Alan Lomax
Alan Lomax
Sommaire
Étienne Bours, Conseiller Musiques du Monde
INTRODUCTION
Parmi les nombreux intermédiaires entre musiques et musiciens d’un côté et public potentiel de l’autre, les collecteurs ont toujours joué un rôle essentiel. Pionniers de l’enregistrement, ils s’en allèrent, dès la fin du XIXe siècle, à la rencontre des musiciens jouant dans leur propre environnement. Gens de terrain, les collecteurs de musiques furent souvent poussés par un intérêt scientifique dicté la plupart du temps par les sciences humaines: anthropologie, ethnologie, sociologie… Mais la musicologie et l’ethnomusicologie s’imposèrent rapidement aux côtés de ces disciplines. Dès 1889, J. Walter Fewkes enregistre chez les Indiens Passamaquoddy. Trois ans plus tard, le Hongrois Béla Vikár en fait autant dans son pays. D’autres collecteurs se rendent en Sibérie tandis qu’aux États-Unis, Frances Densmore entame une large campagne d’enregistrements des musiques des différentes nations indiennes. D’autres, beaucoup d’autres, suivront. Et, parmi eux, dès les années vingt, John Lomax, puis son fils Alan. Les musées et d’autres institutions culturelles officielles profiteront des progrès techniques de l’enregistrement pour créer des archives sonores alimentées par le travail et l’énergie de ces premiers collecteurs itinérants, mais aussi par les enregistrements réalisés lors du passage de musiciens étrangers. On trouvera une analyse de l’histoire du collectage dans le chapitre écrit par Henri Lecomte dans le livre «Musiques du monde, produits de consommation? – Colophon Éditions.
Bien sûr, l’industrie ne se fit pas prier pour embarquer dans ce mouvement qui s’avéra bientôt juteux. Les firmes discographiques du début du XXe siècle aux États-Unis envoyèrent rapidement des chasseurs de talents aux quatre coins du pays (et bientôt du monde) pour engranger des musiques «ciblées» c’est-à-dire produites et vendues à chaque communauté présente sur le territoire américain. Musique old time (ou hillbilly) pour les communautés blanches du sud, les race records pour les communautés afro-américaines, les séries juives, scandinaves, grecques, tchèques, italiennes, irlandaises, ukrainiennes, allemandes… Le commerce démarrait avec les musiques de terroir enregistrées sur place. Mais ceux qui, chargés de lourds enregistreurs, allaient à la rencontre des musiciens, étaient souvent des spécialistes, connaisseurs avertis qui firent parfois découvrir au monde entier des musiciens qui ne restèrent pas longtemps dans l’anonymat et qui s’appellent Doc Watson, Muddy Waters, Fred McDowell, Michael Coleman, Joseph Falcon… autant de chanteurs et instrumentistes qui pourraient revendiquer la paternité de styles largement développés, copiés, assimilés, reconnus, éternels… depuis ces indispensables enregistrements.
D’ici la fin du mois de février 2012, environ 17 000 titres de musique seront mis en ligne en téléchargement légal gratuit, puis des produits seront également proposés à la vente. D’autres informations sont disponibles sur le site Internet de Cultural Equity.
Alan Lomax : la vie et l'oeuvre
LA VIE ET L'OEUVRE
Parmi ces pionniers de l'enregistrement, le nom de Lomax s'impose inévitablement, d'autant plus que la discographie aujourd'hui accessible est quasi écrasante : témoignage exceptionnel du travail d'un homme infatigable et des richesses musicales qu'il rencontra, capta et analysa pour le plus grand intérêt de tous les curieux de musiques. Amateurs de blues, de jazz, de folk américain, de ballades, de chants de cow-boys, amateurs de l'histoire des musiques populaires du XXe siècle tout simplement, nous sommes tous passés, immanquablement, sans nous en rendre compte peut-être, par Alan Lomax et les résultats ou conséquences de son travail et de sa quête. Collecteur, folkloriste, anthropologue, chercheur, homme de radio, écrivain, producteur, chanteur et guitariste lui-même, il peut être considéré comme le patriarche du mouvement de revival américain mais aussi de l'avènement des musiques du monde en tant que « produits culturels » dignes d'être sur le marché du disque au même titre que toutes les autres musiques.
Une anecdote, de taille, suffira à faire comprendre l'impact de son travail. Mais est-ce encore une anecdote ?
Le film des frères Coen O Brother, where art thou ? ( cke ) a connu un succès immense à travers le monde. Pour beaucoup, ce fut l'occasion de découvrir des musiques profondément américaines et attachantes, des musiques qui collent à l'histoire des petites gens et qui se contentent de la voix humaine, de guitares, de violons et de banjos pour en raconter la vie, ses heurts et malheurs. Si le film a connu un large succès en Europe, il a véritablement cartonné aux États-Unis et la bande originale du film s'est vendue dans des proportions rarement atteintes par une musique de film aussi originale, au point de recevoir un Grammy Award. Le premier chant entendu dès le début du film figure en première plage sur le disque, il s'agit d'une version de Po' Lazarus chantée par James Carter et enregistrée par Alan Lomax en septembre 1959 dans le pénitencier de l'état du Mississippi à Lambert où Carter purgeait une peine. Lomax a toujours été à cheval sur les principes et notamment celui qui veut qu'un artiste touche ses droits d'auteur dès qu'une vente de disque en génère. Mais notre homme était loin de s'imaginer que ce principe allait s'appliquer pour un artiste quasi anonyme et, qui plus est, quarante-trois ans après l'enregistrement. C'est pourtant ce que réussirent à faire les collaborateurs de Lomax qui parvinrent à retrouver James Carter à Chicago, à lui offrir le premier billet d'avion de sa vie pour qu'il se rende à la cérémonie des Awards à Los Angeles où il reçut des mains de la fille de Lomax un chèque de vingt mille dollars, soit ses royalties sur le succès d'une seule chanson qui lui sortit des tripes en prison ! Lorsqu'on lui expliqua que ce disque s'était mieux vendu que le dernier Michael Jackson ou le dernier Mariah Carey, Carter, non sans humour, répondit « dites à Michael Jackson que je vais me calmer de sorte qu'il pourra à nouveau me dépasser » (cité dans Sing Out, Vol.46 N°2 – Summer 2002) .
Loin d'être banale, cette histoire est révélatrice du travail et de l'esprit d'Alan Lomax, de l'acharnement de son équipe à respecter cet esprit (Lomax était très malade au moment de cette remise de droits d'auteur) et de la pérennité de l'œuvre enregistrée, véritable fondement de l'histoire des musiques américaines.
L'amateur de cinéma se souviendra également, au passage, du premier chant entendu dans le film The green mile (La ligne verte - VL2984 ) de Frank Darabont. Il s'agit du titre Old Alabama, chant de prisonnier enregistré par Lomax durant les mêmes campagnes de collectage. L'histoire ne nous dit pas ce qu'il est advenu des droits d'auteur, mais la bande originale est loin d'avoir connu le même succès que celle du film des frères Coen.
Alan Lomax est né à Austin au Texas en 1915. Troisième de quatre enfants dans une famille dont la musique ne fut jamais absente. (La sœur d'Alan, Bess Lomax Hawes, a été une membre active des Almanac Singers, aux côtés de Pete Seeger et Woody Guthrie notamment).
Leur père, John Lomax, a passé une part importante de sa vie à collecter les chants traditionnels. Une de ses premières passions fut de passer du temps avec les cowboys des plaines pour étudier leurs chansons. Mais il dut se tourner vers le monde de la finance dès les années 20, question de subvenir aux besoins de sa famille, et ce malgré une carrière universitaire qui aurait dû se développer dans un meilleur contexte. Contexte qui, de toute façon, aura également raison de sa carrière bancaire puisque la grande dépression et l'écroulement du marché l'obligeront à retrouver d'autres activités. Nous sommes alors à la fin des années 20 et John Lomax se tourne à nouveau vers ce qu'on appelle encore le folklore, les traditions de ses compatriotes, leurs chants et leurs expressions musicales. En 1931, son épouse décède, le laissant seul avec les quatre enfants. Alan et son frère John Jr. font tout ce qu'ils peuvent pour aider leur père. Celui-ci donne de nombreuses conférences et Alan l'accompagne, passant leurs nuits sous tente plutôt qu'à l'hôtel. C'est à ce moment que la Library of Congress leur confie un enregistreur « portable » et la mission d'enregistrer pour les archives de folk song. Le père et le fils transforment le coffre de leur Ford pour y placer cet enregistreur de quelque cent cinquante kilos ainsi que les batteries nécessaires à son fonctionnement autonome. Et cet été 1933 les emmène dans les prisons et les camps de travail du sud des États-Unis. C'est d'ailleurs cette année-là qu'ils découvrent Huddie Ledbetter, plus connu sous le nom de Leadbelly, dans la prison d'Angola en Louisiane. Ils retourneront d'ailleurs au même pénitencier en 1934 pour continuer les enregistrements de ce géant du blues et de la chanson afro-américaine. Ils l'aident également à obtenir une remise de peine, de sorte que le chanteur quitte la prison dès le mois d'août 1934. Il deviendra leur chauffeur dans la plupart de leurs sessions de collectages. Dans les années suivantes, les Lomax l'enregistreront abondamment et l'aideront fortement dans sa carrière.
