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Entretien avec Clara Fanise (2) : découverte de son talent et entrée aux Beaux-Arts

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Équipée de crayons, de feutres et de sa capacité raffinée à observer le monde, Clara Fanise dessine des univers colorés, minutieux et sensibles. La créativité ne connait pas de limite chez cette artiste plasticienne. Pour ce second épisode d'un entretien au long cours, elle revient sur le choix de ses études artistiques.

Une interview en 5 chapitres :

  1. D'où viens-tu ?
  2. Comment as-tu découvert ton talent ?
    Et comment as-tu décidé d'étudier les beaux-arts ?
  3. Épisode bruxellois (1) - artiste et mère à Bruxelles
  4. Épisode bruxellois (2) - artiste dans un milieu très genré
  5. Épisode courtraisien

Comment et quand as-tu découvert ton talent artistique ?

Je ne l’ai jamais découvert, ce sont les autres qui disaient que j’étais douée, depuis toujours, ce sont les autres qui disaient que j’avais « une âme d’artiste ». Quand je suis retombée sur les dessins que je faisais gamine, je n’ai pas trouvé ça fou-fou. J’ai un regard critique aujourd’hui et je trouve mes dessins d’enfant plutôt coincés. Je pense qu’à l’époque j’avais compris ce que les adultes attendaient de moi et je m’exécutais. À cette époque, il était très important de ne pas dépasser, il fallait « bien faire », remplir des belles surfaces sans faire trop de traces... Je me conformais à leurs attentes en vérité, afin de recevoir des compliments et de l’attention positive de leur part.

Et puis surtout j’avais d’autres talents artistiques, mais qui demandaient plus d’investissement et de constance de la part de ceux qui m’entouraient, alors je ne les ai pas développés. J’étais très musicale par exemple. Aujourd’hui, je me rattrape et j’apprends à jouer de l’accordéon diatonique, en amateure, c’est cool.

Je m’accommodais du présent : jouer avec mes frères et mes voisin·e·s, partir seule dans la nature, la forêt, les grottes, écouter les ruisseaux. J’avais une grande liberté, enfant dans le petit village de montagne où nous vivions. Par contre, je disais très souvent que je m’ennuyais… Alors on me répondait que c’était bien, que c’était bon pour l’imagination de s’ennuyer et puis on me mettait un papier sur une table, des beaux crayons de couleurs Caran d’Ache entre les doigts et voilà… je dessinais.

Les adultes étaient occupés avec leur travail, leurs relations, leurs histoires de cul et leurs histoires de cœur. Ils avaient leurs problèmes et tentaient d’avancer dans leur vie. Mes parents ont divorcé et moi, secrète, je me suis renfermée sur le seul être sur lequel je pouvais vraiment compter : mon chat. Mais cet abruti n’a pas regardé avant de traverser la route et il s’est fait écraser par une voiture.

J’ai retrouvé récemment un dessin collage que j’avais fait à ce moment-là, il est magnifique. On y voit la moitié de mon visage d’enfant qui pleure et l’autre moitié est une tête de chat blanc que j’avais découpée dans un magazine. Mi fille-mi chat. Je pense que c’est la création la plus sincère et profonde de toute mon enfance ! — Clara Fanise
Clara-Fanise-8-ans-et-son-chat-1990

Clara, 8 ans, 1991

Plus tard dans mes études j’ai appris que l’art regorgeait de figures mi-femme mi-animal, mi-homme mi-animal. Depuis l’art pariétal, c’est-à-dire depuis la nuit des temps, ces représentations existent. Elles sont d’une puissance phénoménale. Puis en littérature au lycée, j’ai étudié les mythes et les créatures hybrides, c’est un sujet artistique toujours d’actualité, il n’y a qu’à voir la pop culture qui regorge de loups-garous, de vampires et de centaures. À la pré-adolescence j’ai développé un amour immense pour l’art égyptien. Je voulais devenir archéologue, et plus précisément égyptologue. J’ai fait beaucoup de dessins sur cette époque, le buste de Néfertiti aux craies grasses, en couleurs, celui très connu de Toutankhamon à la mine de plomb et puis tous les autres. Anubis, la statuette volée du dieu funéraire de l’Égypte antique, ornait ma petite étagère, je connaissais toutes les divinités et je lisais tous les romans à la con de Christian Jacq.

J’entrais dans les années collège et les vraies difficultés ont commencé : le harcèlement à l’école, la perversité qui était entrée dans notre famille recomposée, secrète. Mon père, parti. Les histoires d’amours qui arrivent trop tôt, qui sont ratées et qui te dévient de ta route. La clope…

D’aussi loin que je me rappelle, je n’ai jamais eu de sentiment d’appartenance, j’ai toujours été en dehors, à côté, différente, et ça n’était pas de tout repos de se sentir comme ça, en décalage permanent avec la société et les autres. — C. F.

Par exemple, dans mon village, les enfants de mon âge étaient catholiques, ils allaient au catéchisme. Moi, mes parents, avant leur divorce, avaient une religion bizarre, inconnue, et ma grand-mère était athée. Elle avait même une profonde aversion pour les religions. Je ne suis pas chrétienne et je n’ai jamais été baptisée, à l’époque dans les années 1980, ça n’était pas courant. Un dimanche j’étais allée accompagner une copine qui allait à la messe, j’avais dormi chez elle et j’étais tout heureuse de découvrir ça, mais quand à la fin, nous, les enfants, nous nous sommes mis·e·s en rang dans la nef pour recevoir l’hostie, le prêtre m’a écarté de son bras et je n’y ai pas eu droit.

Clara, à côté, à part.

