Dix-huit chansons qui défendent le droit d'être femme
Sommaire
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Des chanteuses prennent la parole
Pour commencer, écoutons « Je voudrais être mariée », peut-être la plus poignante chanson traditionnelle sur la condition féminine, merveilleusement interprétée ici par Arlt en 2010.
[…]
Je voudrais être enceinte
J’irais peut-être plus au champ
Je voudrais être enceinte
J’irais peut-être plus au champ
Voilà la belle enceinte
Elle va toujours au champ
[...]
Je voudrais être morte
J’irais peut-être plus au champ
Je voudrais être morte
J’irais peut-être plus au champ
Voilà la belle morte
Elle ne va plus aux champs
Enchainons avec deux chansons plus actuelles incontournables qui mettent à l’honneur les « grandes femmes », qu’elles soient célèbres ou anonymes.
Tout d’abord, le chef-d’œuvre d’Anne Sylvestre. Personnellement, je ne connais pas plus belle ode à la femme qu’« Une sorcière comme les autres » (1975). Cette chanson rend hommage à toutes les femmes en invitant fortement les hommes à être doux avec elles, à reconnaître leur importance, leurs rôles dans ce monde où certains malotrus les ont bousculées, rejetées, maltraitées.
Je vous ai porté vivant
Je vous ai porté enfant
Dieu comme vous étiez lourd
Pesant votre poids d’amour
Je vous ai porté encore
À l’heure de votre mort
Je vous ai porté des fleurs
Je vous ai morcelé mon cœur
Quand vous jouiez à la guerre
Moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières
Les barreaux de vos prisons
Quand vous mourriez sous les bombes
Je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe
Avec tout le malheur dedans
Ce n’est que moi, c'est elle ou moi
Celle qui parle ou qui se tait
Celle qui pleure ou qui est gaie
C’est Jeanne d’Arc ou bien Margot
Fille de vague ou de ruisseau
Et c'est mon cœur ou bien le leur
Et c'est la sœur ou l’inconnue
Celle qui n’est jamais venue
Celle qui est venue trop tard
Fille de rêve ou de hasard
Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres
J’ai choisi la version en public avec Pauline Julien de 1988 qu’on retrouve sur l’album Gémeaux croisées réédité en 2018 par EPM.
Et puis, penchons-nous sur les fantasmes de Juliette (« Rimes féminines » , 1996). Après avoir désiré renaître en toute une série de femmes célèbres plus ou moins extraordinaires, la diva termine ce bel hommage d’envergure aux femmes par ces propos magnifiques :
Mais si tant de souhaits vous chagrinent
S’il est contraire à la doctrine
De viser haut dans les karmas
Alors faites dans l’anonymat
En attendant que tout bascule
Que Satan ne me congratule
Ou que les anges me fassent la fête
Permettez une ultime requête
Faites-la renaître, votre frangine
En n’importe qui, en fille d’usine
En fille de rien ou de cuisine
En Croate ou en Maghrébine
En Éponine, en Clémentine
En Malka Malika ou Marilyn
Et si votre astrale cuisine
Par hasard ne le détermine
J’accepterai, par discipline,
De revenir en cabotine
En libertine, en gourgandine
Tiens, en Juliette Noureddine !
Voici maintenant, plusieurs chansons qui dénoncent la vision machiste qui règne encore parfois dans nos sociétés et qui expriment toutes les pressions sociales que peuvent parfois subir encore les femmes.
Dans, « Ne vous mariez pas les filles » interprété par Michèle Arnaud en 1964, Boris Vian, sur un ton humoristique, invite les filles à s’émanciper, à se libérer du poids d’entretenir un mari qui deviendra au fil des ans peu ragoûtant et parfois même infidèle.
[…]
Avez-vous vu un homme trop gros
Extraire ses jambes de son dodo
Se masser le ventre et se gratter les tifs
En regardant ses pieds l'air pensif?
