Noël Akchoté - Version longue
Noël Akchoté - Version longue
(c) Magdalena Blaszcuk
A l'occasion de la sortie de "So Lucky" nous avons proposé au guitariste Noël Akchoté de se livrer, par courrier électronique, à un petit jeu de questions-réponses. N'étant pas le genre de musicien dont le cerveau est mis en veilleuse dès qu'il arrête de jouer de son instrument; Noël Akchoté est plutôt un individu social qui, aussi par la l'écoute, la parole et l'écriture, réfléchit en permanence sur le monde qui l'entoure et enfonce des portes là où tant d'autres préfèrent bâtir des chapelles, creuser des fossés ou monter des remparts. Nous lui avons envoyé deux pages de questions et, deux jours plus tard (il avait du y passer pas mal d'heures !), il nous renvoyait quinze pages de réponses généreuses qui, régulièrement, nous poussaient à remettre en questions nos points de vue un peu "culturo-cultureux" sur des pans mainstream ou populaires du patrimoine de notre Médiathèque.
- Le fan et la femme (1)
- L'enregistrement d'un disque
- Le fan et la femme (2)
- L'interprète, le compositeur et le producteur
- Deux autres disques de "reprises monomaniaques"
- D'autres passions fécondes…
- Histoires de cinéma
- Paris – Vienne - Pulawy
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Ecritures
# 1 - Le prétexte à ce petit jeu de questions-réponses c'est "So Lucky", un disque (et un concert, le 24 février à La Compilothèque à Bruxelles) de vingt reprises acoustiques de Kylie Minogue …
Noël Akchoté: "Pour être précis, si l'album sonne effectivement très acoustique à la prise, j'utilise pourtant principalement une guitare électrique (Gibson ES-175 et Gibson Les Paul Studio seulement sur Especially For You) et un ampli (Fender Twin Reverb) sur quasiment tous les titrès. Si ma mémoire est bonne, il n'y en a que trois véritablement à la guitare acoustique : Giving You Up, Fragile et Confide In Me".
Pour quelqu'un qui ne te connaîtrait pas ou qui n'aurait pas encore écouté le disque, c'est la genre de projet qui pourrait vite être soupçonné de la malédiction de "la mauvaise bonne idée" ou de motivations louches du genre "un musicien lié au monde de l'expérimentation va violer symboliquement une pimbêche du monde du divertissement"… En quoi tes motivations étaient différentes de celles-là ?
"Pour nettoyer immédiatement un truc qui pourrait traîner ensuite: en règle générale toutes les tentatives, côté jazz surtout, de reprises instrumentales de titres pop sont lamentablement l'occasion de solos sans fin sur les harmonies de la chanson, la mélodie étant le plus souvent réduite à une vague bouillie approximative (mais c'est à peine une question en ce qui concerne ce disque, je crois). Juste pour poser un cadre sur "So Lucky": il n'y a aucune improvisation sur aucun titre, à peine deux ou trois appoggiatures et deux intros très courtes. Bref , concrètement, aucun solo ".
"Ensuite, bon, que te dire qui ne soit déjà dans ta question... Avant tout moi je ne me considère pas du tout comme un avant-gardiste ou même un expérimentateur. Si tu veux, ce qui me passionne c'est "un peu de tout", voire même "tout", et dans ce tout-là il se trouve qu'improviser ou expérimenter me semble salutaire. Mais, pour autant, "improviser" (même en musique), ça n'a pas forcement grand chose à voir avec les musiques dites "improvisées" ou autres... Je ne crois pas aux avant-gardes, je n'y ai jamais cru et ce n'est pas maintenant que ça va commencer. C'est même pas une question en ce qui me concerne, l'appellation ou l'étiquette ne disent souvent pas grand chose ni sur le produit, ni sur comment on le consomme".
"Pour Kylie et quelques autres, je reste fondamentalement très au premier degré dans mes approches. Je dois être assez peu nécessiteux de tout ce qui est de l'ordre des "appartenances" ou du besoin de se ranger derrière des familles, des drapeaux ou des vérités".
# 2 - J'ai envie de te poser deux questions sur la fabrication de ce disque, ton travail, ton modus operandi… En premier lieu, en amont de l'enregistrement : d'abord, la sélection des morceaux, puis, la manière dont tu t'y es frotté, dont tu te les es appropriés, dont tu en as fait tes versions… As-tu appliqué les mêmes procédés, les mêmes stratégies à toutes les chansons? As-tu beaucoup changé les compositions d'origine?
"Non mais c'est véritablement tout du vécu, de l'intime, du très simple de A jusqu'à Z... Donc aussi du qui fait chaud au cœur, froid au cul et parfois mal à la tête. Au départ ça se passe comme ça: je suis à Vienne dans le petit appartement, c'est l'hiver, les fenêtres début du siècle laissent passer un froid assez brutal… Je sais pas trop où j'en suis, ni ce que je vais faire dans un avenir aussi bien proche que lointain, je suis à moitié assis sur le lit, la radio passe des tubes, il est à peu près le genre d'heures où tout le monde a vaguement le blues, tu vois environ 18h50 ou un truc sinistre dans le genre… Ici il fait nuit depuis déjà plus d'une heure, et puis… Va savoir... La radio passe Can't Get You Out Of My Head (la fameuse LA-LA-LA) et là, quelque chose se passe, comme si c'était ce que j'attendais depuis des mois, voire des années! Ca me prend là, le refrain ne me lâche pas, je l'entend énorme, aussi bien très triste, que très fort, que très très humain, très vivant, présent, tout simple : un cri, une voix, un bout de femme en face qui raconte ça... Et c'est parti! D'abord je vais chercher ma guitare et je passe les heures suivantes à tourner la mélodie en rond sur l'instrument, essayer de trouver une façon à moi de jouer son histoire à elle, puis tout ça s'emboîte lentement si bien que le lendemain à neuf heures et demi je suis devant le disquaire Saturn à l'ouverture et j'achète les cinq disques de Kylie qui il y a de disponible, et pendant en gros deux ans ça va être comme ça. J'aurai tout écouté (mais alors vraiment tout-tout-tout! Edité / pas édité, légal / pas légal… Jusqu'aux démos et aux archives). Tous les matins (je me lève en général entre cinq et six heures le matin : j'ai l'esprit vif tôt le matin, je lis, j'écris, je travaille jusqu'à ce que la ville se lève et fasse du bruit... Après, c'est plus pareil), pendant deux ans je vais écouter, réécouter, faire des transcriptions de quasiment quatre-vingt-dix chansons (sur un peu moins de cent-vingt en tout, pour son intégrale). Au moment où on entre en studio pour le disque j'ai encore une sélection de trente chansons, plus en gros trente de plus que je peux jouer, toutes par cœur (quasi je les chante avec les paroles). Comme j'ai toujours été un peu fan de base, je vais rapidement aller aussi acheter ses calendriers, ses singles en picture discs, de la Lingerie "Love Kylie", j'achète et lis toutes les bios, regarde les livres de photos, enfin bref tout ce qui se trouve de dispo. sur le marché, - j'achète un peu plus tard un très beau tirage photo de Kylie quasi 50 X 50, un portrait, gros plan, très très simple, pas du tout studio, pas d'effets : juste le visage, le sourire, les yeux... Je le met au mur avec le reste des gris-gris... Je ne pourrais pas dire, même pas du fétichisme ou du "groupie-isme", même pas non plus le côté "Actor's studio"… Juste un besoin d'avoir des traces autour de moi pendant que j'avance dans cette histoire (pour la notule, à propos de "Sonny II" : j'avais vu fin quatre-vingt une série de concerts de Sonny Sharrock à Paris où les médiators explosaient sous ses doigts, ils en prenait une pleine poignée qu il se foutait dans la bouche et au fur à mesure que les pauvres médiators lâchaient, à peu près toutes les 30 secondes, il les balançait dans le public, j'en avais ramasse pas mal et je les ai sous cadre depuis lors ; rien que de les regarder on l'entend, on le voit presque en train de jouer – récemment j'ai découvert que dans une chanson du groupe pop allemand F.S.K. [Freiwillige Selbstkontrolle] ils racontent la même histoire des médiators de Sharrock au concert… C'est dans le texte. Des amis, proches du label Trikont, qui dirigent une radio à Munich ont d'ailleurs passé les deux titres, de F.S.K. et de "Sonny II" l'un à la suite de l'autre en faisant le lien... )".
"Je te raconte tout cela et puis, pour autant, ça ne dit rien du modus operandi. Il n'y a aucune préméditation chez moi dans ce sens-là. Je veux dire par là que - et c'est certainement tout ce passif de la psychanalyse chez moi, cette manière de pas écouter juste ce qui se dit, mais tout autant ce qui se parle, par tous les trous, orifices, signes, etc… - les choses arrivent où elles doivent pour que nous les "artistes" (ou… je ne sais quoi dire tellement je n'aime pas ce mot d'artiste) on aille un peu plus loin avec ces résonances, ces histoires, qu'on les mette en forme, en scène etc... ça vient te trouver là où c'est, là où ça sait que ça y est, ensuite à nous de faire valser, pleurer, rire, vivre".
"Donc pour reprendre ta question, ça se passe comme ça puis ensuite ça ne me lâche plus. Pour un tas de raisons personnelles, j'ai besoin de faire des intégrales, de tout lire, tout écouter, tout voir… Dans un premier temps, sans aucune distinction, sans arrières-pensées, juste la chose, le texte, l'œuvre. Puis, de là, quelque chose commence à se dessiner qui va lentement, très lentement parce que j'ai aussi besoin de repasser les trucs vingt fois, cinquante fois, cent fois… – ça aura parfois été franchement presque pénible, parce que tu prends un disque de Kylie, tu l'écoutes (et il y a des époques où les productions très très datées sont un mur à l'entendement), puis tu sélectionnes à la dixième écoute trois chansons, puis tu passes la semaine dessus et tu ne sais déjà plus si, en fait, tu n'as pas raté telle ou telle chanson... Donc t'y retournes! Mon seul critère était 100% pop, c'est-à-dire savoir si ça te colle aux dents, aux oreilles ou pas. Des fois tu choisis tel titre parce que tu le penses intéressant à jouer, mais tu te rends compte que la mélodie qui te tourne dans la tête c'est une autre, nettement plus basique, plus naked, avec parfois une production tout à fait dégueulasse, et qu'à jouer ça va pas être du gâteau".