Parallèlement, Alan Lomax continue ses études à l'université d'Harvard, puis à celle du Texas. Il termine en 1936 et dès 1937 est officiellement le premier employé salarié de la Library of Congress en tant que « assistant in charge » pour les archives de folk song. C'est aussi l'époque où il rencontre Pete Seeger qui vient l'aider à transcrire et classer nombre de chansons. Mais Lomax ne s'enferme pas dans son bureau. Il continue les collectages, avec son père, puis avec sa sœur ou d'autres, et parcourt plusieurs régions des États-Unis, mais aussi les Bahamas dès 1935. Outre Leadbelly, de grands noms comme Muddy Waters, Woody Guthrie, Aunt Molly Jackson font leur apparition dans les enregistrements alors réalisés. Mais Lomax ne se contente pas de musique ou de chant, il passe de nombreuses heures à enregistrer des interviews éventuellement ponctuées de chansons ou de musique. On citera les trois heures de conversation et chants partagés avec Woody Guthrie en mars 1940, un travail transcrit directement sur disques en aluminium et réédité tel quel par Rounder en un coffret de trois CD. Il en fit de même avec Leadbelly ou encore avec Jelly Roll Morton qui, durant huit heures, lui parla de ses souvenirs, de ses idées, de sa musique, de l'histoire du jazz, jouant et chantant pour illustrer son propos. Lomax fixait à tout jamais ce qu'il appelait « oral history », l'histoire de ceux qui n'écrivent pas mais qui transmettent par la parole. Non content de travailler pour la Library of Congress, il commence aussi une carrière en radio pour CBS, programmant des musiques traditionnelles américaines. Ces années sont extrêmement riches. Outre les travaux déjà cités, il enregistre, programme, rencontre… (et parfois découvre) une série impressionnante de musiciens et chanteurs : Son House, Albert Ammons, David « Honeyboy » Edwards, Golden Gate Quartet, Burl Ives, Sarah Ogan Gunning, Brownie McGhee, Sonny Terry, Josh White, Hobart Smith, Pete Johnson, Meade Lux Lewis, Pete Steele… Il publie également de nombreux ouvrages importants, dont certains avec son père. Citons American ballads and folk songs publié pour la première fois en 1934 et rassemblant une imposante collection de chansons classées par thématique. Suivront, toujours en collaboration avec son père : Negro folk songs as sung by Leadbelly (1936), Cowboy songs and other frontier ballads (1937), Our singing country (1941) et Folk song USA (1947).
Les années 40 marquent différents tournants dans la carrière de Lomax. C'est le début de son travail en radio pour CBS. C'est également à ce moment, en 1942, qu'il quitte les archives de la Library of Congress. Il se consacre à des émissions de radio durant la guerre, pour le OWI (Office of War Information) puis développe des activités de recherche, de programmation, d'écriture… Il est élu au National Board of Directors of People Songs. Dès 1940, il avait également commencé à rassembler des chants plus engagés, plus protestataires. Un travail qu'il partageait avec Pete Seeger et Woody Guthrie, mettant littéralement de côté une série de chansons que John Lomax ne voulait pas publier à cause de leur contenu. Alan demanda alors à Seeger et Guthrie d'en faire un livre qui fut prêt assez rapidement. Mais nous sommes toujours en 1940 et les idées radicales du fils Lomax ne plaisent pas à tout le monde. Certains membres de la Library of Congress cherchent à se débarrasser de lui et ce n'est pas le moment de sortir ce livre, en tout cas pas avec son nom. De sorte que cet ouvrage intitulé Hard hitting songs for hard hit people ne verra le jour qu'en 1967 chez Oak. Il sera réédité chez Bison Books en 1999, donnant près de deux cent chansons sur l'histoire du peuple américain, ses conditions de vie, ses revendications, ses combats, le tout avec commentaires, partitions et photos. Les trois auteurs sont cités, Lomax ayant collecté l'essentiel, Guthrie ayant commenté les chansons et Seeger transcrit les musiques et ajouté son commentaire final. Un livre essentiel sur l'histoire des Américains telle que racontée par la chanson.
C'est dans les années 40 encore qu'Alan Lomax enregistre Memphis Slim, Sonny Boy Williamson et Big Bill Broonzy, discutant avec eux des origines du blues. Des enregistrements qui seront édités sous le titre Blues in the Mississippi night (réédité par Rykodisc en 1990). Il enregistre également les chants des prisonniers des pénitenciers de Parchman et de Lambert dans le Mississippi et la Louisiane, un travail qui verra le jour sur le label Tradition, sous le titre Negro prison song, puis sur le label Legacy International sous le titre Negro prison blues and songs.
En 1949, le climat politique est tel aux États-Unis que Lomax part en Europe où il passe la majeure partie des années 50. Il en profite pour entamer une vaste campagne de collectages à travers de nombreux pays : Angleterre, Écosse, Irlande, Italie, Espagne. Il découvre le vieux monde et ses incroyables traditions. Il dira notamment : « Un folkloriste en Espagne trouve bien plus que des chansons, il noue des liens d'amitié pour la vie et renouvelle sa foi en l'humanité » (cité dans les publications de Rounder).
Ce travail énorme donne naissance à diverses publications. D'une part, une série de dix disques préparée avec Peter Kennedy et intitulée Folk songs of Great Britain (sortis initialement sur le label Caedmon). D'autre part, c'est à ce moment que Columbia crée avec Lomax la célèbre Columbia Encyclopedia of Folk and Primitive Music : un total de dix-huit disques présentant des musiques enregistrées par les meilleurs musicologues et chercheurs de l'époque : Lomax lui-même, Diego Carpitella, Constantin Brailoiu, Peter Kennedy, Seamus Ennis, André Schaeffner, Gilbert Rouget, Hamish Henderson, Tiberiu Alexandru, Albert Lloyd, Hugh Tracey, Marius Barbeau, Alain Danielou... Le tout supervisé par Lomax, aidé des meilleurs spécialistes de l'époque. Le travail est énorme, il couvre cinq continents et vingt-cinq pays et correspond à une des nombreuses volontés de Lomax : créer une collection de LP qui établirait une carte des musiques traditionnelles du monde entier. Quarante disques étaient prévus initialement.
En 1950, l'auteur publie un livre intitulé Mister Jelly Roll , le fruit de ses fructueuses rencontres avec Jelly Roll Morton. Puis, il publie des livres pour enfants à partir des traditions orales, continue ses émissions et enregistre lui-même des ballades américaines apprises de ses nombreux amis rencontrés dans les États du Sud (Texas folk songs réédité par le label Arion).
De retour aux USA, à la fin des années 50, il va se concentrer à nouveau sur ce Sud dont il fait un large tour avec un équipement plus moderne et le soutien d'Atlantic Records. Virginie, Kentucky, Alabama, Mississippi, Tennessee, Arkansas, Caroline du Nord et les Georgia Sea Islands, au large des côtes de Géorgie, accueillent Lomax et Shirley Collins et leur enregistreur stéréo en 1959 et 1960. Ils engrangent un énorme collectage de ballades, blues, hymnes, work songs, spirituals, gospels, danses, shanties (chants de marins), airs de violon ou de banjo… autant de traces de cultures anciennes, venues d'Europe ou d'Afrique, transformées au contact d'une autre vie quotidienne, d'un déracinement, de « métissages » multiples et autres acharnements de l'histoire; plus de quatre-vingts heures de musique et chants. Les fruits de cette campagne de collectage verront le jour en séries de LP chez Atlantic et Prestige. Les disques Atlantic seront réédités en un coffret de quatre compacts sous le titre Sounds of the South, tandis que les douze disques Prestige baptisés Southern Journey sont aujourd'hui réédités sous le même titre en treize disques compacts, sorte de vaste carte routière de l'Amérique rurale, de ses traditions vivantes, de cette vitalité et inventivité des communautés et de leurs artistes. Un travail inimaginable, une trace indélébile, à jamais fixée par ces dix-sept disques compacts : comme un testament de l'histoire des musiques populaires américaines.
À l'époque, à New York, le folk revival commence à bouillonner. Burl Ives, Pete Seeger et bientôt Tom Paxton ou Bob Dylan renouent avec ballades, blues et protest songs. Mais, comme le dit Lomax lui-même, après la parution de la série Sounds of the South en 1961, on ne parle plus de Washington Square comme étant le lieu d'épanouissement du folk américain. Tous sont d'accord sur le fait que le Sud en est la source et le réservoir principal et de nombreux nouveaux collecteurs s'y précipitent, allant chercher leurs propres racines et l'inspiration nécessaire au renouvellement d'un genre, à son interprétation personnelle et à la transmission de son dynamisme. En cela le travail de Lomax fut encore une véritable charnière dans le processus de ce mouvement de revival dont les conséquences bénéfiques se font encore sentir aujourd'hui.
Ces collectages intensifs furent aussi l'occasion de rencontres et de nombreuses réflexions que Lomax a confiées aux lecteurs dans son livre The land where the blues began, véritable condensé des expériences de l'auteur dans le Sud, depuis les années 30 jusqu'à ses voyages du début des années 60. Un livre essentiel pour comprendre l'énorme travail effectué par ce collecteur et pour se faire une idée exacte des artistes exceptionnels rencontrés dans les moindres recoins de l'Amérique profonde. Une image aussi d'une Amérique épouvantablement raciste racontée par un Lomax à la mémoire tenace lorsqu'il s'agit de rendre justice à ceux auxquels il ne pouvait pas serrer la main, sous peine d'être lui-même jeté en prison. Un livre que vient encore compléter, magnifiquement, le disque portant le même titre et produit par Rounder pour illustrer, voire accompagner, la lecture du livre, soit vingt-huit extraits musicaux enregistrés entre 1933 et 1959, passant de musiciens dont les noms n'ont guère dépassé celui de ces enregistrements à des bluesmen aussi célèbres que Big Bill Broonzy, Son House ou Fred McDowell.