[…]
Ne vous mariez pas, les filles, ne vous mariez pas
Mettez vos robes de gala
Allez danser à l'Olympia
Changez d’amant quatre fois par mois
Prenez la braise et gardez-la
Cachez la fraîche sous vos matelas
A cinquante ans, ça servira
A vous payer des beaux petits gars
Rien dans la tête, tout dans les bras
Ah, la belle vie que ça sera
Si vous ne vous mariez pas
Dans « L’Enceinte vierge » (2001), Agnès Bihl navigue dans les mêmes eaux « malsaintes », en dénonçant les dictats du pape et de la religion en matières de protection contre les maladies sexuellement transmissibles, de contraception, d’avortement, … Un texte trash pour une réalité qui ne l’est pas moins.
Dans les cités, les bidonvilles
Le pape bénit la pauvreté
Ça passe le temps, ça tient tranquille
Ceux qui n’ont plus rien à becqu’ter
Et puis le Très Saint-Père a dit
Faut faire des gosses, même séropos
Ils iront vite au paradis
D’façons ici, y a pas d’boulot
Oh dis, monsieur, qu'est-c’qui s’pass’rait
Si la Sainte Vierge, elle avortait
Sans l’paradis, ce s’rait p’têt’ mieux
S’te plaît, fais-moi rêver un peu...
Dans « Patriarcat » (1977), Brigitte Fontaine, au travers d’un texte coup de poing qui multiplie les métaphores volontairement absurdes, fustige l’esprit de « droite » de nos sociétés qui, selon elle, sont encore et toujours fondées sur la détention de l’autorité par les hommes.
En direct de l’arbre de transmission. L’organisation du contrôle est une performance de haut niveau, score trois à zéro.
Ulysse a gagné, battant Zorro et King Size est vainqueur à droite de votre écran. […]
En tête, les trois enfants élevés par la police dans un but éducatif et dans l’esprit du loisir (qui est le frère de la production) nous déclaraient bravo les femmes qui ne pleurent pas. […]
Pour être plus belle, chérie sois plus belle, oh chérie, je suis ton président, mon taux de croissance est supérieur à celui d’un patron de gauche. Car il n’y en a pas, de même qu’il n’y a pas d’homme de gauche, quand il s’agit de femmes.
Il n’y a que des hommes de droite dans la seule patrie existante sur la Terre : Patria, Patriarcat patriarcal, Patriarcat patrie. […]
Voici encore une chanson d’Anne Sylvestre, et un autre chef-d’œuvre ! Alors que la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse ne sera adoptée qu’en 1979, la merveilleuse plume de l’auteure la plus féministe de la chanson frappe fort en 1974 avec « Non, tu n’as pas de nom » qui revendique le droit des femmes à disposer de leur corps :
Savent-ils que ça transforme
L’esprit autant que la forme
Qu’on te porte dans la tête
Que jamais ça ne s’arrête
Tu ne seras pas mon centre
Que savent-ils de mon ventre
J’ai choisi de vous faire écouter la version de la grande chanteuse québécoise Pauline Julien, qui a interprété avec intensité plusieurs chansons de son amie Anne Sylvestre avant de nous quitter en 1998.
Dans « Quand c’est non, c’est non » (2014), Jeanne Cherhal, entourée des Françoises (Camille, La Grande Sophie, Emily Loizeau, Olivia Ruiz et Rosemary Standley) clame haut et fort le droit de refuser les avances des mâles non désirées. Elle exprime mieux que personne cette tendance qu’ont certains hommes à croire qu’il faut insister, voire quelque peu « forcer » la femme pour qu’elle s’offre.
Avec la finesse qu’ont parfois les bêtes
Face à la princesse, il dit, suis-je bête
Entre haut et bas souvent femme varie
Si elle se débat c’est pour mieux dire oui
Mais quand c’est non c’est non
Quand c’est non dommage
Range ton crayon ta plume sauvage
Quand c’est non c’est non
Quand c’est non mon vieux
Range ton bâton et place aux adieux
Dans « Je suis un pédé refoulé » (2015), Claire Diterzi qui ne se fait pas prier pour bousculer notre petit monde pousse le bouchon encore plus loin affirmant qu’elle a plus de couilles que la plupart des hommes.
