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Noël Akchoté - Version courte

Noël Akchoté - Version courte

publié le

Entretien L'HOMME QUI AIMAIT… TOUT !

noel akchote

À l'occasion de la sortie de So Lucky, nous avons proposé au guitariste Noël Akchoté de se livrer, par courrier électronique, à un petit jeu de questions-réponses. N'étant pas le genre de musicien dont le cerveau est mis en veilleuse dès qu'il arrête de jouer de son instrument, Noël Akchoté est plutôt un individu social qui, aussi par l'écoute, la parole et l'écriture, réfléchit en permanence sur le monde qui l'entoure et enfonce des portes là où tant d'autres préfèrent bâtir des chapelles, creuser des fossés ou monter des remparts. Nous lui avons envoyé deux pages de questions et, deux jours plus tard (il avait dû y passer pas mal d'heures!), il nous renvoyait quinze pages de réponses généreuses qui, régulièrement, nous poussaient à remettre en question nos points de vue un peu «culturo-cultureux» sur des pans mainstream ou populaires du patrimoine de notre Médiathèque. Quelques extraits de ce point de vue précieux (les plus directement liés à notre mini-dossier sur les « reprises monomaniaques ») :

  • Le prétexte à cet entretien à distance c'est So Lucky, un disque (et un concert, le 24 février à La Compilothèque à Bruxelles) de reprises instrumentales de Kylie Minogue. Pour quelqu'un qui ne te connaîtrait pas ou qui n'aurait pas encore écouté le disque, c'est le genre de projet qui pourrait vite être soupçonné de la malédiction de « la mauvaise bonne idée » ou de motivations louches du genre « un musicien lié au monde de l'expérimentation va violer symboliquement une pimbêche du monde du divertissement » En quoi tes motivations étaient-elles différentes de celles-là ?

« (…) Que te dire qui ne soit déjà dans ta question… Avant tout, je ne me considère pas du tout comme un avant-gardiste ou même un expérimentateur. Si tu veux, ce qui me passionne c'est «un peu de tout», voire «tout», et dans ce tout-là, il se trouve qu'improviser ou expérimenter me semble salutaire. Mais, pour autant, « improviser » (même en musique), ça n'a pas forcement grand-chose à voir avec les musiques dites «improvisées»… Je ne crois pas aux avant-gardes, je n'y ai jamais cru et ce n'est pas maintenant que ça va commencer. C'est même pas une question en ce qui me concerne, l'appellation ou l'étiquette ne disent souvent pas grand-chose ni sur le produit, ni sur comment on le consomme. Pour Kylie et quelques autres, je reste fondamentalement très au premier degré dans mes approches. Je dois être assez peu nécessiteux de tout ce qui est de l'ordre des « appartenances » ou du besoin de se ranger derrière des familles, des drapeaux ou des vérités ».

  • J'ai envie de te poser deux questions sur la fabrication de ce disque, ton travail, ton modus operandi… En premier lieu, en amont de l'enregistrement : d'abord, la sélection des morceaux, puis, la manière dont tu t'y es frotté, dont tu te les es appropriés, dont tu en as fait tes versions… As-tu beaucoup changé les compositions d'origine ?

« Non, mais c'est véritablement tout du vécu, de l'intime, du très simple de A jusqu'à Z… Donc aussi du qui fait chaud au cœur, froid au cul et parfois mal à la tête. Au départ ça se passe comme ça: je suis à Vienne dans le petit appartement, c'est l'hiver, les fenêtres début du siècle laissent passer un froid assez brutal… Je ne sais pas trop où j'en suis, ni ce que je vais faire dans un avenir proche ou lointain, je suis assis sur le lit, la radio passe des tubes, il est le genre d'heure où tout le monde a vaguement le blues… Tu vois, environ 18h50 ou un truc sinistre comme ça… Il fait nuit depuis plus d'une heure, et puis… La radio passe Can't Get You Out Of My Head (la fameuse LA-LA-LA…) et là, quelque chose se passe, comme si c'était ce que j'attendais depuis des mois, voire des années! Ça me prend là, le refrain ne me lâche pas, je l'entends énorme, aussi bien très triste, que très fort, que très très humain, très vivant, tout simple: un cri, une voix, un bout de femme qui raconte… Et c'est parti! D'abord je vais chercher ma guitare et je passe des heures à tourner la mélodie en rond sur l'instrument, à essayer de trouver une façon à moi de jouer son histoire à elle, puis tout ça s'emboîte lentement… Le lendemain à 9h30 je suis devant le disquaire Saturn à l'ouverture et j'achète les cinq disques de Kylie qui sont disponibles, et pendant deux ans ça va être comme ça. J'aurai tout écouté (mais vraiment tout-tout-tout!). Tous les matins je me lève en général entre cinq et six heures le matin: j'ai l'esprit vif, je lis, j'écris, je travaille jusqu'à ce que la ville se lève et fasse du bruit… (Après, c'est plus pareil), je vais écouter, réécouter, faire des transcriptions de presque 90 chansons (sur un peu moins de 120 en tout, pour son intégrale). Au moment d'entrer en studio pour le disque, j'ai encore une sélection de 30 chansons, plus en gros 30 de plus que je peux jouer, toutes par cœur (quasi avec les paroles). Comme j'ai toujours été un peu fan de base, je vais très vite aussi acheter ses calendriers, ses singles en picture discs, de la lingerie « Love Kylie ». Je lis toutes les bios et livres de photos, bref, tout ce qu'on trouve sur le marché. J'achète un peu plus tard un très beau tirage photo de Kylie, quasi 50 X 50cm, un portrait, gros plan, très simple, pas du tout studio, sans effets: juste le visage, le sourire, les yeux… Je le mets au mur avec le reste des gris-gris… Ce n'est même pas du fétichisme ou du «groupie-isme», même pas non plus le côté « Actor's studio », juste un besoin d'avoir des traces autour de moi pendant que j'avance dans cette histoire ».