"Puis y a les chansons, une chanson c'est toujours une histoire, des paroles. Et là ça se complique encore dans les choix, parce que t'aimes bien telle mélodie mais le texte est plus faible alors que, sur telle autre, tu sais que c'est justement le texte, l'histoire qui va faire que ça tienne. C'est un travail d'orfèvre, de génie souvent, que de savoir écrire des tubes pareils. C'est pas du tout du tout crétin comme plein de gens le pensent. Moi, par exemple, y a un type en France (et internationalement, depuis) qui me sidère littéralement et c'est Jean-Jacques Goldman. Tu prends vingt ans de son travail et c'est incroyable de richesse, de bijoux qui tiennent tout seuls, quasiment d'une seule traite, comme une pierre parfaite, sans la moindre impureté, même à la loupe. Sur "So Lucky" par exemple un titre comme Slow c'est très très troublant à jouer, à travailler parce qu'en gros il n y a rien sur le papier, à peine un motif de basse, une ligne de voix qui tient en trois notes, jamais phrasées de la même façon, un tempo assez ambigu dans la version originale, très suggestif, pas vraiment lent mais pas rapide et encore moins medium… Enfin, bref, il va falloir y aller en solo, avec aussi peu, alors que, pourtant, le moindre mouvement trop brusque fait tout tomber par terre. Là, sur cette chanson, le texte, la diction, sa façon à elle de le placer entre froideur techniquement parfaite et sensualité certaine, c'est absolument fantastique!"
"En plus le clip est, à mon sens, un des plus forts depuis très longtemps. L'adaptation visuelle de cette chanson me semble aussi géniale… Enfin… C'est vraiment, à mon sens, du niveau de trouvailles qu'on peut regarder chez de très grands réalisateurs de cinéma, c'est entre John Ford, John Woo et Stanley Kubrick, dans l'idée (bon, ensuite, un clip ça n'a pas la durée du cinéma, un clip c'est paradoxalement une image fixe, une peinture à la rigueur ; ça bouge, mais le mouvement n'est pas au même endroit que dans un film, ça bouge dans le cadre et jamais au montage).
"Sur l'application des procédés et autres - pour revenir encore à ta question -, non... Il n'y a aucun procédé, il y a une suite d'histoires (des chansons) dans un contexte (cet album) et surtout: sous cet angle-là. A savoir la forme, qui tient de la lettre ouverte, de la bouteille à la mer peut-être aussi, par moments. Mais, surtout, d'un cadrage très très intime. "So Lucky" c'est un gros plan du début à la fin, avec un possible côté Eustache dans l'approche physique de cette histoire".
"Sans doute que je devrais maintenant préciser, voire définitivement lever le voile sur une chose importante, qui est que "So Lucky" c'est une fiction pure. C'est certes moi qui la joue mais le personnage n'est pas moi, ni ma vie, ni mon désir ou mes espoirs. C'est la situation, face à cette femme-là, Kylie Minogue, autant en tant qu'artiste, qu'entertaineuse, que Pop Star, qu'en tant qu'individu, que personne, en tant qu'elle-même. C'est une grande Tragédienne, Kylie. Je ne saurais pas forcément l'expliquer mais je la sens tragique dans tous ses gestes, et depuis les tous débuts de sa carrière. C'est pas une "créatrice" au sens où on l'entend de certains songwriters ou chanteurs, c'est une interprète, une laborieuse aussi (dans les bonus de tous ses DVD, tu vois qu' elle bosse tout le temps ; elle passe son temps à répéter des gestes, mécaniquement, les plus coordonnés possibles : c'est vraiment la théorie du 99% sweat et 1% ideas). En plus il se trouve que "elle et moi" on a exactement le même âge (trente-neuf ans) et que, par pas mal de côtés, je peux assez facilement me retrouver dans son parcours, à des niveaux bien sûr très différents mais avec de drôles de similitudes pourtant".
# 3 - Après je voudrais te demander une réponse – qui peut être brève – sur un aspect qui ne m'intéresse que rarement dans la musique que j'écoute mais qui ici me démange les méninges: la question du son et de l'enregistrement. Il y a un son à la fois très précis, très simple, très dépouillé et très chaud sur "So Lucky"… Comment avez-vous procédé? Lorsqu'on enregistre est-il techniquement plus simple de sonner "simple", sans chichis, ou est-ce à la limite plus facile de se laisser aller aux arrangements et aux enluminures?
"C'est tout à fait vrai, je crois que le son dans ce cas là tient avant tout à une chose très simple qui est que j'ai tellement joué cette musique avant, chez moi, tous les jours, qu'une fois arrivé en studio j'ai pu me permettre de mettre les micros au plus près, vraiment sous les doigts, sous le visage, à quelques millimètres à peine. Techniquement, par rapport à ta question, les prises se sont faites en deux jours dans un studio de Munich que je connaissais déjà mais qui n'a, en soi, rien de particulier, si ce n'est une attention sérieuse, précise, assez allemande, au rendement du matériel. Mais, pour le reste, il s'agit surtout du fait que quasiment tout l'album a été enregistré avec des niveaux de "gains" très très élevés à la prise, bien plus hauts que la moyenne en général. Si tu veux, quand tu enregistres avec des gains aussi élevés, le moindre faux pas, la moindre attaque un peu forte t'oblige à reprendre la prise parce que tu écrases tout en un seul geste. En même temps c'est fondamentalement la réalité de ce disque, que ce soit si extrêmement intime, vraiment comme lorsque tu passes la pulpe de tes doigts sur la peau d'une femme, dans un lit d'hôtel, au milieu de la nuit, où tout s'entend, mais aussi où tout se met à faire sens... Le moindre geste, donc - aussi et surtout".
"Sur le reste de ta question, savoir si c'est plus simple de faire lourd, gros et gras (enluminures à la louche ), je ne sais pas... Si tu veux, d'un côté j'ai une propension, un goût disproportionné, pour le graillon. Souvent, dans ma vie privée, l'artillerie épaisse ne me dérange pas du tout, voire au contraire. Je peux souvent préférer ça aux raffinements sans fin. Peut être - je ne sais pas si l'exemple est bon, mais… - il faut quand même être absolument énorme pour s'autoriser de tourner des films comme ceux de Kiarostami. Il faut l'être, sinon c'est extrêmement chiant et lourd comme cinéma au bout de trente secondes… Et pourtant chez lui c'est merveilleux, ça vole, ça coule... De même, que d'une certaine façon, à l'opposé, pour se payer le luxe de tourner ce que tourne depuis toujours Youssef Chahine il faut physiquement et philosophiquement être à la hauteur, sinon ça peut là aussi très rapidement basculer dans le côté film de bidasse ou série D... Bon, ben… Tout le monde n'est pas Michel Galabru, lui qui arrive, avec des données de base qui seraient des handicaps pour n'importe quel acteur de conservatoire, à décoller quand même… Mais ce sont des cas isolés, quand même... Non? On ne s'imagine pas les frères Podalydès nous faire rire dans un "Gendarme", par exemple... (enfin moi pas)".
# 4 - Il y a le titre de la chanson "I Should Be So Lucky" qui, par un léger élagage, donne son titre à l'album… Il y a le rose fluo du lettrage de la pochette et de la pochette intérieure… Et il y a, en cohérence avec tout cela, un côté très réconfortant et émotionnellement cicatrisant de ce disque mais, en même temps, sur certaines plages, il y a comme un gros nuage plus mélancolique qui plane juste en dehors du cadre mais dont l'ombre se porte sur la chanson …
"Oui, c'est tout à fait doux et épais par moments, c'est agréable comme de rentrer enfin chez soi après une longue journée, puis de se rendre compte que, passé le plaisir d'être chez soi, on risque d'y être aussi assez seul... Quitte à me répéter mais c'est une fiction, tout est vrai mais rien n'est directement moi. Je veux dire par là que les moments sans doute mélancoliques, ou troubles le sont par mon jeu et aussi par une partie de mes propres expériences mais à chaque fois comme quand un acteur va chercher au fond de lui même une histoire qui ferait écho à celle du personnage. Si tu veux je comprend toujours pas ce que c'est qu'un acteur, ou plutôt qui c'est au juste. Moi ma vie, intime, perso, privée, avec les années qui passent (quasiment vingt-cinq ans de "carrière"), elle devient tout à fait libre, libérée de beaucoup de choses, simple même, par bien des côtés. Je veux dire qu'un tas de choses qui peuvent faire nœuds chez pas mal de gens au quotidien - dans les sentiments, dans qui on est, comment on va, où on va… - tout ça, après plus de quatre cent disques, après avoir réalisé presque tous mes désirs d'adolescent, à presque quarante ans, je ne suis franchement en reste de rien, si ce n'est de la suite… Mais, certainement pas du passé. Le passé, je l'ai vécu à deux-cent à l'heure, dans tous les sens, sous toutes les coutures, latitudes, et c'est grâce à ça que je peux chaque jour poursuivre au lieu d'avoir à "retourner" à je ne sais trop quoi dont je pourrais me sentir lésé ou en manque de, ou... Je n'ai peut être plus "tout" à apprendre, mais, en même temps, c'est comme la lecture, c'est en lisant qu'on se rend compte de ce qu'on a encore à lire - idem avec la musique ou le cinéma, la peinture et tous les arts de la bouche (sexe compris). Je ne dis pas que les passages mélancoliques ou même ceux qui sont dans un drôle d'équilibre (et il y en a, très volontairement choisis par moi au sein des prises de l'album) ne sont pas directement liés à certaines expériences de ma vie passée, voire présente, mais je dis : attention! Attention à ce qu'à nos "places" – ou, disons, aux places de gens qui font ce que je peux faire - on ne confonde pas ce besoin vital que l'on a de descendre et de monter dans les extrêmes des sentiments, des expériences et du vécu avec le lot de beaucoup d'autres gens qui, eux, ne font que le subir, même si ça part d'un désir profond. Nous on transforme tout ensuite. En gros, on est de "vrais faux", on est des real fakes. Moi, je peux prendre certains risques et, au final, je vais m'y retrouver à tous les coups quand même, là où d'autres gens vont manger ça jusqu'à la fin de leurs jours. Quand je propose de faire le disque "Rien" je suis personnellement dans une histoire tout ce qu'il y a de plus passionnelle, désordonnée, qui va beaucoup trop fort et trop vite, et qui va donc forcément dans le mur (sinon d'où calcule t'on ces vitesses-là?), mais aussi pénible fut-elle, je sais aussi très bien que (et c'est mon "métier"), pour m'en sortir je vais la rejouer, la retourner, voire la vendre... Enfin, bref, que je la transformerai. Quand l'album (qui fut un tas de boue à la prise, sans la moindre idée de résultat de mon côté, des heures de bandes, montées au vin rouge à l'époque et pas du tout en bonne forme) sort et que Stefan Winter propose après les photos de Nobuyoshi Araki d'essayer celles de Daido Moriyama, je découvre tout. Je prends littéralement en pleine gueule la photo qui est sur la pochette avant du disque et qui est très troublante pour moi parce qu'elle montre ce que je voyais, moi, ou plutôt celle que je voyais mais surtout d'où je la regardais au-delà du mur… Bon, bref... Je veux dire que des expériences comme celle-là, soyons honnêtes, combien on est dans des séparations de couple douloureuses, au couteau et à l'arrache, où la violence est très présente, à pouvoir se retourner ainsi? Assez peu je pense. Et je sais quelle valeur, quelle chance unique c'est d'être là où on est. C'est certainement assez peu "juste" ou même démocratique, mais enfin c'est comme ça, nos métiers c'est vivre de tout pour, ensuite, en témoigner, en rendre une tranche, une image, un bout… Et, surtout, le rendre pour toutes et tous (et ce, quelques soient les formes des œuvres). Pour revenir à ta question, je suis heureux si ça fait chavirer ou remonter des choses en chacun à l'écoute du disque, mais pour autant je dois le dire honnêtement: moi je vais diablement bien dans ma vie, j'ai même jamais été aussi limpide, simplement heureux... C'est pas faute non plus de ce qu'avec toutes mes expériences passées, je me branle pas mal d'un tas de choses depuis... Je veux dire que les priorités je vois très nettement où elles sont. Et elles sont: dans la vie avant tout".