Au collège, je n’avais pas de très bonnes notes, ma moyenne devait être aux alentours de 11, 12/20. J’avais la tête et le cœur traumatisés par des choses d’adultes que je n’aurais pas dû connaître à cet âge-là et ça me perturbait dans mon développement et mon apprentissage. Je me souviens avoir eu un rendez-vous avec une conseillère d’orientation qui, malgré le fait que je disais vouloir faire une formation plus concrète et courte, me poussait à continuer vers le lycée général, option arts plastiques.

Clara-Fanise-en-résidence-Cran-gevrier-2010

Clara en résidence, 2011

À cette époque, j’ai aussi dit que je voulais devenir potière, alors on a pris la route longtemps pour m’emmener à Vallauris, on m’a montré des jeunes filles qui peignaient des cigales à la chaîne dans les arrière-boutiques en me demandant si c’était ça que je voulais faire. Comme j’ai senti le ton inquisiteur, j’ai répondu que « Bien sûr que non » mais je me rappelle qu’au fond de moi je m’étais dit que « Oui, j’aimerais bien faire ça », peindre de façon répétitive des cigales en terre cuite avec des émaux gris. Arrêter de penser. Les couleurs apparaîtraient à la cuisson, doucement… Et puis qui sait, j’aurais pu devenir une très bonne potière ? Avoir une galerie dans le beau village de Vallauris et fabriquer des céramiques d’art en raku.

Au lycée en option arts plastiques, ça a foiré, j’ai pris la poudre d’escampette et je passais mes journées à sécher l’école. Je côtoyais les sans-abris de la vieille ville d’Annecy, j’avais quinze ans, la rage, et je vivais ma première histoire d’amour avec un beau punk de dix-sept ans qui était lui aussi un rejeté de la vie. Un enfant brisé des Témoins de Jéhovah. On se comprenait bien et on s’aimait à la folie. De peur que je tombe dans la drogue, alors que ça ne m’attirait pas du tout, je me suis retrouvée envoyée chez mon père, à 500 kilomètres de là ! Hop, une réorientation scolaire et une distance suffisante qui devrait permettre de couper les liens avec mon amoureux… Après un an de relation à distance, on s’est quittés. Mon père le trouvait bête, ma mère l’avait recueilli pour le sauver. Il est devenu tatoueur à Annecy.

En Arts appliqués, dans la petite école d’Aix-en-Provence, j’ai développé une belle créativité et mon dossier scolaire était top, j’ai eu le bac avec mention. J’ai aussi pu renouer des liens profonds et de confiance avec mon père, lui qui nous avait « quittés » quand j’avais neuf ans.

Ce que je préférais faire dans mes cours, c’était les analyses d’œuvres d’art par écrit. J’adorais plus que tout ma prof de français ainsi que celle d’histoire de l’art. Faire des dissertations sur des corpus d’œuvres, les mettre en lien avec l’époque et la vie des artistes, ça me passionnait. Le mot qui retentissait dans la bouche des enseignants à mon égard était : pertinente.

Ok, j’avais beau être pertinente à l’école, j’étais perdue dans ma propre vie.

Puis il a fallu choisir la suite et là ça a été compliqué car j’avais dix-huit ans, mon bac en poche et je ne savais pas quoi choisir. En plus j’avais la tête prise par une relation amoureuse bancale avec un mec qui venait de perdre sa mère d’un cancer du sein et dont le père était homo, sidaïque… bref, du bien lourd à porter. Avec mon petit syndrome d’infirmière, j’avais essayé d’alléger sa vie mais finalement je n’avais fait que compliquer et alourdir la mienne.

Ma mère voulait pour moi une formation courte et qualifiante, car elle flippait grave du chômage. Elle ne croyait pas en la fac et malgré le fait que les meilleures écoles de Paris voulaient me recevoir à bras ouverts, nous avons décidé que j’irais à Lyon en BTS communication visuelle, à La Martinière Terreaux. Je ne me souviens pas où était passé mon père dans cette décision...

Sauf qu’il s’est avéré très vite que je détestais travailler des images sur ordinateur, un comble pour une formation dans la communication visuelle ! Encore aujourd’hui je hais cela, profondément, viscéralement. — C. F.
Clara-Fanise-dessin-maison-des-cerisiers-2009

Clara, 2009, Dessins périphériques, Bruxelles.

Alors ça a foiré, j’ai arrêté le BTS, j’ai fait une dépression, non diagnostiquée et surtout non soignée à ce moment-là. J’avais dix-neuf ans.

Quand et pourquoi as-tu décidé d’étudier les beaux-arts et te lancer en tant qu’artiste indépendante ?

Comme je le raconte plus haut, c’est mon père qui m’a conseillé de faire les Beaux-Arts, il avait un ami qui était directeur d’une école supérieure d’art et je pense que c’est sur ses conseils qu’il m’a orienté.

J’ai vraiment adoré ces années-là, et j’étais douée. Je pense que l’école de Montpellier était celle qu’il me fallait, car celle d’Aix-en-Provence était beaucoup plus axée sur les nouvelles technologies et ça n’a jamais été trop mon kif. Après trois ans, j’ai obtenu le premier diplôme avec mention et, après cinq ans, j’ai obtenu le master avec les félicitations du jury. Les deux dernières années ont été les meilleures pour moi car c’est vraiment là que l’étudiant artiste trouve sa singularité et qu’il développe sa propre pratique artistique.

Clara-Fanise-Miroir-Panacée

Dessin au miroir à la Panacée, Montpellier.

Interview : Roxana Černický

Photo de bannière : Clara Fanise en résidence, 2011

> site Clara Fanise
> Instagram Clara Fanise

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