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La santé numérique : une nouvelle « spatialisation des soins » ?

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publié le par Alexandra Garin

Conférence d'Alain Loute, maître de conférences au Centre d’éthique médicale de l’Université Catholique de Lille.

Sommaire

Résumé de la conférence par Maxime Verbesselt (Action Médias Jeunes)

La santé numérique est un secteur industriel en pleine expansion : santé connectée, e-santé, télésanté, télémédecine, etc.

La télémédecine : innovation de plus dans l’organisation des soins ou transformation radicale des pratiques professionnelles ? Quelle reconfiguration de la « spatialisation » du soin, pour parler comme Michel Foucault (Naissance de la clinique) ? Avec quels bénéfices pour le médecin et pour le patient ? Et quels risques ? Quelle sera la médecine de demain ?

1 - Le « halo » sémantique de la e-santé

Il existe de nombreuses définitions différentes de la santé numérique. On utilise d'ailleurs beaucoup de terminologies différentes : technologies médicales numériques, santé connectée, télémédecine informative ou clinique, télésanté... Ces notions recouvrent autant le domaine de la santé que celui du « bien-être ». Il s'agit d'un champ large aux frontières floues qui inclut également le quantified self (par exemple les applications de calcul de pas en une journée, etc.) On parle aussi de santé connectée, de télémédecine informative, de télémédecine clinique... Une forte idée de personnalisation traverse l'ensemble de ces notions.

Il faut donc se mettre d'accord sur quoi on parle avec son interlocuteur. Cette polysémie est néanmoins pratique pour les promoteurs de la santé numérique puisque tout le monde peut y trouver son compte.

2 - Un manque de connaissance et une économie de promesse

On manque de connaissance sur les impacts concrets et précis du numérique sur le domaine de la santé. On peut distinguer trois causes différentes :

a - On évalue de façon standard (comme on le faisait avec n'importe quel protocole avant le numérique) les projets de santé numérique, sans prendre en compte toutes les implications.

b - C'est un secteur industriel qui se développe, avec beaucoup de secrets commerciaux et industriels.

c - Beaucoup de choses sont prévues pour le futur, alors on présente beaucoup de technologies présentes comme inéluctables.

3 - Une promesse d'autonomisation du patient ?

La e-santé brasse beaucoup de discours positifs. Grâce aux technologies, on estime qu'on peut corriger l'asymétrie de pouvoir basée sur l'accès à l'information entre le médecin et le patient. On espère sortir du paternalisme médical.

On pense aussi qu'il sera plus actif dans la relation thérapeutique (Maggie De Block : « le patient sera le copilote de ses propres soins. » ) Il s'agit d'un tournant participatif. On aura le choix de rester à la maison plutôt que d'aller en centre de soins.

Il faut questionner ces promesses. On peut le faire à partir d'un oubli de ces promesses : la spatialité. En effet, beaucoup de discours induisent la disparation de l'espace grâce aux technologies. Pourtant, ces technologies n'abolissent ni les frontières, ni les espaces. Par exemple, pour faire de la télésurveillance de patient à domicile, il faut complètement aménager l'espace.

Pour mieux appréhender ce phénomène, il faut se tourner vers les philosophes de la technique. Les technologies ne sont pas juste des moyens, elles sont un milieu d'action. Il y a une transformation de fond. Les technologies nous transforment en tant que sujet. Par exemple, l'échographie change notre rapport au fœtus, que l'on va plus facilement qualifier de personne. Une technologie est un milieu (Bernard Stiegler) ou un habitèle (Dominique Boullier).

Il faut repenser ce qu'est un lieu. Pendant longtemps, on considérait un lieu simplement comme un espace vide, un « vase qu'on ne peut mouvoir » (Aristote).

Aujourd'hui, on estime qu'un lieu change en fonction de ce qu'on en fait. Foucault développe l'idée de spatialisation des lieux médicaux. Cela implique l'importance de l'aménagement, mais également de la façon de représenter les maladies, le regard médical, etc. Cela évolue au fur et à mesure de l'histoire. Aujourd'hui, le numérique change l'expérience spatiale des patients.

4 - Autonomie et nouvelle « spatialisation des soins »

Quel est l'impact sur l'expérience spatiale du patient ?

L'utilisation des technologies peut être très lourd pour le patient. On parle de script pour désigner la façon d'entrer des données dans une technologie et d'ensuite devoir agir en fonction d'un protocole particulier. Cela implique matériellement des aménagements lourds de l'espace, mais également une attention continue du patient. On est « chez soi », mais ce « chez soi » est complètement transformé.

Les technologies modifient les espaces privés mais également les espaces publics. Par exemple, l'envoi de signaux sonores automatisés qui contraignent le patient : on ne va plus sortir car on sait qu'on va « bipper » à l'extérieur. On remplace le paternalisme médical par un paternalisme technologique.

Il y a également parfois plus de travail caché, invisibilisé pour les infirmiers et les médecins : travail de soin, appels réguliers au patient, etc. Il y a également une extension du travail du patient.

Les technologies sont aussi une façon d'enregistrer et donc de surveiller le patient. Par exemple, s'il y a des machines qui coutent cher chez un patient et que l'on constate que celui-ci ne les utilise pas, on va prévenir les assurances santé.

5 - L'éthique déstabilisée et débordée par le numérique

En conclusion, les technologies numériques de la santé ne sont pas uniquement des moyens. Or, pour le moment, on en reste à l'éthique médicale traditionnelle sans prendre en compte la nouvelle spatialisation des soins.

Maxime Verbesselt / Chargé de projets
actionmediasjeunes.be
Organisation de jeunesse d'éducation aux médias


Le cycle Pour un numérique critique et humain 2018-2019

De décembre 2018 à juin 2019, au rythme d’un rendez-vous mensuel, nous aborderons les impacts du numérique sur le travail.
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