Max Roach
Max Roach
MAX ROACH : UN DES PÈRES DU BE-BOP S'EN EST ALLÉ, LE 17 AOÛT, À L'ÂGE DE 83 ANS.
Ma passion pour la batterie n'a cessé depuis l’acquisition fébrile, il y a (déjà) 30 ans, de « Drum battle at JATP » (UK8457), dans lequel Gene Krupa et Buddy Rich se complétaient dans un patchwork infernal de rythmes, d’être attisée par des découvertes d’autres « caresseursde peaux ».
Alors qu’elle ne fut pas ma tristesse d’appendre la mort d’un des ses maîtres !
Le batteur américain aura passé un demi-siècle a jouer et à composer de l’extraordinaire musique.
Né le 10 janvier 1924, d’une mère chanteuse de gospel, il devra attendre ses 12 ans pour se mettre derrière ses premiers fûts. A 16 ans, il eut l’opportunité inespérée de jouer dans l’orchestre de Duke Ellington, en remplacement de son batteur malade. Bien qu’élève de la Manhattan School of Music, dont il sortit avec un prix, il fut un remarquable autodidacte, se formant dans les boîtes de nuit de Harlem (notamment le célèbre Minton’s Playhouse), tapant le bœuf avec Charlie Parker ou Dizzy Gillespie, avec qui il donnera naissance au be-bop.
Témoignage de cette révolution du jazz, un enregistrement de 1944 avec Coleman Hawkins et Dizzy Gillespie. L’année suivante, il intègre le groupe de Charlie Parker, avec qui il aura d’épisodiques collaborations. En 1949, il participe à un disque clé de l’histoire du jazz, « Birth of the cool » (UD2025), avec Miles, Coltrane, John Lewis, Gerry Mulligan, Lee Konitz,… casting de rêve !
Sa carrière de leader prendra réellement son envol avec la création du quintet légendaire et pourtant éphémère du trompettiste Clifford Brown (cfr. « Brownie lives ! » UB8023). Leurs rapports furent immédiats, leur entente quasi télépathique. Un tragique accident de la route, coûtant la vie à Brown et au pianiste Richie Powell, allait mettre fin à cette union sacrée en 1956. Max cherchera d’ailleurs à recréer cet équilibre parfait, en cherchant vainement un trompettiste pour remplacer Clifford (il y arrivera partiellement avec la comète (il est mort à 23 ans !) Booker Little).
En 1958, le batteur milite activement pour la défense des droits civiques du peuple noir américain, qui trouvera son prolongement, deux ans plus tard, avec l’enregistrement de l’album brûlot « We insist : Freedom now suite (UR5715) », toujours aussi crucial et d’actualité 40 ans plus tard !
Il faut aussi noter que dans ce manifeste tribal, Max (la profession l’appelait ainsi, car roach, son nom d’esclave, signifiait blatte, cafard !) embrasse les traditions percussives africaines, afro-cubaines et afro-américaines. Son influence est incalculable !
En 1962, en compagnie de Duke Ellington et Charles Mingus, il enregistre « Money jungle » (UE3390), un chef d’œuvre, qui fait ouvertement référence au blues. La même année, il unit sa destinée (jusquen 1970) à la chanteuse Abbey Lincoln, qui lui permit de sortir de l’enfer de la drogue et de l’alcool.
Durant les années 60, il fait preuve d’un militantisme actif dans la politique, aux côtés de Martin Luther Ling ou Malcolm X. En corrélation avec cette période d’agitations sociales, émerge un genre nouveau: le free jazz, une autre idée de la musique, qui va secouer l’Amérique, en lutte avec elle-même, tentant d’exorciser le poids des fantômes du passé…
Dans les années 70, Max se cherche de nouveaux défis: enseignant à l’université du Massachusetts, cherche son inspiration dans les musiques du Ghana, se produit au Japon ou à Cuba, crée l’ensemble M’Boomre : percussion, soit 7 percussionnistes qui jouent sut toute la gamme tonale.
Quelques années plus tard, il s’immerge dans l’avant-garde avec le pianiste Cecil Taylor et le saxophoniste Anthony Braxton.
Dans les années 80, il expérimente avec un double quartette, constitué de son quartet habituel, où l’on retrouve les réguliers Odean Pope (saxophone), Cecil Bridgewater (trompette) et Tyrone Brown (contrebasse) et de l’Uptown string Quartet, où sa fille Maxine joue du violon.
Toujours avide de nouvelles expériences enrichissantes, il croise le fer avec le rappeur Fab Five Freddy, en 1983, car le rap est pour lui, un nouvel art à ne pas négliger !
Les années qui suivirent, furent tout aussi gratifiantes, composant pour le chorégraphe Alvin Riley, pour le théatre, notamment pour Sam Shepard, se produisant avec le groupe de jazz cubain Irakere ou l’ensemble de percussionnistes japonais Kodo ou encore en 1999, il crée un trio singulier, piano (Jon Jang), ehru, un violon à deux cordes (Jiebing Chen) et (quelle)batterie (UR5775) .
Le jeu de Max se tient aux croisées des batteurs swing tels Gene Krupa, Jo Jones, Dave Tough ou Big Sid Catlett et de l’avant-garde des années 60. Il a fait du batteur, plus un simple accompagnateur, mais bien une tête d’affiche, délivré du passé, enfin sur le devant de la scène, utilisant toute la gamme et la panoplie des percussions. Max superpose les rythmes et tempos, combiné à des techniques inventives au niveau des cymbales.
En résumé, un créateur, un maître sans égal, convaincu que la batterie est l’instrument de voix des descendants d’esclaves, le plus grand soliste de l’histoire du jazz, qui laisse un lourd et riche patrimoine (cfr. sa discographie) et un nombre incalculable de batteurs orphelins ! [retour]
Lionel Charlier