1960 verra la publication du livre Folk songs of North America in the English language.
En 1962, l'infatigable collecteur repartira travailler six mois dans les Caraïbes, recueillant les traditions des communautés d'un nombre impressionnant d'îles : Trinidad, Tobago, St. Lucille, Nevis, Carriacou, Guadeloupe, Dominique, Grenada, Martinique, St. Kitts… soit un résumé passionnant des multiples facettes des cultures caribéennes : traditions africaines, françaises, anglaises, espagnoles, celtes, indiennes (Inde). Douze disques témoignent de ce foisonnement.
Les années 60 sont également un point culminant dans les réflexions et théories de Lomax. Ses nombreux enregistrements, ses voyages, ses écoutes et intérêts multiples l'ont amené à vouloir analyser les origines et évolutions des musiques traditionnelles et cultures populaires à l'échelle planétaire. Il a donc créé une méthode pour quantifier et comparer les structures des musiques et chants des différentes cultures, ainsi que leurs styles propres, c'est-à-dire les façons dont ils sont exécutés. Il a cherché à mettre en valeur les facteurs qui permettent de relier ou de différencier certaines pratiques en les reliant toujours à leurs environnements géographiques et sociaux. C'est la fameuse théorie des « cantometrics », sur laquelle il travailla avec des équipes de chercheurs, notamment à l'université de Columbia. « Cantometric » signifie « chant en tant que mesure de l'homme », un système qui tend à démontrer que les traditions de chants permettent de tracer les principales répartitions des cultures humaines et, qu'à chaque type de société, correspond un type de chant. Pour ce faire, les chercheurs ont travaillé sur un ensemble de trente-sept critères de mesure permettant de représenter et classer les schémas rythmiques, les styles vocaux et les arrangements instrumentaux. Petit à petit, ils créèrent le concept de « choreometrics » pour analyser de la même manière les différentes traditions de danses du monde.
Si certains résultats furent fortement controversés par d'autres scientifiques, il n'en reste pas moins que ces analyses sont intéressantes notamment pour le large regard qu'elles amènent sur les multiples façons d'écouter et d'étudier les musiques du monde. Les conclusions de ces études, qui donnèrent naissance à de nombreuses publications, disent en substance : il existe une relation entre la cohésion d'un style de chant et la stabilité de groupes sociaux au sein d'une culture précise; de même, il existe des liens entre les répartitions biogéographiques des cultures, le degré de complexité de l'organisation sociale et les styles des expressions culturelles. Ce qui veut dire, par exemple, qu'on peut rencontrer plus de liens entre les musiques et chants de groupes très distants mais montrant un même type d'organisation socio-économique qu'entre ceux de groupes vivant dans une grande proximité géographique mais sur base de cultures différentes. Voir ci-après l'interview d'Alan Lomax par Henri Lecomte.
Un ouvrage essentiel, même si parfois nébuleux, permet encore d'entrer dans cette analyse complexe et de comprendre un tant soit peu ce que Lomax a voulu faire; il s'agit du livre Folk song style and culture.
À partir de là, le reste de sa vie s'organise entre persévérance dans ses multiples travaux et recherches et récolte des fruits de l'immensité de la tâche accomplie. Il trouve le temps, entre 1978 et 1985, de faire plusieurs voyages dans les États du Sud pour filmer la matière nécessaire à une série télévisée baptisée American patchwork écrite et commentée par lui-même. Puis Lomax s'embarque dans la réalisation de ce qu'il appelle Global jukebox , projet multimédia qui doit combiner différentes techniques pour parler de musique, géographie, us et coutumes régionaux, le tout avec les commentaires de l'auteur. Un concept qu'il veut accessible à tous pour qu'un maximum de personnes puisse profiter de l'ensemble de ses collectages et recherches.
Il continue à donner des conférences et à recevoir une multitude de prix, notamment la médaille nationale des arts, un award de la North American Folk Music & Dance Alliance, un autre de l'American Anthropological Association ou encore un prix pour le livre The land where the blues began.
En 1997, le label américain Rounder décide d'éditer l'ensemble des archives de Lomax, soit un projet énorme qui, à terme, devrait se chiffrer à quelque cent cinquante disques compacts. Soit un des plus importants projets discographiques de la fin du XXe siècle, si pas du siècle tout entier. L'histoire des musiques populaires américaines et les traces évidentes de leur impact sur toutes les musiques qui firent le bonheur du marché du disque et celui de générations d'amateurs de musiques : jazz, blues, gospel, spirituals, boogie, country, rock'n'roll, folk song, rhythm'n'blues, soul…
Mais aussi l'histoire des musiques populaires de tradition du monde entier, avec des enregistrements datant d'une époque où les modes ne s'étaient pas encore emparées des musiques pratiquées aux quatre coins de la planète. Un document d'autant plus important qu'il nous permet aujourd'hui de comparer, de comprendre certaines évolutions, certaines disparitions.
Un projet que Lomax n'aura pas pu suivre de bout en bout parce que sa santé déclina trop tôt lors du processus de réédition. Heureusement, sa fille, Anna Lomax Chairetakis, a pris les choses en main et a travaillé avec Rounder à la production de cette œuvre enregistrée et commentée dans de riches livrets. Alan Lomax s'est éteint le 19 juillet 2002, à l'âge de 87 ans. Rounder avait déjà mis une large quantité de disques sur le marché mais le travail continue et ne sera pas interrompu. Voir discographie.
Un des plus grands collecteurs de musiques s'est éteint avec le siècle de l'enregistrement, un siècle fabuleux en termes de connaissances des musiques puisqu'il a répandu celles-ci, toutes celles-ci à peu de choses près, à travers le monde. Et Lomax fut un des artisans essentiels de cette immense entreprise culturelle. Une entreprise qui tend à souligner les diversités des cultures, leurs spécificités mais aussi la part d'universalité que l'on peut y déceler au-delà des différences formelles. Et Rounder s'est imposé comme un label courageux, indépendant, engagé et intelligent.
Discographie - filmographie - bibliographie
DISCOGRAPHIE - FILMOGRAPHIE - BIBLIOGRAPHIE
DISCOGRAPHIE
- Alan Lomax : Texas folk songs (Arion ARN64173) MB8070
Extrait musical : I'm bound to follow the longhorn cows
- Alan Lomax : Cowboy songs of the old West (Legacy International CD392) MB8072
Ed McCurdy et Alan Lomax se partagent le chant sur ce deuxième disque.
Une douzaine de titres sont les mêmes sur les deux disques, le second proposant vingt plages pour seize sur le premier.
Collectages :
- Sounds of the South. A musical journey from the Georgia Sea Islands to the Mississippi delta. Recorded in the field by Alan Lomax (Atlantic 782496-2) K_0521
Quatre disques compact et un livret avec photos et commentaires. Réédition de la série Southern folk heritage en sept LP.
- Blues in the Mississippi night (Rounder 1860) K 0235
- Woody Guthrie : The complete Library of Congress recordings (Rounder 1041-1043) 3 CD's MB4802
Extrait musical : Do-re-mi
- Son House : Original Library of Congress sessions 1941-1942. Delta Blues. (Travelin' Man TMCD2 BCD118) KH6540
- Jelly Roll Morton : The Library of Congress recordings 1938 (Affinity CDAFS1010'3) 3 CD's UM8542
On retrouve l'ensemble sur les quatre disques Rounder cités dans la Lomax Collection de Rounder.
- Negro prison blues and songs. Recorded live at the Mississippi and Louisiana State Penitentiaries by Alan Lomax (Legacy International CD326 ou Laserlight 17026) K 2993
Les dix-sept premiers titres sont repris intégralement sur le disque Rounder Prison songs, Volume 1 : Murderous home K 2998 (voir ci-dessous). Les six autres titres ne semblent présents, tels quels, que sur ce disque-ci.
- Murderer's home. Recordings made at Mississippi State Penitientary by Alan Lomax (Sequel Records NEXCD121) K 2996
La plupart des titres sont les mêmes que sur le disque précédent et se retrouvent donc également sur le volume 1 de Rounder, une seule plage étant sur le volume 2 de la même série Rounder Prison songs, Don'tcha hear poor mother calling? K 2999 (voir ci-dessous). Deux titres ne sont présents tels quels que sur ce disque-ci.
The Alan Lomax Collection chez Rounder :
Entre parenthèses, vous trouverez le numéro commercial du CD chez Rounder. Vient ensuite la cote Médiathèque.
- The Alan Lomax Collection sampler (1700) MA0155
Présentation de l'ensemble de la collection : trente-sept pièces présentes dans les différentes séries de la collection et une courte introduction dite par Lomax à Charles Kuralt lors d'une interview.
- Alan Lomax blues songbook (1866) K 0909
- Alan Lomax popular songbook (1863) MA5713
- Songs of Christmas from the Alan Lomax collection (RRCD1719) MA0086
Compilation thématique reprenant des enregistrements réalisés par Lomax en Angleterre, Irlande, Italie, Espagne, aux Caraïbes et aux États-Unis. Chants, jeux, rites, musiques instrumentales… illustrent les riches traditions liées à la fête de Noël. Musiciens anonymes et illustres sont ici présents.
