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Joan La Barbara

Joan La Barbara (1947 - )

Philadelphie, 1947

 

 

Joan La Barbara

Joan La Barbara est un personnage à part dans le monde de la musique classique. Que ce soit à travers son association avec des compositeurs comme John Cage, Steve Reich ou Morton Feldman, ou sa propre carrière de compositrice, elle s’est construit une place unique de chercheuse et d’expérimentatrice. Depuis les années soixante, elle a consacré sa vie à explorer la voix humaine, à commencer par la sienne, afin d’en élargir les possibilités et d’en repousser les limites. Elle a ainsi développé un vocabulaire étendu de techniques vocales expérimentales, ajoutant le chant circulaire (chant ininterrompu par la respiration), le hululement, les claquements de glotte, le chant multiphonique (chanter sur plusieurs tonalités à la fois) aux techniques traditionnelles du chant classique. À l’inverse du chant lyrique, elle considère la voix, non comme un véhicule du texte, mais comme un instrument en soi. Ce qui l’a amenée à composer et interpréter des œuvres étonnantes, associant une forme de chant « pur », quasiment angélique, à des grognements, des évocations d’animaux, de machines, des imitations de sons électroniques. Ses propres compositions sont, non seulement des démonstrations virtuoses de ses capacités vocales et de son talent, mais aussi des pièces excessivement sensibles, explorant la texture sonore de la voix de manière envoûtante.

Voice is the Original Instrument est une compilation de ses premières oeuvres, enregistrées dans les années 70 et 80, et présente l’artiste expérimentant diverses techniques de production sonore, vocale et technologique, mais aussi diverses sources d’inspiration inhabituelles, improvisant après des périodes de privation sensorielle, traduisant en son des analyses du spectre lumineux. L’album est aussi une introduction en forme de manifeste à ce qui sera la voie de Joan La Barbara tout au long de sa carrière. Elle y envisage le son comme une présence physique, un matériau à sculpter. Elle dit vouloir « retrouver la fonction de base de la voix en tant que premier instrument d’expression » et comme ressource sonore encore trop peu explorée. En plus de ses techniques vocales, elle explorera le re-recording, additionnant jusqu’à seize couches de sa propre voix pour parvenir à une composition orchestrale complexe, une réelle « peinture sonore ». C’est le titre qu’elle donnera d’ailleurs à un de ses albums : Sound Paintings, un disque s’ouvrant sur un cri perçant, pour s’engouffrer ensuite dans une série de pièces tantôt méditatives, tantôt emportées à toute vitesse dans une fougue rappelant diverses traditions populaires, comme Erin, évoquant l’Irlande, ou Urban Tropics, où elle utilise sa voix comme un instrument de percussion afro-cubain.

Malgré la réticence de beaucoup de compositeurs à écrire pour une interprète aussi unique que La Barbara, quelques-uns se sont risqués au défi. Une de ces plus belles collaborations est une œuvre de Morton Feldman intitulée Three Voices. Les paroles sont extraites des deux premiers vers de Wind, un poème que l’écrivain Frank O'Hara avait dédié à Feldman. Le texte est adapté pour trois voix, l’une chantée live, les deux autres enregistrées. Elle fut interprétée par La Barbara, chantant entourée de deux haut-parleurs. Feldman expliquera plus tard avoir eu la vision des haut-parleurs comme autant de pierres tombales, et qu'il avait conçu la voix live comme conversant avec des esprits. Pour lui, c'était les voix de ses amis Philip Guston et Frank O'Hara qui y étaient enterrées; la voix live était la sienne. Il y a toujours eu beaucoup de similitudes dans les approches musicales de Feldman et de La Barbara. Elle a créé au fil du temps un style vocal minimaliste, tout en retenue, qui rappelle la subtilité et l’économie caractéristique de Feldman.

Une autre de ses oeuvres majeures est une collaboration également. 73 Poems est basé sur un texte du poète américain Kenneth Goldsmith, par ailleurs fondateur d’UbuWeb. Il s’agit d’une œuvre pour voix, électronique et bande, composées de 79 pièces courtes, entre le haïku et la miniature, durant chacune une minute à peine. Il s’agit également d’une exception au travail habituel de La Barbara puisqu’elle avait jusque-là évité l’usage du texte. Alors qu’elle favorisait auparavant les séquences vocales dénuées de signification, et en ce sens similaires à une musique instrumentale, elle utilise ici l’humour ou le pathos des textes pour se livrer à des variations sur les différentes rimes et allitérations des poèmes ou pour se concentrer sur une forme de récitation uniquement accompagnée de manipulationsd’harmoniques. Les poèmes originaux de Goldsmith, conçus comme des intermédiaires entre la poésie et la peinture, sont disposés sur le papier comme une composition abstraite, les mots se superposant, dessinant des formes géométriques. Chacun possède, en dehors de son texte, un agencement visuel, une esthétique propre. C’est de cet agencement que partira La Barbara pour son adaptation, cherchant à sculpter le son en accord avec la composition graphique du poème.

La musique de Joan La Barbara, bien qu’elle soit le résultat d’années d’expérimentation, conserve une fraîcheur, une beauté inhabituelle, qui parlent à l’imagination. Décrite par certains critiques comme "l’équivalent sonore de la science-fiction", elle est une exploration des territoires inconnus de la voix. Qu’elle se base sur des techniques traditionnelles comme le iodle, le jeu de gorge des Inuits ou le chant diphonique de Mongolie, ou qu’elle invente ses propres techniques, l’agilité et l’aisance de La Barbara sont toujours impressionnantes. À la fois compositrice et interprète, et ne craignant pas de mêler à son approche classique improvisation et technologie, Joan La Barbara est un exemple rare, marginal, dans le monde de la musique classique. Au moyen de sa seule voix, elle s’est créé un univers déconcertant, fascinant et « rafraîchissant », où l’on ressent la joie de chanter, de s’immerger dans le son et de découvrir des sons que l’on croyait jusque-là impossibles.]

Joan La Barbara possède un site internet : http://www.joanlabarbara.com/. Elle travaille actuellement sur un nouvel opéra, intitulé WoolfSong, inspiré par la vie et l’œuvre de Virginia Woolf.

Benoît Deuxant

Discographie sélective









 

 

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