Je suis un pédé refoulé
Oui j’aime les hommes
Rien que de l’avouer j’en frissonne
Le fait est que j’ai remarqué
Que je sécrétais
De la testostérone
En quantité
Ce qui fait de moi
Un pédé à contre-emploi
Un pédé refoulé
J’ai bien plus de couilles que toi
Alors que je ne suis qu’une femme
2018-2019, années de la cause des femmes en chansons
Les années 2018-2019 peuvent être considérées comme étant celles de la cause des femmes en chanson. Voici quatre exemples frappants qui en témoignent.
39 FEMMES, c’est Mayra Andrade, Jennifer Ayache, Nawel Ben Kraiem, Blondino, Brigitte, Karen Brunon, Buridane, Amina Cadelli, Barbara Carlotti, Chat, Les Coquettes, Anaïs Croze, Camille Faure, Alma Forrer, Zaza Fournier, Élodie Frégé, HollySiz, Agnès Jaoui, Mai Lan, Clara Luciani, Luciole, Madjo, Carole Masseport, Inna Modja, Sandra Nkaké, Ornette, Lili Poe, Pomme, Barbara Pravi, Olivia Ruiz, La Grande Sophie, Elisa Tovati, Calypso Valois, Diane Villanueva, Cléa Vincent et Julie Zenatti.
Le 23 novembre 2018, ces professionnelles de la chanson se sont rassemblées pour reprendre « L’Hymne du MLF » au profit de la Maison des femmes de Paris (Saint-Denis). Cette chanson créée collectivement en mars 1971 par des militantes féministes à Paris est devenue un emblème du Mouvement de libération des femmes (MLF) et plus généralement des luttes féministes francophones. 39 FEMMES étonne (et interpelle sans doute mieux les auditeurs) en interprétant tout en douceur la fameuse chanson contestataire rebaptisée pour le coup « Debout les femmes ».
[…]
Asservies, humiliées, les femmes
Achetées, vendues, violées
Dans toutes les maisons, les femmes
Hors du monde, reléguées.
Debout femmes esclaves
Et brisons nos entraves
[…]
Le temps de la colère des femmes
Notre temps, est arrivé
Connaissons notre force, les femmes
Découvrons-nous des milliers !
Debout femmes esclaves
Et brisons nos entraves
39 FEMMES : « Debout les femmes » (2018) - sorti uniquement sur le Net
Quand on voit la collection de tubes que contient son album Brol, Angèle est sans conteste la chanteuse francophone de 2019. « Balance ton quoi », avec humour et autodérision, aborde le sujet très actuel du mouvement #MeToo.
Ils parlent tous comme des animaux
De toutes les chattes ça parle mal
2018 j’sais pas c’qui t’faut
Mais je suis plus qu’un animal
J’ai vu qu’le rap est à la mode
Et qu’il marche mieux quand il est sale
Bah faudrait p’t’être casser les codes
Une fille qui l’ouvre ça serait normal
Balance ton quoi
Même si tu parles mal des filles je sais qu’au fond t’as compris
Balance ton quoi, un jour peut-être ça changera
Balance ton quoi
Donc laisse-moi te chanter
D’aller te faire en, hmm-
Ouais j’passerai pas à la radio
Parce que mes mots sont pas très beaux
[…]
Autre figure féminine remarquable de 2019, Clara Luciani a écrit son propre hymne des femmes insoumises, le bien-nommé « La grenade » (2018).
Hé toi
Qu’est-ce que tu regardes?
T’as jamais vu une femme qui se bat
Suis-moi
Dans la ville blafarde
Et je te montrerai
Comme je mords, comme j’aboie
Prends garde, sous mon sein la grenade
Sous mon sein là regarde
Sous mon sein la grenade
[…]
Il faut souligner aussi le talent de la chanteuse Suzane qui a également marqué 2019 avec sa chanson coup de poing « SLT » dont le titre fait référence au mot « salut » mais aussi à « slut » en anglais qu’on peut traduire par « salope ».