# 5 - Honnêtement, jusqu'à ton disque j'étais un peu passé à côté de Kylie Minogue – en tout cas de son écoute consciente et volontaire – mais mon premier (mini) déclic avait été le clip de Michel Gondry pour Come Into My World… Tu t'en souviens?
"Je me souviens bien du clip de Gondry, Oui-Oui (clin d'oeil), tout à fait."
Mais Kylie c'est pas une longue histoire mûrement construite pour moi. J'ai toujours vaguement su ce qu'elle faisait parce que je regarde la télé pendant des heures, et que j'aime la chanson, la pop et les variétés, depuis toujours, je crois. Mais je n'ai pas non plus eu de flash prémédité sur elle ; c'est venu à un moment où ça faisait écho à l'intérieur de moi et que j'ai trouvé en elle - et "D'elle" - quelque chose à dire. Il y a plusieurs choses, si tu veux, comme par exemple le fait que je ne sais pas d'où ça vient qu'en musique ça reste assez tabou de parler de manière précise de ses influences. Au cinéma, un réalisateur cinéphile c'est très bien vu et même très demandé, en littérature pareillement : écrire et lire ça va ensemble. En musique c'est pas du tout le cas. Dans un film, si disons Coppola ou Spielberg ou d'autres refont entièrement une scène d'un film de Ford, de Dreyer ou de Stroheim, même si ça n'a rien de littéral et que, les critiques mis à part, personne ne fait le lien en salle, ça sera généralement considéré comme un plus. En musique lorsque Lenny Krawitz ou Jamiroquai salopent les pères séculaires de l'église du rock c'est toujours, avant tout, horriblement fait et en plus personne n'en veut. La musique ça reste souvent assez crétin comme milieux pour moi, pas que j'envie le côté intelligentsia d'autres formes artistiques mais, quand même, des fois ça pourrait être moins con. Je reviens à des vieilles histoires, mais ça me manquera toujours de pas avoir de Daney, de Baudrillard ou Virilio dans la musique (autre que classique). L'autre chose qui me pose de plus en plus problème dans mon travail c'est que dans les milieux musicaux on ne s'imagine jamais d'autres degrés dans l'interprétation que le premier degré. Je veux dire par là qu'un chanteur ou un instrumentiste qui joue quelque chose c'est forcément considéré comme son histoire intime à elle ou à lui. Quand Dylan chante une de ses chansons, tout le monde pense: "Ah merde, le pauvre, quelle histoire ...", alors qu'on sait depuis au moins trente ans que ce n'est pas ça sa vie, que ça ne l'a même jamais été. Dylan c'est vraiment l'exemple parfait parce que plus de la moitié de ses chansons depuis quasi quarante ans c'est des histoires d'amour qui foirent et que dans chacune il met la caméra-narrative ailleurs - toujours et encore. Idem pour les mythes de l'artiste dépressif, au bout du rouleau, misérable etc... c'est des conneries tout ça - et la plupart de ceux qui ont eu à le vivre en jouissaient et surtout en rajoutaient des kilos sur le côté "miséreux".
"Pour ceux qui en sont morts on est en droit de douter que ce soit directement de ça. Il y en a, je dis pas… Mais, à y regarder de près on verrait qu'ils représentent pas cinq pour cent des mythes en question. Eustache il meurt pas de ça par exemple, mais ça fait bien de continuer à le penser (il meurt quand même d'un éthylisme très avancé et avec un sérieux pactole sur son compte en banque). Je ne dis pas, j'ai, comme d' autres, aussi besoin des fois de me foutre dans des états pas croyables, de descendre à la cave, aux sous-sols, de me croire à la fin mais, honnêtement, je sais très bien pour quoi c'est fait".
"Pour répondre donc : ouais, pis j'adore, alors totalement le mini short doré du clip Spinning Around, quand elle se dandine sur le bar... Ouais, ouais. Sans parler de Giving You Up ou elle se ballade dans les rues en giga-Kylie... De nuit… ".
# 6 - Tu as déjà vu Kylie Minogue en concert?
"Ah oui, oui... Deux fois déjà et j'attends avec impatience la troisième, cet été normalement. Tu veux savoir comment c'était? C'était absolument sublime. Il y a une chose dont on a pas encore parlé depuis le début, et c'est très important pour moi: Kylie c'est depuis le départ une FEMME. Et pas une girlie, gamine, lolita... Non, non, c'est le plus pleinement du monde une véritable femme, bien concrète, et qui s'assume très nettement de ce côté-là".
"Sur scène, c'est très important ça, c'est une femme qui donne un spectacle, le plus parfait possible mais le plus femme aussi. Elle change de costumes et décors toutes les quinze à vingt minutes. A chaque fois elle arrive avec des tenues qui sont celles d'une femme qui se fait plaisir, et donc nous fait plaisir. Ce qu'elle porte, par exemple, se propage et se voit parce qu'on la sent prendre un profond plaisir à le porter. C'est pas tellement le cas en général sur ce type de shows gigantesques devant trente ou cinquante mille personnes. Là, si! Je ne sais pas quelle expérience tu peux avoir de ce genre de concerts mais ce qu'un groupe, une artiste, un chanteur peut donner en spectacle, en retour, devant une telle masse de gens, c'est paradoxalement fonction de détails très humains, souvent minuscules, sensibles. Les Stones ça marche même devant quatre-vingt mille personnes parce qu'ils jouent comme si on était cent personnes devant. Pour moi, Madonna ça ne marche pas pour les mêmes raisons – ou les raisons inverses - parce que même à deux mètres on voit toutes les coutures et le faux. Donc oui, j'ai vu le "Show Girl Tour" un mois avant qu'elle annule le reste de la tournée, après avoir été diagnostiquée [NDLR: atteinte d'un cancer] mais les deux heures en scène étaient parfaites".
# 7 - Tu lui as envoyé ton disque ?
- "Oui et non... En fait, pour des raisons de music business le label a préféré la jouer "profil bas" pour que l'album puisse paraître en tant que covers sans avoir besoin de demander "quoi ou qu'est-ce" aux ayants droits, tout en payant les mechanicals comme de bien entendu (ce qui est tout à fait légal, les autorisations ne sont nécessaires que s'il y a des arrangements ou additions réclamées contractuellement, ce qui n'est pas mon cas puisque je joue Kylie "dans le texte") ensuite, par différents liens que je peux avoir, je me suis arrangé pour que son entourage à elle soit au courant de l'album. A Paris, par exemple, le disque était un moment chez "Colette" [NDLR: boutique parisienne fréquentée e.a. par Kylie Minogue, Björk, etc. ], etc.".
# 8 - Elle a répondu ?
"Non, pas à ce jour mais c'est pas une question en ce qui me concerne. Qu'est-ce que tu veux que je lui réponde si demain elle me passe un coup de fil pour me dire qu'elle aime bien le disque? – "Merci Mademoiselle, c'est vraiment chic de votre part" ? Il se trouve, par ailleurs, que des "gens connus" j'en connais quelques uns, et que pour certains on a de véritables échanges, mais que, pour autant, jamais je ne fais d'amalgames. En fait, pour tout te dire, ça m'arrive encore régulièrement de faire des rencontres comme ça avec des individus qui se trouvent être célèbres dans leur domaine - ou célèbres "tout court" - mais que, moi, j'ignore tout à fait. Alors, c'est une histoire entre deux personnes, humaines ou pas, et le reste n'importe pas du tout. Par exemple, j'ai rencontré "Fœtus" (Jim G. Thirlwell) et c'est devenu un véritable ami à nous, on passe des vacances ensemble, on l'a emmené chez ma femme dans le fin fond de la Pologne… Et, autant j'aime vraiment Jim, autant je ne connais quasiment rien de son travail ; et c'est très bien ainsi… Ca viendra sans doute... Je suis pas nostalgique du tout en général mais il y a un truc qui me manque actuellement, et ça dure depuis trop longtemps, et qui était radicalement différent dans les années quatre-vingt, c'est que les lieux de la nuit étaient des endroits où on croisait des gens sans savoir qui ils étaient autrement que par comment ils étaient au cours de ces nuits. Dans telle boite, ou tel bar, il y avait de tout : des écrivains, des chanteurs, des acteurs, des alcooliques, des escrocs, des génies, des clodos… De tout et à la fin tout le monde se parlait. Le lendemain on pensait à telle ou telle personne rencontrée la veille (voire on finissait les derniers verres dans des appartements ou à manger des huîtres aux Halles pendant que le jour se levait) mais on savait pas "qui" était "qui" et on ne jugeait jamais cela. D'une certaine façon c'était vraiment l'anti-MySpace."
# 9 - Tout les gens qui parlent de ton disque – nous y compris – l'évoquent comme un disque de reprises de Kylie Minogue. Pourtant, si on voulait être précis, c'est un disque de reprises de Steve Anderson, de Rob Davis ou de Mike Stock, Matt Aitken et Pete Waterman. Crois-tu que dans le contexte de ce genre de pop, l'interprète par le poids de son image, de son aura renvoie complètement le compositeur dans l'ombre (un peu comme dans certains cinémas de genre – comédie, kung-fu, porno… - l'acteur prend le pas sur le réalisateur)? Quand ces gens composent pour telle ou telle icône-diva de la pop, ils lui font du "sur-mesure", j'imagine? En passant du temps sur ces morceaux, te rendais-tu compte de leurs spécificités aux uns et aux autres, de nuances dans ce qu'ils donnaient à chanter à Kylie Minogue?
