« Le Torrent », un film d'Anne Le Ny
L’accident
Lison (Capucine Valmary), 18 ans, née d’un premier mariage, va pour quelques jours rejoindre son père qui vit sur les hauteurs des Vosges avec sa jeune épouse Juliette (Ophélia Kolb) qu’elle ne peut s’empêcher d’admirer (en douce) pour son style et sa beauté, et avec le jeune fils qu’ils ont eu ensemble. Farfouillant un peu dans les affaires de sa belle-mère durant leur sortie, elle tombe par inadvertance sur une clé USB contenant des extraits vidéo de Juliette en toute intimité avec un autre homme que son paternel.
Quand à son retour, Alexandre (José Garcia, le papa) tombe lui aussi sur ses images, éclate une violente dispute à l'issue de laquelle, la jeune femme quitte précipitamment le domicile familial et part à pied sur la route accidentée en direction du village le plus proche. Au moment où son mari la rejoint avec son véhicule, Juliette fait une chute mortelle sous les yeux ébahis de son mari. Désemparé parce que les apparences sont contre lui, Alexandre hésite à appeler les secours et quand il se ravise, le corps de sa femme a disparu, emporté par les eaux de la tempête qui s’est déchainée peu de temps après l’accident.
Secret(s) de famille
Craignant d’être accusé de meurtre et donc menacé dans sa brillante réussite entrepreneuriale, Alexandre choisit de se murer dans un mensonge par omission (« je suis resté à la maison ») qui repose essentiellement sur le faux témoignage de sa fille. Un secret de plus en plus lourd à porter pour Lison alors qu’une enquête de routine menée par le capitaine Da Silva (Anne Le Ny, devant et derrière la caméra) débute et que Patrick (André Dussollier), le père de Juliette, arrivé du Sud avec sa femme pour les obsèques, n’est lui, pas complètement satisfait de l’explication « accidentelle » comme cause du décès, et commence à (se) poser beaucoup de questions et à se rapprocher de Lison, qui pour sa part cherche à rencontrer Antoine (Victor Pontecorvo), l’amant filmé de Juliette.
Mes pères, ces héros...
Vrai faux polar familial inspiré par l’affaire Suzanne Viguier (2000), sur fond de décors montagneux vosgiens, à la fois majestueux et inquiétants, saisis dans leurs parures automnales et hivernales sous une lumière basse très changeante, Le Torrent met en scène des personnages ordinaires pris dans des enjeux moraux de loyauté majeurs et de rapports complexes à la vérité. La mort de Juliette est purement accidentelle et personne n’a sciemment tenté de lui faire du mal. Même les contacts entre Alexandre et Antoine ne dépassent pas le stade de la tension (forte) entre « mâles » ayant aimé la même femme (à l’enterrement). Alexandre se trouve dans une situation où il pense à avoir plus à gagner d'un (énorme) mensonge partagé que de tenter de jouer la carte de la vérité nue, contre toutes apparences.
Anne Le Ny porte davantage son attention sur Lison, encore adolescente mais déjà à l’aube de sa vie adulte, pas très assurée en public, et qui vient voir ce père charismatique, doué en affaires, qui file apparemment le parfait amour avec une femme superbe qui lui a donné un fils (son demi-frère) craquant. Un papa qu’elle ne connait pas très bien (il arrive la chercher en retard à la gare au début du film et a déjà prévu une sortie avec son épouse le même soir), dont elle voudrait se rapprocher, voir sentir qu’elle compte vraiment à ses yeux (du moins autant que son demi-frère). Ce que les circonstances troubles de la disparition de Juliette vont paradoxalement lui permettre de tenter, mais aux prix d’un énorme mensonge et du poids moral écrasant qui l’accompagne.
En manque de repères et n’ayant personne auprès de qui elle pourrait se délester quelque peu de cette charge insoutenable – elle ne semble pas trop proche de sa mère non plus – elle choisit de demeurer au chalet, au côté d’un petit frère qui vit dans le déni complet de la mort de sa mère et d’un père toujours distant mais qui lui demande de garder le silence et d’éviter les questions de toutes sortes, y compris durant les interrogatoires de police où elle s’en tient à la version qu’il lui a recommandé de maintenir. Un isolement qu’elle rompt en allant à la rencontre du taciturne Antoine (l’amant des vidéos) qui ne croit pas qu’Alexandre ait dit toute la vérité. Il faudra l’arrivée des parents de Juliette et en particulier de Patrick qui, sous l’action de sa force tranquille, mais non sans malice, arrivera à la mettre au pied du mur de la vérité, à lui insuffler le courage de la trahison nécessaire. Un grand-père, qui bien que ravagé par le chagrin (sa femme s’y est noyée) conserve une incroyable lucidité et fait montre d’une rare et impassible habilité à faire remonter cette « vérité », quoi qu’il en coûte, mais sans aucun esprit de vengeance. Et il y avait bien longtemps qu’on n'avait plus vu un André Dussollier dans un rôle qui rende autant justice à son talent. (Garcia est lui, un peu juste)
Bien plus qu’un polar rural dont il en a les décors et les conditions d’isolement (le chalet), Le torrent est avant tout un conte moral humaniste parfois desservi par quelques relâchements et manques de rythme et des personnages aux contours insuffisamment définis (Antoine) mais qui réaffirme au final la possibilité d’un être-ensemble résilient, au-delà des plus éprouvantes épreuves.
Texte : Yannick Hustache
Crédits photos : Athena Films & Cinebel
Agenda des projections
Sortie en Belgique le 30 novembre 2022, distribution Athena Films
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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