élément essentiel d’un monde idéal : former les enfants, c’est prévoir l’avenir, les préparer à être des adultes « de qualité », ou du moins répondant aux besoins d’une société nouvelle. Le monde musical compte de grands transmetteurs de savoir, et Johann Sebastian Bach en fait assurément partie. On sait qu’il avait dans ses attributions la charge d’enseigner la musique à des élèves. D’un tempérament orageux, cela ne se passait pas toujours très bien, manquant souvent de patience et, parfois, de la plus élémentaire bienveillance, en dénonçant certains à ses supérieurs par des lettres hargneuses. Cependant, lorsque le disciple était prometteur et appliqué, Bach pouvait lui consacrer sans compter tout son temps et son énergie, démontrant une véritable passion pour son rôle de professeur.

Page de titre du manuscrit d'Anna Magdalena Bach

Dans son travail de composition aussi, Bach se révèle pédagogue. Nombre de ses recueils portent sur l’apprentissage de l’instrument et de la composition : l’Art de la fugue, l’Offrande musicale, Petits Préludes pour W.F. Bach…, faisant travailler les élèves sur une musique bien construite et d’une esthétique recherchée plutôt que sur des exercices. Les Six suites pour violoncelle ont été composées pendant une période faste pour Bach, alors qu'il était employé par le Prince d’Anhalt-Köthen, sans doute au début des années 1720. Le cycle s’inscrit aussi dans cette série d’ouvrages de perfectionnement technique, avec un accroissement des difficultés au fil du cahier. Jusqu'à ce qu'elles soient introduites au concert par Pablo Casals, ces suites étaient considérées comme de simples études, sans qu'on ne semble en mesurer la valeur musicale. Elles marquent aussi les débuts d'un répertoire dédié sans équivoque au violoncelle, et qui font désormais partie des œuvres-clés des violoncellistes amateurs comme professionnels !

Le bruit entre dans la musique : les futuristes et la musique concrète

On doit la reconnaissance des bruits comme objets musicaux au mouvement futuriste italien présidé par Filippo Tommaso Marinetti. Prônant la modernité, la vie urbaine, les machines et la vitesse, son Manifeste du futurisme (1909) s’est incarné dans différentes disciplines artistiques. S’ensuit celui du peintre et compositeur Luigi Russolo, L’arte dei Rumori (L’Art des Bruits) qui théorise le futurisme en musique. Les bruits trouvent donc place dans l’expression d’une musique (pas toujours innovante) confiée à des instruments inventés pour les réaliser, les intonarumori.

Lorsqu’en 1948 Pierre Schaeffer prend conscience que les sons peuvent être analysés et triturés, comme autant d’objets sonores, et que les bruits peuvent être traités de la même manière, il commence à expérimenter des montages, des collages, des assemblages de sons de sources diverses et variées. Le son (bruit compris) devient matériau musical, « objet sonore », une sorte d’alphabet comprenant un nombre illimité de lettres, au contraire des notes musicales, au nombre de douze. La bande magnétique est le support de ces créations sonores. Avec l’avènement du magnétophone – et avant celui des générateurs électroniques – les possibilités se démultiplient encore. Les sons peuvent être transformés sur le plan du timbre, de la vitesse, de la hauteur… L’expression « musique concrète » se réfère à son mode de création : elle s’érige par un travail direct sur la matière, en temps réel, en opposition à la « musique abstraite », écrite sur partition, composée avant d’être exécutable. Vite rejoint par Pierre Henry, Schaeffer a véritablement érigé un nouveau monde sonore…

Schönberg et l’affranchissement du système tonal

Le système tonal, dont on place l’origine à la Renaissance, a été le mode d’écriture quasi exclusif de la musique occidentale savante jusqu’à la fin du XIXème siècle. Il s’est construit sur des rapports très hiérarchisés entre les différentes notes de la gamme. Dans le courant du XIXème siècle, les compositeurs ont multiplié dans leurs œuvres les signes d’affranchissement du système tonal, usant d’audaces harmoniques et mélodiques de plus en plus grandes. Passant de la tonalité élargie, comme la gamme de tons fréquemment utilisée par Claude Debussy, à l’atonalité libre (Cinq Lieder sur des poèmes de Richard Dehmel de Webern), un pan des créations musicales du début du XXème siècle se tourne vers un univers harmonique et mélodique totalement inédit. C’est Arnold Schönberg qui théorise le principe de la série dodécaphonique – une « Méthode de composition à douze sons, exclusivement reliés entre eux ». Cette méthode permet, outre de libérer les notes de toute hiérarchisation, d’utiliser chacune d’elle dans un ordonnancement donné, fixé au départ de la composition. La série ainsi créée peut se dérouler à l’endroit, à l’envers, ou en renversant les intervalles (descendre d’une tierce au lieu de monter, etc.) Le nombre de combinaisons possibles est astronomique. La série peut également se décliner sous forme d’accord et non pas uniquement sur le plan mélodique. Face à ce potentiel créatif nouveau, Schönberg déclara péremptoirement : « J'ai fait une découverte qui assurera la prépondérance de la musique allemande pendant cent ans : celle d'une méthode de composition sur douze sons. »