(…) « Mais, pour moi, Kylie ce n'est pas une longue histoire mûrement construite. J'ai toujours vaguement su ce qu'elle faisait parce que je regarde la télé pendant des heures, et que j'aime la chanson, la pop et les variétés, depuis toujours, je crois. Mais je n'ai pas non plus eu de flash prémédité sur elle; c'est venu à un moment où ça faisait écho à l'intérieur de moi et que j'ai trouvé en elle - et «d'elle» - quelque chose à dire. Il y a plusieurs choses, si tu veux, comme par exemple le fait que je ne sais pas d'où ça vient, qu'en musique ça reste assez tabou de parler de manière précise de ses influences. Au cinéma, un réalisateur cinéphile, c'est très bien vu. En littérature aussi: écrire et lire ça va ensemble. En musique ce n’est pas du tout le cas. Dans un film, si disons Coppola ou Spielberg ou d'autres refont entièrement une scène d'un film de Ford, de Dreyer ou de Stroheim, même si ça n'a rien de littéral et que, les critiques mises à part, personne ne fait le lien en salle, ça sera généralement considéré comme un plus. En musique lorsque Lenny Krawitz ou Jamiroquai salopent les pères séculaires de l'église du rock, c'est toujours, avant tout, horriblement fait et, en plus, personne n'en veut. La musique ça reste souvent assez crétin comme milieu à mes yeux; pas que j'envie le côté intelligentsia d'autres formes artistiques mais, quand même, des fois ça pourrait être moins con. Je reviens à des vieilles histoires, mais ça me manquera toujours de pas avoir de Daney, de Baudrillard ou de Virilio dans la musique (autre que classique). L'autre chose qui me pose de plus en plus problème dans mon travail c'est que dans les milieux musicaux, on ne s'imagine jamais d'autres degrés dans l'interprétation que le premier degré. Un chanteur ou un instrumentiste qui joue quelque chose, c'est forcément considéré comme son histoire intime. Quand Dylan chante un de ses morceaux, tout le monde pense: «Ah merde, le pauvre, quelle histoire…», alors qu'on sait depuis au moins trente ans que ce n'est pas ça sa vie, que ça ne l'a même jamais été. Dylan, c'est vraiment l'exemple parfait parce que plus de la moitié de ses chansons depuis quarante ans sont des histoires d'amour qui foirent et que dans chacune il met la caméra-narrative toujours et encore ailleurs. Idem pour les mythes de l'artiste dépressif, au bout du rouleau, misérable etc. C'est des conneries tout ça - et la plupart de ceux qui ont eu à le vivre en jouissaient et surtout en rajoutaient des kilos sur le côté «miséreux».

  • Ensuite, je voudrais te demander une réponse – qui peut être brève – sur un aspect qui ne m'intéresse que rarement dans la musique que j'écoute mais qui ici me titille: la question du son et de l'enregistrement. Il y a un son à la fois très précis, très simple, très dépouillé et très chaud sur So Lucky

« C'est tout à fait vrai, je crois que le son dans ce cas-ci tient avant tout à une chose très simple qui est que j'ai tellement joué cette musique avant, chez moi, tous les jours, qu'une fois arrivé en studio, j'ai pu me permettre de mettre les micros au plus près, vraiment sous les doigts, sous le visage, à quelques millimètres à peine. (…) Quasiment tout l'album a été enregistré avec des niveaux de « gains » très très élevés à la prise, bien plus hauts que la moyenne. Si tu veux, quand tu enregistres avec de tels gains, le moindre faux pas, la moindre attaque un peu forte t'oblige à reprendre la prise parce que tu écrases tout en un seul geste. En même temps, c'est fondamentalement la réalité de ce disque, que ce soit si extrêmement intime, vraiment comme lorsque tu passes la pulpe de tes doigts sur la peau d'une femme, dans un lit d'hôtel, au milieu de la nuit, où tout s'entend, mais aussi où tout se met à faire sens… Le moindre geste, donc ».