- The land where the blues began (1861) K 0923
Disque destiné à illustrer la lecture du livre du même titre. Excellente anthologie de l'histoire du blues : field hollers, sermons, hymnes, ballades, musique de fifres et tambours, histoires, chants et blues.
Extrait musical : John Henry
Blues in the Mississippi night. Big Bill Broonzy, Memphis Slim, Sonny Boy Williamson (1860) K 0235
Jelly Roll Morton series :
- Volume 1 : Kansas City Stomp - The Library of Congress recordings (1091) UM8574
- Volume 2 : The Anamule dance - The Library of Congress recordings (1092) UM8575
- Volume 3 : The Pearls - The Library of Congress recordings (1093) UM8568
- Volume 4 : Winin' boy blues - The Library of Congress recordings (1094) UM8576
Leadbelly series :
- Volume 1 : Midnight special - The Library of Congress recordings (1044) KL2758
- Volume 2 : Gwine dig a hole to put the devil in - The Library of Congress recordings (1045) KL2759
- Volume 3 : Let it shine on me - The Library of Congress recordings (1046) KL2760
Extrait musical : Mr. Hitler
- Volume 4 : The Titanic (1097) - The Library of Congress recordings KL2762
- Volume 5 : Nobody knows the trouble I've seen - The Library of Congress recordings (1098) KL2763
- Volume 6 : Go down old Hannah - The Library of Congress recordings (1099) KL2764
Des enregistrements réalisés dans la prison d'Angola, et présents sur le premier volume, jusqu'à des fragments de conversations avec Lomax, on entend ici le vaste répertoire de Leadbelly : folk songs, blues, gospels, spirituals, ragtime, work songs, danses, protest songs ou chansons à commentaire social.
Southern Journey serie :
- Volume 1 : Voices from the American South. Blues, ballads, hymns, reels, shouts, chanteys and work songs (1701) MA6850
- Volume 2 : Ballads and breakdowns. Songs from the southern mountains (1702) MA6851
- Volume 3 : 61 Highway Mississippi. Delta country blues, spirituals, work songs & dance music (1703) K 3703
- Volume 4 : Brethren, we meet again. Southern white spirituals (1704) MA6852
- Volume 5 : Bad man ballads. Songs of outlaws and desperadoes (1705) MA6853
- Volume 6 : Sheep, sheep, don'tcha know the road ? Southern music, sacred and sinful (1706) MA6854
- Volume 7 : Ozark frontier (1707) MA6855
- Volume 8 : Velvet voices. Eastern shores choirs, quartets and colonial era music (1708) MA6856
- Volume 9 : Harp of a thousand strings. All day singing from the sacred harp (1709) MA6857
- Volume 10 : And glory shone around . More all day singing from the sacred harp (1710) MA5571
- Volume 11 : Honor the lamb. The Belleville a capella choir (1711) K 4875
- Volume 12 : Georgia Sea Islands. Biblical songs and spirituals. Georgia Sea Islands singers (1712) K 4876
- Volume 13 : Earliest times. Georgia Sea Islands songs for everyday living. Georgia Sea islands singers (1713) K 3007
Extrait musical : See aunt Dinah
Prison songs :
- Volume 1 : Prison songs : Murderous home (1714) K 2998
Réédition de l'album Negro prison songs.
- Volume 2 : Prison songs : Don'tcha hear poor mother calling ? (1715) K 2999
Ici figurent d'autres pièces enregistrées lors des mêmes campagnes de collectages.
Caribbean Voyage series :
- Brown girl in the ring (1716) ME0198
- Caribbean sampler (1721) ME0005
- Carriacou Calaloo (1722) ME0006
- East Indian music in the West Indies (1723) ME0007
- Dominica - Creole crossroads (1724) ME0008
- Trinidad : carnival roots : the 1962 field recordings (1725) MF7565
- Saraca : funerary music of Carriacou (1726) ME1829
- Tombstone feast : funerary music of Carriacou (1727) ME1828
- Grenada : creole and yoruba voices (1728) ME9905
- Martinique : cane fields and city streets (1730) MF3533
Extrait musical : Etienne
- Nevis & St. Kitts : tea meetings, Christmas spots & the moonlight night (1731) ME0010
- The French Antilles. We will play love tonight ! (1733) MF0036
Cette série, augmentée du portrait consacré au chanteur Neville Marcano, contient l'ensemble des enregistrements réalisés en 1962. D'autres disques suivront dans la même série.
Portrait serie :
- Growling tiger : Neville Marcano : the growling tiger of calypso (1717) MF7771
Grand chanteur de calypso enregistré à Trinidad en 1962 et au Newport Folk Festival en 1966.
- Fred McDowell : The first recordings (1718) KM3441
Enregistré en 1959, McDowell livre ici son premier disque dont certaines chansons ne seront plus enregistrées par après.
- Jeannie Robertson : The queen among the heather (1720) MQ8151
Chansons, ballades et interviews d'une des grandes chanteuses traditionnelles de l'Écosse.
- Margaret Barry : I sang through the fairs (1774) MR0680
Chanteuse de rue et banjoïste irlandaise de souche gitane.
- Hobart Smith : Blue ridge legacy (1799) MC5231
Ballades, blues, reels et autres airs des Appalaches en Virginie. Chanteur, guitariste, banjoïste, violoniste, Hobart Smith est une légende de la musique old time.
Extrait musical : The cuckoo bird
- Texas Gladden : Ballad legacy (1800) MC6945
Ballades, chansons, chants de jeux, interviews avec une des grandes protagonistes de la musique old time. Elle est accompagnée par Hobart Smith, son frère, dans quelques pièces.
- Davie Stewart : Go on, sing another song (1833) MQ8621
Chants, ballades, accordéon par un chanteur traditionnel écossais de souche gitane.
- Jimmy MacBeath : Tramps & hawkers (1834) MQ7041
Chants, ballades, histoires, souvenirs d'un chanteur écossais qui a vécu sur les routes de la même manière que les tinkers ou autres travelers (Gitans et autres voyageurs des îles de la Grande-Bretagne).
- John Strachan : Songs from Aberdeenshire (1835) MQ8715
Chants et histoires d'un chanteur écossais né en 1875.
- Harry Cox : What will become of England ? (1839) MQ1365
Chanteur de Norfolk en Angleterre, Cox connaissait ballades et airs de danse qu'il jouait au violon ou à l'accordéon.
- Jimmy MacBeath & Davie Stewart : Two gentlemen of the road (1793) Double CD MQ7043
On retrouve ici Davie Stewart et Jimmy MacBeath dans un répertoire qui laisse une large place aux histoires et légendes racontant les méfaits de voleurs de cadavres, les rites secrets des apprivoiseurs de chevaux, l'enlèvement d'un joueur de cornemuse par les fées… Le tout est entrecoupé de ballades.
The classic Louisiana recordings :
- Cajun and creole music I, 1934-1937 (1842) MD0124
- Cajun and creole music II, 1934-1937 (1843) MD0125
Enregistrements d'Alan et John Lomax. Musique cajun, créole, zydeco.
Deep river of song :
- Black Texicans. Balladeers and songsters of the Texas frontier (1821) K 4435
- Bahamas 1935. Chanteys and anthems from Andros and Cat island (1822) ME2098
- Black Appalachia. String bands, songsters and hoedowns (1823) K 1465
- Mississippi Saints & Sinners (1824) K 3632
- Mississippi, the blues lineage (1825) K 3704
Extrait musical : You gonna miss me when I'm gone
- Big Brazo. Texas prison recordings (1826) K 3008
- Virginia & the Piedmont . Minstrelsy, work songs & blues (1827) K 4544
- Georgia. I'm gonna make you happy (1828) K 4055
- Alabama. From lullabies to blues (1829) K 3082
- Louisiana. Catch that train and testify (1830) K 4197
- South Carolina. Got the keys to the kingdom (1831) K 3271
- Bahamas 1935, Volume 2. Ring games and round dances (1832) ME2099
Tous les enregistrements de la série Deep river of songs ont été réalisés pour la Library of Congress entre 1933 et 1946 par John Lomax, son fils Alan et leurs associés. C'est le témoignage d'une époque charnière où les chanteurs et musiciens afro-américains du sud des États-Unis et des Bahamas ont créé des expressions qui se sont imposées comme vecteurs identitaires. On y entend déjà des musiciens comme Leadbelly, Sonny Terry, Sid Hemphill, Son House, Muddy Waters, Blind Willie McTell et beaucoup d'autres pour un répertoire de ballades, blues, chants de travail, berceuses, airs de danses ou de marches, hymnes, spirituals, chants de prisonniers, airs de banjo…
World Library of Folk and Primitive Music :
- England (1741) MQ0091
On y entend notamment : Ewan McColl, Bob et Ron Copper, Phil Tanner, A. L. Lloyd, Jumbo Brightwell, mais aussi des traditions anciennes comme les mummer's play (drames populaires). 1929 à 1951.
- Ireland (1742) MR0009
Enregistrements réalisés et assemblés par Lomax et Seamus Ennis en 1951. On y retrouve notamment Margaret Barry, Seamus Ennis lui-même, Elizabeth Cronin, Maire O'Sullivan et Colm Keane.
