Des révoltes qui font date #07
18 mai 1980 // Révolte de Gwangju : quand les étudiants et les citoyens ont tenu tête à la dictature
Myung-sook et la révolte de Gwangju
Cette histoire se passe il y a quarante ans.
Cha Myung-sook a dix-neuf ans en 1980. Elle rêve d’apprendre à coudre pour pouvoir posséder son propre magasin de vêtements. Hélas, son père refuse qu’elle étudie. Mais Myung-sook est tenace. Elle part pour Gwangju, la capitale de la province du Sud, et s’inscrit à l’école internationale de couture.
Le président Park Chung-hee, le dictateur, a été assassiné l’an passé. C’est maintenant le général Chun Doo-hwan qui est au pouvoir. Encore un tyran, celui-là ! Depuis qu’il y a eu des manifs dans la capitale, il a instauré la loi martiale à Séoul et, hier, Myung-sook a entendu à la radio qu’il l’avait élargie à sa province.
Quand, ce 18 mai, elle se rend à l’école, elle ne sait pas que deux-cents étudiants se sont rassemblés devant l’université fermée pour demander plus de démocratie. Elle ne sait pas non plus que des soldats ont chargé les manifestants. Elle ne sait pas enfin qu’ils se sont rassemblés au centre-ville et qu’ils étaient plus de deux-mille. Mais le soir, elle apprend que des parachutistes sont intervenus, matraquant les manifestants et les spectateurs.
Le 20 mai, en passant près du centre, elle aperçoit des soldats qui battent brutalement des manifestants. Elle ne s'est jamais vraiment intéressée à la politique mais là, elle sent qu'elle ne peut pas rester inactive. Des centaines de citoyens ordinaires rejoignent le camp des étudiants, outrés par la violence des militaires.
Myung-sook veut maintenant informer les gens des atrocités perpétrées. Après avoir trafiqué sa carte d'étudiante et mis une perruque afin de ne pas être reconnue, elle emprunte un micro et un ampli qu'elle installe dans une camionnette puis diffuse des messages à la population. À la tombée de la nuit, ce sont les chauffeurs de taxi, de camion et de bus qui rejoignent le mouvement avec leur véhicule.
Le lendemain, à 13 heures, une foule considérable se tient devant les soldats. Ceux-ci se mettent à tirer. Myung-sook s'échappe et va se cacher dans un placard d'une maison inconnue. Elle tremble, elle a peur. La révolte, c'est du sang, des hommes qui pleurent, des femmes en colère, de l'espoir, de l'entraide et l'idéal au cœur. Elle se relève, aide à charger des corps ensanglantés, des compagnons, si jeunes encore...
Des milices se forment pour se défendre contre les militaires. L’armée recule et bloque toutes les routes menant à Gwangju. Myung-sook est arrêtée le 24 mai alors qu'elle charge des corps à l'hôpital. Elle est torturée afin de lui faire avouer qu’elle une espionne nord-coréenne. Elle résiste, ainsi qu'à un mois d'isolement avec les mains menottées dans du cuir.
Le 27 mai, l’armée revient avec cinq divisions et vainc la milice. La révolte est matée…
Myung-sook est libérée un an plus tard. Le dictateur Chun Doo-hwan, condamné à la prison à vie en 1996, est gracié. Il présente maintenant des symptômes de démence mais ne manifeste aucun remords.
Myung-sook vit heureuse, comblée par sa famille et fière de ce qu’elle a accompli.
Le Vieux jardin
Alors que le soulèvement de Gwangju est mis en péril par la junte militaire, Hyun-woo, militant socialiste, fuit dans la montagne. Il est hébergé par Yoon-hee, une jeune artiste peintre, également enseignante. Assez rapidement, ils s’éprennent l’un de l’autre et, durant six mois, se taillent un beau jardin d’amour et de complicité.
La tentation révolutionnaire n’a pourtant jamais quitté Hyun-woo, qui choisit de retourner à la vie politique. À peine arrivé à Séoul, il est capturé et emprisonné. Libéré dix-sept ans plus tard, il tente de reconstruire son passé et sa mémoire. Il retourne sur les lieux de la seule histoire qui ait vraiment compté pour lui : le jardin.
Tandis que le personnage d’Hyun-woo a choisi la lutte collective, le réalisateur Im Sang-soo préfère l’histoire intime : éternel combat entre partir ou rester, entre poursuivre son idéal (et mourir) ou aimer (et vivre). L’habituel cliché de l’homme au-dehors et de la femme au-dedans (1) se décline inversement dans le scénario, qui voit Hyun-woo enfermé et Yoon-hee vivre et être témoin de tous les événements qui ont suivi la révolte de Gwangju.
Toi au-dedans, moi au-dehors. Nous avons passé notre vie ainsi. C'était souvent pénible. Mais aujourd'hui, faisons la paix avec tous ces jours écoulés. Adieu mon chéri … (2) — Hwang Sok-yong
Est-ce si courageux d’aller se révolter, feu de paille qui jamais ne dure, quand tant d’autres batailles plus longues peuvent transformer les consciences ? Y a-t-il plus de mérite à se tuer à la lutte alors que la mesure, l’intelligence et le temps peuvent être les outils de ceux pour qui "la vie est à peu près leur seul luxe ici-bas." ? (3)
Le Vieux jardin est tiré du roman homonyme d’Hwang Sok-yong, roman qui ouvre ainsi une trilogie sur l’histoire récente de la Corée et du monde. Un roman un peu biographique également car l’écrivain aux idéaux socialistes a par ailleurs passé cinq ans en prison pour s’être rendu en Corée du Nord malgré l’interdiction de s’y rendre.
Dans la première partie du film, la réalisation d’Im Sang-soo impose un rythme qui tient en haleine par une succession de flashback. Elle reste plutôt sobre lors de la discrète romance que vivent les personnages loin du monde et l’on en vient à se demander si les personnages s’aiment ou sont simplement amis. Dans la deuxième partie, elle devient plus dynamique lors des scènes de révolte, plus délicate et intime lorsqu’on suit le parcours et les sentiments de Yoon-hee. C’est à travers la longue attente de cette dernière et la constance de son amour que l’émotion arrive enfin. Yoon-hee qui, malgré le temps, les épreuves et la mort, continue d’aimer Hyun-woo et lui laisse des messages et des peintures pour son retour.
Exister à nouveau, malgré la nostalgie et le temps perdu, voilà le pari que pourra se donner Hyun-woo. Puisse-t-il sortir satisfait d’un monde où la révolte n’est pas la sœur de l’amour (4), digérer sa peine et aider la fleur léguée par Yoon-hee à donner vie au vieux jardin.
Tu n'as été qu'une vague image pour moi. Mais maintenant que je fais face à la mort, je réalise que tu représentais toute ma vie. Chéri, je t'aime. (2) — Hwang Sok-yong
(1) "Ce que l'homme a au-dehors, la femme l'a au-dedans", Ambroise Paré
(2) Dit par le personnage de Yoon-hee, Hwang Sok-yong, Le Vieux jardin, Éditions Zulma, 2005
(3) Extrait de Mourir pour des idées, Georges Brassens
(4) Inspiré du Reniement de Saint-Pierre, Baudelaire.
Cet article fait partie du dossier Des révoltes qui font date.
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Cet article fait partie du dossier Saison 2020-2021.
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