  • J'ai l'impression qu'on parle relativement beaucoup de So Lucky alors que ton disque Sonny II de 2004 qui, pour les deux-tiers, était constitué de reprises du guitariste afro-américain Sonny Sharrock, avait fait couler moins d'encre… Est-ce juste parce que les statuts de reconnaissance médiatique préalables de Sharrock et de Minogue sont inversement proportionnels…

"Au prorata, on parle carrément de rapports de un à deux-cent mille, entre les deux. Et pourtant, Sonny Sharrock a quand même représenté quelque chose de très important pour plein de musiciens tout à fait hors du free-jazz. L'album Sonny II c'est pourtant une histoire très différente, mais avec plein de liens quand même jusqu'à So Lucky, mais plutôt comme des side effects, comme si pour pouvoir faire tenir l'un, il fallait l'autre. Je l'ai dit souvent mais Sonny Sharrock c'est, je pense, le premier, le seul et l'ultime guitariste de free-jazz. Et j'insiste ici plus encore sur «guitariste» que sur « free ». Avant lui: personne! Après: plus jamais! Pour oser ce que Sonny a fait, il fallait être de cette nature-là. Il fallait avoir cette candeur et naïveté, être de son temps à lui, mais suffisamment on time pour le faire avant que quiconque n'y pense… Je repense souvent à Thierry Jousse qui, citant je ne sais plus qui, disait qu'un film c'est «filmer les bonnes personnes au bon moment». Sharrock, c'est exactement ça. On oublie toujours, à notre époque de valeurs culturelles, ce que c'est que le «bon moment». Le «bon moment» c'est, par définition, un moment que personne autour de soi ne semble voir, entendre ou sentir. Si tu veux, Sharrock pour moi c'est comme la différence entre cent designers de talent qui pensent des lampes, différents éclairages, et puis, le mec qui, du jour au lendemain, invente la bougie sans mèche parce que, avant, ça foutait le feu autour. Aussi brutal que ça, mais aussi central aussi ».

« Mais, pour revenir à ces deux disques, on peut effectivement y voir un lien dans le fait que ce soient des albums où je joue la musique de quelqu'un. Mais, aussi que les deux, Kylie et Sonny sont dans des formes populaires, Sharrock joue free sur des compositions qui, elles, sont en gros des chansons à trois accords avec un riff. Si je passe de l'un à l'autre, je passe de l'instrumentiste à la star, mais ils sont quand même plus proches l'un de l'autre que si je passe de Sharrock au hard bop par exemple ».

(…) « Mon problème à l'avenir, ça va être de décider comment ne pas tomber dans le piège de systématiquement faire des disques « monomaniaques » comme tu les nommes très bien, en reprenant des intégrales d'artistes. Pour ne rien te cacher, des projets de ce type avec d'autres personnes et répertoires, j'en ai pas mal sous le coude depuis plus de dix ans. Tous en solo et très intimes. Juste pour l'exemple, ça fait longtemps que je voudrais faire un album entier de musiques de Vladimir Cosma, ou reprendre la bande originale complète de Jaws de Spielberg (John Williams), de même que j'ai commencé à travailler sur un projet à deux têtes où je jouerais d'un côté La nuit transfigurée de Schoenberg à la guitare acoustique, en réduction, et de l'autre, « en face », des compositions originales de Friedrich Nietzsche».

  • À Vienne, en plus de ta propre musique, tu travailles aussi sur la musique des autres en participant activement au magazine et webzine musical www.skug.at Quels liens fais-tu entre tes activités de musicien et l'écriture ?

« Écrire, c'est un peu comme parler, ça fait partie des données de base pour n'importe quel individu en société, donc je pense que, potentiellement, tout le monde devrait le faire, même à des degrés différents. Écrire, dans mon cas, c'est juste m'exprimer. Je ne suis pas auteur ou journaliste, j'écris juste. En plus, j'ai toujours eu ce besoin de participer à toutes les étapes de la vie en société, ne pas être uniquement « musicien » ou autre, mais aussi produire, écrire, réfléchir, proposer… Donc c'est assez logique, sauf que cette fois, avec Skug, c'est la première fois où je peux le faire de manière plus profonde, plus régulière, avoir trois pages pour tel sujet, suivre l'actualité de manière rapprochée, et dans tous les domaines. Mais sur le fond, écrire ou penser sur la musique des autres, c'est tout à fait normal, non ? »

Noël Akchoté
épiphanie 2008
interview réalisée par e-mail en un seul aller (questions) / retour (réponses)

Sur notre site, l'intégralité de l'interview de Noël Akchoté (la partie retranscrite ici ne représente qu'un sixième du texte total). Le guitariste y évoque entre autres Abbas Kiarostami et Youssef Chahine, Michel Galabru et les frères Podalydès, Jean-Luc Godard et Steven Spielberg, les vidéoclips et le cinéma, Stock, Aitken & Waterman vs. Stock, Hausen & Walkman, Count Basie et Billie Holliday, les labels Rectangle et Winter & Winter, Sasha Andres et Michael Lonsdale…


Playlist de Noël Akchoté