- Scotland (1743) MQ5067
Réalisés en 1951, ces enregistrements proposent ballades, chants en gaélique et autres chansons par des interprètes tels que John Burgess, Jimmy MacBeath, Isla Cameron, Hamsih Henderson, Ewan McColl, Flora MacNeal…
- Spain (1744) MO0052
Anthologie parcourant les différentes régions et leurs traditions respectives.
- Yugoslavia (1745) Double CD MU9833
Croatie, Slovénie, Bosnie, Monténégro, Macédoine et Serbie sont ici représentés par une soixantaine de chants et pièces instrumentales enregistrés en 1951 par Peter Kennedy lors d'un festival des traditions nationales.
- India (1755) MW0126
Enregistrements réalisés par Alain Daniélou dans les années 50. Musiques populaires, sacrées et classiques.
- Romania (1759) MU3072
Enregistrements de divers musicologues, entre 1934 et 1957, pour illustrer les principaux styles de la musique roumaine : doina, chants épiques, ballades, musique de danse, musique rituelle, chants lyriques, musique pastorale, musique des lautari.
- France (1836) MP0075
Extrait musical : Berry : Bourrée droite
Au disque sorti initialement dans la série de Columbia, en 1954, les auteurs ont ajouté des pièces plus récentes, de façon à compléter et parfaire la démarche de Lomax. De sorte qu'on a ici des enregistrements couvrant une période allant de 1913 à 2000 pour présenter les principales caractéristiques des répertoires régionaux : Berry, Paris, Normandie, Vendée, Bretagne, Auvergne, Provence-Dauphiné, Gascogne, Ariège et Béarn, Corse, Pays Basque, Alsace-Vosges. Un enregistrement du carnaval de la Guadeloupe complète cet ensemble.
La collection World Library of Folk and Primitive Music est loin d'être arrivée à terme. Rounder annonce encore la sortie de disques consacrés à l'Afrique, l'Australie et la Nouvelle-Guinée, l'Indonésie, le Canada, le Vénézuéla, le Japon et la Corée, la Bulgarie, l'Italie et le Mexique.
The Spanish recordings :
- Galicia (1761) MO4414
- Aragon & Valencia (1762) MO0103
- Extremadura (1763) MO0104
- Basque country : Navarre (1773) MO0102
- Basque country : Biscay and Guipuzcoa (1772) MO7014
Extrait musical : Zuek Getariarrok
Superbes enregistrements réalisés dans les villages durant un long séjour de collectage en 1952. Lomax souffrait beaucoup du fait d'être en ce pays sous la dictature de Franco. Il parle d'ailleurs de sa rencontre avec un professeur allemand chargé de recherches sur les traditions musicales espagnoles. Cet homme était un « réfugié nazi ». « Je n'avais pas l'intention de rester en Espagne », écrit Lomax, « je n'avais que quelques bandes avec moi et n'avais fait aucune étude sur l'ethnologie espagnole. Cependant c'était ma première expérience avec un nazi, et lorsque j'ai regardé par-dessus la table en direction de cet idiot autoritaire, je me suis juré que j'enregistrerais la musique de ce pays étouffé, même s'il fallait y passer le reste de ma vie » (cité dans les livrets de ces trois disques exceptionnels).
Italian treasury :
- Folk music and song of Italy, a sampler (1801) MT3131
- The trallaleri of Genoa (1802) MT3132
- Calabria (1803) MT3133
- Emilia-Romagna (1804) MT3140
- Puglia,the Salento (1805) MT3147
- Sicily (1808) MT3681
- Abruzzo (1811) MT3143
- Liguria, Baiardo and Imperia (1816) MT3142
- Liguria, Polyphony of Ceriana (1817) MT3141
Extrait musical : Lauda da Madona da Vila
- Piemonte and Valle d'Aosta (1807) MT3158
En 1953, Alan Lomax et le musicologue italien Diego Carpitella entreprennent une vaste campagne de collectage à travers toutes les régions d'Italie. Le résultat est énorme, inégalable, irremplaçable. Ces multiples traditions ont considérablement évolués depuis, quand elles n'ont pas disparu. D'autres disques sont prévus dans la même série.
Folk songs of England, Ireland, Scotland and Wales :
- Classic ballads of Britain and Ireland, volume 1 (1775) MQ0104
- Classic ballads of Britain and Ireland, volume 2 (1776) MQ0105
- Songs of seduction (1778) MQ0103
Extrait musical : Bundle and go
- Singing in the streets : Scottish children's songs (1795) MQ5088
L'univers de la ballade dans toute sa splendeur, y compris les célèbres chansons recueillies par Francis James Child dans son ouvrage majeur English & Scottish popular ballads. Le travail ici présenté est le résultat d'enregistrements réalisés par Lomax, Peter Kennedy, Seamus Ennis, Hamish Henderson, Sean O'Boyle Wyn Humphries, Maud Karpeles, Patrick Shuldham-Shaw et Bob Copper, enre 1949 et 1968. On y retrouve évidemment nombre de chanteurs connus et présents sur d'autres disques de la collection Lomax, notamment les portraits.
The concert and radio series :
- The Martins and the Coys (1819) MA5790
Histoire de deux familles des campagnes américaines qui décident d'oublier leurs différents pour s'unir contre Hitler. Le tout chanté par Will Geer, Woody Guthrie, Burl Ives, Pete Seeger, Lily May Ledford, Hally Wood et Fiddlin' Arthur Smith. Produit en 1944 pour la BBC.
- Calypso at midnight ! (1840) MF7463
Lord Invader, Duke of Iron, Macbeth the Great : the live midnight special concert - Town Hall, New York city 1946.
Extrait musical : Rum and coca-cola
- Calypso after midnight ! (1841) MF7464
Lord Invader, Duke of Iron, Macbeth the Great, Gerald Clark & band : the live midnight special concert - Town Hall, New York city 1946
La grande vague du calypso aux États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale, avec quatre grands chanteurs du style à l'époque.
- Sing Christmas and the turn of the year (1850) MA5791
The live Christmas Day 1957 broadcast on BBC radio. Les rites, ballades, chants de quête et autres airs de Noël tels que présentés lors d'une émission spéciale de la BBC, sur une production d'Alan Lomax. On y entend, notamment, Shirley Collins, Ewan MacColl, Peggy Seeger, Seamus Ennis, Flora MacNeil, Cyril Tawney et Albert Lloyd.
Un cas à part dans cette riche discographie :
Rounder a édité, en 2004, un disque intitulé Presenting the Alan Lomax collection. Il s'agit de douze titres de blues, gospels et ballades enregistrés aux États-Unis et existant déjà sur d'autres titres de la collection Lomax. Cette édition rassemble ces douze titres parce que le duo Tangle Eye a travaillé à partir de ces mêmes pièces pour en donner une sorte de relecture, mélangeant les enregistrements d'origine (ceux de Lomax) avec leurs arrangements, leurs remixes… Leur conception actuelle de ces pièces anciennes en quelque sorte. Un disque intéressant à écouter et globalement très réussi, à l'ère où nombre de musiciens se servent des traditions pour créer un univers, en principe, nouveau. Le disque de Tangle Eye doit évidemment être comparé avec celui qui reprend les douze originaux.
- Presenting the Alan Lomax collection (Rounder CRSCD810) MA5124
- Tangle Eye : Alan Lomax's Southern journey remixed (Zoe Records ZOE10242) KT1025
On trouvera encore des enregistrements et des productions de John et Alan Lomax dans la série des archives de la Library of Congress, rééditées par Rounder :
The Library of Congress Archive of folk culture :
- Negro blues and hollers (1501) K 3702
Enregistrés en 1941 par Alan Lomax, John W. Work et Lewis Jones.
- Railroad songs and ballads (1508) MA5681
Enregistrements des Lomax et de nombreux autres chercheurs entre 1936 et 1959.
- Afro-American spirituals, work songs and ballads (1510) K 3027
Enregistrements des Lomax et de Ruby Pickens Tartt entre 1933 et 1939
- Anglo-American ballads volume 1 (1511) MA5120
- Anglo-American ballads volume 2 (1516) MA5119
Deux volumes édités par Alan Lomax et B.A. Botkin avec des enregistrements réalisés par les Lomax (John, Alan, Elizabeth et Bess), par Charles Seeger, Charles Draves, Herbert Halpert, John Langenegger et Fletcher Collins, dans les années 30 et 40.
- Cowboy songs, ballads and cattle calls from Texas (1512) MA6789
Enregistrements de John Lomax.
Extrait musical : Colley's run-I-O
- Afro-american blues and game songs (1513) K 1427
Les débuts du blues et de musiciens tels que Muddy Waters ou Sonny Terry enregistrés par les Lomax dans les années 30 et 40.
