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Entretien avec Clara Fanise (4) : artiste dans un milieu très genré

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Équipée de crayons, de feutres et de sa capacité raffinée à observer le monde, Clara Fanise dessine des univers colorés, minutieux et sensibles. La créativité ne connait pas de limite chez cette artiste plasticienne. Pour ce quatrième épisode d'un entretien au long cours, elle évoque son parcours de femme dans un milieu artistique particulièrement genré.

Une interview en 5 chapitres :

  1. D'où viens-tu ?
  2. Comment as-tu découvert ton talent ? Et comment as-tu décidé d'étudier les beaux-arts ?
  3. Épisode bruxellois (1) - artiste et mère à Bruxelles
  4. Épisode bruxellois (2) - artiste dans un milieu très genré
  5. Épisode courtraisien

Est-ce que tu as eu accès aux différentes aides financières pour les artistes ?

Oui, mais elles n’ont pas été belges. Dans l’année qui a suivi mon diplôme, j’ai obtenu une bourse d’aide à la création de la Région Languedoc-Roussillon. J’étais encore très active là-bas et c’était le résultat de mon travail en collaboration avec la galerie Iconoscope.

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Dessin de pluie, 2013, exposé à la galerie Iconoscope et à la galerie LJ, Paris

À Bruxelles, les personnes qui m’ont soutenue, avec leurs possibilités, sont les femmes de l’équipe du Centre Wolubilis. Elles m’ont proposé d’animer des cours du soir, au rythme d’une fois par semaine, et d’animer quelques stages pour adultes pendant les périodes scolaires. J’ai trouvé ça bien plus chouette qu’avec des enfants et puis c’était décemment rémunéré. Ce qui ne m’a pas empêchée de décider de quitter ce petit boulot d’appoint, afin de devenir aide-soignante et d’avoir un véritable salaire à la fin du mois.

Quels sont les moments qui t’ont fait sentir que ça avançait pour ta carrière ?

Quand une galerie parisienne m’a contactée pour intégrer mes dessins dans une exposition collective pendant la semaine du dessin contemporain. L’année suivante, elle avait même été sélectionnée dans les galeries émergentes au sein du Salon du dessin contemporain « Drawing Now » au Carreau du Temple. J’étais tellement heureuse d’avoir des dessins en vente dans cet événement de très grande qualité, au cœur de Paris. Par contre la sélection est drastique, même pour les bonnes galeries, et elle n’a plus repassé le cap de la sélection les années suivantes. Notre collaboration s’est étiolée d’elle-même après une exposition là-bas, où mon travail ne s’est pas beaucoup vendu. Je n’avais pas voulu être présente le soir du vernissage, ce qui a peut-être compté dans la balance. À ce moment-là de ma vie, j’étais en pleine séparation du père de mon fils et, honnêtement, je n’avais pas du tout envie de jouer le jeu des mondanités parisiennes.

Comme feed-back de cette exposition, on m’avait dit que, pour Paris, le problème c’était mes grands formats. Les collectionneurs, là-bas, vivent dans des appartements restreints, ils n’ont plus de place aux murs pour de grandes œuvres.

J’ai aussi entendu pour la première fois de ma vie le discours comme quoi, le problème avec moi était que je venais de la classe sociale moyenne et que je n’avais pas suffisamment de soutien financier en background pour pouvoir m’adonner à mon art complètement, et « percer », comme on dit. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai ouvert les yeux sur ce monde, moi qui, jusque-là, avais gobé le beau discours de la méritocratie à la française... — Clara Fanise

Si tu avais le temps et les moyens, quelle réponse artistique voudrais-tu donner à l’inégalité des genres ?

Oh, j’ai tellement d’idées ! Déjà, j’aimerais refaire tout mon parcours en signant d’un nom d’homme, pour voir la différence !

À l’image de cet artiste français vivant en Chine, qui, devant ses échecs successifs, a eu la bonne idée, avec son galeriste, de se faire passer pour un Chinois. C’est son galeriste qui répondait aux interviews et, le soir des vernissages, l’artiste prétextait un déplacement à l’autre bout du monde, pour d’autres événements plus importants… Il s’appelle Alexandre Ouairy et il a vendu ses œuvres pendant dix ans sous le pseudonyme chinois de « Tao Hongjing ».

Il était intelligent et avait bien compris que, dans ce pays, les acheteurs étaient patriotiques. Moi il m’a fallu du temps pour comprendre que je vis dans une société patriarcale et qu’ici, non seulement les acheteurs sont sexistes, mais les galeristes aussi, ainsi que les directeurs de musées, les directeurs d’écoles, de nombreux enseignants et quasiment tout le milieu en vérité.

C’est le regardeur qui fait le tableau. Mais le regardeur lit aussi le cartel qui accompagne le tableau. — C. F.

Il y projette tout son affect et toute sa culture genrée, une fois qu’il a vu s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. C’est comme si son regard et son appréciation même de l’œuvre changeait après avoir eu cette information.

