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Entretien avec Clara Fanise (5) : épisode courtraisien

Clara dans son atelier 2018

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publié le par Roxana Cernicky

Équipée de crayons, de feutres et de sa capacité raffinée à observer le monde, Clara Fanise dessine des univers colorés, minutieux et sensibles. La créativité ne connait pas de limite chez cette artiste plasticienne. Pour ce cinquième épisode d'un entretien au long cours, elle nous parle de son installation à Courtrai.

Une interview en 5 chapitres :

  1. D'où viens-tu ?
  2. Comment as-tu découvert ton talent ? Et comment as-tu décidé d'étudier les beaux-arts ?
  3. Épisode bruxellois (1) - artiste et mère à Bruxelles
  4. Épisode bruxellois (2) - artiste dans un milieu très genré
  5. Épisode courtraisien


- Roxana Černický (PointCulture) : En quelle année t’es-tu installée à Courtrai et pourquoi ?

- J’ai décidé de m’installer à Harelbeke à temps plein en 2016 pour vivre à la campagne avec mon fils et mon nouveau compagnon. Oui, je crois toujours en ce joyeux, quoique souvent pathétique, mythe de l’amour. J’avais envie d’offrir à mon enfant une vie meilleure qu’en ville. L’accès aux écoles néerlandophones était compliqué à Bruxelles et je voulais absolument qu’il devienne bilingue de façon naturelle. Je voulais aussi qu’il puisse gambader dans l’herbe, grimper aux arbres, avoir une liberté plus grande. J’ai fait passer les besoins de mon enfant avant les miens. Après toutes ces années à habiter en centre-ville, ça m’a fait du bien à moi aussi de retrouver la nature, un air meilleur, et surtout de pouvoir revivre dans une maison avec jardin.

- Peux-tu nous parler de ta galerie “Kunst in Kortrijk” ? Dans quelle mesure ce dernier grand projet en Flandre a-t-il aidé à booster ta carrière ?

Comme je le racontais plus haut, cette galerie a été une opportunité qui s’est offerte à moi. Dans la ville de Kortrijk, la commune avait décidé de mettre en place un plan d’aide à la création de nouveaux commerces, grâce à un système d’aide aux loyers, ce afin de redynamiser le centre-ville et les commerces déjà existants. Moi, qui avait toujours rêvé de diriger un espace d’exposition, je me suis lancée.

Il fallait repenser ma situation professionnelle avec ce nouveau projet. Les deux n’étant pas compatibles au niveau des horaires, j’ai décidé de devenir simple « aide à domicile », alias « femme de ménage », à mi-temps afin de continuer à toucher un petit salaire. J’avais toutes mes après-midis pour la galerie. C’était ouvert chaque samedi de 10h à 18h et parfois aussi j’ouvrais le dimanche matin, quand il y avait des événements organisés dans la ville, comme la journée sans voiture par exemple. C’était intense et excitant.

Le matin, je faisais mon travail de femme de ménage chez les Flamands, (je me réconfortais en me disant que je faisais mon sport en quelque sorte), et puis je courais chez moi, prendre une douche, manger sur le pouce et me changer afin d’enfiler mes vêtements de galeriste. Quand je croisais mon ami-voisin qui était au courant de mes deux situations professionnelles, il riait de moi : « Dans quel monde vit-on ? Me disait-il, regarde-toi, tu laves le sol des gens le matin et tu es cheffe d’entreprise l’après-midi ».

Le temps m’était compté, car l’aide de la ville n’était allouée que sur une période d’un an. Après, il faudrait que le commerce fonctionne suffisamment pour trouver un équilibre économique, ou bien rendre les lieux. J’ai bien vendu des pièces, mais pas suffisamment pour que la galerie survive à sa première année.

La différence culturelle entre la Flandre Occidentale et la Région Bruxelles-Capitale était/est énorme. J’avais sauté à pieds-joints dans un environnement très conformiste, moi, « l’artiste de Lyon », comme la presse locale m’avait alors nommée. Je ne me sens pas du tout lyonnaise, mais c’est pour dire à quel point ici, tu dois forcément venir de là où tu es née ! Je découvrais que mes goûts artistiques étaient bien trop contemporains pour le coin. J’ai dû faire, sur ce point aussi, des concessions, afin de réajuster la galerie à son écosystème dans l’espoir de faire des ventes avec notamment une exposition plus classique de marines. C’était assez éprouvant pour moi, de devoir faire des choix artistiques de raison plus que de cœur.

Quand je repense à cette « Galerie-pop-up » à Courtrai je me dis que ça a été trai-Cour, rien que pour le plaisir du jeu de mot en verlan. Je suis malgré tout heureuse et fière d’avoir aidé des artistes femmes à exposer, pour certaines j’ai même réalisé leurs premières ventes ! Même si cela n’a pas été un succès économique, j’ai beaucoup appris. C’était aussi très gratifiant sur le plan social d’être galeriste. Et puis en tant qu’artiste, j’ai pu, de nouveau, produire de belles pièces dans mon atelier à l’étage.