FILMS
American Patchwork videos :
- Jazz parades. Feet don't fail me now (Vestapol 13076) U 1444
The land where the blues began (Vestapol 13078) K 3635
Autres films :
- Devil got my woman : blues at Newport 1966 featuring Skip James, Howlin' Wolf, Son House, Rev. Pearly Brown, Bukka White (Stefan Grossman OV11395) K 2099
LIVRES
- Alan Lomax. Folk song style and culture (Transaction Publishers, New Brunswick, London, 1968, 1994)
- John A. Lomax and Alan Lomax. American ballads and folk songs (Dover Publications, New York, 1934, 1994)
- Lomax , Guthrie, Seeger. Hard hitting songs for hard-hit people (Bison Books, University of Nebraska Press, Lincoln, 1967, 1999)
- Alan Lomax. The land where the blues began (Pantheon Books, New York, 1993)
Les grands collecteurs de musiques
ALAN LOMAX
Parmi les nombreux intermédiaires entre musiques et musiciens d'un côté et public potentiel de l'autre, les collecteurs ont toujours joué un rôle essentiel. Pionniers de l'enregistrement, ils s'en allèrent, dès la fin du XIXe siècle, à la rencontre des musiciens jouant dans leur propre environnement. Gens de terrain, les collecteurs de musiques furent souvent poussés par un intérêt scientifique dicté la plupart du temps par les sciences humaines : anthropologie, ethnologie, sociologie… Mais la musicologie et l'ethnomusicologie s'imposèrent rapidement aux côtés de ces disciplines. Dès 1889, J. Walter Fewkes enregistre chez les Indiens Passamaquoddy. Trois ans plus tard, le Hongrois Béla Vikár en fait autant dans son pays. D'autres collecteurs se rendent en Sibérie tandis qu'aux États-Unis, Frances Densmore entame une large campagne d'enregistrements des musiques des différentes nations indiennes. D'autres, beaucoup d'autres, suivront. Et, parmi eux, dès les années vingt, John Lomax, puis son fils Alan. Les musées et d'autres institutions culturelles officielles profiteront des progrès techniques de l'enregistrement pour créer des archives sonores alimentées par le travail et l'énergie de ces premiers collecteurs itinérants, mais aussi par les enregistrements réalisés lors du passage de musiciens étrangers. On trouvera une analyse de l'histoire du collectage dans le chapitre écrit par Henri Lecomte dans le livre "Musiques du monde, produits de consommation ?"– Colophon Éditions.
Bien sûr, l'industrie ne se fit pas prier pour embarquer dans ce mouvement qui s'avéra bientôt juteux. Les firmes discographiques du début du XXe siècle aux États-Unis envoyèrent rapidement des chasseurs de talents aux quatre coins du pays (et bientôt du monde) pour engranger des musiques « ciblées » c'est-à-dire produites et vendues à chaque communauté présente sur le territoire américain. Musique old time (ou hillbilly) pour les communautés blanches du sud, les race records pour les communautés afro-américaines, les séries juives, scandinaves, grecques, tchèques, italiennes, irlandaises, ukrainiennes, allemandes… Le commerce démarrait avec les musiques de terroir enregistrées sur place. Mais ceux qui, chargés de lourds enregistreurs, allaient à la rencontre des musiciens, étaient souvent des spécialistes, connaisseurs avertis qui firent parfois découvrir au monde entier des musiciens qui ne restèrent pas longtemps dans l'anonymat et qui s'appellent Doc Watson, Muddy Waters, Fred McDowell, Michael Coleman, Joseph Falcon… autant de chanteurs et instrumentistes qui pourraient revendiquer la paternité de styles largement développés, copiés, assimilés, reconnus, éternels… depuis ces indispensables enregistrements.
L'interview d'Alan Lomax par Henri Lecomte
Alan Lomax cherche depuis des années à analyser quantitativement les musiques du monde entier, en les mettant en relation avec certaines structures des sociétés dont elles sont issues. Si son système des « cantometrics » n'a pas recueilli l'adhésion unanime de ses confrères, il reste en tout cas l'auteur d'une ambitieuse tentative quasiment unique et qui mérite certainement d'être prise en considération.
H. L. - Homme des musiques traditionnelles, reconnu par le Gouvernement, comme le montre la remise du « Presidential Award For The Arts », vous avez travaillé deux ans au Musée de l'Homme sur la première discothèque des Musiques du Monde.
A. L. - Oui, il s'agit de la première carte de la musique mondiale, publiée par Columbia en 1957; un travail de sept années composé de quatorze disques avec cartes, photos, textes, qui est aujourd'hui devenu la base de l'enseignement de l'ethnomusicologie aux États-Unis. Le premier disque était avec Gilbert Rouget sur l'Afrique et c'est à ce moment que nous nous sommes rendu compte d'interprétations similaires entre les Pygmées et les Boschimans, malgré leur éloignement de 3 000 km, similarité que nous avons retrouvée entre les cueilleurs indiens, les Aïnous, qui sont la première population du Japon; les Youkaghir, leurs cousins, un groupe de cueilleurs du nord de la Sibérie; les Negritos de Maloubie et un groupe de Nouvelle-Guinée. Notre recherche sur la polyphonie constituait un bouleversement dans l'histoire musicale.
H. L. - Votre carrière a tout de même commencé aux États-Unis avec votre père ?
A. L. - Effectivement, mais pour moi elle aura commencé en 1950. À l'université, j'ai étudié la philosophie, la méthode scientifique m'intéressait, et j'ai écrit ma thèse sur Charles Peurse. J'ai utilisé les médias comme un outil d'expression pour les minorités. C'est le but que j'ai toujours donné au folklore, notamment dans ma période d'humanisme avec Pete Seeger, Woody Guthrie et mon père.
H. L. - Vous aviez des rapports étroits avec Folkways ?
A. L. - FoIkways était dirigé par mon copain Mo Asch. Il faisait ce que je n'avais pas le temps de faire. C'était mon double d'un certain point de vue. J'avais fait des disques avant lui. Il a utilisé mon expérience. Il a fait des choses merveilleuses. Il est mort en 1989. Le folklore permet de symboliser l'existence d'autres personnes que nous en marge de la masse, ce qui est primordial pour nous. Toutes les cultures ont leur importance. Toute ma vie, j'ai cherché à les faire mieux connaître. C'est pourquoi je travaille toujours avec les médias comme la radio. En travaillant sur ces disques avec Columbia, j'ai compris comment je pouvais solidifier les bases du folklore avec une approche scientifique. Et c'est après six ou dix ans que j'ai trouvé les fondements des « cantometrics ». En 1953, en Espagne précisément, j'ai découvert les premières bases. J'avais voyagé en Espagne pendant neuf mois du sud au nord, et j'avais vu qu'on pouvait diviser l'Espagne en voix fermée au sud et en voix ouverte au nord. Du côté des Pyrénées, on chante avec une voix ouverte comme les Basques, les Asturiens, les Galiciens. Au sud, la voix se ferme de plus en plus. Et j'ai constaté, voulant sortir le soir, que les portes sont plus fermées quand on va vers le sud et qu'il est très difficile d'avoir des contacts. En Andalousie, les portes sont en fer forgé et les belles Andalouses sont protégées par le fer forgé. J'ai vu que ce… (Alan Lomax imite un chant flamenco) est un signal de l'homme à la femme, qui souffre d'un système social qui empêche les contacts. Ce n'était qu'une idée seulement. J'avais testé un peu toutes les voix en Espagne et j'avais pris ça comme hypothèse, comme Nataletti en Italie. Mon voyage en Italie devait tester cette hypothèse, de la Sicile et la Calabre jusqu'au nord. Entre parenthèses, une de mes découvertes était qu'il y avait trois zones en Europe : méditerranéenne, centrale de la Russie au Pays de Galles où l'on chante en chœur, et le Nord où l'on chante en solo. Ce sont les grandes régions de musique vocale en Europe.
H. L. - Avec beaucoup d'exceptions ?
A. L. - Ah oui, ce n'est pas géométrique. Ce sont des tendances culturelles, comme en Scandinavie, aux Pays-Bas, au nord de la Bretagne, en Irlande, où l'on chante en solo. Au sud de l'Angleterre, en Cornouailles, dans le Sussex, au Pays de Galles, ce sont des chœurs. Ça fait partie de l'Europe centrale. Je l'appelle la vieille Europe, l'Europe des villages communautaires. Avant que le Nord et la Méditerranée ne développent leurs cultures, l'Europe était probablement entièrement chorale. C'est pourquoi on trouve partout des exemples de chœurs. Les sommets sont au Pays basque, en Sardaigne, dans les Abruzzes, dans le Caucase.
H. L. - En France, il y a très peu de musique chorale paysanne ?
A. L. - Elle a été conquise d'un côté par l'Italie, par la tradition méditerranéenne, de l'autre côté, dominée par les Normands et la ballade. Mais il y a tout de même des chœurs dans le Sud-Ouest, dans les montagnes ou en Bretagne.
H. L. - Dans le Morbihan ?
A. L. - Oui.
H. L. - Mais pas dans le Léon, le Tregor ou la Cornouaille ?
A. L. - C'est une tradition celtique. On chante en solo. J'ai vu tout ça pendant mes années ici mais j'ai essayé de faire le test et j'ai écrit à Rome en 1955 un essai présentant au monde cette idée du chant vocal selon le ton de la voix, le solo et le groupe et l'intégration du groupe. Si le groupe est très bien intégré, comme dans le monde slave, ou s'il est très diffus, comme en France, en Bretagne, on ne chante pas à une seule, mais à plusieurs voix. On entend les individualités du groupe. J'ai présenté ça pour la première fois en italien dans la revue « Argumenti ». L'essai a été refusé par « l'International Journal of Folk Music » nettement, comme ça.