Or, le travail des femmes en Europe est largement déprécié, peut-être pas en Suède ou en Norvège, encore que je n’y ai pas vécu. Pour le monde de l’art, il suffit de regarder les statistiques concernant le nombre de femmes exposées dans les musées, le nombre de femmes citées dans les livres d’art, le nombre d’œuvres féminines présentes dans les collections publiques, en rapport avec le nombre d’artistes hommes exposés dans les musées, le nombre d’œuvres masculines présentes dans les collections. C’est une catastrophe, il n’y a aucune égalité. Alors même que nous sommes plus nombreuses dans les écoles d’art en tant qu’étudiantes… mais où passent les femmes ? C’est une vraie question.

J’ai ma petite idée concernant les réponses possibles…

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Clara et Arsène dans le lieu parents-enfants de la Maison des Cultures. Les mamans, oui !

Quand on voit tous les hashtags « balance » après la déferlante #Metoo, la parole se libère enfin, on comprend que le problème est global et dans tous les milieux. On a besoin d’un changement de paradigme. Le harcèlement sexuel en école d’art, je l’ai vu, je l’ai dénoncé et que s’est-il passé à l’époque en 2007 ? Le directeur m’a donné rendez-vous dans son bureau pour me silencier. C’est très grave tout ça !

Quant à la question des femmes, il n’y a qu’à se dire que « La Journée de la Femme » existe et vous avez une réponse à la magistrale connerie de ce monde. On parle d’artistes femmes, mais pas d’artistes hommes, on parle d’œuvre féminine, mais pas d’œuvre masculine, il est là le problème ! L’homme, dans sa toute puissance omniprésente, s’octroie le privilège d’être l’étalon, la norme impensée du truc. Or nous les femmes, on ne veut plus ça. On veut qu’il réfléchisse aussi, le mâle, et qu’il arrête de prendre toute la place, qu’il arrête d’avoir toutes les meilleures places…

Qui sont les décideurs ?

Mais pour revenir à votre question concernant une belle réponse artistique quant à l’inégalité des genres, j’ai une idée grandiose ! Seulement c’est toujours là, le nerf de la guerre, il faudrait un budget et des moyens à la hauteur de l’idée pour que ça rende bien.

Dans l’art, son histoire et ses représentations, on a souvent ramené « La » femme à une figure objectivée, elle ne fait pas le tableau, non, elle est représentée dans le tableau. Elle est le sujet même des projections fantasmées masculines. Elle est l’objet du désir, et devient corps sexualisé…

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Érotisons les hommes aussi. Dessin « hfh »

C’est pareil pour les sculptures, femmes sans bras, ni têtes, corps coupés ne laissant plus que la place aux fesses et aux seins. C’est d’une violence sans nom. Le tout installé partout dans l’espace public, aux yeux de tous, comme si c’était beau et normal. — C. F.

Avec ce projet artistique de grande ampleur, je veux remettre en question cette mauvaise norme. J’aimerais que dans chaque ville, à côté de chaque sculpture représentant une femme, ou un bout de femme coupé, on y appose, en gris neutre, son pendant masculin, sur le même mode de représentation. Ce serait hyper-puissant comme installation.

À l’inverse et dans une démarche tout aussi égalitaire, je vois déjà, à côté des « grands hommes » montés sur leurs grands chevaux, des « grandes femmes », guerrières amazones, montées sur leurs grands chevaux. Je veux que, tout comme eux, elles soient installées sur des socles, doubles socles, triples socles, dans les endroits stratégiques de puissance. Je veux que les passant·es, femmes, hommes, petites filles, petits garçons lèvent la tête a s’en casser le cou pour pouvoir contempler ces grandes femmes.

Je veux des fontaines faites de beaux corps dénudés d’hommes ruisselant sous le doux clapotis de l’eau fraîche, se tenant par les mains, joyeux, sensuels, riants. Les Trois Grâces version hommes. En plus c’est tellement beau des fesses d’hommes !

Voilà, pour mon projet grandiose. À défaut de l’avoir réalisé, vous qui avez lu ces quelques lignes et qui avez le don d’imagination, ouvrez les yeux la prochaine fois que vous serez dans une ville. Regardez bien les œuvres qui se trouvent dans l’espace public et imaginez leur pendant féminin/masculin en fonction de ce qu’il manque.

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Maternage proximal

Quand es-tu devenue maman et qu’est-ce que ça a changé pour ta carrière ?

Je suis devenue maman à l’âge de 28 ans et ça a vraiment mis ma carrière artistique à mal. Je n’avais pas encore totalement « percé », même si j’avais une certaine reconnaissance. J’ai dû mettre ma pratique artistique en pause, afin de nous assumer matériellement. S’en sortir avec peu quand on est jeune c’est possible, mais avec un enfant, non merci !

Je suis donc passée du nom de « jeune artiste émergente » comme ils nous appellent, à celui de jeune maman en galère, et puis, et bien… j’ai disparu du monde de l’art, comme tant d’autres. Comme les fameuses étudiantes supérieures en nombre dans les fameuses écoles supérieures des Arts. — C. F.

Interview : Roxana Černický

Photo de bannière : Clara Fanise dans son atelier

> site Clara Fanise
> Instagram Clara Fanise

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