Au travers d’un rap électro raffiné, Suzane met en scène trois histoires glauques qui arrivent à des femmes d’aujourd’hui. La première demoiselle se fait salement aborder en rue par un homme qui finit par l’injurier. Dans le second couplet, une employée est oppressée par son patron qui use de sa position de force pour la pousser à accepter ses avances. Le dernier tableau montre une femme qui reçoit sur son ordi, à la maison, sans avoir provoqué quoi que ce soit, un message salace et une photo explicite d’un type qui n’hésite pas à la dénigrer. Une chanson importante dénonçant ces genres de harcèlement, qui sont encore le lot quotidien de nombreuses filles. Retenons le message de lutte du refrain :
« Souffle, serre les dents
Comme d’hab tu te tais
Souffle, sois prudente
Marche dans le couloir d’à côté
Tu es une pouffe, c’est devenu courant
De l’entendre trois fois par journée
Un gentil peut devenir méchant
Faut pas croire aux Disney
Bats-toi fillette
Bats-toi, bats-toi, bats-toi »
Des chanteurs s'expriment en faveur des femmes.
Dans « La Complainte des filles de joie », parue en 1962, Georges Brassens rend un véritable hommage à ces filles de joie, que la loi du 13 avril 1946, interdisant les maisons de tolérance, a rejetées dans la rue. C’est précisément parce qu’elles sont méprisées par ces vaches de bourgeois, qui pourtant font appel à leurs services, que Brassens a de l’estime pour ces femmes. Malmenées par la police, elles sont menacées par la maladie – la syphilis en l’occurrence –, et ne bénéficient, au début des années soixante, d’aucune protection sociale ou juridique.
En 1975, Jean Ferrat, fut le premier à considérer toute l’importance de la femme dans le monde actuel, en faisant sienne la célèbre maxime du poète Louis Aragon : « L’avenir de l’homme est la femme » (Le Fou d’Elsa).
[…]
Il faudra réapprendre à vivre
Ensemble écrire un nouveau livre
Redécouvrir tous les possibles
Chaque chose enfin partagée
Tout dans le couple va changer
D’une manière irréversible
Le poète a toujours raison
Qui voit plus haut que l’horizon
Et le futur est son royaume
Face aux autres générations
Je déclare avec Aragon
La femme est l’avenir de l’homme
(« La Femme est l’avenir de l’homme »)
Une manière de penser qui ne convainc pas Jacques Brel qui, trois ans plus tard, dans « La Ville s’endormait », a eu besoin d’exprimer : Mais les femmes toujours / Ne ressemblent qu’aux femmes / Et d’entre elles les connes / Ne ressemblent qu’aux connes / Et je ne suis pas bien sûr / Comme chante un certain / Qu’elles soient l’avenir de l’homme.
En 1997, Charles Aznavour reconnaissait lui aussi « Le Droit des femmes », sensibilisant ses confrères au fait que les femmes se sont battues pour acquérir des droits et qu’elles ne les lâcheront plus.
Bien des choses ont évolué, depuis que Rome
Voulait les culpabiliser, pour une pomme
Les femmes se sont libérées, il faut voir comme
Il faudra nous y habituer, nous les bonshommes
Le droit des femmes n’est plus – je le proclame ! – ce que jadis il fût
Ces dames se sont battues mais l’ont eu, le droit des femmes, et ne le lâcheront plus
Et pour terminer, voici deux chansons où des hommes expriment leur frustration de ne pas pouvoir « vibrer » comme les femmes.
Dans « La Honte de pleurer » (1979), Serge Reggiani raconte l’histoire d’un homme qui souffre d’une séparation et qui s’efforce de retenir ses larmes.
Il faudra bien qu’on me raconte
Pourquoi il faut toujours tricher
Que l’on m’explique où est la honte
Pour un homme de pleurer
Vincent Baguian, lui, dans « Ce soir c’est moi qui fais la fille » (2007), va jusqu’à s’habiller en fille pour montrer à sa compagne tout l’effet dévastateur qu’a le charme féminin sur lui. Il termine la chanson par cet aveu de frustration :
Pourquoi le ventre qui gonfle
C’est jamais pour moi
J’voudrais bien être une fille
Au moins pendant neuf mois
Me sentir moi inutile
Et mettre au monde une fille
Pour qu'elle soit...
Un peu plus à moi.
Guillaume Duthoit
Illustration de bannière : Inès Longevial