H. L. - Pourquoi ?
A. L. - Sans raison, on disait que ça n'avait pas d'intérêt. C'était la première présentation des « cantometrics ». Les gens travaillaient toujours sur la notation, qui n'est qu'un aspect de la musique. La mélodie est un aspect intéressant de la musique, mais ce n'est pas le seul. Dans d'autres parties du monde, ce n'est pas le centre d'intérêt. Quand je suis revenu aux USA, mes amis anthropologues ont vu cet article et m'ont dit : « Vous êtes anthropologue ». Et j'ai fait mon premier article dans le « Journal of Anthropology ». J'avais trouvé la façon de faire une carte mondiale de la musique humaine. C'était la conclusion de mon travail avec les disques. J'avais écouté toutes les musiques, l'Australie, la Nouvelle-Guinée... les Peaux-Rouges des deux continents, je connais bien la Sibérie, l'Extrême-Orient, la Chine, le Moyen-Orient, l'Europe… c'était la première vision systématique. Mon premier article dans le « Journal of Anthropology » était la première vue générale de la musique traditionnelle. Ça a été un grand succès dans ma profession, parce que je suis anthropologue. J'étais arrivé au but de ma vie. J'avais commencé en tant qu'humaniste, mais je cherchais à faire quelque chose de plus solide, à comprendre pourquoi Woody Guthrie était la bonne voie à suivre en Amérique pour la partie blanche, et le Golden Gate Quartet la bonne voie dans la partie noire. Pourquoi ?
J'avais quelques petites réponses. Mes amis m'ont invité à dîner et m'ont dit : « Lomax, il faut arrêter maintenant. Il faut arrêter de déconner. Il faut retourner à l'école et devenir un universitaire ou autrement tu es fini ». Alors, j'ai décidé de faire ça. Ils m'ont donné un an. Je suis retourné à l'université et pendant environ six mois, j'ai rencontré des gens qui m'intéressaient, tout le monde a été merveilleux avec moi. J'ai fait quelques conférences, étudié entre-temps, me suis saoulé quelquefois, et j'ai trouvé où je me situais. Je ne savais même pas que ça intéressait quelqu'un, à cette époque. J'avais toujours été un loup solitaire, un cavalier solitaire, seul dans ma voiture, mais j'ai découvert de très nombreuses choses merveilleuses. Entre-temps, la science de la communication avait fantastiquement avancé aux États-Unis. Vous ne connaissez pas la Buffalo School ? Absolument formidable, avec George Trager, le théoricien, avec Ed Hall, qui a étudié les distances entre les personnes. Il est très connu dans le monde. Raymond Goodwhistle, qui a étudié les « kinesics », le langage corporel avec la même structure que la linguistique, en analysant des enregistrements à 24 images/seconde, étude très difficile, mais absolument solide, comme la structure de l'atome. Il est toujours vivant. C'est mon professeur. J'ai suivi un séminaire avec lui, ça m'a changé la tête. Après ce séminaire, je suis rentré chez moi, et j'ai fait ça, en un été, en 1940. Il m'a montré, m'a révélé l'importance du non-verbal, mais dans un mode systématique parce qu'il m'a montré qu'avec chaque mot va un mouvement du corps qui le supporte, le souligne ou parfois le contredit. Il connaît tout ça, avec une méthode absolument sûre, systématique. Si vous avez le courage de le lire, il peut vous montrer comment faire tout ça dans les plus petits détails; c'est la chose qui m'a le plus impressionné dans ma vie parce que j'ai vécu avec le non-verbal depuis que j'ai commencé à travailler avec mon père. Je suis passé de la philosophie, des mots, au complet non-verbal, en écoutant des enregistrements, en écoutant des gens chanter, en choisissant quand intervenir, tout ça est non-verbal mais je ne savais pas ce qu'il y avait là-dedans, je pensais en termes de talent mais il fallait s'accrocher à une branche, une racine, un rocher ou quelque chose et j'ai réalisé que tout à coup je voyais le point principal c'est-à-dire que l'art, c'est discipliner le non-verbal et ça, c'est la seule chose importante dont je me souvienne de toute ma vie, que ce que fait l'artiste est de manier le non-verbal de la même manière qu'un écrivain de théâtre manie son texte.
Et c'est ainsi que le musicien manie les notes de son morceau, le danseur la partie corporelle; dans le théâtre, les choses cohabitent. Et le folklore, l'importance du folklore, réside entièrement dans la transmission de ces traditions très élaborées de modelage du non-verbal, et ce que j'ai trouvé, c'est que les civilisations essayent de préserver leur tradition esthétique. Depuis 1962, je n'ai pas arrêté, jour et nuit, de travailler à cet idéal. Ça m'a fait comprendre le blues, le chant des Aborigènes australiens, tout. J'ai découvert graduellement quelques éléments dans cet énorme univers de l'inconnu, j'ai découvert des choses plutôt solides.
H. L. - Votre méthode permet de juger si une exécution est adéquate à sa propre culture ?
A. L. - Je pense que je n'ai pas assez travaillé sur ce problème, mais l'étude du matériel peut permettre d'apprendre à distinguer le bon et le mauvais sans connaître la culture, sans connaître les « cantometrics ». Elle permet de faire ressortir le meilleur, mais pas de dire ce que je ne peux m'empêcher de dire, que ceci vient d'Europe, ou de Malaisie ou d'ailleurs. Et c'est le second point le plus important, que les grands changements dans l'art viennent des rencontres avec d'autres cultures. Tout le monde parle de modernisation pour le Tiers-Monde, mais pour le Tiers-Monde la modernisation consiste en l'adoption des standards euro-américains et c'est tout. Il y a très peu de modernisation qui vienne exclusivement de l'intérieur d'une culture. En Afrique, lorsqu'on parle de modernisation, c'est d'une influence des Antilles.
H. L. - Mais il s'agit d'un retour.
A. L. - La modernisation consiste à suivre les modèles européens, que ce soit la musique moderne ou le jazz. Mon système est conçu pour faire ressortir les tendances culturelles fondamentales et en premier la présentation des modèles culturels, l'établissement de l'identité culturelle et puis la réinformation là-dessus, et leur donner vie afin que la culture ne se fatigue pas d'elle-même et qu'on ne dise pas : « C'est le vieux monde, les artistes ne font rien de nouveau ». Il faut restimuler la culture.
H. L. - Mais dans beaucoup de cultures, les musiciens ne se considèrent pas comme des artistes; l'art n'est qu'une petite partie de la fonction de la musique, par exemple dans les rites du peyotl…
A. L. - Oui, mais il y a quelqu'un qui mélange les choses de manière appropriée, et l'artiste, qu'il ait une fonction estimée ou non, est la personne qui est là avec le tambour, qui démarre le chant à la bonne hauteur ou au bon tempo etc. : il a une adresse technique. J'ai toujours constaté que celui qui faisait arriver les choses n'était pas une personne des plus remarquables. Vous savez quand la grande musicologue française, Ann Chapmann, a enregistré la dernière Ona , la dernière femme. C'était une femme ordinaire, qui a donné naissance à toute la mythologie du peuple Ona et toutes leurs chansons. L'écouter c'est comme écouter le temps. C'est une artiste merveilleuse, quoiqu'il en soit, la dernière personne de la plus vieille culture de l'Antarctique, la culture Ona d'Amérique du Sud.
Et j'ai trouvé que toutes les personnes que j'ai enregistrées, au fond de leur apparente simplicité, faisaient des choses étonnantes au niveau du tempo, de la hauteur et de la manière d'accrocher les mots à la mélodie, et ça c'est de l'art, cette adéquation entre la culture et le matériel.
H. L. - Comment choisissez-vous les caractéristiques d'une culture ? Par exemple, au Japon un même instrument, le shakuhachi, est joué rubato pour le Honkyoku et avec un rythme mesuré pour le Sankyoku.
A. L. - Eh bien, basiquement, c'est aussi stupide qu'un scrutin politique. Nous avons commencé à écouter toutes les musiques du monde, les premiers je pense. Personne avant n'avait écouté toutes les bandes. Après en avoir écouté des centaines et des centaines…
H. L. - Mais à cette époque, on enregistrait peu et le choix venait tout d'abord de la personne qui avait fait l'enregistrement.
A. L. - J'appelle ça la timidité moderne. Je ne pense pas que ce soit très intéressant. Je pense qu'il s'agissait d'un réel progrès sur la génération qui n'avait pas de magnétophones et je peux aussi avoir une certaine confiance; la plupart des gens qui ont fait les enregistrements que j'ai écoutés étaient des spécialistes et les zones où ils enregistraient étaient les plus représentatives.
H. L. - Ça dépend beaucoup des informations. Si vous vivez longtemps dans un pays, que vous connaissez la langue, c'est différent, mais beaucoup de disques ont été enregistrés par des gens qui ne restaient pas longtemps. Vous avez eu un informateur très spécial au début de votre carrière. Je pense à Jelly Roll Morton…
A. L. - Jelly Roll connaissait la musique. La musique était la musique. Tout le monde était familier avec elle. La musique est une expérience publique, mais je pense que la chose curieuse est que le folklore est une musique cachée, dont les profils ne différent pas beaucoup des profils publics. J'ai trouvé que c'était important. J'ai été frappé par ça, en Italie où j'ai enregistré intensivement des chants funèbres, des chansons d'amour, des berceuses, des chants de travail; ils étaient identiques à la base. Tout dépend du style de la culture, de la communication, de la fonction…
J'étais un vieux fonctionnaliste dans ce domaine, mais je pense que le moins important est la fonction. Par exemple, sur mon propre terrain qui est la musique noire du Sud, autrefois les Noirs, bien qu'esclaves, formaient des communautés intégrées, séparées des Blancs, dans une situation presque africaine où le groupe était important. Les bals, la religion, tout était affaire de groupe et les chants étaient presque tous des chants de groupe; et en se déplaçant vers la société blanche, les chants en solo sont apparus, comme les blues et même les gospels. Il y a une démarcation temporelle claire, une expérience nouvelle, et les orchestres sont apparus. Avant, il n'y avait pas d'orchestre, ils n'avaient que des ustensiles de cuisine et toute la musique de cette première période a cette qualité d'être une musique de groupe, a cappella, avec un accompagnement des mains et des pieds.