"Au départ, j'ai eu à Vienne une période de deux ans sans travail, donc difficile matériellement mais aussi inconsciemment très importante parce qu'elle m'a forcé à me donner des buts, hors de toute application directe. ça coïncidait avec la période de l'album "Adult Guitar" sur Blue Chopsticks, dont l'idée venait entièrement de David Grubbs: faire une sorte de parcours-rétrospective sur vingt ans, comme si j'étais "quelqu'un". C'était un moment où je me suis mis à faire une sorte de bilan et de retour à tout ce que j'avais étudié et travaillé à mes tout débuts, reprendre toutes les gammes, les exercices mais aussi la période pour voir où j'en étais de tout ça, vingt ans plus tard. ça voulait dire pas mal de guitare jazz (et, dans mon cas, vraiment celle des années trente, quarante et cinquante). Là dessus j'ai eu un long moment autour de Freddie Green (le guitariste rythmique de l'orchestre de Count Basie : cinquante ans dans le même orchestre, pas un seul solo de sa vie, que des accords et du rythme ; un génie, une influence majeure pour énormément de gens, aussi important qu'Hendrix, je pense). Et donc, dans les premiers combos (petites formations) de Basie il y a eu les fameuses séances avec Billie Holiday (avec Lester Young au saxophone tenor) – c'est sans doute de là que tout est parti, en fait. Parce que dans ces séances, Billie est véritablement accompagnée par tous ces grands musiciens qui ne sont qu'à son service. Je veux que dire que tout ce qu'ils jouent c'est pour elle, par elle, pour qu'elle soit au mieux. Et ça m'a drôlement fait réfléchir cette situation... D'une certaine façon en préparant "So Lucky", j'ai cherché à retrouver ça, autrement mais avec la même intensité. Avoir une "Lady Day" à soutenir pour que tout ce que l'on ait à jouer devienne évident, que ce soit pour elle et rien d'autre. Si tu mets ça en opposition à toutes les situations de musiques improvisées qui tournaient à mon sens plus qu'en boucle, et où les prises de solos (ou l'inverse chez les minimalistes, mais finalement cela se rejoint) n'avaient plus aucun sens, aucune fonction ni même aucun public… La suite est logique, non? "
"Est-ce que jouer des chansons de Kylie c'est jouer la musique de ses producteurs ou l'interpréter elle? En fait pour moi c'est un peu pareil que de regarder un film avec une star et de commencer à se demander ce qui fait que la star est star, d'où vient la magie, la lumière ou l'impression... Si tu prends Kylie en plus, c'est très récent que ses albums soient du "sur mesure" ; avant - et pendant longtemps - est elle est considérée comme un produit, qu'on met à toutes les sauces selon les tendances du moment. Et pourtant, elle traverse tout cela et se fortifie à chaque fois. Même ses pires albums ne l'ont pas détruite. Il y a eu des moments franchement "limite", et pourtant, son dernier album prouve bien que c'est forte de toutes ces expériences qu'elle peut arriver là, aujourd'hui. Quand un peu plus haut je dis que je me sens assez proche d'elle par certaines expériences je pense souvent à ça : si tu prends des producteurs tels que Stock, Aitken & Waterman, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, leur son… Qui en a réchappé à la fin? Elle ou ses producteurs? Même si c'est assez différent par exemple de la façon dont Vanessa Paradis est sortie de Joe le taxi pour, encore très très jeune, prendre sa carrière et son image en main et les retourner totalement... Ces artistes-là sont très rares. Pour moi, dans les dernières années, il y a eu vraiment très peu de gestes de cette force: Eminem avec l'album "Encore" est peut-être un des trucs les plus marquants de la décennie (exit totalement, à mon sens, les conneries du genre White Stripes, Arctic Monkeys ou Peaches et Chicks on Speed). Ou nettement Robbie Williams et son She's Maddona. En plus – et c'est rare, quasiment unique - la chanson et le clip disent la même chose mais sous des formes radicalement différentes. La version clip du titre est un must absolu, dans un monde où chacun est sans cesse toujours plus poussé vers du "myspace", mon moi, mon coin, etc... She's Madonna c'est une véritable œuvre qui nous regarde tous, comme le faisaient auparavant les grands peintres, au dix-septième et dix-huitième siècle, jusque peut être au "Guernica" de Picasso, qui marque la fin de cette fonction chez les artistes".
"Tu dis: comme lorsque l'acteur prend le pas sur le réalisateur, certes on pense à la période Lebovici, et aux grosses conneries avec Belmondo, mais moi je pense plus à l'inverse en fait. Et pendant longtemps (mais ça revient, tellement les postes de réalisateurs sur les grosses machines du cinéma français sont faiblards) c'était quand même les acteurs qui faisaient le film. Je veux dire que, même tu prend "L'Atalante" de Vigo, sans Michel Simon, le film aurait quand même été franchement tarte. C'est le côté nébuleux, elfes et rêveries, qui aurait coulé le film s'il n'y avait pas eu Simon, énorme et brutal".
"Tu vois, à l'exception des "mondes des arts" qu'on peut connaître dans les milieux plus extrêmes (donc aussi moins sujets aux mouvements du public, et qui sont protégés de ce genre de "rapports de production"), "produire" ça reste un deal entre deux parties, et l'une partie sans l'autre n'existe pas. Ca, dans l'histoire de Kylie, j'y suis particulièrement sensible ; je m'y retrouve même. Je connais, à ma façon, assez bien, voire mieux ces "deals" là que le tout culturel sans aucun retour en face puisque ton cachet est payé d'avance, que la salle soit pleine ou vide".
# 10 - Le hasard veut qu'avec Erik Minkinnen vous avez enregistré en 2000 l'album "Rien" en trio avec Andrew Sharpley issu du groupe Stock, Hausen & Walkman dont le nom faisait explicitement référence à Stock, Aitken & Waterman. Sais-tu en quelle mesure, de leur part, c'était un simple jeu de mots, une moquerie, un hommage ou autre chose?
"Au moment des premiers essais de "So Lucky", je crois qu'Andrew a été le premier à comprendre, ou en tous cas à en attendre quelque chose. Comme tu dis dans ta première question, les gens pouvaient facilement se dire que je faisais un "coup". D'ailleurs quand je dis que les milieux de la musique – et, pire encore, du jazz - ne sont pas très évolués, les questions les plus débiles sur l'album, elles venaient toujours de là! Comme encore récemment quand un critique de jazz m'a demandé pourquoi j'avais été "obligé d'accepter de jouer du Kylie, forcé par mon producteur". Mais les Stock, Aitken & Waterman de l'époque d'Andrew et de S, H& Walkman ne sont, d'une certaine façon, pas les mêmes Stock, Aitken & Waterman que ceux que je reprends à travers Kylie. Pour Andrew and Co. c'était la satire d'une époque et d'un système. Regarde par exemple, j'ai toujours été un fan de Vladimir Cosma mais, pendant des années, ça n'était vraiment pas du tout bien vu. Actuellement des groupes comme Justice s'en réclament. Tout cela, c'est des époques, des modes... Mais seules les œuvres restent. Ce que je peux te confirmer c'est qu'Andrew en savait beaucoup sur les Stock, Aitken & Waterman, sur leur productions: très concrètement, sur leur son, leur manière de produire… Et ça n'a pas du tout été sans intérêt pour moi dans certains cas et pour certains titres très datés dans leur production et qu'il fallait approcher autrement".
"Tu sais, Andrew Sharpley et Matt Wand, les fondateurs de Stock, Hausen & Walkman viennent, à la base, des arts visuels, à une époque où, en Angleterre, le marché a radicalement changé pour l'art, où Saatchi est arrivé et où ce qui est aujourd'hui l'état actuel des arts visuels n'existait pas sous cette forme. En ce sens là, aussi, je partage - ou plutôt j'échange - beaucoup avec Andrew. En France peu de gens s'en rendent compte, mais on n'a jamais cessé de travailler ensemble, et dans des domaines ou des formes à chaque fois très différentes. Avec Andrew c'est le mode, l'approche - et jamais le résultat – qui comptent. C'est bel et bien le process avant tout".
"Après toutes ces années dans l'improvisation, je crois sincèrement qu'Andrew reste le musicien avec qui j'ai pu le plus improviser dans tous les sens du terme, sans aucune restriction. C'est unique, et c'est du niveau d'intensité - avec encore plein d'autres horizons - des plus grands musiciens anglais comme, pour moi, Derek Bailey, Lol Coxhill ou Steve Beresford".
# 11 - J'ai l'impression qu'on parle relativement beaucoup de "Lucky" alors que le disque "Sonny II" que tu avais sorti - aussi sur Winter & Winter - en 2004 et qui pour les deux tiers était constitué de reprises du guitariste afro-américain Sonny Sharrock avait fait couler moins d'encre… Est-ce, tu crois, juste parce que les statuts de reconnaissance médiatique préalables de Sharrock et de Minogue sont inversement proportionnels…
"Au pro-rata, on parle carrément de rapports de un à deux-cent ou trois-cent mille, entre les deux. Et pourtant, Sonny Sharrock a quand même représenté quelque chose de très important pour plein de musiciens tout à fait hors du free jazz. Sharrock, et en particulier l'album "Sonny II" sont pourtant une histoire très différente… Enfin… Avec plein de liens quand même jusqu'à "So Lucky" mais plutôt comme des side effects, comme si pour pouvoir faire tenir l'un il fallait l'autre. J'ai déjà du le dire souvent mais Sonny Sharrock c'est, je pense, le premier, le seul et l'ultime guitariste de free jazz. Et j'insiste ici plus encore sur "guitariste" que sur "free". Avant lui : personne ; après : plus jamais. Pour oser ce que Sonny a fait, il fallait être de cette nature-là. Il fallait avoir cette candeur et naïveté, être de son temps à lui mais suffisamment on time pour le faire avant que quiconque n'y pense même... Je repense souvent à Thierry Jousse qui, citant je ne sais plus qui, disaitqu'un film c'est "filmer les bonnes personnes au bon moment". Sharrock c'est exactement ça. On oublie toujours, à notre époque de valeurs culturelles, ce que c'est que le "bon moment".
"Le "bon moment" c'est, par définition, un moment que personne autour de soi ne semble voir, entendre ou sentir. Si tu veux, Sharrock pour moi c'est comme la différence entre cent designers de talent qui pensent des lampes, différents éclairages, et puis, le mec qui, du jour au lendemain, invente la bougie parce que sans mèche, avant, ça foutait le feu autour. Aussi brutal que ça, mais aussi central aussi".
"Non, mais pour revenir à ces deux disques, on peut effectivement y voir un lien dans le fait que ce soient des albums où je joue la musique de quelqu'un (et même les originaux dans "Sonny II" sont très directement liés à Sharrock, en reflet ou en retour, mais quand même liés à ce que lui m'a forcé – ou permis - par son jeu et sa manière, à changer). Le lien c'est que les deux, Kylie ou Sonny sont dans des formes populaires, Sharrock joue free sur des compositions qui, elles, sont en gros des chansons à trois accords avec un riff. Si je passe de l'un à l'autre, je passe de l'instrumentiste à la star mais ils sont quand même plus proches l'un de l'autre que si je passe de Sharrock au hard bop par exemple".