Pour répondre à votre question, je ne pense pas que « ça ait boosté ma carrière », quoi qu’on ne sache jamais… Une période de création intense est toujours la bienvenue ne serait-ce que pour augmenter la diversité et le nombres de pièces en sa possession. Un artiste sait quand il fait une œuvre mais ne sait pas à l’avance quand elle sera vendue, sauf si c’est une commande.

Cette expérience m’en a appris encore un peu plus sur le monde de l’art, notamment sur celui des galeries privées. J’ai développé des talents de vendeuse et j’ai mieux cerné le comportement de certains acheteurs ainsi que celui des collectionneurs d’art.

- Comment et pourquoi as-tu décidé d’arrêter ce projet ?

- Quand ce projet s’est arrêté après 14 mois intensifs, j’ai tout d’abord soufflé. J’étais aussi très triste de perdre mon atelier mais j’étais heureuse de retrouver du temps pour ma famille.

J’ai effectivement décidé de continuer à faire du ménage chez les Flamands. Ça faisait un an que je faisais ça à mi-temps et ça me convenait, dans le sens, où je n’étais responsable que de moi, hors ça, après le travail d’aide-soignante (Zorgkundige), ça n’avait pas de prix. Les horaires sont par tranches de 4 heures ce qui fait une belle différence avec le boulot d’aide-soignante à domicile (Verzorgende). Tu ne cours pas dans tous les sens, pour faire une heure par-ci, deux heures par-là… J’ai préféré apprendre à respecter mon rythme quitte a gagner un peu moins à la fin du mois. De plus, les horaires collent parfaitement à ceux du système scolaire. Je suis libre de me déplacer en vélo, moi qui n’aime pas tellement la voiture, mais ce qui me plaît par- dessus tout, c’est de pouvoir avoir de nouveau mon esprit et mes pensées disponibles rien que pour moi.

Bref, j’ai trouvé dans ce système tout un tas de points positifs qui me font tenir. Mais bien sûr qu’au fond de moi je souffre profondément de cette « dégringolade » dans l’échelle sociale. Je suis une transfuge de classe, mais dans l’autre sens, hahaha !

- Comment réagit ton entourage ?

- Il y en a qui comprennent, ce sont ceux dont je suis le plus proche et qui connaissent vraiment ma vie. Il y a ceux qui jugent sans savoir et qui me rejettent la faute : « Elle n’avait qu’à pas changer de pays » ; « Elle n’avait qu’à pas faire un gosse » ; « Elle n’avait qu’à choisir d’autres études »… Beaucoup ne veulent pas chercher à comprendre car cela remettrait en question tout un système de valeurs dans lequel ils se sont construits et ça, c’est très perturbant.

Parfois le déni de certaines réalités sociales est la solution la plus pratique, surtout pour celui qui n’est pas directement concerné, alias le fameux mâle-cis-genre, blanc… Cela lui permet de continuer à vivre tranquillement au sein des différentes fables qui constituent sa vision du monde. La fable du système éducatif, celle de la méritocratie, celle de l’égalité des chances, celle de l’égalité des genres, celle de l’antiracisme… Pour ne citer que les plus basiques.

- Que dis-tu aux gens qui voient ce métier d’un mauvais œil ?

- Ceux qui n’ont pas de respect pour les travailleurs/travailleuses invisibles qui nettoient notre monde et les fesses de leurs parent.e.s, sont ceux-là même qui le salissent et le polluent le plus. Je me dis qu’ils brûleront en enfer ! Hahaha, non je rigole.

Je suis parfois obligée de travailler pour eux, c’est un comble ! Donc je ferme ma bouche. Hahaha, c’est fou ! Non plus sérieusement, sur 10 personnes qui font appel aux titres-services, il y en a deux qui te méprisent, trois qui n’ont aucune curiosité à ton égard, quatre qui sont correcte et te proposent un café et puis un qui devient ton ami-e et qui t’offre carrément des cadeaux. Mon expérience est précieuse, je garde mon regard critique bien au chaud afin qu’il en sorte une belle création par la suite. C’est toujours comme ça que ça fonctionne quand on est artiste.

- Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais ajouter ? Des remerciements ?

- Oui, je veux dire merci à toutes les femmes qui ont cru en mon travail et qui ont essayé, avec le pouvoir qui est en leur possession, de me soutenir au mieux. Merci les meufs, du fond du cœur, vous êtes les meilleures ! On va y arriver.

Interview : Roxana Černický

Photo de bannière : Clara dans son atelier, 2018

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> Instagram Clara Fanise

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> site de Marion Sagon

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