Ensuite, on arrive à la période suivante où dans les villes apparaissaient les orchestres et à la campagne, les blues en solo.
Personnellement je ne suis pas très impressionné par ces critiques. De bons échantillons vous racontent toute l'histoire. Ce que je dirais des « cantometrics », c'est que c'est une sorte de
trame. Ceci n'est pas vrai pour les autres systèmes musicométriques et je veux insister sur le fait que j'ai répertorié mes quatre mille chansons, elles ont toutes un nom et un numéro et les cultures sont également nommées et numérotées. Il est possible de revenir aux échantillons et c'est ce que je pense que les gens vont faire. C'est le premier échantillonnage d'un monde assez vaste et je ne veux pas que vous m'engagiez dans une controverse sur les échantillons. J'ai lu l'autre jour dans un très beau magazine : quand les gens ne peuvent pas discuter de la substance, ils discutent de l'échantillonnage. J'ai vérifié ceci depuis que j'ai commencé à publier. Je ne savais pas avant de lire ce magazine que c'était un gambit typique intellectuel. J'ai essayé de constituer un échantillonnage valide avec la meilleure expérience possible. Je pense que j'ai travaillé aussi dur que n'importe quel spécialiste de la musique du monde et j'ai essayé de faire un bon échantillonnage.
La musique afro-américaine est très intéressante. Au Brésil, vous avez des communautés qui parlent des langues africaines et vous avez des choses africaines qui y sont reliées et vous pouvez retrouver d'où viennent ces chansons. Le langage a vécu et la chanson également. Dans d'autres parties de l'Afro-Amérique, vous avez la langue créole, mi-africaine mi-européenne, et vous y trouvez les mélodies de type africain en même temps que les styles africains d'exécution avec une prédominance du groupe et du village, et quand vous écoutez des Créoles, comme aux États-Unis, vous n'avez plus d'airs africains, vous avez le type mélodique africain, le type litanie.
H. L. - Parce qu'ils n'avaient pas de tambours ?
A. L. - Non, je pense que c'est surtout parce qu'ils ont tous appris à parler anglais. Ils n'ont pas développé un créole comme à Haïti.
L'intérêt principal de toutes les musiques africaines réside vraiment dans les différents styles corporels, et ceci a survécu dans toutes les communautés noires jusqu'à récemment. Il y a un flux d'énergie du milieu du corps jusqu'aux membres et la flexibilité du tronc, la posture inclinée vers l'avant, les pieds largement écartés et le fait que l'Africain mette l'accent sur le milieu du corps. Parce que le corps est cadré par les vêtements, le corps n'initie pas, la tête n'initie pas, et le milieu du corps initie l'action. Si vous voulez boire quelque chose, vous pouvez être sûr que vous savez d'où ça vient et ça a donné la possibilité d'avoir différents systèmes de coordination, c'est la partie de fonds pour le système rythmique. Ainsi il est possible pour eux de faire des miracles en termes de coordination de voix, de mains, de corps, de pas et tout ça, ça dépasse tous les autres gens du monde, sauf peut-être les Polynésiens. Ça donne un terrible avantage, les retombées du mouvement, le système d'observation qu'ils ont.
Ce qu'on peut découvrir dans les pop songs américaines aussi bien que dans la musique traditionnelle, nous l'avons également étudié dans des films où l'on peut comparer des interprétations par des Blancs et par des Noirs; et il y a une grande source de différences sur toutes les scènes depuis 1900. Les Blancs essayent de participer, mais ils ne savent pas comment le faire, sauf avec le coeur. Et ici encore, nous avons le mode social empirique : c'est le système de maniement du corps qui continue très fort en dépit du transport en Amérique et devient maintenant le problème central des États-Unis, voyez-vous, parce que nous avons deux sociétés, une noire, une blanche et cela bien que nous ayons une intégration politique et morale. Les « patterns » non-verbaux équipent les gens qui réagissent de différentes façons pour tous les problèmes de la vie et c'est une chose étrange pour nous et dans une certaine mesure également pour l'Europe, et je pense que mon système peut beaucoup contribuer à comprendre ça, à en tenir compte, si les gens comprennent ces différences, si les Noirs nous comprennent mieux, si nous les comprenons mieux et utilisons les termes de base de l'ensemble des aspects créatifs non-verbaux, tout ça partira et c'est ce que j'espère qui ressortira de mon travail.
H. L. - Travaillez-vous sur les relations entre les « choreometrics » et les « cantometrics » ? Avez-vous fait des calculs statistiques ?
A. L. - Je sais maintenant qu'il y a des relations. J'ai un chapitre dans mon nouveau livre, appelé Dancing, sur les relations entre les variables des « choreometrics » et des « cantometrics ». C'est vieux, vous savez.
H. L. - Étudiez-vous la manière dont les gens apprennent le chant ou la danse dans leur enfance ?
A. L. - Nous avons fait quelques observations, non pas pour montrer que c'est un état préliminaire à l'état adulte, les enfants commencent par apprendre le système des adultes, mais nous n'avons pas pensé que c'était vraiment important, parce que la culture est une chose adulte. Je crois que la culture adulte est le fait le plus important. Les enfants l'apprennent et s'ils ne le font pas, ils meurent, dans la plupart des sociétés. C'est l'adaptation adulte qui compte, pas celle des enfants. Je pense que les systèmes d'éducation des enfants sont liés aux adultes. Il y a beaucoup de choses sur l'éducation des enfants dans mes études. Dans l'anthropologie américaine, nous avons établi des tableaux comparatifs des systèmes d'éducation des enfants, j'ai mis tout ça dans mon ordinateur et j'ai découvert quelques données sur le système d'éducation des enfants par rapport au comportement musical.
En fait, c'est beaucoup plus lié au fait que les adultes contrôlent l'éducation des enfants. Par exemple, la principale différence se trouve entre la chasse et l'agriculture et ensuite l'industrie.
C'est très frappant, je pense que le système d'éducation des enfants diffère principalement selon les fonctions économiques principales de la culture dans son entièreté. Les chasseurs sont très différents des agriculteurs.
H. L. - Et les rôles sexuels ?
A. L. - Les rôles sexuels diffèrent aussi. Dans les sociétés de chasseurs, on entraîne les enfants à être effrontés, à défier leurs parents parce que tout repose sur l'individu, on apprend aussi aux enfants à être très indépendants, à dire « va te faire foutre » à leur père, les mâles, parce qu'il faut qu'ils deviennent sûrs d'eux-mêmes. Dans les sociétés agricoles, les enfants ont tendance à se conformer, à être punis s'ils n'obéissent pas. Il ne s'agit plus de mathématiques, ce ne sont plus des choses divinement inspirées qui appartiennent aux racines éternelles de l'univers, ça appartient à la part chaude et complexe d'une société, des gens ayant des relations les uns avec les autres et qui essayent d'exister dans leur propre réseau écologique sur la planète et c'est une partie extrêmement importante de cette adaptation. Ce n'est pas une attitude qu'ont les intellectuels ou que le génie introduit. Ça a toujours été là en tant que part essentielle d'autoadaptation et je crois que c'est très important maintenant parce que tous les gamins vont réagir au fait de se trouver au milieu de ce bouillonnement, et pour cette raison, c'est très significatif. Ils ont des responsabilités et nous avons aussi la responsabilité de ces gens, de nos vies en ce moment. La seconde chose, c'est l'intégration de l'art dans la société. Zola, Balzac et Shakespeare, Dostoïevski et Tolstoï et tous les plus grands que nous connaissons, ont passé toute leur vie à se maintenir à un moment ou à un autre dans l'histoire culturelle et sociale. Il n'y a rien d'aussi complexe qu'une société, et l'art peut résumer sa réalisation et ce que je vous donne la chance de faire avec mon système, c'est de faire des diagrammes rapides de la plupart des musiques de l'humanité qui, réellement, coïncident avec les objectifs principaux d'une société.
H. L. - Pourquoi avez-vous mis en avant la musique vocale ?
A. L. - Eh bien, je pense que c'est la première. Je crois vraiment que les autres types de communication viennent avant le chant, mais le chant est très ancien. Je pense que les gémissements, les grognements, la parole, la culture adulte sont venus d'abord et que le chant est né de ça. Je pense que la mélodie vient du gémissement, du grognement et du langage. Maintenant, c'est une chose indépendante, merveilleuse, super semblable à ces choses, une manière de parler plus poétique et plus forte que celle qu'on utilise quotidiennement.
Propos recueillis par Henri Lecomte et publiés dans Trad Magazine N°9 – Mars/Avril 1990 (Trad Magazine : Tradmag@wanadoo.fr – www.tradmagazine.com)
1 Ethnie disparue de la Terre de Feu. Les enregistrements de cette dernière représentante du peuple Ona sont présents dans les collections de la Médiathèque.