Série des Variations pour orchestre de Schönberg

C’est dans ses Variations pour orchestre op.31, écrites entre 1926 et 1928, que Schönberg applique pour la première fois sa technique dodécaphonique à l’orchestre. Après une introduction où domine l’intervalle de triton, les variations, d’une grande concision, se distinguent par des colorations instrumentales, des rythmes et une grande variété de climats. Un univers mélodique et harmonique venait de naître…

L’orchestre comme tremplin social - El Sistema, l’expérience vénézuélienne

Dans un pays où, aujourd'hui encore, le taux de criminalité est l'un des plus élevés et où le chômage ne cesse de s'accroître, la création d'un réseau ("sistema") d'orchestres à destination des enfants et des adolescents ne pouvait avoir que pour seul but le développement culturel musical du pays. Fondé en 1975 par le musicien et économiste Jose Antonio Abreu, El Sistema poursuit l'objectif de lutter contre l'oisiveté des jeunes, les sortir de la rue pour les soustraire au fléau de la drogue et de la délinquance, tout en les faisant grandir dans le milieu exigeant mais si riche de l'orchestre. D'ailleurs, à l'origine, ce programme d'éducation musicale s'intitulait "Action sociale pour la musique". Grâce au travail en orchestre, les enfants se forment à une discipline, intègrent une seconde famille, y apprennent la camaraderie et la mixité sociale. C'est en effet un autre point fort du projet que de pouvoir offrir l'opportunité d'y participer à tout enfant, quel que soient le statut social de ses parents, sa couleur de peau, son origine géographique, son parcours, etc. Financé par des Fonds publics, El Sistema est totalement gratuit. Au Venezuela, l'élève n'a cours que le matin. Les répétitions de l'orchestre prennent deux heures chaque jour en fin d'après-midi et réclament des musiciens en herbe une assiduité sans faille.

Et en pratique, comment ça se passe-t-il ? Les six premiers mois sont consacrés à l'apprentissage de la lecture des partitions et au travail rythmique. On accoutume aussi les enfants aux instruments avec des copies en carton. Ils intègrent ensuite l'orchestre d'enfants où ils s'exercent tous ensemble à la technique de leur instrument respectif et en se frottant très vite au répertoire. L'une des œuvres les plus jouées dans ces orchestres de débutants est... la quatrième symphonie de Tchaïkovski !

Quand tous les enfants auront accès à la culture, nous vivrons dans un monde plus sensible, plus mûr — Gustavo Dudamel

Pour rendre compte de cette formidable aventure, le réalisateur Enrique Sanchez Lansch a orienté son film sur une double réussite : celle du réseau tout entier et celle d'un de ses membres les plus réputés: Gustavo Dudamel. Il retrace l'histoire personnelle de ce dernier par des interviews, des extraits de répétitions et du concert que l'orchestre de jeunes qu'il dirige, l'Orchestre Symphonique Simón Bolívar, a donné au Festival Beethoven à Bonn en 2007. Nous suivons aussi plusieurs musiciens de l'orchestre dans des portraits touchants, comme autant de témoignages du rôle unique joué par ce réseau d'orchestre à vocation musicale et sociale. Le documentaire se termine par la captation intégrale du concert de Bonn. Réjouissant et visionnaire !

Et en Afrique… L’Orchestre Symphonique kimbanguiste

En 1994, Armand Diangienda, pilote d’avion de ligne, se retrouve au chômage. Il s’investit alors dans la création d’une petite structure musicale, pour laquelle il rassemble une douzaine de personnes. Chacun se voit assigner un instrument selon les besoins musicaux et les musiciens doivent se relayer autour des rares instruments de musique que le groupe possède. Parmi eux : Armand, au violoncelle, Alphonse N’Nankou N’Goma, qui se charge d’enseigner aux autres le b.a.-ba de la musique et de la technique des cordes frottées, et Albert Matubanza, à la contrebasse. Peu à peu, l’ensemble va former des personnes vierges de toute formation musicale, souvent illettrées, mais qui vont apprendre à lire la musique, à jouer d’un instrument, à chanter en anglais, en allemand, en latin. Ils proviennent de tous les milieux (petits commerçants, couturières, pharmaciens, mécaniciens…) s’unissant avec de petits moyens mais de grandes ambitions. L’orchestre complet se réunit trois soirs par semaine, et deux autres jours sont consacrés aux répétitions par pupitres restreints. Depuis sa création, l’ensemble a rapidement vu grossir ses rangs et compte aujourd’hui pas moins de quatre-vingts musiciens et plus de cent choristes. Le nom de l’orchestre se réfère au grand-père d’Armand Diangienda, Simon Kimbangu, qui fonda la religion kimbanguiste en 1921, se présentant comme étant l’envoyé spirituel du Christ, ce qui lui valut d’être emprisonné par les Belges pendant une trentaine d’années. Pour Armand et ses musiciens, la musique est une manière de prier, d’évangéliser. « Chanter, c’est prier deux fois » (une choriste). L’entreprise touche aussi à la fierté nationale : l’OSK est le seul orchestre au monde composé intégralement de Noirs africains ! Cette formidable entreprise a été relatée dans un documentaire, réalisé par Martin Baer en 2010.

Consultez ici le programme complet des Festivals de Wallonie

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