Disparition de Manu Dibango, ambassadeur de la musique du monde
Manu Dibango (1933 - 2020)
Né à Douala au Cameroun en 1933, son enfance est partagée entre la culture douala de sa mère modiste, yabassi de son père fonctionnaire, et l’éducation occidentale de l’école coloniale. Envoyé en France à quinze ans pour poursuivre ses études, il débarque à Marseille puis à Saint-Calais dans la Sarthe. Il raconte dans sa première autobiographie, Trois kilos de café (Lieu commun, 1989) que c’est à la rencontre avec un autre expatrié camerounais, Francis Bebey, qu’il doit sa découverte du jazz. Ils créent ensemble un trio dans lequel Dibango, pas encore saxophoniste, joue de la mandoline et du piano.
En 1956, il monte à Bruxelles. Embauché dans un cabaret à la mode, le Tabou, il y rencontre sa future femme : Marie-Josée dite « Coco ». Il tourne à travers la Belgique avec plusieurs formations avant de prendre la direction de l’orchestre d’une boîte de nuit bruxelloise, Les Anges noirs. C’est là que le découvre Joseph Kabasele, alias « Grand Kallé », leader de l’ensemble African Jazz et auteur de l’énorme tube congolais de 1960 : « Indépendance Cha Cha ». Engagé comme saxophoniste cette fois, il participe aux enregistrements du groupe avant de l’accompagner en Afrique.
C'est là qu’il lance les premiers orchestres à son propre nom, à Kinshasa (alors Léopoldville) d’abord, puis au Cameroun. Le couvre-feu imposé par la guerre civile met fin à ces projets et il repart en France où il monte un nouvel orchestre. Il collabore également avec les vedettes de l’époque, Nino Ferrer, Dick Rivers et bien d’autres.
Si sa réputation auprès des mélomanes n’est déjà plus à faire, le succès populaire viendra toutefois par accident en 1972 avec un morceau, à l’origine destiné à la face B d’un 45 tours en hommage à l’équipe nationale de football du Cameroun. Le morceau s’intitule « Soul Makossa » et il marquera toute la carrière de Dibango. Invitation à la danse – « makossa » en douala – il devient par le plus grand des hasard un tube dans des discothèques américaines comme le « Loft » de New York, ce qui vaudra au musicien le succès et des tournées aux États-Unis. Sa carrière internationale est alors lancée et ne va plus s’arrêter.
Il entame ainsi plusieurs décennies de musique, de collaborations de haut vol, qu’il met très souvent au service de causes humanitaires : la lutte contre la faim dans le monde (avec le projet Tam-Tam pour l’Éthiopie), contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour l’aide à la Croix-Rouge et plus récemment contre le réchauffement climatique. Ses activités lui ont valu d’être nommé artiste de l’Unesco pour la paix en 2004, en plus de nombreuses autres distinctions comme la Légion d’honneur, le titre de Grand Témoin de la Francophonie et la All Africa Music Awards.
Si le plagiat est aussi une forme de reconnaissance, c’est à nouveau grâce au morceau « Soul Makossa » qu’une partie du public redécouvrira Manu Dibango en 1983 lorsque Michael Jackson « emprunte » le refrain de cette chanson pour le sampler sur son morceau « Wanna Be Starting Something ». Le procès se soldera par un accord à l’amiable, avant de rebondir quand Jackson « offrira » ce refrain à Rihanna, pour son morceau « Don’t Stop the Music », à nouveau sans autorisation.
La carrière de Manu Dibango a traversé de très nombreux styles, le jazz, la rumba congolaise, le twist, le funk, le rhythm 'n' blues, l’afrojazz, le reggae, les musiques afro-cubaines, le hip-hop, etc., qu'il a tous fait siens. Musicien infatigable, il a rebondi de projets en projets avec le même enthousiasme pendant près de soixante ans jusqu’à sa mort ce 24 mars 2020, des suites d’une infection par le Covid-19.
Crédit photo: Concert de Manu Dibango au festival Les Escales, Saint-Nazaire, juillet 2019 par Selbymay
Texte: Benoit Deuxant