"Si tu poses la question des reconnaissances entre les deux ma réponse sera très simple: la musique instrumentale - ou plutôt les gens qui en écoutent, ou pratiquent une écoute attentive, quelque soit le type ou le style de musique - reste tout à fait minoritaire. La musique est avant tout un signe de reconnaissance sociale (que ce soit AC / DC, Sepultura, Deutsche Grammophon, Eminem, Johnny Hallyday, Blue Note ou de l'Euro-dance), le principe reste le même : on se conforme à ce que l'on pense être une représentation de son groupe, de sa classe, de son rang ou milieu. En cela, la pop est souvent plus trans-genres que toutes les autres musiques repliées sur leur valeurs. Il y a très peu de différence concrète dans les réactions et motivations du public, entre un club qui propose une soirée rock steady ou onkyo [NDLR : forme d'improvisation libre se focalisant sur la réverbération et la texture du son plutôt que sur la structure des morceaux apparue au Japon au cours de la seconde moitié des années nonante]… Je veux dire par là que dans les deux cas on a affaire à des groupes sociaux qui viennent se retrouver entre eux parce que leur valeurs leurs sont premières. Par défaut donc, et souvent contre les autres ; une manière de se définir. A la rigueur on peut très bien aller à l'Opéra sans avoir besoin d'adhérer au genre, juste pour essayer, le genre en soi se soutient tout seul".
"Par exemple je viens, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer ici (mais, crois-moi très très vastes) de passer quasiment l'année à retourner, étudier, approfondir, le jeu d'artistes immenses comme Larry Coryell, Dick Dale, Merle Travis, T-Bone Walker ou Duane Allman... Ce qui me passionne c'est le nombre de façons dont on peut se mettre à écouter ces gens-là. Leur jeu dit une chose, mais sa propre écoute ouvre encore des milliers d'autres possibilités. C'est un peu comme d'apprendre le cadre en regardant plutôt des films de Brian de Palma ou Max Pecas que des cadres faits par Caroline Champetier (au hasard... )".
# 12 - En exergue dans la pochette de ce disque il y a une très belle citation de Blaise Pascal: "Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau… J'aimerais autant qu'on dise que je me suis servi des mots anciens". Elle pourrait aussi s'appliquer à ton dernier disque, non?
"Tiens, il y a un autre signe sur "So Lucky", à savoir que c'est la première fois, depuis assez longtemps, que l'on ne retrouve pas de citation en exergue sur l'album. En fait il y a eu une citation de Lacan pendant un bon moment sur les maquettes de pochette mais c'est comme si, cette fois, on passait à un niveau d'entité encore plus subjectif, une sorte de tout, tel quel. Si tu veux, à un moment il a été question de savoir de quelle façon on indiquerait aux gens que c'étaient des chansons de Kylie Minogue, sans que pour autant son nom n'apparaisse sur la pochette (ce qui était impossible légalement, hors contrat). Et c'est en écoutant et en sélectionnant les prises qu'il est apparu, que ce disque était là, présent, que tout était dedans et que je ne pensais pas qu'au delà du titre il y ait besoin de quoi que ce soit d'autre. Même les réponses à toutes les questions posées au début de cet entretien sur pourquoi elle, ce répertoire, le sens à donner à un tel projet, etc... Bref, tout est dans le disque et rien de plus ne me semble nécessaire. Au contraire même, il y a un comme un équilibre là-dedans à ne pas devoir l'indiquer sur la pochette".
"La citation de Pascal sur "Sonny II" avait, par contre, un sens quasiment littéral, c'était presque du niveau de ce que j'ai dit précédemment sur la photo de Moriyama pour "Rien" : tu tombes sur un auteur qui exprime fortement ce que toi tu n'arrives pas toujours à mettre en forme. Ce que j'aime avec les citations c'est ce que ça peut provoquer de réflexion - de distance aussi - chez l'auditeur. Une fois de plus, "Sonny II" c'est un disque qui ferme un chapitre pour moi et "So Lucky" en ouvre un, même si les deux peuvent se trouver parfois dos-à-dos, ils sont quand même à deux endroits, à deux moments différents".
"Et pour finir: Non, je ne pense pas que la citation de Pascal puisse s'appliquer à "So Lucky", ne serait-ce que parce que dans cet album il s'agit clairement d'une fiction alors que des titres comme le standard Young and Foolish joué très jazz et sur "Sonny II" volontairement recouvert par des bruits de gens qui parlent dans un club de jazz (un montage, en fait ce sont des ambiances de séances de Motian à New York au Village Vanguard, ce qui est aussi le sens que je voulais donner à cela) c'est quasi un message que je m'adresse. C'est aussi un retour à ce que j'ai longtemps fait à mes tout débuts, c'est à dire jouer de la musique "fonctionnelle" dans des restaurants ou des bars d'hôtels, où les gens viennent manger ou boire mais pas écouter de la musique. – c'est aussi lié à Vienne et à notre époque "Myspace" où tout le monde se veut "Artiste" et où, en ce qui me concerne, je préfère rester "guitariste".
# 13 - Pour en finir avec cette histoire de "reprises monomaniaques", en 2001 un musicien avec qui tu jouais régulièrement en concerts, Red, avait sorti sur ton label Rectangle une relecture de tout l'album "Songs From A Room" de Leonard Cohen. Peux-tu nous dire quelques mots de ce disque?
"C'est effectivement un lien pensable - que je n'avais pas fait d'ailleurs… Ah, la force du refoulement, c'est parfait, les choses sont bien faites... - parce que, honnêtement, j'avais été totalement bluffé par l'idée de Red de reprendre un album entier de A à Z , pochette comprise. Ce disque-là, il l'a produit tout seul, en fait il nous l'a amené "clé en main", terminé, si je me souviens bien. On a du parler de l'idée une fois avant, donner notre feu vert puis ensuite je ne suis pas intervenu dans la production - ou je ne m'en souviens pas, en tous cas. Là-aussi, avec Rectangle il y avait ce besoin de produire en étant nous mêmes les premiers clients de nos projets. Comme quand tu fais un film : si c'est pas pour le regarder toi-même, ça me semble déjà problématique. Je dois dire en plus qu'à propos de Leonard Cohen j'étais assez ignorant, hormis trois chansons. Ce que je regrette, dans le fait que le label Rectangle n'existe plus, c'est cette malléabilité qu'on avait en étant une mini-structure de faire les choses, et en particulier de faire des choses comme celle-là. Sur une major ce serait quand même beaucoup plus difficile. Ne serait-ce qu'en termes de droits, il faudrait tout régulariser. Puis, si un artiste est signé sur trois albums, on met des priorités et, pour une major, ce genre de disque n'en font pas partie, je pense. Alors qu'au fond une carrière, une discographie se tient d'autant plus que l'artiste peut se laisser aller à certains moments à faire d'autres choses. On n'ose plus perdre son temps, risquer, faire des choses à côté, qui ne font peut être pas sens vues de l'extérieur mais qui pourtant vont faire basculer un tas d'éléments chez l'artiste et lui permettre, ensuite, d'arriver à une forme idéale et personnelle".
"Mais même moi, si je voulais être plus lisible ne serait-ce que pour les institutions ou les organisateurs, la presse je devrais faire attention à ne pas me laisser aller. Il se trouve que, maintenant, ça commence à être un peu plus clair que ce que je fais n'est que ce que, moi, je fais et non pas un style, une étiquette, un genre... Mais, dans plein de milieux, ils n'y comprennent rien et je n'y suis pas en odeur de sainteté. Chez les improvisateurs, je suis pas du tout orthodoxe, et les orthodoxies ne supportent pas les hérétiques! Dans les mondes du jazz c'est plus que flou et pas du tout jazz et, à la rigueur, c'est du côté de la pop ou du rock que ça pose le moins de problèmes. D'une certaine façon, pour en revenir à Red, les projets du type des séries "Audio Films" ou "Cabaret" sur Winter & Winter, restent un lieu et un moyen pour proposer à des artistes de venir faire autre chose. Le prochain s'intitule "Toi-Meme" et se fera pendant Banlieues Bleues en mars. On y retrouvera Kevin Blechdom, Red, Jean-Louis Costes, John Giorno, Fritz Ostermayer, Laetitia Sheriff, Han Bennink, Brad Jones, Andrew Sharpley, Sebastian Reier, Otto Lechner… et d'autres encore".
# 14 - Les disquaires de seconde main ne sont pas encore tenus au secret professionnel… Du côté d'amis disquaires d'occasion dans le centre de Bruxelles, on a entendu parler de ta passion pour le soukous africain et pour… Julio Iglesias! Doit-on s'attendre un jour à une ou plusieurs reprises du crooner espagnol?
"Ah mais oui, mais oui, tout à fait... J'ai un rapport très basique à ces musiques-la. J'aime ça tel que c'est. Ca ne m'a jamais lâché le côté "bon public", premier degré, que ce soit avec les variétés, le cinéma ou toutes ces formes populaires. Par exemple, l'autre jour on reçoit à la revue [NDLR: "Skug", pour laquelle Noël écrit – cf. fin de l'entretien] le dernier disque de Benjamin Biolay… Je ne peux pas dire que je suivais son travail, mais je l'avais entendu parler plusieurs fois et je trouvais son discours assez différent de la moyenne des chanteurs français… Bon, on passe l'album et sa manière de régler les comptes avec son "ex" est assez forte, je trouve. C'est vraiment tout ce qui peut me toucher chez des chanteurs, auteurs ou compositeurs : cette manière de prendre son histoire perso et de la rendre "à tout le monde et pour tous" en éclairant telle ou telle situation plutôt banale mais qui mise en chanson ou mise en scène comme ça, prend un sens particulier".
"Mon problème à l'avenir ça va être de décider comment ne pas tomber dans le piège de systématiquement faire des disques "monomaniaques" comme tu dis très bien ci-dessous, en reprenant des intégrales d'artistes. Pour ne rien te cacher, des projets de ce type avec d'autres personnes et répertoires, j'en ai pas mal sous le coude depuis plus de dix ans. Tous en solo et très intimes, justement. Juste pour l'exemple, ça fait longtemps que je voudrais faire un album entier de musiques de Vladimir Cosma, ou reprendre la bande originale complète de "Jaws" de Spielberg (John Williams), de même que j'ai commencé à travailler sur un double projet (ou, plutôt, un projet à deux têtes) où je jouerais d'un côté "La nuit transfigurée" de Schoenberg à la guitare acoustique, en réduction, et de l'autre, "en face", des compositions originales de Friedrich Nietzsche".
"Récemment, car c'est une pathologie ce besoin de collecter des trucs, j'ai commencé à compiler des titres jazz, donc aussi jazz rock, entre le milieu des années soixante-dix et début quatre-vingt : Larry Coryell, Philip Catherine, Tania Maria, Jaco Pastorius, Weather Report, Eddy Louiss, et plein d'autres franchement "pas piqués des vers"... A ce stade, l'idéal pour moi, si je devais poursuivre là-dedans ce serait d'avoir les moyens de sortir peut être cinq ou six albums en une seule fois, où je pourrais faire un album entier de reprises ou autour de René Thomas, un autre avec des titres plus surf (Dick Dale, Brian Wilson, Hank Marvin, Buddy Holly, etc… mais aussi Duane Eddy ou du rock sixties)… Du coup, on pourrait faire un disque entier Cosma, un autre Julio Iglesias avec peut-être, en interlude, des Demis Roussos et Aphrodite's Child, un peu de Dalida et voire, possiblement, une de Dutronc et quelques-unes de Christophe".
