Beaufort 2018 : au cœur d’une exposition au grand air
Comme à l’accoutumée, la mer est la toile de fond des œuvres présentées dans le cadre de cette sixième édition de la triennale de Beaufort. Le calme plat qui la caractérise aujourd’hui ne révèle qu’une facette de sa nature profonde, car sous son apparence docile, l’étendue d’eau est pourtant imprévisible. C’est dans ce contexte qu’une quinzaine d’artistes provenant de tous de pays bordés par la mer, ont imaginé des monuments venant tantôt lui faire face en la mettant au défi, tantôt lui rendre hommage.
C’est devant ces trois statues monumentales que nous faisons notre première halte. Dressés à la limite des dunes et de la plage, ces trois blocs de pierre haut perchés en imposent. Les trois visages sont identiques, ils regardent l’horizon dans des directions opposées, vers la mer et la terre, comme pour les relier. On se surprend à imaginer leur champ visuel à cette hauteur. Jusqu’où peuvent-ils bien voir ?
Jos de Gruyter & Harald Thys (BE) avec « De Drie Wijsneuzen van De Panne » édifient une œuvre dont la fonction est semblable à celle d’un phare guidant les personnes parties en mer ou encore, à celle de monuments célèbres tel le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro ou le Colosse de Rhodes qui d’indicateurs sont à présent devenus de véritables lieux de pèlerinage.
Lors de notre deuxième stop, c’est grâce à un amas de gens devant la maison communale de Koksijde que nous repérons l’œuvre d’art. Les badauds sont agglomérés autour d’une sphère composée d’objets métalliques et semblent complètement hypnotisés. La sculpture est signée Ryan Gander (EN), un artiste de renommée internationale et l’un des plus prolifiques de son pays.
Lorsqu’on découvre le titre de l’œuvre « Really Shiny Things That Don’t Really Mean Anything (Des choses très brillantes qui n’ont pas vraiment de signification) », on oublie tous les complexes que l’art contemporain pourraient provoquer en nous. Ryan Gander invite le spectateur à se laisser guider par son intuition et à créer du sens à partir de ce qu’il connaît. C’est donc la multiplicité des interprétations qui prévaut et cela semble plutôt bien fonctionner !
Men de Nina Beier (DA) est une œuvre qui, par son appartenance à la tradition des statues équestres, évoque de manière assez claire le thème sous-jacent de cette édition 2018. En effet, la commissaire Heidi Ballet a choisi de mettre en avant le rôle des monuments permanents et leur évolution à travers l’histoire. Le message des monuments érigés au fil du temps n’est-il pas érodé à l’image des matériaux qui l’ont façonné ? L’interprétation de ces témoignages du passé n’est-elle pas sans cesse réactualisée par l’époque à laquelle elle s’opère ?
À partir de cette réflexion, on peut s’amuser à lire la proposition de Nina Beier. L’artiste a choisi d’installer, sur le brise-lames à Nieuwport, des statues équestres qui ne sont plus exposées dans l’espace public. Le cheval, qui représente la puissance dans la tradition des statues équestres, rappelle ici la toute-puissance de la mer. Cependant, cette dernière fait basculer l’œuvre à chaque marée et par conséquent, le message véhiculé par ce groupement de bronze.
Les habitués de la côte belge connaissent à coup sûr la statue d’Albert Ier située à l’endroit où les écluses ont été ouvertes pour inonder le camp allemand durant la Première Guerre mondiale. Un escalier a été ajouté pour l’occasion et nous comprenons rapidement son utilité lorsqu’ arrive une jeune femme vêtue d’une longue jupe et d’un manteau blanc. Elle porte un seau d’eau et un chiffon. Après avoir monté l’escalier en silence, elle commence à nettoyer soigneusement la monture du roi.
Cette performance pensée par Edith Dekyndt (BE) est une référence à l’impact de la Première Guerre mondiale sur la vie des femmes qui après avoir travaillé pour pallier le manque de main d’œuvre n’ont plus souhaité reprendre le rôle que la société patriarcale leur avait imposé.
À la lumière de cette performance, le message de ce monument historique est donc enrichi et réactualisé.
Depuis la digue, on les voit plantés dans le sable, droits, regardant la mer. C’est une sorte de sanctuaire dans lequel Kader Attia (FR) nous invite à déambuler. Entre les influences de tradition gothique et islamique amenées par une forme ogivale qui se répète, les panneaux noirs évoquent le mélange de culture.
Une fois dos à la mer, nous découvrons qu’il s’agit de miroirs reflétant la mer, le sable, les gens qui nous entourent et notre propre reflet. Loin de nous imaginer la signification du travail de Kader Attia, les panneaux explicatifs nous dévoilent l’hommage auquel nous assistons.
Nous voilà dans une nécropole rendant hommage aux 30.000 soldats africains qui perdirent leur vie durant la Première Guerre mondiale, du reste du monde pourtant oubliés… La portée du message est facilement actualisable lorsqu’on pense aux milliers de migrants qui traversent actuellement les mers pour rejoindre désespérément une « Terre promise » au péril de leur vie.
En regard de cette installation et face à ces « beaux » miroirs, notre reflet prend une toute autre dimension et l’émotion nous submerge.
Texte et photographies : Alicia Hernandez-Dispaux
Site web : https://www.beaufort2018.be/fr