John Giorno, agent de mutation de la poésie new-yorkaise
John Giorno (1936 - 2019)
À partir du milieu des années 1950, tant en Europe qu’aux États-Unis, il devient clair pour une nouvelle génération d’écrivains que leur rapport au public n’est plus condamné à ne passer que par la lecture solitaire d’un livre imprimé mais que d’autres canaux sont possibles : lectures sur scène, émissions radio, films… répondeurs téléphoniques... et disques ! — Philippe Delvosalle
Allen Ginsberg et Jack Kerouac sortent leur premier LP en 1959, William Burroughs en 1965 (Call Me Burroughs, sur le label The English Bookshop, vite réédité par ESP Disk).
À partir de 1966, le Poetry Project est organisé à la St. Mark's Church in-the-Bowery, la deuxième plus ancienne église de la ville, depuis longtemps ouverte à l’expression artistique d’avant-garde (Isadora Duncan y a dansé en 1922, Sam Shepard y a monté ses premières pièces en 1964… Patti Smith y lit ses textes, accompagnée par Lenny Kaye en 1971).
En 1965, John Giorno, écrivain, complice et ex-amant d’Andy Warhol (c’est Giorno que Warhol avait filmé dans les bras de Morphée pour son film Sleep, en 1964) fonde l’association John Giorno Poetry Systems. En 1968, suite à une conversation avec William Burroughs, John Giorno met en place l’initiative Dial-a-Poem : quiconque téléphone au 641-793-8122 tombe sur l’un des quinze répondeurs téléphoniques diffusant une série de poèmes renouvelés presque quotidiennement et abordant souvent des sujets engagés (comme la guerre du Vietnam) ou tabous (la révolution sexuelle par exemple).
En 1972, Giorno Poetry Systems se redéploie en label et sort une série de compilations aux intitulés éloquents (Biting off the Tongue of a Corpse ; Totally Corrupt ; Sugar, Alcohol and Meat ; Better an Old Demon than a New God ; Smack My Crack, etc.) qui rassemblent différentes générations et communautés de poètes (Giorno lui-même, Ginsberg, Burroughs, John Cage, Amiri Baraka, Anne Waldman, Ed Sanders, Brion Gysin, Laurie Anderson, etc.), sans oublier, à l’articulation des années 1970 et 1980, de s’ouvrir à l’expression plus rock et électrique d’une écriture post-punk et no wave (Debbie Harry, Kathy Acker, Diamanda Galas, Coil, Sonic Youth), en faisant appel à des artistes tels que Keith Haring et Gary Panter pour les pochettes.
Philippe Delvosalle
notice initialement écrite pour la playlist URBNportrait "New York en musiques", retravaillée en octobre 2019
image de bannière : pochette du premier disque de Giorno : Raspberry / Pornographic Poem (The Intravenus Mind, 1967)