"Là, dans ton exemple, Julio Iglesias, je suis fan, point barre! Ce type, dès la première note, provoque chez moi immédiatement (toutes affaires cessantes, donc) un sourire, un coup de chaud au cœur et l'envie de danser sur ses tempos entre valse et medium langoureux. Je connais pas grand monde qui puisse provoquer une chose pareille. En plus, au delà de l'image de crooner pour femme d'un certain âge, c'est un interprète absolument énorme. Regarde bien la prochaine fois comment il tient son micro, la main et les mouvements de va-et-vient pour phraser avec. Son placement comme chanteur, c'est unique, il survole toutes les chansons, l'orchestre est là pour habiller cette voix, mais juste a capela ce serait tout aussi magnifique. C'est quand même ça ce que les gens veulent vivre quand ils vont au spectacle, aux arts, au cinéma... C'est cette magie, ce rêve, ces instants où le temps s'arrête, où on est littéralement pris, où plus rien d'autre n'existe".
"Il y a une chose que pas mal de gens (artistes, auteurs, philosophes et autres) disent depuis des siècles, c'est que le travail des arts – ou, du moins, un certain épanouissement personnel à travers une passion, des désirs - autorise à rester avec son enfance, pas du tout infantile, mais avec la même puissance de désir que l'enfant. Quand on était gamin on s'inventait des films pas croyables dans nos chambres, c'étaient des trucs à côté desquels les vrais films d'Hollywood étaient cheap, n'étaient rien. Le fameux "Ne cède pas sur ton désir" de Lacan, il a quand même sérieusement à voir avec ça je trouve".
"J'imagine que tu as vu le clip de Paris Hilton sur la chanson Nothing In This World? C'est tellement ouvertement ça, dès qu'elle arrive en blonde naïve, espiègle, avec un dosage parfait entre grande sœur, cousine avec qui on pourra quand même un peu jouer à "touche-pipi", mais aussi le côté "Zorro au féminin"... Qui oserait me dire que ça n'a pas été un de ses rêves de môme ou de pré-ado? Moi, je vois ça, je reçois le message à 2000 %!! Je me pose devant la télé et je la regarde pendant trois minutes trente. On décolle, on prend ça pour ce que c'est, et… Merci encore!! "
"Si tu veux aussi, ce goût premier degré a du beaucoup jouer chez moi en défaveur des musiques "difficiles"? A savoir qu'à un moment les trucs compliqués ou de travers juste pour éviter de faire simple ça me tombe totalement des oreilles. Instinctivement, en mon for intérieur, je préfère toujours une chanson de Julio à des râles gutturaux, pénibles et douloureux, vaguement improvisés. Sauf exception (il y en a, mais elles sont très rares)".
# 15 - Ailleurs dans ces pages, dans la même sélection de médias que nous voulons particulièrement soutenir auprès de nos membres, il y a le coffret DVD des "Histoire(s) du cinéma" de Godard. Godard – que ce soit celui des "Histoire(s)", celui des premiers films de la nouvelle vague ou celui des films militants des années septante – t'inspire t'il d'une manière ou d'une autre?
"Godard ça a été franchement majeur dans ma vie, comme de très rares personnes l'ont été (Maurice Pialat, Ornette Coleman, Derek Bailey, John Fahey... ) mais j'ai été tellement loin dedans, jusqu'à vivre en Suisse à un moment, parce que, rien qu'à se promener entre Rolle et Zürich on est déjà dans un film de JLG. Il y a pas très longtemps je me suis retrouvé dans un jury de documentaires avec Jean-Pierre Gorin et ça a mis un moment avant que je puisse lui parler sans voir le groupe Vertov et Godard et leurs histoires".
"Maintenant, aussi, pour être honnête, j'ai pas revu un film de Godard depuis presque dix ans. Même "Notre Musique", ma femme est allée le voir et je suis reste dans le hall, j'écoutais la bande son, dans le hall vide - vieux cinéma, velours rouge, à Vienne, banquettes en simili cuir... – c'était encore trop godardien... J'y arrive pas, il y a un truc qui me dérange depuis chez JLG. Mais ça reviendra, je pense. Maintenant dans le lien éventuel, possible avec les "Histoire(s) du cinéma", alors là je te suis totalement. En fait les premiers chapitres de ses histoires (parce qu'on a tendance à oublier que c'est pas arrivé d'un bloc), m'ont immédiatement fait réagir à l'époque. J'ai tout de suite trouvé cruel qu'en musique on n'ait pas l'équivalent. Je dis pas un Godard, mais quelqu'un qui, de ce savoir et cette subjectivité-la, nous propose une histoire de l'histoire, par l'histoire. La chose la plus centrale dans ses "Histoire(s) du cinéma" et qui est très directement liée à "So Lucky" c'est celle de "l'enregistrement" de nos vies. Que la fiction offre toujours plus de réel que le "réel" supposé, en soi. Ne serait-ce que techniquement, il y a une histoire du disque et de l'enregistrement qui est quasiment la même en musique que dans le cinéma. Il y a des Lomax dans le cinéma, des Phil Spector, des Hammond, des Quincy, des Van Dyke etc... Et puis là aussi, pendant longtemps je trouvais ça désolent à quel point les musiciens ne produisaient pas d'images - ou des franchement pas très bonnes, très utilitaristes. En même temps, regarde Gainsbourg… C'était, à mon avis, un très grand réalisateur ; seulement dans les milieux de la production on ne pourra jamais accepter qu'un chanteur soit aussi réalisateur. Moi, je fais de mon mieux, avec mes petits possibles pour foutre le souk dans tout ça. J'adore quand parfois j'arrive quelque part et que les gens ne savent pas du tout ce que je fais ou qui je suis au juste. Mais, tu vois, l'enfer de la communication… Et bien, par exemple, d'avoir joué dans quelques films fait que lorsque tu vas chercher mon nom via des moteurs de recherches, tu tombes sur tous ces sites de cinéma où le moindre nom est répertorié, et moi je deviens "acteur" sur ces sites. Ensuite je vais ici ou là, jouer ou faire autre chose, ben la presse locale qui est allée chercher des infos sur Internet disent "Alors, vous qui êtes acteur ...". Si au moins ça peut servir à ce que l'on n'y comprenne plus rien et qu'on arrête de vouloir mettre des étiquettes vides, alors c'est fantastique: allons-y! Sur le tournage des "Invisibles" de Thierry Jousse par exemple, la manière dont Michael Lonsdale est venu me parler c'était absolument divin : à aucun moment il ne m'a demandé ce qu'était ma profession, mon milieu régulier… Non, c'était : "Bon, nous avons telle scène à tourner. Visiblement le rôle n'est pas tenu par un acteur professionnel, donc je prends en charge tout le côté technique et le déroulement de la scène, on y va". Si il faut attendre d'avoir affaire à de telles légendes vivantes pour commencer à se parler sans étiquettes, c'est fou. De toute façon il n'y a que les mauvais qui ont besoin de foutre des étiquettes partout, de se dire "ceci / cela" au lieu de juste faire les choses et de laisser monter, de voir venir".
# 16 - Sur le disque "Au bordel" (toujours chez Winter & Winter) dont tu étais le directeur musical, il y avait une reprise de la chanson du "Mépris" de Godard par Sasha Andres du groupe Heliogabale. Mais, je crois avoir entendu dire que la veuve du compositeur Georges Delerue avait fait retirer ce morceau des pressages suivants du CD. C'est vrai cette histoire? Tu peux nous expliquer un peu?
"Oui, oui c'est vrai mais c'est très simple aussi. Au moment de remplir la feuille de crédits des titres et des reprises, on a déclaré les choses en faisant une erreur car à la GEMA (société allemande des compositeurs et auteurs) il y a la possibilité lorsque l'on utilise différentes œuvres ou citations sur une pièce, de déclarer les oeuvres pré-existantes comme "de l'ambiance". Ce qui dans le cas dont on parle aurait été: un texte de Sasha Andres avec en "ambiance" la musique de Delerue. Au lieu de déposer les choses comme la musique de Delerue avec des paroles originales, ce qui obligatoirement demande à avoir une autorisation des ayants droits, ce qui se paie toujours. Dans ce cas-ci la veuve Delerue qui vit aux Etats-Unis a un avocat qui gère tout cela, et le type dès qu'il a vu passer l'erreur s'est ditqu'il y avait de l'argent à se faire. Au départ, ils ont demandé une somme hallucinante pour régulariser les choses - tout en n'ayant jamais écouté le titre en question. Comme Winter ne pouvait, ni ne voulait, céder à ce chantage, ils ont menacé de faire retirer par huissier tous les exemplaires en vente... A la fin Winter a refait un mix, sans la voix et les paroles de Sasha, et au tirage suivant (donc encore maintenant) c'est cette version qui est sur le disque. Néanmoins y a eu suffisamment de premières copies en vente pour qu'on puisse, je pense encore trouver notre "version originale".
"En plus le texte de Sasha est à tomber. C'est immédiatement, entre ses mots, sa voix, un truc à vous tenir les yeux ouverts des nuits entières. Bon, en même temps par rapport à ce genre de choses exceptionnelles, je suis pas tellement inquiet. Ca ressort toujours, à un moment ou un autre. J'en ai d'autres des "inédits" de ce genre qui n'ont pas pu sortir et qui sortiront plus tard, j'en suis sûr".
# 17 - En parlant de cinéma, de 2001 à 2005 tu avait été acteur dans les trois films du critique des Cahiers du Cinéma Thierry Jousse. Depuis, apparemment plus rien, ni de son côté, ni du tien… Une voie sans issue ou une simple pause?
"En fait non puisque "Le Jour de Noël" a du être tourné déjà vers 1997 ou '98 (il a été édité en "bonus" avec "Les Invisibles" aux Editions OF2B ). "Simple pause", je ne pense pas. Il y a un long métrage écrit par Philippe Katerine et Jousse qui n'arrive pas à voir le jour depuis quelques années déjà, presque même avant "Les Invisibles". J'en ferais plus avec grand plaisir : des films, des participations et pas juste devant la camera mais aussi monter les musiques, voire un peu de tout… Mais ce sont aussi des milieux qui ont leur valeurs, et où des gens comme moi, pas du sérail, sont toujours un peu considérés comme "externes".
De toute façon, à la base, mon désir ça a toujours été de réaliser et pas tellement autre chose. C'est Thierry qui m'a demandé de jouer, et principalement lui (en fait, non, ça commence aussi un peu ailleurs, chez d'autres, je dois tourner dans un long métrage autrichien cette année). C'est une drôle d'expérience dans laquelle j'apprend beaucoup à chaque fois. Néanmoins je préférais quand même tourner. J'ai régulièrement des montées au filet comme ça, où je reprends des scénarios. Je dois en avoir écrit plus d'une vingtaine, plus un tas de notes, de scènes ici-et-là. De sorte que si demain ça devenait possible de tourner, je serais prêt en même pas deux semaines".
"Dans le cinéma je crois que, depuis toujours, il y a des périodes de replis et d'ouvertures. Mais, ce qui change beaucoup la donne, ce sont toutes ces écoles de cinéma. De nos jours, le marché est sur-saturé d'étudiants en cinéma - ce qui ne veut pas dire qu'ils aient des histoires ou des choses vitales à tourner. Très sincèrement, quand on regarde des courts métrages d'écoles, c'est à 99% sans aucun intérêt,. C'est déjà tout "pré-vintage", c'est du cinéma qui se regarde faire son cinéma. Comme si tous les codes entre les rôles, les êtres humains étaient déjà "cinéma-tisés". Regarde, par exemple dans les écoles d'acteurs, le nombre de types standard : tu vas trouver quatre-vingt filles du même âge, avec la même posture, le même ton et, surtout, les mêmes espérances de faire carrière. Si je pouvais tourner, je pense vraiment que, hormis quelques "poids lourds", tous mes acteurs viendraient du "civil"... Sasha Andres par exemple est immense à l'écran, je trouve, même si ça ne semble pas provoquer de "demande" particulière. Je crois à la force du désir, même si ça peut sembler naïf de ma part, mais tout ce que je désire fortement, longtemps, rencontre à un moment donné un autre désir et… les choses se font. On verra bien. Actuellement, vu mon pedigree et la situation du cinéma français, ça semble exclu que quelque producteur me permette de tourner, mais ça ne sera peut être pas toujours le cas. Et puis il y a ce phénomène qu'on connaît bien qui veut qu'avec les années, tout ce que l'on te reproche ou que les gens ne comprennent pas, au moment où tu fais les choses, s'inverse un beau jour pour devenir "si fantastique" et "tellement vous-même"… On verra bien! L'autre aspect, c'est que si concrètement j'essayais de fourguer un scénario et de tenter de monter le film ici ou là, ça voudrait dire en gros cinq années à passer plus de neuf dixièmes de mon temps à aller frapper aux portes ; et ce n'est pas tellement ce que je veux faire actuellement. J'ai besoin de mon temps pour d'autres choses, aussi. Et puis, à la rigueur, si tu peux pas tourner tel ou tel film, tu peux toujours et encore en faire un roman, ou un disque, ou autre chose... "
# 18 - Depuis quelques années tu as quitté la France pour Vienne. Se passe t'il des choses artistiquement intéressantes aujourd'hui dans la ville de Freud, Schiele, Schoenberg, Kubelka et Pita? On a un peu l'impression que tant du coté des musiques électroniques de la fin des années nonante (autour du label Mego, etc… ) que du côté du cinéma expérimental de la même période (la génération des Martin Arnold, Peter Tscherkassky, etc… ) ça se tarit un peu… Mais peut-être se passe-t-il d'autres choses excitantes qui ne parviennent pas jusqu'à nous…
"Mettons les choses le plus au clair possible: je réside à Vienne… (mais, en fait, c'est encore plus complexe que ça, en fait nous sommes, ma femme et moi, entre Vienne, Pulawy en Pologne et Paris ; en gros à un tiers du temps par ville et pays) pour des raisons strictement privées. Il se trouve que ma Femme est d'origine polonaise mais vit à Vienne depuis les événements de Gdansk en Pologne. Il se trouve aussi que Vienne est une ville nettement plus simple et pratique à vivre que Paris. Pour des raisons matérielles, depuis des années je raisonne ainsi: si je gagne mille euros combien de temps et comment puis-je vivre, ici ou là? A Vienne, je fais un mois entier sans sentir de manque avec mille euros ; à Pulawy je ferais deux voire trois mois sans me priver ; à Paris je tiendrais la semaine si je dois aller rencontrer des gens, manger et boire avec eux... C'est aussi simple que cela. Mais même avant de venir ici avec ma Femme, j'étais déjà - même résidant encore à Paris - relativement "parti", déjà ailleurs... Pour un tas de raisons, ça fait des années que je ne travaille que très très rarement en France. C'est toujours plutôt difficile à Paris pour moi : les choses y sont assez cloisonnées ; si tu y es reconnu pour telle facette, le reste ne compte pas, donc tu n'y arrives pas à tenir l'ensemble des choses que tu voudrais faire. Et c'est un peu moins le cas ailleurs. Je veux dire qu'il y a pas mal de pays ou mon passif "jazz francais" est totalement inconnu, par exemple. Ca rend les choses plus simples là aussi. Tout cela pour dire qu'à Vienne j'y suis, mais pour moi-même et pas pour ce qui peut s'y passer - ou ne pas s'y passer. Il y a un autre point qui est qu'avec les années qui passent, j'ai toujours besoin de plus de temps pour moi, pour aller au fond des choses, et qu'à Vienne, je reste un étranger, donc je ne suis pas pris dans le quotidien d'un "chez soi", où les gens vous sollicitent pour tout et n'importe quoi. A Vienne je n'ai que très peu de "devoirs", je croise des gens si je veux, je vais là ou là, si je veux… Je ne suis tenu en rien à aller me montrer puisqu'à Vienne, ou en Autriche, je ne travaille pas plus qu'a Paris. Et ça c'est un luxe total : d'avoir tout son temps pour soi, pour travailler. En plus, je ne parle pas allemand (ici, tout le monde parle anglais) donc, si je vais dans un café pour travailler, je ne comprends pas ce que les gens disent et ça me repose à un point inimaginable! Si je suis à Paris et que je vois la tronche du Président, que j'entends les commentaires au bar, il y a un moment où je m'énerve et où je suis plus à ce que je fais".
"Bon mais ça n'était pas tout à fait ta question... Que se passe-t-il à Vienne? Déjà, pour commencer, l'Autriche est un pays assez riche et pour qui la culture et le tourisme sont centraux ce qui implique une activité énorme par rapports à d'autres pays dans les domaines de tous les arts et de la scène. En gros, le nombre d'habitants à Vienne est dix fois inférieur à Paris et, pourtant, il y a quasiment dix fois plus de concerts dans tous les styles de musiques, plus de festivals, d'expositions... Ensuite, la taille de la ville fait que tout y est très simple. Pour aller voir un concert ça prend quinze ou vingt minutes et pas cinq heures de queue comme à Paris pour rentrer dans une salle. Puis, à travers la revue Skug j'ai un simili statut de journaliste et je peux donc en un seul coup de fil avoir deux places quasiment partout, ce qui m'a enfin permis d'aller voir des tonnes de choses que je ne connaissais pas. Ensuite ma femme est très rock et active comme photographe, donc je vais avec elle écouter des tas d'artistes ou de groupes que je ne serais sans doute jamais aller voir sans elle".
"Ce qui se passe à Vienne, je n'en sais pas plus que cela. Il se passe à peu près ce que tu peux en savoir via les sorties de disques ou la presse. Il y a eu un gros moment d'intensité autour de l'électronique et des nouvelles technologies, avec un côté improvisé-contemporain-minimal qui est nettement redescendu depuis. Disons qu'en Autriche "faire l'artiste" ça semble une vocation, voire une source de revenu, assez importante et que, du coup, il y en a plein partout… Ca s'agite beaucoup pour "en être", ce qui veut dire des gens qui passent toute leur semaine à faire tous les "openings" (et "y en a boudu"... ) et que je me dis: pendant ce temps là, ils sont pas à leur travail, ça fait de la place. Il se trouve que je connais, de près ou de loin, quasiment tout le monde (c'est une petite ville aussi, ça fonctionne vite comme un village sur les rumeurs, les "machin fait ça, dit ça ...". Donc les gens savent bien qu'il y a un "drôle de français qu'est la"… même si, des fois, ça prend des années avant qu'ils te parlent). Dès le départ, je n'ai pas voulu ni cherché à être localement dans aucune scène. J'ai regardé début 2000 quand on était encore en plein "onkyo-laptop-minimalisme", mais selon mes goûts personnels tous ces trucs m'ennuient très vite, je suis trop player pour passer la soirée à attendre un type poser une vague note toutes les trente-sept minutes! Et, la plupart du temps, côté visuel, c'est quand même totalement affligeant à regarder. En Autriche, il y a, pour des raisons historiques (dont, surtout, l'Histoire officielle qui dévie pas mal de la réalité des faits) un problème assez patent de "retour du refoulé". Comme si on ne pouvait pas s'empêcher d'y "retourner" à chaque fois. Et puis un sens assez aigu de la hiérarchie et de l'honneur (des décorations surtout) qui est fort bien peint par Thomas Bernhard (quand on le lit d'ailleurs qu'ici, on peut penser qu'il exagère ; par contre, quand on est ici, on se surprend à penser le contraire, voire même qu'il en laisse pas mal de côté). Et donc, cette conjonction de faits produit toute une "aristocratie" locale dans les arts. Mais c'est vraiment leur problème et pas du tout le mien - moi ça fait des années que j'ai rendu mon billet à l'état, que j'ai pas du tout voulu de ces systèmes de représentation, d'aides via l'état, etc… Donc, je sais quel est le deal, ensuite je le laisse à ceux qui en veulent".
"Je ne sais pas s'il se passe des choses mais ce que je sais c'est qu'en comparaison avec la France, tout circule beaucoup mieux, plus vite, en temps réel. Il y a des salles de toutes les tailles ici, ce qui fait qu'un groupe intéressant pourra rapidement venir devant cinquante personnes et revenir dans quelques mois jouer devant trois cent ou mille personnes si les choses évoluent. En France, pour voir un groupe il faut, en gros, qu'il ait déjà été reconnu par tout le système - label, médias, presse, etc… Même si à Vienne ça ne génère pas forcement plus de créativité, tu peux quand même aller y voir de tout. Si, par exemple, tu prends la scène électro, clubbing, dance, DJ's, il y a un lieu, en bas de chez nous, qui depuis plus de vingt ans est à la pointe (aussi bien le programme que les conditions, la sono, la salle) et les gens qui vont au FLEX sont très pointus, savent ce qui se passe - tu peux pas leur fourguer n'importe quoi! En France, je ne sais pas pourquoi mais on a toujours l'impression que c'est le pays des livres, du pinard et des vieux châteaux à restaurer, et qu'en dehors de cela… point de salut! Les trucs y arrivent en général quand c'est mort partout ailleurs, non? Regarde, en Belgique y a une longue tradition, toujours actuelle je pense, qui fait que les gens sont vraiment au courant de ce qui se passe dans tel ou tel domaine musical. En France le public pense toujours que… je sais pas… que Jean Louis Aubert ou Zazie c'est des rockeursrebelles... Et d'ailleurs il n'y a pas de mystère, c'est pour ça que tous ces trucs (au delà du problème de la langue) ne sortent jamais du pays".
"Pour revenir à Vienne même, je crois que l'on se trompe souvent sur une chose : c'est pas DE Vienne que les choses se passent. En fait, cette société avec ses codes très particuliers - et plutôt très conservateurs - a toujours fait que des artistes viennois qui ont une idée forte ou une direction vraiment novatrice se font tellement rouler dans la farine par toute cette nomenclature officielle que ça les force à réagir et donc, le plus souvent, à partir. Le grand danger ici pour un artiste c'est justement d'être beaucoup trop vite pris dans ce système et, donc, de devenir un artiste d'Etat - et là, t'es mort! Ca, j'en vois à la pelle des jeunes qui se font couvrir d'honneurs et dont le travail s'arrête là... Même si, ensuite, il y a une scène locale pour eux et que donc ils travaillent ici et y deviennent des stars locales".
# 19 - A Vienne, en plus de ta propre musique, tu travailles aussi sur la musique des autres en participant activement au magazine et webzine musical www.skug.at Quels liens fais-tu entre tes activités de musicien et l'écriture?
"Ecrire c'est un peu comme parler, ça fait partie des données de bases pour n'importe quel individu en société, donc je pense que, potentiellement, tout le monde devrait le faire, même à des degrés différents. Ecrire, dans mon cas c'est juste m'exprimer. Je ne suis pas auteur ou journaliste, j'écris juste. En plus, j'ai toujours eu ce besoin de participer à toutes les étapes de la vie en société, ne pas être uniquement "musicien" ou autre, mais aussi produire, écrire, réfléchir, proposer… Donc c'est assez logique, sauf que cette fois, avec Skug, c'est la première fois où je peux le faire de manière plus profonde, plus régulière, avoir trois pages pour tel sujet, suivre l'actualité de manière rapprochée, et dans tous les domaines. Mais sur le fond, écrire ou penser sur la musique des autres, c'est tout à fait normal, non?"
"Je sais pas, dans le cinéma, il y a une très longue tradition de cela, que les uns écrivent sur les films des autres, sans que ça ne choque personne. En musique, ça reste un peu tabou là aussi. Les musiciens n'aiment pas trop qu'on écrive sur eux si on est aussi musicien, ça trouble les genres, ça sort des règles. Et puis ça transgresse quelque règles des coulisses de l'affaire, à savoir que du côté de la presse on voit mieux comment les gens gèrent leurs affaires, comment ils passent des journées à vendre leurs produits - et ça, on n'aime pas en parler dans ces milieux. Non, pour moi écrire sur la musique (mais, en fait, je n'écris pas que sur la musique, à peine la moitié est consacrée à la musique), c'est de l'ordre de l'hygiène, et je regrette toujours que les musiciens n'écrivent pas, c'est sans doute un des rares milieux ou il n'y a pas d'écrits. Partout ailleurs, on écrit en plus de sa pratique, sur sa pratique, ou sur celle des autres ; en musique c'est franchement zéro à des très rares exceptions près".
# 20 - A propos d'écriture, tu t'es chargé de la préface de "Musiques expérimentales - Anthologie transversale d'enregistrements emblématiques" de Philippe Robert aux éditions GRIM / Le Mot et le reste. Peux-tu d'abord en dire quelques mots? Ton travail consistait un peu à écrire sur ce que quelqu'un avec écrit sur ce que d'autres personnes avaient joué comme musique. Comme un rapport indirect ou plus éloigné à la chose musicale…
"Je peux dire quelques mots sur la préface oui, sur le reste c'est vraiment Philippe (et le GRIM), qui ont décidé. Le désir de Philippe c'était, je crois, que ce soit un musicien qui en parle, que ce soit quelqu'un qui connaît un peu les choses de l'intérieur et quelqu'un qui soit aussi assez critique ou en position de recul ou un peu "ailleurs". Pour être tout à fait franc, au delà de la demande de Philippe, ce qui m'intéressait c'était de produire un texte plus long - le côté "défenses des terroirs de musiques difficiles en souffrance" ça fait très longtemps que ça ne me concerne plus du tout. Je l'ai déjà dit ailleurs, les avant-gardes je n'y crois pas. Je ne suis pas du tout intervenu sur la sélection de Philippe que je ne connaissais pas en plus (au-delà d'une note d'intention première de sa part, je veux dire). J'ai une ou deux fois proposé ce que je pensais devoir y figurer, ensuite ça n'était pas du tout mon rôle. Là aussi, si on met les trucs au clair : la sélection finale, j'en prends et j'en laisse. Ce qui est vraiment plus passionnant dans cet ouvrage, je pense, c'est le côté "première en français" d'un tel livre. Je pense toujours au côté public. Je veux dire par là que si, il y a vingt ans, j'avais eu un tel livre, j'aurais sans doute écouté plus de choses, je serais aller les voir, sans pour autant y adhérer, juste pour voir. Très franchement, en plus ma préface je pense qu'elle dépasse de très loin la question de ces musiques ; j'aurais aisément pu écrire un texte assez proche en parlant d'un tout autre sujet. Je ne sais pas mais, pour le lecteur, c'est peut être ça qui est intéressant : de voir un musicien essayer de raconter quelque chose à partir de sa place, de son lieu, comme il voit, comment il entend, non? Dans Skug, justement, j'ai souvent essayé de générer cela : faire écrire des musiciens… Eh bien, c'est quasiment impossible! Ca continue à me manquer, les écrits de musiciens".
"Ensuite, au sujet de la sélection elle-même, elle est certainement très discutable à plein de niveaux, mais ça s'annonce dès le départ comme un parcours qui est celui d'un Individu (Robert), je pense. Si tu veux, dans la mesure où c'est sa sélection à lui, que je sois d'accord ou pas ne m'importe pas. Et de toute façon, très franchement, il y a dans cette sélection plus d'un tiers de disques que je ne recommanderais pas moi même à des gens qui n'écoutent pas déjà ce genre de musiques. C'est tout le problème, une fois de plus, que perso. ces musiques - sauf exceptions - ne me passionnent pas plus que cela. Ca existe, c'est là, ça a ses codes, ses valeurs, ses milieux… Ca suffit amplement, je trouve, pour ce que c'est. Je ne sais pas moi… Ca ne me viendrait pas à l'idée de militer pour que la philatélie soit plus présente dans les medias, par exemple... On sait aussi très bien ce que ça cache comme paradoxes pas bien clairs lorsque les gens se regroupent sous des étiquettes radicales ou extrêmes. Ce qui me dérange toujours, c'est cette manière de se définir par l'exclusion. Dans ces musiques, il y a ce côté où on définit très bien les règles de ce qui n'est "pas de chez nous", pas acceptable, pas de "nos goûts" - c'est presque toujours sur le dos des autres et très rarement en soi. Derek Bailey est très important pour moi, les cent vingt autres guitaristes improvisateurs qui le suivent dans le même registre, le sont nettement moins. Je peux aimer le cinéma de Kitano sans avoir envie de me farcir du "cinéma asiatique" au kilo, autour. Là, c'est pareil, je crois... "
# 21 - Personnellement, quant à la sélection des artistes et disques, il y a quelque chose qui me dérange un peu ici, c'est la quasi-absence d'une certaine pop expérimentale (le premier nom qui me vienne en tête: Red Krayola), comme si "expérimental" désignait un genre ou un ensemble de sous-genres (nécessairement plutôt rêches, a-mélodiques, improvisés, ou répétitifs… ) et non une attitude qui pouvait s'appliquer à n'importe quel style de musique… Le côté éclaté de son "Itinéraire bis en 140 albums essentiels" me convainquait beaucoup plus. Du coup, ce premier ouvrage me semble presque comme un pré-requis au second, sans le premier il y a un grosse part manquante au second…
"Je ne sais pas quoi te répondre que tu ne saches déjà ou même qui ne soit pas dans ma préface... Je suis bien d'accord avec ce que tu dis, il y a même des entrées dans le livre qui sont clairement de l'ordre du diplomatique ou de choix purement subjectifs mais c'est aussi la règle du genre, je crois. Si tu veux je vois les choses comme ça : # 1 – C'est la première fois qu'un tel livre parait en français. # 2 – Des échos que j'ai pu avoir, le livre circule en fait mieux chez des gens non spécialistes et c'est important parce que ça fait sens pour des gens qui ne savent pas déjà, et pas pour le petit milieu qui, de toute façon, déteste tout ce qui bouge ici ou là. Et # 3 - J'ai commis une préface pour Philippe et le GRIM qui est assez claire, je pense : ça dit pas tellement de bien, mais pas que du mal non plus - les gens savent lire. Et # 4 - Ma mobilisation pour ces musiques reste franchement accessoire, il faut savoir "raison garder" et ne pas oublier que tout de même ce sont des domaines qui ne parlent pas à plus de 95% de la population – et, pour être franc, je comprend parfaitement en quoi ça ne leur parle pas. Là aussi ça m'importe plus que le cinéma moyen – ou, disons, accessible au plus grand nombre - soit meilleur, plutôt que de savoir que, dans des mini réseaux, il y a des films très expérimentaux qui se font. Ça doit rester un tout, dès qu'on divise chacun part de son côté et se met à faire des chapelles, des guerres de religions, etc... Pour moi le monde de la musique comprend toutes les musiques, la question reste de savoir si dans toutes les musiques on a un niveau général plutôt haut ou assez bas. Et pas du tout si tel ou tel domaine est plus actif que tel autre".
"Et voila".
Noël Akchoté
épiphanie 2008
interview réalisée par e-mail en un seul aller (questions) / retour (réponses)
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PS // Quelques jours après cette interview, Noël Akchoté nous faisait suivre les précisions suivantes d'Andrew Sharpley au sujet des liens entre Stock, Hausen & Walkman et Stock, Aitken & Waterman :
- You missed the most important point : they were from Manchester !
And even more specifically :
From about 88 to 92 Pete Waterman had this programme on TV, late night every saturday night, broadcast from about 1 to 3 o clock in the morning called " the hit man and her" and what this was was 2 hours a week of broadcast from nightclubs in Manchester, i mean normal nightclubs, you know ,not arty places for posh twats like you and me, and it was on Granada TV, a regional TV station which meant you couldn't see it if you lived in the South of England or London , , and inevitably there was a large element of drunken english about it all....lots of gurning at the camera....
And it was always presented by Pete himself with his sub Stringfellows almost mullet and he always had a laff with some lass in a strappy top half his age like the proper jack the lad he was, with probably abit of arse pinching or some other sauce " just bend forwards abit for the camera will you love?" that kind of thing - but witty with it, and totally unpretentious : it was a meat market, he was running it and he thought it was FANTASTIC you could see was really enjoying himself....most of the program obviously was just shots of people dancing , no digital effects because this was before computers, so ..... and it was mostly in the clubs on his own patch where they tested out all the SAW productions on the punters to see if they danced. He was lord of the manor.
And remember this was at the time of nascent acid house so that already this programme looked totally fucking dinosaur- like to us (nothing to do with warehouse do's and decent acid or anything interesting happening at the time).
So anyway if you try watching this program while reading a copy of the Wire , from a condemned council flat in Hulme (a part of central Manchester that was mostly pulled down ten years ago as being uninhabitable - which it was) as me and Matt were probably doing probably on saturday nights at 2.00 a.m. when we weren't nailing together Samples (Hairballs ). You end up with a name like Stock Hausen and Walkman.
Apart of course of it being derisive and a bad pun.
Andrew